FMR × Pleased to meet you, hope you guess my name.

A mon arrivée à Cambridge, je compris instinctivement les règles implicites et la hiérarchie qui régissaient le campus. Ce n’était guère difficile, l’université ressemble tant à la famille Ryan, en un peu plus grand, c’est tout. La règle de base est simple, claire, omniprésente : ce qui compte, ce n’est pas qui tu es ou même ce que tu fais, seulement l’image que les gens ont de toi, ta réputation, ce que l’on te voit faire. Aie l’air d’un étudiant modèle, sois brillant, courtois, bien élevé, aies l’air bon sous tous rapports et tout se passera bien pour toi, quoi que tu puisses faire dans l’ombre, la nuit, en privé. Qu’un seul de tes secrets honteux soit découvert, et tu te retrouves tout en bas de l’échelle, renié par ta famille, déshérité et jeté dans les bas-fonds. Nul besoin d’être parfait, il suffit que les autres le croient. C’est un peu le fil conducteur de ma vie. J’ai été élevé ainsi et je me suis plié aux règles du jeu. Mes parents sont tous deux de grands avocats, ma mère est spécialisée dans les divorces, mon père s’intéresse au droit des firmes multinationales. De l’argent et une réputation à préserver. Une succession d’écoles privées, de règles strictes, et de quelques dîners de famille dont l’ambiance est toujours plus chaleureuse et agréable. Quand notre vie ne nous convient pas, il faut apprendre à vivre à côté, en dehors de ce petit cadre de famille modèle. Il n’est pas très difficile d’agir dans le dos de ses parents, lorsque ceux-ci sont aussi présents et impliqués dans la vie de leurs enfants que les miens. Je n’ai jamais douté qu’ils nous aimaient, mais disons qu’ils s’intéressent à nous à leur manière. Ils nous prennent en charge financièrement, s’occupent de notre scolarité, veillent à notre éducation sans réellement s’y impliquer personnellement. Ils font ce qu’ils pensent être leur mieux pour nous, mais je pense que leur vision de ce qui fera notre bonheur est comme qui dirait légèrement décalée de la réalité. Aussi j’ai appris dès mon enfance que je pouvais jouer et vivre ma vie comme je l’entendais, tant qu’ils ne l’apprenaient pas. Se cacher, rejeter la faute sur les autres, afficher un visage angélique en leur présence était le meilleur – peut-être même le seul en fait – moyen de survivre à cet environnement. J’ai continué ainsi toute ma vie – bien que mes jeux d’enfant aient quelque peu évolués avec les années, mais vous devez bien vous en douter – et je ne compte certainement pas m’arrêter aujourd’hui. J’ai intégré Cambridge selon leurs recommandations, perpétuant le flambeau en suivant des cours de droit dans une grande université anglaise. Mes résultats ont toujours été excellents, aussi n’eussè-je aucune difficulté à intégrer ce cursus. La profession ne me dérange pas particulièrement, elle ressemble assez à la vie que j’ai mené jusque-là au final. Un bon avocat doit savoir afficher un masque, mentir, manipuler et séduire les jurés pour les convaincre. Et de toute manière, suivre les recommandations de mes parents offre de nombreux avantages, auxquels il est difficile de tourner le dos, par exemple avoir la paix, avoir de l’argent… Ma sœur, elle, a décidé d’emprunter une autre voie. Je dois avouer que je trouve souvent son choix idiot. Renonçant à son héritage et au mépris de la volonté de notre famille, elle s’est lancée dans une carrière artistique, souhaitant devenir comédienne. Un choix que l’on pourrait qualifier de courageux, mais très risqué. J’espère pour elle que sa carrière décollera, ou elle en entendra parler tout le reste de sa vie. L’art m’a toujours intéressé aussi, j’aime beaucoup composer. J’ai commencé le piano il y a des années, et je suis plutôt bon aujourd’hui. Mais est-ce suffisant pour renoncer à cette vie ? Cela ne signifierait pas seulement renoncer à cette façade d’enfant modèle, qui fait la fierté de ses parents, etc. Ce serait surtout renoncer à l’argent. Et beaucoup d’argent signifie la liberté de faire tout ce que tu veux pendant ton temps libre. Ce serait renoncer à mes folles soirées, à toutes les expériences qui s’offrent à moi, à toute la liberté que j’ai, maintenant que je vis à l’université et que je maîtrise parfaitement l’art de dissimuler ma vie à ma famille et à tous ceux qui risqueraient de se mettre en travers de ma route. Renoncer à tout cela pour faire comme ma sœur et me trouver une petit boulot subalterne en espérant que cela me permettre de joindre les deux bouts, de me payer mon logement, ma nourriture, et enchaîner auditions sur auditions en espérant perçant dans le monde de la musique, comme des millions d’autres dans ce monde ?  Je ne pense pas être prêt pour cela. Et je ne suis même pas sûr que j’en aurai un jour l’envie. Je ne renoncerai jamais à la musique, mais soyons réalistes : sacrifier ma vie entière juste pour espérer pouvoir exposer et partager mon talent avec le reste du monde me semble un bien trop grand prix.