FCS ♢ Carolyn : Madness Return

Le coin de ma valise heurte bruyamment le mur du couloir de ma résidence étudiante, m’arrachant un juron qui fait tourner quelques têtes. « Quoi ? Vous avez jamais vu une nana de mauvaise humeur ? » Regards courroucés et murmures désapprobateurs, je hausse les épaules et continue mon avancée jusqu’à ma chambre sans plus faire attention à cette bande de péteux. Je suis arrivée sur le campus il y a deux heures, pour valider mon inscription et récupérer les clés de ma chambre, et j’ai déjà eu le temps de me faire des ennemis (à commencer par cette pétasse blonde qui a refusé de s’ôter de mon chemin quand j’ai voulu accéder à l’ascenseur, j’ai du utiliser sa tresse parfaite pour la traîner hors de ma route sans tenir compte de ses cris de douleur). Mais peu importe, je suis ici pour réaliser mon rêve, pas pour me faire des amis. Je dois me faire respecter dès mon arrivée, sinon je ne serai jamais au bout de mes peines.
Je fais claquer mes talons avec exagération jusqu’à une porte crème portant le numéro 136. Je vérifie sur la petite étiquette qui accompagne ma clé si ça correspond bien, avant de l’introduire dans la serrure. Un sursaut d’excitation agite mon ventre quand le clic significatif se fait entendre. A partir du moment où je serai entrée dans cette pièce, je considèrerai que ma nouvelle commence. Ma vie de star, je n’aurais jamais été aussi près du but, à quelques centimètres de la gloire et des paillettes. Savourant l’instant, je pousse tout doucement le battant. J’attends ce moment depuis si longtemps. Moi, dans une grande école d’arts, prête à tous les écr… « Salut ! Je m’appelle Olga, Olga Lousplaas, j’ai vingt ans, je viens d’arriver à l’école. Toi aussi t’es nouvelle ? C’est trop cool, j’avais peur de tomber avec quelqu’un qui serait déjà là depuis longtemps avec plein d’amis, mais du coup on va pouvoir devenir copines hein ? Inséparables, tu verras ! C’est trop beau ici, et la chambre est trop cool, on a deux lits, je t’attendais pour que tu puisses choisir le tien. On a même un placard chacune, mais je me disais qu’on pourrait se partager nos fringues qu’est-ce que t’en dis, ça serait trop cool non ?... » Ebahie, je dévisage la petite créature rousse qui dépite autant de mots si vite et sans reprendre sa respiration. Je suis un peu admirative, avant de me rendre compte de ce qu’elle dit. Pardon ?! Moi, avec une inconnue dans 20m² ? Partager MES vêtements ? Devenir inséparables ?! Une fraction de seconde, je me mets à penser –à espérer- que c’est le bizutage qui commence, mais je dois me rendre à l’évidence. Je vais passer les années à venir en cohabitation avec une rousse appelée Olga Lousplaas. Dire que je pensais que ma poisse m’avait quittée quand j’étais montée dans le train à Oxford… « … Et toi tu t’appelles comment ? Désolée, je suis trop bavarde, on me le dit tout le temps, d’ailleurs ma maîtresse en CE1 m’avait dit que ça me porterait préjudice plus tard, comme tous ces gens qui… » « Carolyn Stowe. » Je l’ai coupée sans état d’âme, je n’ai pas le courage d’en entendre d’avantage. Je jette un regard à la chambre que je juge petite mais claire avant de jeter mon sac à main sur le premier lit face à moi et de poser ma valise devant l’armoire (minuscule) placée à côté. Tandis que je commence à ranger mes affaires, la rouquine s’assoit sur l’autre lit et me regarde faire, un sourire stupide aux lèvres. Doux Jésus. « T’as vu, on est en face du bâtiment des garçons, c’est trop cool, on va pouvoir les espionner ! Et on a même des toilettes privatives. Bon la douche et commune mais si on y va en même temps… » « Silence. Je ne veux plus rien entendre. » Je pends ma dernière robe, ferme le placard et glisse ma valise sous le lit, lentement. Puis je fais face à Olga. « On va instaurer des règles okay ? Pour mon bien, mais surtout pour le tien. Pas plus de dix mots par phrase. Tu ne t’approches pas de mes vêtements. Tu ne mates pas les mecs pour t’émoustiller un peu, du moins quand je suis là. On ne prend pas nos douches ensemble. Et surtout, je suis pas ta pote. » La pauvre fille semble mortifiée. Par la fenêtre, j’aperçois juste en face un garçon qui nous observe, un petit sourire aux lèvres, les bras croisés. Mes poils se hérissent. Depuis combien de temps nous espionne-t-il ? Quel manque d’intimité… Je fais mine de ne pas l’avoir remarqué et rejette mes cheveux en arrière. « J’espère que tout est clair. » Je prends mon portable et mon porte monnaie avant de sortir de la chambre. La rentrée est dans deux jours, ce qui me laisse le temps de profiter du campus et de la ville.

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? Ni une, ni deux, j'accepte. C'est ce que j'ai toujours voulu, ce pour quoi j'ai toujours travaillé. Et ce producteur a bien de la chance d'être tombé sur moi, je suis parfaite pour le rôle qu'il me propose, quel qu'il soit.

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? Ca m'fait pas rire. Je sais très bien que cette fille c'est moi, mais j'avais une bonne raison de pleurer. C'était pour quoi déjà... Mon amoureux de l'époque allait se marier avec son cousin ? Ma meilleure amie ne m'adressait plus la parole ? Je venais d'apprendre que j'étais enceinte ? Je sais plus, mais je revois la scène. Les passants m'ont jeté douze euro ce jour là, si c'est pas la classe !

→ Ton(ta) cousin(e) t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? Franchement j'en sais rien. On a une très grande famille voyez-vous, et les cousins c'est pas ce qu'il manque, alors il suffirait que je tombe sur celui qui a hérité de tous les gènes de mon grand père pour que je le repousse en vomissant. Après, s'il s'agit de, par exemple, Iago, là je dis oui !

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? Le Carling aura toujours une place de choix dans mon coeur. Je suis prête faire des centaines de kilomètres pour y passer une heure ou deux. Les meilleures soirées de ma vie se sont déroulées là bas, et c'est pas prêt de s'arrêter.

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? Je vais vous raconter ma vie à ce rythme là... Non sérieusement, ma grossesse non-désirée de l'année passée restera toujours mon plus gros regret. Cet enfoiré de Murray m'en doit toujours une pour ça d'ailleurs.

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? J'ai assez donné je crois, et vous savez très bien ce que je choisirai, encore et toujours. La bague à chaque fois.

→ C'est le mec (la fille) de tes rêves, tu en es persuadé(e) et pourtant, celui(celle)-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné(e), stratégique, ou éploré(e) ? On veut les détails ! Stratégique, on a jamais vu Carolyn Stowe baisser les bras. Surtout qu'en général, personne n'aurait l'idée de me contrarier.

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? Dans dix ans, je serai une actrice célèbre, connue dans le monde entier, mariée à un homme beau, riche et tout aussi connu, avec pourquoi pas un ou deux enfants. La grande maison et le golden retriever sont livrés avec la vision de rêve.

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) Dare, et je suis capable de tout.

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » J'espère que tu plaisantes petite ? Sais-tu qui je suis ? Je suis Carolyn Stowe, et à une époque, Oxford était mon royaume. Cambridge n'est que pour les faire-valoir. Si tu veux devenir Reine, tâche de commencer par la véritable élite, va à Oxford. Et peut être qu'un jour, à force de courage et de volonté, tu seras comme moi, connue et redoutée par l'université entière. Et ça, c'est le début du règne.

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Cambridge Club ? » Une bande de culs-serrés sans grand intérêt. Ils sont là pour donner un peu d'originalité à Cambridge je suppose, il ne serve pas à grand chose à part à embêter les étudiants en les jugeant sur leur apparence physique et leur comportement. Attends je vais te montrer quelque chose. Là. C'est le site du JCC. T'as vu tout ce rose ? Immonde n'est-ce pas ?

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» Ah... Eux... Excuse-moi, je ressens toujours une pointe de nostalgie quand on me rappelle mes années fac, et les TMs en font entièrement partie. Ne t'avise jamais de les comparer au JCC ma fille, ils n'ont rien à voir. Les TroubleMakers sont l'âme de la population étudiante d'Oxford. Nous vivions selon leur humeur et au rythme de leurs frasques. Leur rôle ? Faire des blagues aux gens et les exposer au monde. Moi ? Si j'ai déjà été leur cible ? A ton avis, comment suis-je devenue la fille la plus populaire de la ville ?

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » Tristement, non. Si tu choisis Cambridge, tu es obligée d'y rester. C'est dur mais c'est la vie. Alors prépare-toi dès maintenant à rejoindre Oxford, le chemin est long et difficile, il va falloir que tu bosses ma grande, mais ça vaut le coup. En plus, on a des cookies.

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. »