Harry & Tamsin ❝ Stay away from my Facebook feed ❞

Cannes avait été merveilleux. Vraiment, me retrouver aux côtés d’acteurs tout autant talentueux que moi m’avait réellement manqué. Le problème de la saga, c’était bien que les niveaux étaient hétéroclites. Si certains d’entre nous étaient réellement doués, d’autres étaient bien plus … occupés à faire les pitres qu’à travailler. Je ne visais personne, bien entendu. Surtout que ce serait hypocrite de ma part de dire de William qu’il n’était pas talentueux. Après tout, j’avais passé la majeure partie de notre relation à le pousser à viser plus haut et loin que des stupides publicités. Mais ce qu’il pouvait m’agacer, à blaguer tout le temps. Il faisait perdre du temps à toute l’équipe et, plus important encore, il me faisait perdre mon temps. Tant et si bien que j’avais fini par en toucher un mot à Katharine, histoire qu’elle fasse en sorte que je ne passe plus jamais après lui. Non, parce que devoir l’attendre, encore et encore … Je n’en pouvais simplement plus. Bref, Cannes. Toujours à cause de la saga pour laquelle je m’étais engagée, j’avais dû refuser un film pour l’année prochaine. Ce matin encore, j’avais été dans ma salle de prix – cette pièce dans mon loft, dédiée à tous les prix que j’avais reçu depuis mon enfance et que je prenais plaisir à exposer et à regarder, lorsque je traversais des moments de pure nostalgie, comme aujourd’hui, donc – et cela m’avait frappé : depuis que je jouais dans la saga des Maraudeurs, je n’avais gagné qu’un seul prix, l’année dernière. J’avais alors réussi à caser un film indépendant, qui mettait mon incroyable talent en valeur. Mais cette année, avec tous les retards que nous avions pris, j’avais dû repousser mon autre tournage. Oui, moi, Tamsin Graham, j’avais dû repousser un tournage. Quel manque de professionnalisme ! Je me serais presque craché à la figure, si je m’étais croisé dans le miroir les minutes suivants mon refus. Il allait falloir que je fasse quelque chose à ce sujet. Rester une année entière sans gagner de prix ? Sans avoir la reconnaissance de mes pairs ? J’allais finir par retomber en dépression, en moins de temps qu’il n’en faut pour prononcer mon prénom. Mais pour le moment, je me contentais de regarder mon fil Facebook depuis mon téléphone, bien confortablement assise à une terrasse de café, et de compter le nombre de likes qu’avaient obtenues mes dernières photos. Puis vint un message privé. Harry Hardy. Forcément. Je roulais par avance des yeux, avant même de le lire. Un jour, il faudrait que j’arrête de lui répondre. Vraiment. J’avais beau m’ennuyer atrocement ces derniers temps, je me dégoûtais à l’idée de tomber aussi bas que de papoter avec lui simplement pour passer le temps. « Haha. Connard. » grommelais-je à la lecture de ses mots. Je serrais la mâchoire, puis reposais mon téléphone sur la table. Ne pas lui répondre. Ne pas lui répondre. Tamsin, sois forte et ignore-le. Juste ignore-le. Je relevais donc la tête, mais – comme de par hasard, parce que le hasard semblait aimer se foutre de ma si jolie gueule – mon regard se posait sur lui, sur le trottoir d’en face. Je claquais ma langue contre mon palais, d’agacement et attrapais mon téléphone pour lui répondre un   Je te vois …  , avant d’essayer de capter sa réaction.

On pourrait dire que j’étais pathétique. On pourrait dire que j’étais misérable. On pourrait que j’étais lamentable. Réellement, je ne le prendrais pas mal. C’était fort probable que je me contenterais de baisser la tête et d’assumer ma médiocrité. Parce que oui, en effet, j’avais été pathétique. J’avais été misérable. J’avais été lamentable. Non, je ne l’assumais pas. Oui, j’en avais honte. J’avais cru, pendant un instant – un jour, peut-être deux – que je pourrais apprécier Harry Hardy. Oui, réellement. Choquant, en effet. J’avais tout simplement touché le fond. Le problème, c’était que j’étais complètement perdue. Il m’avait sauvée. Sans lui, je serais probablement morte. Ou peut-être qu’il ne m’aurait pas tuée, mais en tout cas, cela se serait terminé d’une façon bien plus dramatique sans son intervention. J’avais essayé de continuer à le haïr, mais cela s’était soldé par un échec cuisant. Bon sang, j’avais même fait la conversation et avais tenté de m’intéresser à ses copies – quelle horreur. Et j’avais tenté de faire la même chose, sur Facebook. Tenté de voir si, par le plus grand des hasards, nous pourrions nous entendre. J’y avais cru, réellement. Peut-être était-ce ça, le pire. C’était que, pour une fois, j’avais réellement fait des efforts. J’avais réellement tenté d’être gentille, de m’intéresser à ce qu’il faisait. Oh, j’avais probablement été maladroite, quelques fois, dans certains de mes messages, je le savais. Mais au moins, j’avais essayé. Et je m’étais pris tout son venin en pleine figure. C’était probablement ça, le plus dur dans l’histoire. Lorsque je le haïssais de toute mon âme, et que je tentais de lui mal, c’était tout à fait normal qu’il me renvoie la balle, durant ce match sans fin. Oui, et je n’en attendais pas moins de lui – d’ailleurs, la dernière fois que j’ai été virulente, j’avais été très déçue de la capacité de répondant de mon collègue, en venant à regretter mon Nemesis. Mais là ? Enfin clairement, je n’avais rien fait pour mériter tout ce qu’il m’avait dit. Je n’avais rien fait pour qu’il mérite de toucher pile où ça faisait mal. Non, je m’étais simplement inquiétée pour mon meilleur ami, et avais tenté de découvrir s’il avait des informations du côté d’Adrian. C’était tout. Mais bon, j’aurais dû m’en douter, finalement. Je n’avais pas haï Harry Hardy pour rien, toutes ces années durant. Je serrais la mâchoire, alors qu’il se retrouvait en face de ma table. Bien sûr, qu’il avait traversé le trottoir, cela semblait évident. Je lui lançais le plus beau de mes faux sourires, avant de lâcher un rire ironique. « Mais pourquoi est-ce que je me donnerais cette peine, alors que tu mords si bien à l’hameçon ? » répondais-je d’un ton doucereux, avant de passer une main dans mes cheveux. Et là, je bloquais. Je ne trouvais rien à dire. Rien de piquant, rien de méchant. Rien. Comme la dernière fois. Je claquais ma langue contre mon palais, agacée. Je n’aurais jamais dû lui envoyer ce stupide message.

Il était déçu. Cela se voyait. Il avait dû s’attendre à ce que je lui lance des critiques. Que je l’insulte, peut-être ? Que j’appuie où cela faisait mal ? Mais qu’est-ce que je pouvais dire, exactement ? La maladie ? On en avait tellement fait le tour à présent. Je n’allais pas répéter les mêmes choses inlassablement. Non, vraiment, je ne m’abaisserais pas à utiliser une nouvelle fois sa maladie pour le blesser. Quoi d’autre ? Je pourrais lui demander des nouvelles à propos de sa virginité … Est-ce qu’il l’avait perdue, depuis le temps, ou était-il toujours un petit puceau incapable de toucher une femme ? J’eus une grimace à cette pensée et dût réprimer un frisson de dégoût. Non, je n’avais aucune envie de le questionner à propos de sa sexualité, merci bien. Surtout étant donné le vide qu’était devenu la mienne, à présent. Quand est-ce que je l’avais fait, pour la dernière fois ? Le simple fait que je doive me poser la question prouvait le problème que j’avais. J’avais presque envie de rire, en m’en rappelant. William. Il avait été mon dernier … On avait été en dehors de Londres pendant quelques jours, et c’était arrivé. A l’hôtel, alors qu’il rentrait d’une soirée apparemment bien alcoolisée. J’avais eu envie de me prouver que je pouvais le faire à nouveau, que cela ne changeait rien. Et puis … C’était William. William ne m’aurait jamais forcée. Il ne m’aurait jamais fait de mal – enfin, physiquement … Parce que sentimentalement … Le simple fait qu’il m’ait ignorée depuis, et n’ait pas répondu à mes nombreux textos prouvaient que sentimentalement, il appréciait grandement me faire du mal. Mais tout était de ma faute, de toute façon. Je ne serais jamais heureuse. Je ne vivrais plus jamais de relation amoureuse. Je finirais ma vie seule, vieille avec des dizaines de chats – mon Dieu quelle horreur, la simple idée de devoir m’occuper de tous ces animaux, de les nourrir et tout … je n’y arriverais jamais ; donc pire encore, seule, toute seule, sans même avoir de chats pour égayer un peu mon quotidien. Bref, la sexualité n’était vraiment pas un bon sujet. Bien trop sensible – pour moi, bien entendu, qu’il soit sensible pour lui : je n’en avais strictement rien à faire. Donc je ne disais rien. Je restais silencieuse. Je roulais déjà des yeux, face à son flot sans fin de paroles. Bon sang, est-ce qu’il ne se taisait jamais ? Est-ce qu’il aimait tant que ça ses précieux monologues, pour me les imposer sans cesse ? « Mon Dieu … Mais dans quel monde tu vis pour pouvoir croire une seule seconde que j’aimerais que tu me prennes dans tes bras ? La seule idée de toi me touchant … Eww. » disais-je, à la limite du désespoir à l’idée qu’il puisse réellement croire que j’ai besoin qu’il me fasse un câlin. Je soupirais longuement, remarquant qu’il s’était carrément installé à ma table – oui, je ne le remarquais seulement maintenant … C’était le problème, lorsque je pensais à William, j’avais tendance à oublier tout le reste, principalement son frère. « Et je n’ai pas essayé de te changer … J’ai essayé d’être gentille. Nuance. Je ne vois pas en quoi essayer de t’apprécier ou de m’intéresser à ce que tu peux faire veut dire que j’ai essayé de te changer. » Nouveau soupir, je repassais une main dans mes cheveux. « Mais ne t’inquiète pas. J’ai compris la leçon. Je ne recommencerais plus. » De toute façon, il valait mieux, pour tout le monde – surtout moi – que je reste éloignée de lui pour une petite éternité.

Je faisais la même erreur à chaque fois. Harry se trouvait sur mon chemin, et je me sentais tout simplement obligée de lui parler. Si, avant, cela avait quelque chose de comique – et de limite masochiste, aussi, il fallait bien l’avouer quand je repensais à comment je me sentais à la fin de nos entrevues – ce n’était maintenant plus que pathétique. Je n’avais plus aucune répartie face à lui. J’étais l’animal blessé, au sol, et il était le chasseur qui pouvait m’achever en un coup de fusil.   « Harry … Tu sais que si tu faisais juste un tout petit sourire, ça indiquerait à la personne en face de toi qu’elle doit enclencher le bouton humour dans son cerveau ? » répondais-je presque pédagogue, en penchant ma tête sur le côté. Comment voulait-il que je sache s’il était sérieux ou s’il plaisantait ? Oh, et qu’il ne me fasse pas à un exposé sur les différents types d’humour, j’aurais bien du mal à le supporter. Je n’étais pas idiote, peu importait ce qu’il pouvait bien en penser, et merci bien mais je savais qu’il n’y avait pas que les blagues bouffonnes qui existaient. Là n’était pas la question. « Tenté de tirer profit d’une situation donnée … » répétais-je dans un rire jaune. « Ouah. Peut-être que toi tu es incapable de gentillesse, en effet. Mais va pas croire qu’on est pareil. Je suis capable de faire des efforts, de m’intéresser aux autres et, oui, je suis capable d’être gentille, aussi. » ripostais-je, avant de rouler des yeux. « Je dis pas que j’ai pas de défauts, j’en ai un tas. » Je haussai une épaule, puis reprenais. « Mais oui, je suis capable de gentillesse. Et ça, sans même avoir une idée derrière la tête. Désolée de te décevoir. » Ou peut-être que j’avais eu une idée derrière dans la tête. Peut-être que j’étais tellement perdue entre la haine et la gratitude que je ressentais pour lui que j’avais ressenti le besoin de … Je n’en avais aucune idée, en fait. « C’est la vie ? » Je me passais une main dans les cheveux, les yeux froncés. « Je sais pas dans quel monde tu vis mais … » Je soupirai, de plus en plus lassée par sa morale à deux livres à peine. « T’as eu une vie misérable. » Nouveau soupir, comme je me décidais à le regarder dans les yeux. « C’est pas une norme. C’est pas parce que ta vie est pourrie que c’est normal pour les autres. » Je ne savais même pas comment j’étais supposée lui expliquer ça. Je ne savais d’ailleurs même pas pourquoi je me donnais encore la peine de tenter de lui exprimer mon point de vue. Harry et moi avions l’habitude d’avoir un dialogue de sourds depuis la première fois que nous nous étions rencontrés. C’était ainsi, et j’imaginais très mal la situation changer un jour. Pour autant, je reprenais. « Ma vie était belle. Ma vie … J’ai toujours aimé ma vie. Quand toi tu vas penser « petite fille gâtée qui n’a jamais eu d’épreuves à surmonter » je vais juste penser « j’aime ma vie telle qu’elle est, je veux qu’elle reste ainsi ». Donc peut-être que dans ta vie à toi, vivre quelque chose comme ça c’est juste normal … Mais pas pour moi. Et non, j’arrive pas à juste tourner la page. » annonçais-je, sans même prendre la peine d’utiliser un ton plaintif. Le fait était que ma vie avait probablement arrêté d’être parfaite à l’instant où ma route avait croisée celle de William. Les Hardy avaient clairement été la pire rencontre que j’avais pu faire depuis que j’étais venue au monde. « Félicitations, Harry. T’es meilleur que moi là-dedans. Félicitations. » reprenais-je en levant brièvement mes deux mains en l’air, avant de les reposer sur la table.

Mon Dieu. Mon Dieu. Si l’idée d’apprécier un jour Harry Hardy ne s’était pas envolée en fumée, après qu’il m’ait craché son venin à la figure sans la moindre raison – réellement, si je pouvais, parfois, assumer mes torts lorsqu’il s’agissait de lui, là je n’en avais aucun – il me prouvait une nouvelle fois que c’était tout bonnement impossible de le supporter. Sa manière de me prendre de haut, et sa façon de comprendre tout de travers, ne cessait et ne cesserait probablement jamais de m’horripiler. Mais faites qu’il se taise, juste qu’il la ferme ! Est-ce qu’il ne m’avait pas entendue dire, il y a une minute à peine, que j’avais aussi des défauts ? Avait-il un problème d’audition qui faisait que son cerveau n’arrivait à capter qu’une phrase sur deux – ou pire encore, que ce qui l’enchantait ? Non mais il avait un sérieux problème. Je le regardais probablement avec une tête ahurie, et je n’en avais vraiment rien à faire. Moi gentille, lui méchant. Il croyait quoi, que j’étais encore en maternelle pour ne pas savoir que les rapports humains n’étaient pas toujours tels qu’on les souhaiterait ? Je serrais des poings, tout comme la mâchoire, expirant longuement pour tenter de calmer les pulsations un peu trop rapides de mon cœur, que je sentais jusque dans mes tempes. Il fallait que je me calme. Vraiment. Je n’avais aucune envie de revivre ce que j’avais vécu la dernière fois que j’avais pété un câble et que je m’en étais physiquement pris à lui. Et puisque nous étions apparemment revenu au point de départ, nous insupportant au possible, il ne valait pas la peine que je me mette dans un tel état. Je ne répondis même pas à ses paroles, me contentant de rouler des yeux et regarder un point au loin, derrière lui, la mâchoire toujours serrée. Puis il y eut sa façon de dire qu’il suffisait simplement de tourner la page. Sa façon de dire qu’il était presque logique que, dans la ville dans laquelle nous vivions, il me soit arrivé ça. Que c’était la vie, et qu’il fallait que je passe à autre chose. Comme si c’était aussi simple que ça. Comme s’il suffisait simplement de claquer des doigts, pour aller de l’avant, ne plus y penser. Pas lorsque l’on avait ma vie, en tout cas. Pas lorsque tout allait bien avant que les frères Hardy ne croisent mon chemin. Qu’il arrive à penser qu’il était si simple de tourner la page ne me surprit finalement pas tant que ça. Cela allait bien avec le personnage, finalement. Et comme si j’étais une masochiste qui aimait à répéter ses erreurs, je tentais de lui montrer mon point de vue. Oh, je n’y croyais pas vraiment. Je ne savais même pas pourquoi je tentais, une énième fois, de lui faire comprendre que nous avions eu des vies bien différentes, et que ce qui était normal chez lui, ne l’était pas chez moi. Et comme je m’en étais doutée, il comprit tout de travers. Comme d’habitude. Je secouais la tête, presque sidérée, qu’il puisse s’énerver pour si peu. Clairement, il avait mal pris ce que j’avais dit. C’était une évidence. Je ne savais pas pourquoi, mais c’était le cas. Et pourtant, cela me fit mal au cœur. J’aurais aimé juste jubiler qu’il abandonne si facilement, qu’il s’en aille. J’aurais aimé avoir gagné, bon sang ce que j’aurais aimé ça. Avoir réellement eu voulu le faire sortir de ses gonds, et y être parvenue. Et non, je n’avais que ce fichu pincement au cœur, cette fichue boule à l’estomac, comme je me répétais ses mots en boucle. Je sortais vivement un billet de mon portefeuille, le déposant sur la table, avant d’attraper mon sac et de marcher d’un pas vif à sa suite – oui, j’étais sérieusement en train de faire ça, moi, Tamsin Graham ! Je claquai ma langue contre mon palais, agacée, alors que je me retrouvais en face de lui, et croisais mes bras contre ma poitrine. J’allais sortir un « je me fais sérieusement du soucis pour ta santé mentale » mais me retins, à la dernière minute – il fallait bien avouer que commencer par ça alors que l’on voulait dire que l’on ne pensait pas à mal, ce n’était pas ce qu’il y avait de mieux. « J’ai. Jamais. Dit. Ça. » finissais-je par sortir, les dents serrées. « J’ai juste dit que, même si ça te paraissait simple, à toi, de tourner la page si facilement, ce n’était pas mon cas. » reprenais-je doucement, avant de lâcher un petit soupir las. « T’as une capacité de résilience impressionnante. C’est pas mon cas. » Je marquais une pause, penchant ma tête sur le côté pour avant de la basculer en arrière. « Pourquoi est-ce que, dès que je dis quelque chose, tu te braques comme si je te faisais la pire des insultes ? » Je secouais un peu la tête, puis reprenais. « T’as vécu des trucs qui font que t’es résilient. Point. C’est pas une critique, c’est pas une insulte. C’est … j’en sais rien, mais c’est pas moi disant que tu rêves de te faire violer dans une ruelle. » Qu’est-ce qu’il y avait de bien compliqué à comprendre ce que je disais ? Et dire que c’était lui, l’universitaire et le professeur …

En temps normal, je n’aurais rien aimé de plus que voir Harry blessé par mes mots, au point de partir et d’abandonner si rapidement. Oh oui, j’aurais souri, puis me serais senti juste … bien. J’aurais gagné, il aurait perdu. Tout aurait été parfait. Mais apparemment … Les choses avaient malheureusement changé, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. Enfin si, je me doutais bien de la raison, il fallait être honnête. S’il n’était pas intervenu … Je n’avais pas envie de penser à ce qu’il aurait bien pu m’arriver dans cette ruelle, sans son intervention. Parce que si je me sentais mal depuis cet incident, au point que j’en avais parfois peur de quitter mon loft le soir – voire même plutôt souvent – je n’osais imaginé à quoi j’aurais ressemblé sans lui. Alors malheureusement, la seule chose que son départ me procura fut une boule au ventre, et une gorge un peu trop serrée. Je n’avais pas pensé à mal, en lui disant qu’il avait eu une vie tellement merdique qu’il aurait réussi plus facilement que moi à s’en relever. Sérieusement, j’avais même voulu lui faire, en quelque sorte – et en cherchant bien loin – une espèce de compliment sur sa résilience à toute épreuve. Peut-être que j’aurais dû abandonner. Simplement le laisser partir et en finir là. Il y avait ce pincement au cœur et cette pointe de culpabilité qui seraient restés mais … Etait-ce si important que ça, finalement ? J’étais déjà au plus mal, alors un peu plus ou un peu moins, cela n’aurait pas changé grand chose. Je soupirai tristement à ses mots, cette boule au ventre ne semblant pas vouloir me quitter. Je serrai la mâchoire, avant de soupirer. « Je suis désolée … » commençais-je doucement. Je me mordillai la lèvre inférieure, avant de décroiser mes bras, me passant une main dans les cheveux. « Pour tout ce que je t’ai dit. J’essayais juste de te faire du mal … Donc j’appuyais sur les points … sensibles. » Je marquai une pause, avant de reprendre. « Je suis désolée, okay. » Bon, pourquoi est-ce que je ne me sentais pas mieux, maintenant ? Normalement, on présente des excuses et on se sent mieux, non ? En plus, je les pensais, ces excuses … Enfin, pas entièrement … Après tout, il n’avait pas été tendre non plus, et je cherchais juste à lui rendre la pareille. Nouveau soupir, je fixais un point derrière lui, comme pour ne plus vraiment le voir. « Et être résilient … C’est positif. C’est pas une critique. Parce que je ne suis pas résiliente … Et que je n’arrive pas à passer à autre chose. » Je reportai mon regard sur lui, me mordillant les lèvres une nouvelle fois, toujours de ce tic un peu nerveux. «C’était dans ce sens-là, que je le disais. Pas d’une façon blessante. »

Je ne savais pas pourquoi je ressentais ce besoin de m’excuser pour tout ce que j’avais pu lui dire par le passé. Peut-être parce que, maintenant qu’il me citait, qu’il reprenait tout le venin que j’avais pu lui cracher à la figure pendant de nombreuses années, je réalisais que j’avais probablement exagéré les choses. Le pire étant probablement que maintenant que j’étais devant le fait accompli, je ne pensais pas vraiment toutes ces vacheries. Pour autant, mes excuses ne m’aidèrent pas à me sentir mieux. Non, je me sentais toujours autant misérable et cette boule au ventre ne voulait pas me quitter. Oui, je n’avais pensé que la moitié de mes excuses – après tout, vu tout ce qu’il avait lui aussi pu me dire et surtout ce qu’il m’avait fait, c’était logique que je lui rende la pareille en appuyant pile où cela faisait mal, non ? Il ne s’était jamais gêné, lui, après tout – mais tout de même, qu’est-ce que je pouvais faire de plus que ça ? Lui expliquer ce que j’avais réellement voulu dire au café ? Oui, peut-être. Pas sûre pourtant que me répéter ne changera quoi que ce soit. Mais au moins, j’aurais essayé et y aurais mis du mien. Et bon sang ce que sa réponse m’agaça. Même quand je lui disais quelque chose de positif, même que je lui disais que j’enviais quelque chose chez lui, il ne pouvait juste pas s’empêcher de me contredire ! Mais qu’est-ce que j’avais bien pu faire pour mériter ça ? Donc non, apparemment, ma forte émotivité qui me rendait si pathétique était quelque chose qu’il aurait pu aimer avoir dans une autre vie. Est-ce qu’il ne pouvait pas juste accepter ce que je lui disais ? Ce n’était pas comme si je m’excusais tous les jours pour mes actes passés, et encore moins comme s’il avait l’habitude que je lui fasse des compliments. Alors pourquoi, encore une fois, il désapprouvait ce que je disais ? Pour autant, je ne répondis rien. Non, je n’étais pas ici pour me battre, et j’avais dit ce que j’avais eu à lui dire. Puis je fronçai les sourcils à l’écoute de ses excuses ? Pardon ? Je me passai une main dans les cheveux, avant de soupirer doucement pour me calmer – oui, j’en avais réellement besoin, parce qu’il était tellement à côté de la plaque que j’avais bien envie de le secouer un peu ; et je l’aurais d’ailleurs fait, si le souvenir de ma culpabilité ne m’était pas revenu en mémoire à l’instant où j’y avais pensé. « Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? » demandais-je d’une voix lasse. « J’essaie vraiment de te comprendre mais là … Enfin tu te rends compte qu’il y a un milliard de choses pour lesquelles tu pourrais t’excuser et que tu t’excuses pour la seule chose que … » Je soupirai à nouveau. Il n’y avait aucune trace de reproche dans ma voix, simplement une lassitude à mon incapacité à le comprendre. « Tu t’excuses de m’avoir sauvée ? » reprenais-je d’une petite voix, la gorge un peu serrée. « Je ne comprends pas ta logique. » Encore une fois, aucun reproche. Simplement l’énoncé d’un fait qui n’évoluerait probablement jamais, malgré les efforts que je pourrais tenter de faire.

J’avais l’impression que, peu importe le nombre d’efforts que je pourrais faire, jamais Harry et moi ne serions sur la même longueur d’onde. Nous avions tout simplement une incapacité à nous comprendre. Harry avait gâchée ma vie. Réellement. Et il avait d’ailleurs pris un malin plaisir à le faire. Il avait été le premier domino à tomber et à ruiner la parfaite vie que j’avais alors à l’époque. Pour autant, voilà qu’il s’excusait pour la seule fois où il avait fait quelque chose de bien pour moi. Je serais parfaitement capable de lui faire une liste de ses méfaits à mon égard, qui nécessiterait des plates excuses. Pour tout dire, j’en avais même une sur mon ordinateur, où j’avais bien pris le soin de noter tout ce qui prouvait l’ordure qu’il avait pu être avec moi. Lui me sauvant de cette ruelle n’en faisait évidemment pas partie. Lui me sauvant de cette ruelle était d’ailleurs ce qui faisait que cette liste se trouvait à présent dans un dossier archives – je n’avais pas eu le courage de la supprimer. Oh … De la compassion, voilà ce dont il s’agissait réellement ? Je ne savais pas si c’était bien mieux, finalement. Pour seule réponse, je me contentai d’opiner du chef à sa question. Puis je croisai mes bras alors qu’il reprenait, avant de rouler des yeux. « En même temps, il se tape ton frère alors qu’il est fiancé … Il s’attendait à quoi, à ce que tu le félicites ? » marmonnai-je, avant de claquer ma langue contre mon palais, amère à l’idée que la personne qui souffrait dans toute cette histoire soit Chris. Et dire qu’Adrian avait osé le quitter pour une simple histoire d’un soir … Je souris à ses compliments – je souriais toujours, lorsque l’on me complimentait, peu importe de qui il s’agissait – avant de soupirer au reste. « J’ai toujours cru qu’il n’y avait que du mauvais en toi … » répondais-je en grimaçant. « Donc peut-être que je serais toujours déçue, j’en sais rien. Ou blessée. Comme la dernière fois … Mais … » Je soupirai longuement, me passant une main dans les cheveux, avant de me mordiller la lèvre – c’était que j’enchainais les tics nerveux en l’espace de quelques secondes, apparemment. « On peut pas juste … réellement essayer ? Je dis pas devenir les meilleurs amis du monde, j’en ai même pas envie … mais juste … faire des efforts pour s’entendre ? » Pour dire vrai, je n’avais aucune idée de pourquoi je le souhaitais. Peut-être qu’inconsciemment, comme je l’avais toujours blâmé pour tout ce qu’il m’était arrivé de mauvais dans ma vie, j’en avais besoin pour aller de l’avant.

Je ne savais même pas pourquoi je tenais à faire des efforts avec Harry Hardy. Mais disons simplement que je n’arrivais plus vraiment à le détester, pour mon plus grand malheur, d’ailleurs. J’avais vraiment, vraiment, essayé de continuer comme avant. Mais j’étais incapable de sortir une pique digne de ce nom, ni de toucher à l’endroit exact où je saurais que cela lui ferait mal. Et comme je n’étais pas amie avec lui, comme je ne l’appréciais pas, j’étais donc perdue dans un entre-deux que je n’aimais absolument pas. Puis, je n’avais pas vraiment quelque chose à perdre à essayer, à réellement essayer. Je touchais déjà le fond, de toute façon. J’étais pathétique et misérable, alors bon, je n’étais pas vraiment à ça près que de tenter d’apprécier l’homme que j’avais pourtant tant exécré par le passé. Je penchais un peu la tête à ses mots, avant de faire une grimace. Il était probable, en effet, que je ne fisse déçue. Surtout s’il n’y mettait pas du sien, comme il semblait lui-même le dire. S’il traitait réellement ses amis comme il me traitait moi … « Mais moi je le suis ! » répliquai-je pourtant dans un grand sourire. « Plus délicate, je veux dire. Je suis une très bonne amie. » repris-je dans un hochement bref de la tête. « J’ai jamais été amie avec un ennemi, par contre, donc tu ne peux pas vraiment leur demander de comparer l’avant et l’après. » Je croisai mes bras contre ma poitrine, avant de reprendre. « Mais mes amis ne se sont jamais plains de moi, en tout cas. » Puis, j’essayais de me rendre le plus possible disponible pour eux, d’une manière générale, et j’étais toujours une bonne oreille lorsqu’ils en avaient besoin. « D’une manière générale, il vaut mieux m’avoir comme amie que comme ennemie, de toute façon. » Je haussai une épaule, avant de décroiser mes bras pour me passer une main dans les cheveux. Il n’y avait qu’à voir comme j’étais capable de mordre dès que quelqu’un disait quelque chose de mal sur Chris, de toute façon. Enfin, ce n’était pas comme si quelqu’un égalerait un jour Chris dans mon cœur – à l’exception de mes parents, il était la personne que j’aimais le plus au monde, parfois même plus que je ne m’aimais moi-même, et c’était peu dire – mais d’une manière générale, je faisais de mon mieux, et c’était probablement ce qu’il y avait de plus important, après tout. « Sérieusement, y’a rien à perdre. La pire des choses qui puisse arriver, c’est qu’on en vienne à s’entretuer … » affirmai-je dans une petite moue, qui se finit dans un sourire en coin.

Il était fort probable que nous ne devenions jamais amis, Harry et moi. Il avait gâché la seule relation que j’avais eue, m’avait retiré l’homme que j’aimais, et avait tout de même été bien exécrable avec moi, durant de nombreuses années. Nous ne partions pas vraiment d’un bon pied, tous les deux. Mais il m’avait également sauvée, lorsque j’en avais eu besoin. De nombreuses personnes auraient simplement tourné leur dos, avant de partir vaquer à leurs occupations. Il n’y avait qu’à regarder la rubrique faits divers aux informations pour s’en rendre compte : la solidarité n’existait plus vraiment. Pourtant, lui, cet homme qui me haïssait – et réciproquement – était intervenu. Sans même parler du fait qu’il était handicapé et que mon agresseur aurait pu le mettre à terre en une fraction de secondes, il était venu à mon secours. J’étais donc obligée de faire des efforts avec lui, non ? Et puis, étrangement, j’eus une pensée vers Adrian. Adrian était amoureux de Chris. Adrian couchait avec William. Adrian était amis avec Harry. Chris était l’homme de ma vie – pas romantiquement parlant, certes, mais il l’était quand même. William avait été mon plus grand amour. Techniquement, Adrian et moi avions donc des goûts similaires. Alors pourquoi pas, après tout ? Bon, okay, je partais très loin dans une logique forte douteuse. Sans compter le fait que j’exécrais Adrian de tromper Chris de cette façon, avec mon ex petit-ami qui plus est. Mais soit, là n’était pas le sujet. Le sujet, c’était que j’en étais capable. Même si mon interlocuteur ne semblait vraiment pas y mettre du sien, ni être enthousiaste par cette idée. Mais il acceptait. Presqu’à contre cœur, mais il acceptait quand même. Enfin, il ne donnait certainement pas envie avec la description qu’il se faisait de lui-même, il fallait bien l’avouer. Et je grimaçai bien rapidement à l’entente de ses mots. « Enfin, en même temps, j’ai pas grand chose à perdre … Et si je suis déçue, c’est pas la fin du monde non plus. On pourra au moins dire qu’on aura essayé de s’apprécier et que ça n’aura tout simplement pas fonctionné. » répondis-je en haussant une épaule nonchalante. Bon, peut-être que, même si je ne le montrais pas, je me faisais un peu trop d’illusions sur cette pseudo future amitié. Et peut-être que, oui, je finirais simplement encore plus pathétique que je ne l’étais déjà – ce qui n’était pas peu dire, étant donné que je passais la majorité de mon temps libre cloîtrée dans ma chambre, ayant des crises d’angoisse dès que l’idée d’en sortir me parcourait l’esprit. « Faudra qu’on se prenne un verre un jour, du coup. » repris-je doucement, un peu gênée, avant de me passer une main dans les cheveux. « Je t’appellerai. Ou t’enverrai un sms, histoire qu’on s’organise ça. » rajoutai-je, sur le même ton. Puis je le saluai dans un sourire que je souhaitais enthousiaste, avant de reprendre le chemin de mon appartement.