CJS @ On n'est pas sérieux quand on a 17 ans...

« Hem… Salut tout le monde, je m’appelle Chris Seggie. Je viens de Blackpool… »

Si le ton de Chris était calme et mesuré, ses yeux sombres brillaient de curiosité et détaillaient déjà ses nouveaux camarades de classe. Il avait déjà repéré des physiques, ou ce qu’il appelait des « charismes » intéressants, des personnages qui l’interpellaient visuellement, comme les personnages d’un film. C’était ce qu’il appelait son œil de cinéaste, un peu pompeusement c’est vrai, mais l’idée lui plaisait. Il avait un certain œil pour les physionomies, un petit talent qu’il cultivait secrètement pour le jour où il deviendrait réalisateur et casterait ses premiers acteurs.

Chris était fraîchement débarqué de Blackpool, sa ville natale. Le jeune homme était le fils de Margaret et John Seggie, un couple qui s’était marié trois ans avant la naissance de leur unique enfant. Margaret venait d’une famille aisée d’entrepreneurs de Londres, et John venait du monde du spectacle et du showbusiness : c’était lui le gérant du Winter Gardens, le hall d’expositions qui abritait régulièrement concerts, spectacles, et surtout la convention annuelle de magie de Blackpool. En épousant John, Margaret avait abandonné un travail d’assistante de direction à la City et s’était mise à travailler avec son mari, s’occupant principalement des relations publiques de l’établissement et des contacts avec la presse. Le petit Christopher avait donc baigné dans le monde du spectacle depuis sa plus tendre enfance, un héritage dont il allait se montrer digne dès les plus jeunes années de sa vie.

Il avait grandi, aussi cliché cela puisse-t-il paraître, dans une grande maison en bordure de la ville, profitant ainsi toute son enfance du plaisir de la campagne et de la mer, même si le climat ne se prêtait pas exactement aux baignades ou aux activités estivales. Mais le jeune garçon était tout ce qu’il y avait de plus anglais, et le mauvais temps était presque autant inscrit dans ses veines que le thé de cinq heures auquel sa mère tenait tant ou le visionnage des classics de Doctor Who le weekend avec son Whovian de père. Aujourd’hui, du haut de ses seize ans, Chris gardait un souvenir vivace des nombreux après-midi passés à sillonner la campagne battue par le vent sur son vélo, le chien Abby aboyant joyeusement en courant derrière lui, ou encore les sorties à la place avec ses copains de classe les rares jours de soleil. Aujourd’hui, alors qu’il faisait face à ses nouveaux camarades de classe au lycée de Notting Hill, il craignait, il fallait bien l’avouer, de ne pas réussir à s’adapter au rythme citadin, lui qui avait l’habitude des grands espaces et de l’air marin. Pour l’instant, sa curiosité dévorante de tout découvrir empêchait tout mal du pays, mais comment savoir de quoi serait fait demain ?

A l’école, il avait toujours été bon élève, sans être un génie non plus. Curieux, agréable, facétieux autant que travailleur, il avait fait le bonheur de ses professeurs et n’avait jamais été un enfant à problèmes, même à l’adolescence. S’épanouissant dans toutes les matières, il montrait tout de même un intérêt particulier pour la littérature et l’histoire, devenant assez rapidement un petit rat de bibliothèque et multipliant les après-midi dans la forêt avec pour seule compagnie Abby et son bouquin du moment. Non pas que Chris ait été asocial : au contraire, le petit garçon avait toujours eu une bande de copains pour l’entourer, mais il avait appris à équilibrer ses centres d’intérêt et avait besoin de ses petits moments en solitaire, seul à seul avec lui-même et un bon roman. Il n’était pas surdoué, mais était un enfant assez vif d’esprit et avide d’apprendre.

Il avait douze ans quand ses parents avaient décidé de se séparer, d’un commun accord. Si la nouvelle avait été difficile à encaisser, ils avaient tout de même réussi à rester une petite famille soudée, et le divorce un an plus tard s’était déroulé sans conflit, à l’amiable. Margaret et John restèrent tous les deux à Blackpool, John ayant quitté la maison familiale pour s’installer dans un appartement en centre-ville près du Winter Gardens, où Chris venait habiter une semaine sur deux. Margaret avait conservé la maison et changé de profession, travaillant à présent comme conseillère communication à la mairie. C’est à cette époque-là que le jeune garçon commença à s’intéresser au cinéma, grâce aux après-midi marathons cinématographiques organisés par sa mère tous les samedis. Dès vite le petit garçon s’était mis à engloutir un nombre impressionnant de films, et pour son quatorzième anniversaire reçut sa première caméra, dont il ne se passa plus. Avide de capturer son entourage, il ne cessait de toute enregistrer, s’essayant également à l’art difficile du montage sur l’ordinateur familial, un véritable jeu qui pour lui fonctionnait comme un puzzle. Mettant à contribution ses amis et camarades de classe, Chris commença assez vite à monter de petits courts-métrages qu’il montrait ensuite à sa famille ou en classe pour des exposés ou encore la kermesse de l’école. Des films muets, des petits sketchs, des histoires drôles, des objets animés ; rien n’échappait à l’objectif de Chris qui n’aimait rien tant que d’expérimenter avec sa caméra, même à son faible niveau. Une passion qui ne le quitte plus depuis deux ans et qu’il compte bien développer d’autant plus maintenant qu’il vit à Londres, avec le BFI et le musée du film à quelques stations de métro de chez lui !

Pendant deux ans, Chris a continué de vivre une semaine chez son père, une semaine chez sa mère. S’il avait plutôt bien vécu le divorce, son mode fut quelque peu menacé par l’arrivée dans sa vie de Judith, la nouvelle petite amie de son père, avec qui il ne s’entendait pas du tout. Judith n’était pas méchante, mais selon Chris assez inintéressante, et sans personnalité. Quand à Judith, elle ne faisait pas vraiment d’effort pour apprendre à connaître son nouveau beau-fils, et avait surtout commis l’erreur impardonnable d’un jour qualifier sa passion pour le cinéma de « passe-temps » qui « lui passerait un jour ». Ce jour-là, Chris sut qu’ils ne pourraient jamais s’entendre tous les deux, et se mit à passer plus de temps chez sa mère. Heureusement, le courant passait mieux avec Andrew, le fils de Judith, avec qui Chris devint assez rapidement ami, tissant avec lui une étrange relation à mi-chemin entre la camaraderie et le lien fraternel. Ils ne partageaient évidemment pas le même sang et ne se connaissaient pas depuis assez longtemps pour se qualifier de « frère de cœur », mais il existait entre eux une connivence particulière, et ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre pour faire face aux disputes régulières de John et Judith. Andrew fut d’ailleurs la première personne à qui Chris annonça non sans fierté avoir gagné un concours internet de court-métrage destiné aux jeunes talents.

Grâce à ce prix, Chris put financer lui-même une partie de l’achat d’une nouvelle caméra, son Canon EOS 700 duquel il ne se sépare plus depuis. Il avait quinze ans, bientôt seize, et se préparait à entrer au lycée et à réfléchir à son avenir. Il ne faisait aucun doute à ses yeux que plus tard, il étudierait le cinéma et travaillerait dans cette industrie. Après moult négociations avec ses parents, il fut décidé que le garçon serait envoyé à Londres pour le lycée, où il serait dans de meilleures conditions pour se préparer à intégrer l’une des meilleures universités du pays. Il aurait dû emménager à Londres avec sa mère à son entrée au lycée, mais sa grand-mère tomba gravement malade et le déménagement ne put avoir lieu. Chris commença donc sa scolarité au lycée de Blackpool, avant que sa famille ne reçoive une offre de son oncle Edward, habitant à Londres avec son épouse Anaïs : si Chris souhaitait venir vivre chez eux pour ses études, il était le bienvenu. Chris n’avait que rarement rencontré son oncle Edward en dehors des annuelles réunions familiales, mais la proposition ne pouvait pas mieux tomber, et le jeune homme et sa famille acceptèrent. Chris avait seize ans, des rêves plein la tête, et maintenant, il descendait à la capitale pour les réaliser. Le prix qu’il avait obtenu à ce concours de court-métrages lui avait permis de postuler à une offre de stage sur le tournage des Maraudeurs, stage qu’il avait obtenu et l’occuperait désormais tous les weekends. C’était avec toutes ces perspectives dans la tête qu’il était arrivé chez les Miller il y avait de cela trois semaines, trois semaines pendant lesquelles il s’était installé, avait commencé à s’habituer à la vie londonienne, et réglé tous les détails administratifs pour son entrée au lycée et sa présence sur les plateaux des Maraudeurs. Et aujourd’hui, il était prêt à attaquer ce nouveau tournant de sa scolarité et de sa vie, le tout avec sa caméra autour du cou et des idées toujours plein la tête !

→ Dans la vie, on cherche toujours à atteindre un but, quelque chose de vraiment personnel, un idéal de vie, un rêve, quelque chose qui vous rendrait heureux(se) finalement. Pour vous qu’est-ce que c’est ? Je ne suis pas vraiment malheureux, vous savez. D'accord, mes parents habitent à plusieurs heures de Londres, mais je vis chez mon oncle et ma tante, tante avec laquelle je m'entends super bien, je me suis bien intégré à mon nouveau lycée de Notting Hill, je me suis fait de nouveaux potes, et en plus j'ai pu avoir ce stage sur le tournage des Maraudeurs. J'ai pas besoin de plus, à part que les relations entre Anaïs et oncle Edward s'améliorent !

→ Et qu’est ce qui vous bloque en fin de compte ? Pour l'instant, à part mon âge, rien. Mais ça va vite changer !

→ Je vois. Est-ce que vous avez des regrets ? Aucun, pour le moment.

→ Qu’est-ce qui vous rends heureux(se) dans votre vie aujourd’hui. Une personne, une passion ? D'avoir reçu ma première caméra à Noël, un appareil photo Canon EOS 700 qui fait des vidéos de super qualité ! Je peux maintenant tourner des petits courts métrages avec mes amis, et surtout, je vais pouvoir apprendre plein de choses sur le tournage des Maraudeurs !

→ Et est-ce que vous vous sentez seul parfois ? Oh non, c'est très rare, je suis bien entouré.

→ Rien d’anormal je vous rassure, mais dîtes moi, qu’est ce que vous attendez des autres, qu’ils vous aiment, qu’ils vous comprennent ou qu’ils vous respectent ? Les trois, je pense ? Et comme c'est le cas avec la plupart des gens de mon entourage, j'ai pas à me plaindre !

→ Et qu’est ce que vous attendez de vous même ? D'être assez tenace pour réaliser mes rêves, et j'ai confiance !

→ Et Peut être que vous vous en demandez trop. Qu’en pense votre entourage ? Ils m'encouragent, même s'ils s'inquiètent évidemment, surtout mon père qui a connu des passes difficiles avant de rencontrer ma mère, mais ils sont là pour m'encourager !

→ Est ce que vous sentez soutenu(e) dans vos choix par votre famille et vos amis ? Totalement, et ça, je suis bien conscient que ça n'a pas de prix.

→ Bien, nous continuerons la semaine prochaine si vous voulez bien, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez un souci d’horaire.