INTRIGUE : votre avion va avoir quelques heures de retard...

« Votre avion est annoncé avec une heure de retard, Monsieur Leroy-Duchesne ». Un rire nerveux m’échappe tandis que l’hôtesse, capitonnée derrière la cabine d’enregistrement des bagages, me remet mon billet hors de prix avec un sourire  plus que navré. Je me fiche qu’elle soit désolée, cependant, et hoche vivement la tête, me mordant la lèvre pour ne pas faire un commentaire désagréable qui pourrait m’échapper malencontreusement.

J’abandonne mon sac et range mon portefeuille dans ma poche intérieure, jetant un coup d’œil inquiet à ma montre. Il est presque 19h. Mon avion devait décoller à 20h pour me ramener à Paris, pour me ramener à lui le temps de deux courtes soirées. Je savais que je prenais des risques en réservant un avion, mais le train ne me permettait pas d’arriver à l’heure en France, d’autant qu’il était plus que délicat de demander à mon nouvel employeur de me laisser partir plus tôt pour que je puisse rejoindre mon mari et cousin à Paris. Le fait que je sois marié à mon cousin n’est un secret pour personne, cela-dit, tout le monde à Londres est au courant, et encore plus depuis les accidents du mois de juillet. La mort de Gregory, et celle de Christine, ont fait la une des journaux pendant des semaines, juste à côté de celle des parents Von Brezen. Toutes ces familles décimées m’arrachent encore un haut-le-cœur, et quand je repense aux malheurs qui se sont abattus sur nous ces trois dernières années, j’en reviens finalement toujours au même stade.

Est-ce que tout ça en valait vraiment la peine ?

Je secoue la tête pour me sortir ces pensées du cerveau, et tente de me parer d’un peu d’optimisme. L’avion à 21h devrait me permettre lui aussi d’être à l’heure pour tenter de ramener la tendresse dans ce qu’il reste de mon mariage, c’est-à-dire finalement pas grand-chose. La manche entre nous et l’incertitude, les nouvelles qui s’espacent et la peur d’en finir dictent finalement le quotidien plus qu’autre chose. Il m’aime, je le sais, mais savoir aussi qu’il s’offre à d’autres pendant que j’élève une enfant ici à Londres n’est pas l’information avec laquelle j’ai le plus de facilitées à vivre. Je lui pardonnerai n’importe quoi s’il revient un jour pleinement à moi ; mais je ne sais pas si je serai capable de supporter une vie d’attente.

Je passe mon temps à fuir mon propre cas pour m’occuper des autres, cela dit, ce que je n’avais pas fait depuis des années – si tant est que ça ait déjà été le cas un jour. Grace m’aide parce qu’elle a besoin de moi, plus besoin de moi qu’il ne serait possible de l’exprimer. Jane m’aide parce qu’elle aussi, elle lutte, et Lys m’aide parce qu’il m’apparait urgent de m’occuper de son cas. Je travaille trop, consacre l’intégralité de mon temps libre à mes amis, ou à Grace, et me retrouve tellement épuisé à la fin de chaque journée que je n’ai d’autre option que de tomber de fatigue rapidement.

C’est sans doute la raison pour laquelle être coincé dans la cabine d’attente de cet aéroport me ronge encore plus que les autres passagers du vol, parce que, coincé au sol avec mes angoisses, je ne suis plus capable que de penser. Je me lève soudain, cela dit, laissant m’échapper un soupir de frustration tandis que je fais des allers retours entre les sièges, portant peu d’attention aux gens qui m’entourent, comme toujours.