drinks & shots

Une soirée comme les autres, pleine d'aléas et de choses à gérer. Il faut agir sur tous les fronts, servir des tonnes de clients assez select, faire porter les verres à des tables précises, les bouteilles offertes par le patron à d'autres. Arthur a l'habitude, depuis le temps qu'il travaille entre ces murs. Pour autant, le travail est épuisant, et il accueille la fin de la soirée avec un soulagement non feint. Passées 23 heures, alors même que le Casino reste ouverte une très bonne partie de la nuit, la clientèle se calme. Les clients officiels rentrent chez eux après s'être perdus un peu aux machines à sous, ou alors les plus aventuriers perdent leurs économies sur une table de poker. Les clients officieux gagnent les pièces privées ou les couloirs sombres des sous-sols pour acheter quelques grammes de coke en toute discrétion - bref, après 23h, il ne reste que quelques clients à servir et c'est en général bien plus reposant. Arthur est soulagé, donc, d'autant que son service à lui ne s'achève qu'à 2h du matin et qu'il lui reste donc encore trois heures de travail à tirer. Il profite de cette perspective franchement déprimante pour s'offrir un shot discrètement, histoire de se rebooster, puis se lave les mains et rince quelques verres. Il est occupé à tout ordonner quand une cliente vient s'échouer sur un des grands tabourets rouge et or qui bordent le bar. Il la dévisage un instant avant de s'approcher, posant ses mains sur le bar en bois et lui offrant un sourire qu'il espère cordial. "Bonsoir", lance-t-il. "Qu'est-ce que je vous sers?" il demande - il aime bien tenter de deviner les consommations de ses clients mais dans ce cas là, il doit bien l'admettre, c'est un peu un mystère.

Si la journée n'avait pas été aussi merdique alors Irene n'aurait très certainement pas fini par échouer dans le bar de ce casino qu'elle détestait tant. Elle qui se voulait au dessus de toutes ces conneries de jalousie et d'espionnage avait fini par succomber à la bassesse, pour non seulement découvrir que son mari la trompait, mais qu'il dilapidait également leurs économies dans les jeux d'argent et les prostituées. La logique aurait voulu qu'elle fuit cet endroit sans plus attendre et sans faire de scène, mais elle avait surtout fini par se laisser aller sur un tabouret près du bar, le découragement l'incitant à commander un verre comme pour célébrer sa pitoyable existence parmi les mortels. Elle aurait dû se douter de quelque chose bien avant sûrement, mais elle ne pouvait pas vraiment s'empêcher d'être en colère contre lui et tous les mensonges qui avaient fait leur vie commune jusqu'à aujourd'hui. Si les hommes étaient moins faibles, ils n'auraient sans doute pas tant de mal à quitter une femme qui ne leur convient pas. Des solutions ils en auraient trouvé vraisemblablement, ne serait-ce que sur le plan juridique. Ce qui reste le plus dur à avaler c'est précisément le tissu de mensonges qui s'est installé dans leur vie. Pour ce qui est du reste, Irene n'avait pas été naïve jusqu'à s'imaginer qu'ils filaient le parfait amour. Le procès entamé contre son mari avait ramené de vieux démons et semé le désordre dans leur relation. Elle avait tenté de l'aider, mais force était d'admettre que ça n'avait pas changé grand chose à leur problème. Peut être était-elle trop dure avec lui, trop intransigeante. Irene s'en veut d'arriver à lui trouver des excuses et pourtant elle ne peut pas vraiment s'empêcher de se remettre en question. Alors qu'elle chasse l'idée de sa tête, le barman s’intéresse soudainement à sa commande. « Un whisky, avec de la glace. » Consciente qu'un peu de politesse ne fait jamais de mal, elle finit par ajouter. « Merci. »

La plupart des personnes qui fréquentent le Casino et qui sont des habitués ont des visages qui sont parfaitement imprimés dans l'esprit d'Arthur. Il ne se souvient pas toujours des prénoms, mais les visages restent, eux. Il sait de source sûre qu'il n'a jamais vu cette femme, en revanche, sinon il s'en rappèlerait sans doute. Parce qu'il y a quelque chose chez elle qui l'intrigue un peu, s'il est tout à fait honnête - elle est belle, naturellement, mais des belles femmes défilent à son bar tous les jours. C'est autre chose - dans son regard, son attitude. Dans cette manière qu'elle a de commander un whisky de façon nonchalante, absente. Presque distante. Il acquiesce et attrape un verre qu'il pose devant elle pour verser le whisky dans la quantité règlementaire, avant d'y ajouter trois glaçons qui font considérablement monter le volume de la boisson. Il ajoute une serviette et un dessous de verre et pousse la consommation vers elle, s'autorisant à l'observer quelques secondes - les gens sont moins nombreux et il n'a personne à servir pour l'instant. « Dure soirée ? » il demande, d'une voix assez neutre, un peu concernée. Souvent, les gens ont envie de se confier à Arthur. Parce qu'il est là, le barman, parce qu'il écoute. Sans juger.

Dure soirée ? Légèrement oui. Irene réprime le commentaire en se contentant d'un haussement de sourcils qui veut tout dire. Ce n'est pas tous les soirs qu'on apprend que son mari claque les économies du ménage en prostituées et jeux de hasard alors qu'il prétend aller jouer aux cartes avec des amis en effet. Le qualificatif de dure soirée convient donc parfaitement à la situation. Elle se doute bien que ce type joue parfaitement son rôle de psychologue de comptoir avec elle, mais elle s'empêche en revanche de l'envoyer se faire voir parce qu'il est gentil et que ce n'est pas vraiment sa faute finalement. Alors elle hoche la tête. « Mon mari se tape présentement une prostituée. Je suppose que vous êtes au courant de ce qui se passe ici. Le fait est qu'il le fait avec l'argent de mes heures supplémentaires.Voyez-vous, il va perdre son travail par dessus le marché. » Irene sait qu'elle est dure, mais elle a besoin de parler de la situation crûment. Les choses sont ce qu'elles sont et les enrober avec des euphémisme, très peu pour elle. « Dure soirée oui. » Elle se rend compte qu'elle est glaciale, mais vu la situation, il ne lui en voudra pas.