I wish that I had Jessie's girl. ✄ pour Léandre.

J'éteins mon ordinateur rapidement après avoir prévenu Cecil de mon retard. Il ne pourra pas m'en vouloir, après tout il m'a bien faite poireauter dix minutes devant sa porte la nuit dernière avant de m'appeler pour me dire qu'il était chez je-ne-sais qui, me poussant à aller chez une vague connaissance noyer ma peine dans le whisky et le red bull. C'est ainsi que pour le quatrième soir d'affilée je me suis retrouvée ivre-morte. Je m'habille rapidement et préviens ma mère que je vais chez un ami, un fils d'ambassadeur, détail que je mentionne bien pour qu'il ne lui vienne pas à l'idée de m'empêcher de sortir. L'air froid fouette mon visage, j'ai en poche £8, autrement dit pas assez pour un taxi. Par chance, je parviens à attraper le dernier bus qui m'arrête non loin de l'adresse de Léandre si je me repère bien. Mon sens de l'orientation n'a pas assez fait ses preuves ces derniers jours... Perdue une nouvelle fois et honteuse je n'ose pas envoyer un message d'appel à l'aide sur Facebook pour la troisième fois. Léandre est déconnecté bien sûr et demander à Tristan de me renseigner conduirait sûrement à un interrogatoire. Je tourne en rond quelques minutes avant de me résoudre à contacter Tristan, le regard insistant d'un SDF aidant considérablement mon choix. Il me donne enfin une indication plus ou moins claire après que j'ai inventé une excuse plus que bancale -les préparatifs de son anniversaire, pour tout avouer. Je me remets en route tout en marmonnant mille-et-une choses sur les toges.

J'arrive finalement chez Léandre avec cinq minutes seulement de retard, un record. La maison, d'une taille plutôt considérable pour l'endroit, me fait un peu penser à celle de Blair. Je sonne à la porte avec délicatesse, comme si j'avais peur de briser l'interphone. La nervosité qui s'était installée chez moi quelques jours auparavant s'est peu à peu évaporée, relaissant la place à ma bonne humeur habituelle. L'origine de ce changement d'humeur est totalement inconnue ou presque. Léandre ouvre la porte peu de temps après. J'entre doucement et pose un baiser sur sa joue droite avant de lire d'une voix neutre le message dont je suis la porteuse : « Tristan me demande de te dire qu'il t'aime et que tu seras toujours son seul et unique amour. Si ça peut te rassurer... » Je range mon portable dans ma poche et lance à Léandre un regard entendu. Ca se passe presque de commentaire.

L’agacement qui m’habite depuis quelques jours n’est lié qu’à la jalousie enfantine que je ressens vis-à-vis d’actes injustifiés. C’est ce dont j’essaye de me convaincre, entre le moment où cesse ma conversation avec Caro – et donc celle avec Tristan – et le moment où celle-ci arrive. Je n’arrête pas de mélanger les divers éléments en ma possession pour trouver où tout ça cloche, mais je n’y arrive pas. Mon instinct vis-à-vis d’Andrea est définitivement mauvais, et j’ignore totalement pourquoi. J’ai peur de n’être guidé que par mon intérêt personnel, crise de jalousie comme suggérée par Tristan tout à l’heure. Je ne suis peut être qu’un gamin qui aime savoir que les gens auxquels il tient sont là pour lui. Peut être qu’Andrea est un type normal et que je me fais des idées. Mais quand même, la version de Laureline me chiffonne, et Caro ne semblait pas convaincue de la transparence dudit cousin via nos conversations instantanées. D’où l’urgence de la réunion, qui aurait pu attendre, mais qui m’évitera de tourner en rond indéfiniment en me demandant quoi faire.
Les rendez-vous ratés avec Tristan me stressent et malgré tout, ces empêchements commencent à devenir un peu trop réguliers pour être hasardeux.

Caro finit par sonner à la porte, je me lève, traversant les couloirs pour aller ouvrir. Cette maison est le support d’un nombre infini de souvenirs, dont Tristan fait partie intégrante. Le voir s’éloigner et ponctuer nos conversations de disputes alors même que nous sommes tous deux toujours restés très posés me fait me sentir mal et peu à l’aise dans la vie de tous les jours, sensation étrange de retranchement. Perdre les gens qu’on aime est une sensation que je ne revivrais pour rien au monde, et il est hors de question que je perde mon ami, que ce soit parce que son cousin le monopolise ou parce qu’il lui prépare un mauvais coup. J’ouvre la porte, tentant de me détacher de mon air préoccupé. Je souris à Caro qui entre et m’embrasse, c’est la première fois qu’elle vient ici il me semble. « Tristan ne peut plus porter ses messages tout seul ? » Je hausse les sourcils, me battant avec difficultés contre ma propre colère. « Je suppose qu’il a trouvé de quoi occuper sa soirée. » Nouveau soupir, je secoue la tête pour éviter de sortir tant de conneries en si peu de temps. « Pardon… Tu veux boire quelque chose ? Manger peut être ? »

En effet, on dirait qu'il ne peut plus. Il devait être trop occupé avec quelqu'un d'autre, inutile de se poser des questions. « Il savait que je venais te voir, il s'est dit que ça parviendrait à tes oreilles aussi sûrement que s'il te le disait lui-même. Et si c'est un peu tendu entre vous, prends ça comme un message de paix. » Je n'en pense pas un mot mais c'est ce qu'il fallait dire. L'amitié entre Tristan et Léandre est bien trop belle pour être entâchée par une dispute idiote. Je m'avance un peu dans la demeure, toujours aussi mal à l'aise au milieu de tant de luxe. « Non merci, j'ai mangé avant de venir et... ne me parle pas de boire par pitié. » Je ris doucement. Une cinquième gueule de bois serait de trop je pense et il ne me vient même pas à l'idée de boire quelque chose de non-alcoolisé. Je reviens vers Léandre et entame la conversation. Nous sommes là pour parler d'Andrea, le cousin louche de Tristan et Laureline, un garçon charmant en soi mais avec un regard bien trop flippant pour être net. J'hésite à parler de l'altercation à laquelle j'ai assisté jeudi après midi, pas pour garder le secret mais plus pour ma propre réputation. Ecouter aux portes n'est pas vraiment bien vu. Pourtant, il le faut, pour Tristan et l'affection que je lui porte je dois avouer ce travers. « Je... je les ai entendu se disputer assez violemment l'autre jour. Tristan avait l'air dans tous ses états, je l'avais jamais vu comme ça, j'avais vraiment l'impression qu'il allait le frapper. » Je me tortille, gênée. « Et aussi... ils disaient des trucs étranges, qui se seraient passés à Paris. J'ai du mal comprendre, ils parlaient en français, c'est trop bizarre. » Je sens le regard de Léandre peser sur moi. J'en ai trop dit, il faut que je poursuive. J'ai l'impression d'être un monstre affreux qui se faufile dans l'intimité des gens, pire, dans celle de Tristan. Je soupire longuement. Je peux peut être essayer de taire ce que j'ai entendu pour un petit moment, quitte à revenir dessus plus tard. « Par contre quand je les ai rejoins au Carling l'autre jour Andrea était déjà parti avec Lucy, donc je ne lui ai jamais parlé directement. Je ne sais pas comment en général, mais rien que sur Facebook, ça m'inquiète. Qu'ils se battent un jour pour se comporter comme les meilleurs amis du monde le lendemain c'est louche. Il me fait presque peur. » Sans parler de ce rêve bizarre dans lequel il m'a sauvagement assassinée pour garder Tristan pour lui tout seul, mais ça, il est hors de question que j'en parle.

Elle me recadre en moins de temps qu’il ne m’en faut pour pester une nouvelle fois, et je sais qu’elle a raison. Quand bien même Tristan ne m’envoie-t-il pas son message lui-même, il sait que je l’aurais quelque soit l’intermédiaire. « C’est vrai qu’on a connu mieux, lui et moi. Je ne sais pas vraiment ce qu’il se passe, même si j’avoue que j’ai tendance à mettre tout ça sur le dos du cousin. » J’éviterai d’aborder les problèmes autres qui peuplent la vie de Tristan en ce moment, de sa fausse relation jusqu’à l’amour infaillible qu’il porte à ma sœur, sans compter les diverses querelles de filles en manque – sans aucune offense.

« J’aurais aussi pu te donner de l’eau », je fais remarquer en riant, écartant toute tension ou problème d’agacement notoire qui pourrait éventuellement me saisir. Elle me fait rire, mais le sujet qui nous préoccupe tous les deux couve et l’impatience est tangible. Elle me raconte, j’écoute attentivement. Quand elle a fini, je ne peux m’empêcher de froncer le nez. Je parle très bien français, aurait sans doute pu comprendre ces échanges, mais je ne pousserai pas le vice jusqu’à demander à Caro de les retranscrire. Il est rare que Tristan revienne à sa langue maternelle cependant, et l’idée confirme mes inquiétudes. Quelque clochait donc effectivement, avant que les deux cousins ne soient les meilleurs amis du monde. « Effectivement c’est… » Je n’ai pas le mot, puis ai finalement bien peur de l’avoir trouvé. « Malsain ? » Je grimace en réfléchissant un peu, ne trouvant aucune justification tangible à cet évènement. Je m’assois sur un tabouret de la cuisine, ne sachant trop que penser. « Laureline dit qu’Andrea a menti sur certains points, aussi. Il a raconté à Tristan qu’ils se voyaient régulièrement après son départ pour Oxford alors que ça n’est pas le cas. » Je secoue la tête. « Moi je ne lui ai jamais parlé directement, mais c’est pareil, tous ces échanges facebook et cette explosion soudaine d’amour… » Je fronce le nez de nouveau, songeur.

Je hoche la tête en signe d'approbation. Malsain est également un des mots que j'aurais choisi aux côtés d'étrange, alarmant et inquiétant. Ils se disputent si violemment qu'ils en viennent presque aux mains le jeudi et s'adorent le lundi, c'est très très louche. Je sais qu'il est inutile de partager cette réflexion avec Léandre, il a du se la faire tout seul, c'est d'ailleurs assez évident pour que tous les étudiants qui ont assisté à l'engueulade pensent la même chose. Je fronce les sourcils. « Il a dit ça ? Pour quelles raisons à ton avis ? » Il n'y en a pas des tonnes et la jalousie arrive en première, mais dans ce cas aussi il y a plusieurs options. Andrea veut-il rendre Tristan jaloux par rapport à lui-même ou par rapport à Laureline ? Est-ce que la cadette des Faure est également impliquée dans leur histoire ou s'agit-il uniquement des deux cousins ? Beaucoup trop de questions se pose et nous n'avons pas assez d'informations pour répondre à ne serait-ce qu'une seule d'entre elles. Nous ne savons rien au sujet d'Andrea, quel genre de personne il est, son passé, rien. Je commence à faire les cents pas malgré moi, mes poings se serrant à chaque seconde. J'aperçois le reflet de mon visage dans un miroir exceptionnellement grand. L'expression d'inquiétude intense qui s'y affiche me fait grimacer. Je me tourne brusquement vers Léandre « Il faut qu'on fasse quelque chose, imagine qu'il ait vraiment quelque chose à cacher, et s'il était dangereux, s'il faisait du mal à Tristan, j'ose pas y penser ça serait terrible... » Je me mords la joue pour me faire taire. Ce n'est pas moi du tout de piquer des crises pareilles sans avoir la conviction de ce que j'avance. Je pose une main devant mes yeux pour me calmer, ma respiration est saccadée et chacun de mes muscles est douloureusement tendu. Je déteste être dans cet état de faiblesse, rien ni personne ne devrait me rendre comme ça. Je tente un sourire mais en vain, je suis bien trop stressée.