Je descends de la voiture et attrape mon sac, souriant faiblement au chauffeur qui propose gentiment de porter mes bagages. Je dois vraiment faire pitié pour qu'il se préoccupe ainsi de moi. Je le supplie presque de ne rien dire à mon père et lui fais d'ultime recommandations pour qu'il dépose Méphisto chez papa Eastwood, le temps pour moi de me refaire une santé. J'invoque un prétexte bancal, un weekend chez des amis, un marathon séries ou quelque chose dans le genre et le conjure de ne rien souffler de mon état à mon père. Je ne serais pas capable alors de lui cacher la vérité. J'ai déjà eu suffisamment de chance qu'il ne me pas lors de mon retour. Et je me vois mal lui tenir tête alors que je tiens à peine debout. J'écoute les conseils d'Andrew, je dois me nourrir et récupérer le moral. J'ai besoin d'être avec quelqu'un qui pourra me comprendre et saura trouver les mots pour me réconforter. Or je ne connais qu'une personne qui me ressemble autant. Andrea. Et je sais que Tristan est tout à fait capable de comprendre les raisons de mon état pour le moins déplorable.
Je souris une dernière fois à Méphisto, le serre doucement contre moi et enfouis mon visage dans sa fourrure. Il ronronne, me lèche le nez et je le repose doucement dans sa cage de transport. Puis je regarde la voiture s'éloigner jusqu'à ce qu'elle disparaisse et me tourne vers l'immeuble. Andy doit être là. Je hisse mon sac sur mon épaule et grimpe les escaliers. Je toque discrètement à la porte et attends. J'ai l'impression de revenir quelques mois en arrière, quand j'ai débarqué chez Rose, trempée et paumée. Là je débarque chez mes deux rois, au bord de l'évanouissement et bien engluée dans une dépression que je me refusais à reconnaître. Heureusement qu'Andrew passait dans le coin, je serais certainement dans un état encore plus lamentable. Bon maintenant je regrette de l'avoir ignoré pendant cinq ans mais aussi de ne pas l'avoir supplié de me faire l'amour à nouveau tant la frustration de ces sept mois se fait ressentir. Mais mon amour-propre est encore là et solide et j'avoue que ça faisait légèrement trop désespéré à mon goût. Et puis je ne suis pas en état pour ça. La porte s'ouvre et je souris timidement.
"Bonsoir mon roi."« Bonsoir ma Reine » Je baisse rapidement les yeux, incapable de soutenir le regard d'Andy. Je me sens terriblement mal de débarquer ainsi chez mes deux rois, de m'immiscer dans leur vie certes pas vraiment parfaite, mais que j'envie tellement que ça me rend encore plus malade. Je me sens gênée de lui avoir à demi-mot avoué que je n'allais pas bien, incapable de gérer la situation seule, chose que je m'applique pourtant à faire en temps normal. Mais pas là. Sûrement parce que mon état physique ne me permet pas de rester seule et que j'avais trois option. Un ? Demander à Andrew de rester avec moi et j'aurais fatalement fini par coucher avec lui. Je me connais, après sept mois vingt-cinq jours et huit heures d'abstinence, je n'aurais pas résisté longtemps à mon boy-scout préféré. Deux ? Aller voir mon père et avoir droit à un interrogatoire dans les règles plus un passage obligé à l'hôpital et des séances de psy à n'en plus finir. Trois ? Mes rois, les seuls hommes que je désire voir.
« Ca va aller, maintenant » Je me blottis contre Andrea et ferme les yeux de toutes mes forces pour que les larmes que je peine à retenir ne coulent pas. Je sais que ça va aller. Je suis avec mes rois, rien ne peut m'atteindre ici. Je finis par m'écarter et gratifie mon "âme soeur" (car croyez moi, nous sommes deux dramaqueens en puissance, on nous croirait liés par le sang) d'un pauvre sourire.
« Tris est aux fourneaux dans la cuisine, viens » Bon Tristan cuisine, allons voir les dégâts.
« Regarde qui est là » Monsieur me jauge du regard et je rougirais presque en le voyant embrasser fougueusement Andrea si je n'étais pas habituée. Je grimace et lui fais quand même la bise avant de lui jeter un regard suffisant.
« Oh Andrea comment tu as deviné que j’avais toujours rêvé d’embaucher de la main d’oeuvre étrangère pour les tâches ménagères ? » Je grimace à nouveau.
« Tu feras moins le malin quand moi et mon peuple envahirons votre petite Europe, après tout nous sommes six milliards. » Je jette un coup d'oeil inquiet à la casserole, priant pour qu'il n'essaye pas de me faire manger des grenouilles. Ouf. Mon corps n'aurait pas survécu aux français batraciens.
« Remarque si tu veux m'engager pour vous frotter le dos sous la douche je pourrais éventuellement y réfléchir. » j'ajoute avec un demi-sourire.
« Encore une qui ne dirait pas non à un plan à trois avec toi et moi. » Le rire d’Andrea m’arrache un sourire. J’aime mes deux rois énormément. Mais disons que je ne suis pas partageuse et qu’en plus j’ai tendance à considérer Andrea comme mon deuxième moi. Ce qui serait hautement étrange avouons-le, de me faire l’amour à moi-même. Je crois que je ne suis pas prête du tout pour ça.
« Mais faut être plus directe ma chérie. » Mon ventre grogne. Ça c’est pas être directe ? J’ai faim et je crois que mon abstinence peut souffrir encore quelques heures. Pas mon appétit qui semble être revenu. Ne crions pas victoire plus vite, rien ne me dit qu’à la première bouchée je ne vais pas courir aux toilettes pour rendre le contenu de mon estomac comme depuis quelques jours.
« Six milliards, ça me semble un peu exagéré. Et je ne suis pas sûre que tu te maintiennes dans cette voie là si tu savais » Je souris doucement et tapote l’épaule de Tristan.
« Andy m’a pourtant promis de m’épouser. Mais comme je ne suis pas certaine que tu sois capable de supporter deux dramaqueens je te fais grâce d’un second mariage. C’est dommage, j’aurais pu porter une belle robe blanche. » Je deviens brusquement sérieuse.
« En tous cas merci de m’accorder l’asile oxfordien pour quelques jours. Et par pitié n’en dîtes rien à Rose. Je crois qu’elle m’en veut de ne pas avoir forcé sur le gingembre l’autre jour. » Il est plutôt agréable d’être en compagnie de deux types qui ne me sauteront sûrement jamais dessus et avec qui je n’ai aucune chance, même avec beaucoup d’alcool. C’est beaucoup moins stressant que d’être en compagnie d’un ex-amant beaucoup trop adorable pour ma santé mentale je crois.
« Franchement t’es pas maligne de venir ici, je suis toujours fourré avec Rose, et tu me demandes de cacher des immigrés japonais chez moi.» Je lève les yeux au ciel.
« Chinoise. Pas japonaise merci. Ta géographie laisse franchement à désirer Tristan. » Je m'accroche au plan de travail et chancelle légèrement. Génial. Absolument génial. Je me dépêche de m'asseoir et me masse doucement les tempes.
« Je suis sérieuse les garçons » je fais d'un ton las et fatigué.
« Je ne vais pas bien. Pas suffisamment bien pour tenir tête à Rose. Elle se doutera probablement de ce qui m'a mise dans cet état et je ne veux même pas penser à ce qu'elle pourrait faire. » Admettons un instant qu'elle le sache. Rowan serait mort dans l'heure. Ou salement amoché. Et je ne tiens pas à ce que ma meilleure amie fasse de la prison. Pas à cause d'un type avec lequel je n'aurais jamais dû c... m'engager émotionnellement. Parce que finalement le sexe ce n'était rien de bien grave. Il me semble que j'ai rendu l'ambiance un peu lourde et je fixe mes pieds d'un air totalement gêné cette fois.
« Désolée... » je murmure en me mordant furieusement la lèvre inférieure pour ne pas fondre en larmes devant eux. Vas-y Faure, balance-moi une plaisanterie bien française histoire que je ne comprenne rien et que je rigole quand même.
U.C