do i wear classic or vintage or plaid? (w/ nate)

Je ne sais absolument pas ce que je fais. Je me regarde dans le miroir, en tailleur bleu marine et chemise écrue.  « Sweetheart », je crie à l'adresse de mon fils qui est dans la cuisine, qui nous sert aussi de salle de séjour. « Come help me out, please! » Je pose pour moi-même en me regardant dans le miroir. Je ne sais pas du tout m'habiller pour aller à un rendez-vous. Enfin, c'est pas un rendez-vous. On ne va pas dans un restaurant. C'est un vieil ami que je retrouve autour d'un verre mais Helena est convaincue que c'est plus que des retrouvailles amicales. And Lord knows, elle s'y connaît plus que moi dans ce genre de choses. D'accord, on est toutes les deux divorcées mais elle depuis plus longtemps que moi, elle a eu le temps de réapprendre à sortir, à rencontrer des hommes, à en fréquenter. Moi... Je suis en tailleur, à demander conseil à mon fils de vingt-et-un ans. Je vois son reflet justement dans le miroir, alors qu'il entre dans ma chambre. « Is this outfit too... classic? And before you say yes, look at the shoes. » J'indique mes escarpins pailletés, totalement de soirée, carrément datant des années 80. Mais ça marchera peut-être ? Les jeunes sont à fond dans le vintage de nos jours, apparemment ? J'enchaîne, fièrement : « They're fun, huh? Super vintage! »

Il est installé dans la cuisine, un livre posé en évidence devant lui – qu’il essaye de lire, en vain, sans arrêt interrompu par les sonneries incessantes de son téléphone portable qui annonce des commentaires Facebook divers et variés. Il faut pourtant qu’il se concentre un minimum s’il veut pouvoir envoyer à son chargé d’enseignement à distance la dissertation de psycho qu’il lui a demandé. Ce qui paraît définitivement mal parti, d’autant que la voix chantante de sa mère résonne dans l’appartement alors qu’elle l’appelle. Elle lui demande de l’aide et Nate ne peut pas vraiment faire comme s’il n’avait pas entendu – leur appartement n’est pas suffisamment grand pour ça. « Coming », il finit par lancer, croyant avoir entendu qu’elle est censée sortir et que donc il aura l’appartement pour lui pour enfin tenter de réviser et de disserter en paix. Nate débarque dans la chambre de sa mère, s’attendant à se retrouver confronté à une difficulté technique – ampoule grillée, truc cassé, chose à fixer – mais il n’en n’est rien. Sa mère est vêtue d’un tailleur ultra classique qui lui donne un air vraiment très sérieux – et l’interroge sur le côté classique de la chose. Nate la détaille, ses yeux glissant jusqu’à ses pieds, parés d’escarpins pailletés – vraiment étrange. « Well », il lance en penchant la tête. « Is it like a first date with someone or simply a night out to meet people ? » il demande en croisant les bras. « Either way, the outfit is too classic, you look stuck in it – dans forget about the shoes, they’re too… shiny », il marmonne en soupirant un peu – réalisant par la même occasion que les commentaires qui viennent de passer ses lèvres sont peut être un peu blessants – et sans doute beaucoup trop pointus, aussi. « Sorry, but you need to find something that’s in between the shoes and the outfit ».

Je vois mon fils scanner ma tenue, comme les robots dans ces films de science-fiction, les effets spéciaux en moins. Ses yeux s'attardent sur mes pieds, mes beaux escarpins. L'une de mes paires préférées, c'est ce qui explique qu'elle ait survécu à tant de choses : le divorce, la revente de tout ce qui n'était pas du domaine de l'essentiel, le déménagement. Chaque fois que je glisse mes pieds dans ces chaussures, j'ai l'impression de retrouver l'ancienne moi : confiante, belle, jeune. C'est sans doute idiot mais c'est la réalité. « Well » Oh dear, en aurais-je trop fait ? Nathaniel penche la tête, comme il fait toujours quand il essaie de m'annoncer quelque chose qui pourrait me froisser. Qu'il se plaise à penser autrement mais mon fils est un livre ouvert. « Is it like a first date with someone or simply a night out to meet people ? Either way, the outfit is too classic, you look stuck in it – dans forget about the shoes, they’re too… shiny » Et ce n'est pas pour son tact que je lui demande conseil. Je lâche un soupir et fais la moue, tout en regardant mes escarpins pailletés dans le miroir. « Sorry, but you need to find something that’s in between the shoes and the outfit. » Je me retourne vers lui et acquiesce lentement, à moitié convaincue. « Okay, well, I had a feeling about all this », dis-je en agitant mes mains devant ma tenue. « But the shoooooes, Nate ! I love the shoes ! They're so fabulous and fun, they make me feel like a star. » Je me laisse tomber sur le lit, frustrée, et soupire encore une fois avant de me débarrasser de la veste du tailleur. « Baby, you're gonna have to pick something for me because I have no idea how to dress myself for a night out anymore. Your mum is not on fleek like she used to be. Do kids still say "on fleek"? Ugh, it doesn't matter. » Je m'étale sur le lit, désespérée. « I don't even know what tonight is. I mean, Lena thinks it's a date, but I have no idea. » J'ai l'impression d'être une adolescente, c'est ridicule. « Maybe I should cancel? »

Il est sans doute allé un peu trop loin, et il le regrette aussitôt. A une époque, Nathaniel aurait fait n'importe quoi pour heurter sa mère, pour la faire réagir, mais il en va différemment aujourd'hui - il n'est plus vraiment le même. Ils ont fini par parler, par se comprendre, et par se serrer les coudes, ce qu'ils auraient sans doute dû faire il y a belle lurette s'il n'avait pas été aussi borné et aussi têtu. Mais Nate avait besoin de quelqu'un à blâmer, et comme son père, ce sacré bel égoïste insensible, était mort avant qu'il ne puisse lui formuler le moindre reproche, il a bien fallu que ses années ingrates d'adolescent se tournent vers quelqu'un. Ce fut Anne, et il ne peut pas vraiment dire qu'il le regrette. Il regrette qu'elle ait souffert ; mais il sait que ces années ont fait de lui quelqu'un de meilleur. De plus stable, calme, plus à l'écoute. Aussi, aujourd'hui, son but n'est plus de lui faire de la peine, et quand il la voit se laisser tomber sur le lit dans une moue découragée, il s'en veut pour la franchise glaçante de son analyse. Alors il abandonne son téléphone sur le bord d'un meuble et s'approche pour la rejoindre. « We don't say on fleek anymore, but it's sweet coming out of your mouth, though », il répond, amusé. Ses yeux errent jusqu'aux chaussures vraiment trop brillantes pour l'occasion, mais il se résigne. « Okay so, let's keep the shoes », il finit par concéder d'un haussement d'épaule. « Cause feeling like a star is what you should do. You're a star, as bright as the shoes », il complète en haussant un peu les sourcils. « But, well... Maybe a simple black dress ? Something sober and chic ? » Il se lève et fouille son placard pour en tirer une robe noire avec un col rond et des jolies manches. « Don't cancel. Whoever you're meeting tonight is lucky », il conclut dans un sourire.

« We don't say on fleek anymore, but it's sweet coming out of your mouth, though. » Je souris, attendrie. Ce n'est pas grand chose et je devrais être habituée, parce que j'ai retrouvé mon fils depuis un moment, déjà. Il n'est plus aussi renfermé, aussi en colère, aussi froid qu'il l'avait été à une certaine période de sa vie. Ça nous a pris du temps, des efforts, mais notre petite famille fonctionne enfin, et bien. Mais des petites choses comme ça continuent de me prendre par surprise et de me réchauffer le cœur. « Okay so, let's keep the shoes » Je me rassois doucement, un grand sourire d'enfant aux lèvres. « Cause feeling like a star is what you should do. You're a star, as bright as the shoes. » Je ris face aux mots énoncés pourtant très sérieusement par mon fils. « But, well... Maybe a simple black dress ? Something sober and chic ? » J'acquiesce alors qu'il se précipite vers mon armoire. « Sober and chic, though. Do I even have that? Je me mords la lèvre, pensive.  I really feel like I don't... » Et aussitôt, une robe noire apparaît sous mes yeux, dénichée par Nathaniel au fond du placard. « I stand corrected. » Je prends le vêtement et l'examine, peinant à croire qu'il m'appartient bel et bien. « Don't cancel. Whoever you're meeting tonight is lucky. » Mon bébé d'amour. Je lui souris en me levant et dépose un bisou sur sa joue. « Thanks, sweet pea. » Je m'éclipse quelques instants, le temps de me changer et reviens les bras à moitié levés.  « Sooooo? How does it look? », je lui demande, en affichant une grimace.

Il sourit quand elle le remercie, acquiesçant lentement la tête. Il lui doit bien ça, après tout ce qu'ils ont traversé - et tout ce qu'il lui a fait subir, aussi. Il a été ingrat, comme fils, et il en a tout à fait conscience. Il a été le pire insolent du monde, même. Le fils le moins reconnaissant de l'univers ; sans doute parce qu'il avait besoin de quelqu'un à blâmer et qu'elle est la seule personne qui lui est tombée sous la main. Son père mort ne pouvait plus accueillir ses reproches, et le secret auquel il astreignait l'humiliation ne lui permettait pas de péter un câble en public. Maintenant qu'ils ont mis les choses à plat, qu'il est redevenu plus raisonnable, il lui doit bien d'être un peu là pour elle aussi. Parce que c'est elle qui a vécu avec un sale type qui refusait de donner la valeur qu'elle aurait dû avoir à leur relation. Elle a aussi vécu l'enfer, et elle a aussi perdu ce sale type. Alors il se laisse embrasser, puis la regarde disparaître tout en jetant un oeil distrait à facebook sur son téléphone. Il ne lui faut que quelques minutes avant de réapparaître vêtue de la robe qu'il a réussi à dénicher et des éternelles chaussures dans lesquelles elle a affirmé se sentir belle. Même si lui trouve ça un peu trop voyant, il ne va pas la priver de cette sensation - et après tout, qui que soit cette personne qui va rencontrer sa mère ce soir, il faut qu'il la rencontre telle qu'elle est et pas telle qu'elle veut sembler être. Il y a une part de la personnalité de sa mère qui est comme ces chaussures vintage. « You look amazing. He's really lucky », il corrige dans un sourire en se redressant pour la prendre en photo avec son téléphone et immortaliser l'instant. « Honestly, you're going to make them all jealous », il ajoute en hochant la tête. « That's my mummy ! » il plaisante en riant un peu, se mordant la lèvre sans la lâcher des yeux.

« You look amazing. He's really lucky », me dit-il, une sourire aux lèvres. Je m'exclame, émue : « Awwwww, thank you, baby! » Il sort son téléphone et me prend en photo, alors que je pose. Un coup les mains sur les hanches, un autre, de profil, menton posé sur l'épaule. « Honestly, you're going to make them all jealous. » Je joue la diva en passant ma main dans mes cheveux alors qu'il me photographie encore. Et une dernière pose, enfin, qui me ressemble le plus : jambe droite pliée, index pointé vers ma chaussure pailletée. Ai-je déjà mentionné à quel point j'étais cool comme personne ? « That's my mummy ! » Il rit un peu et j'en fais de même, amusée par cette séance photo inattendue. « Thank you, sweetie », je lui répète, avec un grand sourire. « It's most likely not a date, but I'm liking feeling... pretty again, I guess? Will you stay with me a bit while I do my makeup? » Je sors ma trousse de maquillage très peu garnie. Je crois que j'ai un vieux rouge à lèvres cramoisi qui traîne dans un tiroir ? Je verrai ça plus tard. « What's new with you, honey? », je lui demande en mettant des petits points de fond de teint un peu partout sur mon visage, avec mes doigts. « How is life, how are your friends? »