«
Mephisto d’amour pousse-toi ! »
Mon chat miaule et finit par sauter du plan de travail de la cuisine, me laissant enfin découper le saumon pour les sushis. Ça fait plus de cinq heures que je cuisine. Cinq. Heures. Moi, Kin Eastwood, je cuisine, je ne commande pas chez le traiteur. La fin du monde est proche je suppose. D’autant plus que d’un point de vue extérieur cela ressemble à une pitoyable tentative de séduction. Sauf que ce n’est pas Georges Clooney qui vient manger à la maison ce soir. C’est Tim. Oui, là tout de suite, on oublie la séduction. Je n’avais pas envie de passer le réveillon de Noël toute seule et Tim me sauve littéralement la vie et le moral en acceptant de tester ma cuisine. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il prend des risques étant donné que mes talents culinaires ont déjà fait leurs preuves (notamment le fameux gâteau au gingembre). Disons juste que j’ai prévu de l’alcool. Beaucoup d’alcool. J’ai même pensé à faire une space-bûche de Noël mais Timothy m’a fait la leçon et m’a menacée de me priver de cadeaux. Allons bon, je suis faible quand il fait preuve d’autorité mais c’est sûrement une bonne chose. Je termine mes sushis, mets le tout au frigo et me précipite sous la douche. Mephisto m’attend étalé sur le couvre-lit et me fixe d’un air blasé alors que j’hésite entre deux tenues. Je finis par me décider pour cette robe émeraude et brodée de sequins argentés, une paire d’escarpins noirs très sobres et me fait un chignon rapide. Je me regarde dans le miroir, souris légèrement (chose suffisamment rare ces derniers temps pour être notée) et me dirige vers le salon suivi par le félin démoniaque en chef. On sonne à la porte. C’est presque en courant que je vais ouvrir et je me jette au cou de mon ami avec un enthousiasme à peine trop exagéré. «
Tiiiiim ! » Je pouffe de rire et le laisse me décrocher de son cou. «
Doucement, jeune fille ! » Jeune fille ? Sérieusement ? J’ai le même âge que lui, et même si mon comportement a pu laisser à désirer il y a quelques temps, j’ai comme l’impression que Tim est plus vieux que moi. «
Joyeux Noël mon lapin ! » Je l’attrape par le bras et l’entraîne à l’intérieur. «
Tadaaaa ! Tes cadeaux t’attendent sous le sapin ! » Je me retiens de lui faire une remarque sur son pull Mickey qui figure au top dix des pulls de Noël les plus kitsch. Après tout je lui ai trouvé un pull beaucoup plus sobre en cachemire ainsi qu’une écharpe en alpaga et une paire de gants en cuir. J’ai un peu craqué c’est vrai. Mais Tim, mon petit lapin en sucre, a décidé de passer Noël avec moi, il est adorable ! Et quand j’ai fait les magasins pour mes achats je n’ai pas pu résister. «
Mais avant, et comme tu m’as expressément fait comprendre qu’il était hors de question de consommer la moindre substance illicite, je te propose une coupe de champagne. » «
Je maintiens toujours cette interdiction. Je tiens à rester correct pour le repas familial de demain. D’ailleurs, en parlant de champagne, je nous ai pris ça ! Je ne suis pas sûr qu’il soit aussi bon que ce que tu nous as choisi mais j’ai quand même tenu à la prendre. » Je souris jusqu’aux oreilles et me dépêche d’aller mettre la bouteille de champagne au frais avant d’aller trinquer avec Tim. En réalité, je suis extrêmement reconnaissante à mon ami d’être venu passer la soirée avec moi. Papa a dû s’envoler pour New York, Karl est dans sa famille et je n’avais aucune envie d’assister au réveillon des Foster, de devoir subir les attentions pleines de pitié de cette cruche d’Elizabeth qui elle, au moins, est mariée, même si j’adore Rose, Thomas et Calixte. «
Joyeux Noël Kin !» Je souris et trinque avec Tim. «
Joyeux Noël mon lapin ! » J’avale une gorgée de champagne et ronronne presque de satisfaction. J’évite la vodka, le rhum et autres alcools forts mais j’ai un penchant très marqué pour les bons vins (et chers) et le champagne. Autant dire que me payer une cuite me coûte assez cher en général.
Le repas terminé (et je précise que Mephisto a également eu droit à sa part de homard), après un gâteau glacé aux fruits rouges, c’est près du sapin que je m’installe, les yeux brillants, attendant avec impatience que Tim ouvre ses cadeaux. Eh, je n’ai plus de petit ami, j’ai bien le droit de choyer mon petit lapin en sucre non ? «
Wow Kin ! Je dois t’avouer que je suis impressionné et que je ne sais pas si je serai capable de manger demain. » Je rougis de plaisir à ce compliment, contente d’avoir réussi à cuisiner TOUTE SEULE SANS RIEN FAIRE EXPLOSER COMME L’AVAIT PREDIT PAPA, et d’avoir réussi à charmer les papilles de Tim, à défaut de le charmer tout court. Comme quoi, il y a un an à peine, je me serais contentée de commander chez un traiteur ou de payer un prix monstrueux au restaurant, et là j’ai presque l’impression d’être une vraie adulte. Je regarde Tim ouvrir son premier cadeau avec impatience… «
Je dois comprendre que tu n’aimes pas le merveilleux pull que je porte ? » … et éclate littéralement de rire. «
Ne le prends pas mal mon poussin, but really, c’est un crime contre la mode. » Je lui tends ses autres paquets, écharpe et gants avec un grand sourire. «
J’imagine que tu devais te douter que je ne résisterais pas à la tentation d’étoffer un peu ta garde-robe non ? » Et encore je me suis restreinte. Ce n’est pas comme avec Stephen à qui j’ai acheté un énième costume Armani qu’il ne mettra pas CE CRETIN alors que ça lui va tellement bien et que je suis persuadée que la cousine de Rose serait d’accord avec moi. Ce n’est pas comme avec papa à qui je compte offrir un petit voyage à Rome avec moi, sa fille adorée, la femme de sa vie. Et ce n’est pas comme avec Karl à qui j’ai fait envoyer une caisse de champagne avec un petit mot précisant qu’il devait en garder une pour qu’on la descende ensemble. Non vraiment, j’ai été terriblement raisonnable cette année et je n’ai absolument rien à compenser en gâtant ainsi les hommes de ma vie. Rien du tout. «
Merci beaucoup Kin ! » Je réponds à l’étreinte de Tim avec un petit rire, ravie de voir qu’il apprécie mes cadeaux. Mine de rien, je reste assez nostalgique du temps où nous étions encore à la fac, à nous battre plus ou moins contre le JCC et cette peste de Tara. « Bon tu me connais, je n’ai pas fait de folie mais j’espère que ça te plaire. » Les yeux brillants, j’ouvre le cadeau en me demandant ce que ça peut être. Pas un livre d’après la forme, alors quoi ? Je pousse un petit cri de surprise en voyant l’adorable bracelet que m’a offert mon petit lapin et l’enfile immédiatement avant de lui sauter au cou. «
Oh Tim il est juste parfait ! Merci beaucoup ! » C’est tout moi ça. J’ai une tonne de bijoux mais je n’en ai jamais assez et j’accorde beaucoup plus de valeur à ceux qu’on m’offre qu’à ceux que je peux acheter. Autant dire que le cadeau de mon Tim adoré va certainement faire partie de mes bijoux préférés. Je ne peux m’empêcher de glousser en exhibant mon poignet ainsi paré. « J
e vais en faire des jalouses ! Dis-moi, plus le temps passe plus tu deviens doué pour les cadeaux… y-aurait-il une autre femme que moi dans ta vie mon lapin ? » Ok, là ça fait vraiment cougar possessive et désespérée. Oui, même à vingt-six ans.
U.C