wine and cigarettes w/ will

Lunettes de soleil sur le nez, Charlie s'extirpa de la supérette qu'il avait trouvé au gré de ses vagabondages cannais. William et lui étaient là depuis près d'une semaine et, arrivés par avion, ils n'avaient pas d'autre moyen de locomation que leurs jambes. Oh, Grams lui avait proposé les services de son chauffeur mais s'il voulait se promener incognito, il n'avait pas vraiment le choix. D'autant plus qu'il n'avait que quelques courses à faire, il n'y avait donc pas de quoi déranger Lucas, le charmant homme à tout faire de sa grand-mère. Il s'était perdu une ou deux fois, avait tourné dans le même pâté de maisons pendant dix bonnes minutes mais finalement, il avait trouvé son bonheur. Le magasin tenait plus de l'épicerie fine que du petit commerce de quartier mais il n'allait pas faire le difficile. De toute manière, il avait les moyens de faire des emplettes dans ce genre de commerces. Il avait besoin d'une bouteille, une bonne bouteille pour commencer joyeusement la soirée après une journée passée à paresser pour récupérer la nuit précédente. Ils avaient dû se rendre au festival une fois de plus, ce qui était un peu ridicule quand on savait que ni lui ni Will n'avait tourné dans le moindre film en compétition. Mais il fallait se montrer alors ils s'étaient pliés à leurs obligations, non sans crainte de tomber sur l'un de leurs camarades de tournage (meaning Tamsin). Certains étaient eux aussi à Cannes mais c'était principalement pour se ressourcer dans la vaste villa de leur grand-mère que les garçons avaient quitté Londres pour la Côte d'Azur. Évidemment, le fait que le festival s'était ouvert en même temps n'avait rien d'une coïncidence mais plutôt que de descendre trois jours à l'hôtel pour une montée des marches et quelques interviews, ils s'étaient prévus des petites vacances, pour le plus grand plaisir de leur aïeule qui avait vu dans leur arrivée une rafraîchissante distraction.

Bouteille en vin ─ un rosé qu'il espérait bon ─ Charlie gravit la pente caillouteuse qui menait à la maison, les sourcils froncés. Malgré deux aspirines avalées deux heures plus tôt, son mal de crâne n'avait pas disparu et il commençait presque à se dire que boire à nouveau était une mauvaise idée. Presque, keyword. Il faisait bon, le soleil tapait fort, même pour la saison et il serait très agréable de siroter un verre au bord de la piscine, d'ici quelques minutes. Il déposa le jeu de clés prêtés par Grams dans l'élégant vide-poche qui trônait dans l'entrée et traversa le salon pour gagner la terrasse où Will l'attendait certainement. « Charles » Oh. Well. Arrêté dans sa course, Charlie pivota pour découvrir sa grand-mère, installée sur l'un des sofas. Elle l'observait, un sourcil arqué et il comprit immédiatement la question muette qu'elle lui adressait. Rougissant, il souleva sa paire de lunettes et la remonta sur son crâne pour croiser le regard de Grams. Si certains de ses cousins la craignaient depuis l'enfance, Charlie avait pour sa grand-mère une tendresse immense, teintée d'un soupçon de gêne. On n'était guère habitué aux démonstrations d'affection, chez les Fitzwilliam et il était à peu près certain que sa mère tenait son côté hautain de sa propre mère. Aussi se sentait-il toujours un peu embarrassé lorsqu'il se retrouvait seul avec Grams, comme maintenant. Il avait l'impression d'avoir à nouveau huit ans et d'avoir été surpris à chahuter dans les escaliers avec l'un des Hardy. « Err, hi, I mean, bonjour » bredouilla-t-il en français, détestant l'accent de candeur que la langue de sa mère donnait à sa voix. Alice Fitzwilliam avait inculqué sa langue maternelle à son fils mais Charlie s'exprimait bien plus souvent en anglais. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas pratiqué et cela s'était senti dès son arrivée. « Je, mh, on va fêter l'anniversaire de Will et Harry » expliqua-t-il en levant la bouteille de rosée qu'il avait à la main. Piètre excuse, ils l'avaient déjà fait et elle le savait parfaitement. Grams se fendit d'un bref sourire moqueur et lui intima de reprendre son chemin d'un désinvolte geste de la main. Avec un discret soupir de soulagement, Charlie traversa les quelques mètres qui le séparait de la baie vitrée.

Un grognement lui échappa lorsqu'il sortit, retrouvant l'aveuglante lumière du jour, et il se laissa tomber de tout son poids sur l'un des transats, à côté de son cousin. « C'est tout ce que j'ai trouvé » annonça-t-il sans préambule. Au prix où il l'avait payé, il espérait que le rosé soit bon. « Tu as pris un tire-bouchon au fait ? Parce que je te préviens, je ne retourne pas à l'intérieur, Grams veille au grain. J'ai pensé en prendre un au magasin, là, mais le type m'a dit qu'ils n'en avaient plus. Rupture de stock or something. Comment est-ce qu'on peut être en rupture de stock de tire-bouchons ? Seriously » Il s'étira et replaça ses lunettes sur son nez avec un juron de satisfaction. « Et Harry, il est où ? Hiding from Tamsin ? » s'enquit-il sans pouvoir retenir un rictus alors qu'il se tournait vers Will. Cette situation, si elle l'avait profondément surpris at first, le faisait beaucoup rire. Qui aurait pu croire qu'une fille comme Tamsin pouvait en arriver à harceler Harry ? Pas Charlie en tout cas. Il était tombé de haut lorsque Will l'avait mis au courant. Sure, they hadn't seen each other much for the past few years mais les Hardy restaient sa famille. Il était certainement toujours profondément étrange de réaliser que l'une de ses idoles n'était peut-être pas si parfaite qu'on ne le pensait mais Tamsin ? Non, vraiment, Charlie était tombé de haut et s'il parvenait à en rire à présent, c'était uniquement parce que cette situation était ridicule. Il avait assisté à quelques échanges des plus pathétiques sur Facebook et il ne savait pas encore comment il allait pouvoir revoir Tamsin sans y faire allusion. C'était trop gros, trop idiot aussi pour qu'il y fasse abstraction. Maintenant en tout cas. Indéniablement, ça l'avait un peu distrait et il était presque heureux qu'elle se donne ainsi en spectacle puisqu'il en parvenait quasiment à oublier sa peine. Et ce que les frasques de sa co-star n'effaçaient pas, il parvenait à le noyer dans les verres qui défilaient dans ses mains depuis quelques semaines.

William était de bonne humeur et pour cause les vacances à Cannes, même si quelque part il devait y faire de la figuration, étaient une pause salutaire dans sa vie britannique un peu trop compliquée. Will n'était pas un type à problèmes, du moins d'ordinaire, c'était même quelqu'un d'assez cool qui ne se prenait pas vraiment la tête lorsque ce n'était pas nécessaire. Aussi les disputes régulières avec Tamsin et sa relation chaotique avec Adrian Fletcher l'avaient grandement fatigué de sa pauvre vie sociale trop exposée sur les réseaux sociaux à cause d'une certaine blonde notamment. L'idée de passer quelques temps à la mer dans la grande villa côtière de Grams l'avait donc tout naturellement séduit et il s'était empressé d'en parler à son cousin Charlie qui il l'avait bien compris, en avait lui aussi tragiquement besoin après ce qui s'était passé en plein tournage avec Nevil. Will n'était pas si con dans le fond, et si il ne s'étalait pas forcément en long discours plein de bons sentiments censés remonter le moral des troupes, il avait une certaine empathie naturelle qui le poussait à organiser une soirée au bon moment ou sans aborder forcément les sujets qui fâchent, à offrir une écoute attentive et sans jugement. Car si il y avait bien quelque chose qu'on ne pouvait pas lui reprocher, c'était bien de juger qui que ce soit. Will était un esprit libre, qui avait appris tout au long de sa vie que les gens pouvaient être particulièrement moralistes et invasifs, et si il avait toujours détesté ce comportement, il avait fait en sorte de complètement l'éradiquer de sa personnalité.

Bien sûr, quelques exceptions confirmaient la règle, comme les agissements puérils de Tamsin sur facebook, mais il avait l'intime conviction que n'importe qui se serait retrouvé agacé par ces gamineries en moins de temps qu'il n'en faudrait pour le dire. Mais le plus important fatalement, ce n'était pas de fuir Tamsin, mais bien d'offrir une occasion à son cousin Charlie de profiter d'une épaule familiale sur laquelle s'appuyer au cas ou il aurait envie de craquer à l'abri et auprès de sa famille, car Will n'était pas non plus stupide, et il suffisait de jeter un coup d'oeil aux échanges encore présents mur de Charlie pour savoir que personne n'osait tellement lui parler depuis la mort de Nevil. William lui même avait été hésitant aux premiers abords, sans doute parce qu'il avait compris qu'il se passait quelque chose de différent entre lui et l’interprète de Sirius et qu'il avait très certainement besoin de temps seul. Si Charlie voulait lui en parler, il savait au moins que Will ne le jugerai pas pour ça, après tout Tamsin s'était fait une joie de révéler sur twitter qu'il était amoureux d'un homme, ce qui n'était pas tout à fait vrai, mais qui avait sa part de vérité, un peu comme dans le cas de Nevil & Charlie. Will n'aimait juste pas parler de Teacher en ces termes. Le retrouver lui avait fait un bien fou, mais il savait aussi que ce n'était pas le genre de garçon auquel s'attacher. Will ne se faisait pas trop d'illusions sur la durée de leur idylle, Adrian Fletcher avait des projets bien définis, très différents des siens d'ailleurs, et de ce qu'il avait cerné de sa personnalité, Teacher ne risquerait pas sa vie parfaite pour un type comme lui. Et Will vivrait avec vraiment, il lui fallait simplement l'accepter et profiter de s'envoyer en l'air tant qu'il le pouvait encore.

Allongé sur un transat au bord de la piscine, il approcha une nouvelle fois sa cigarette de ses lèvres pour en tirer une bouffée. Le temps était bien meilleur ici qu'à Londres, même si toujours frais en fin d'après-midi. Idéal en somme. Charlie fit d'ailleus son apparition et William écrasa sa cigarette pour lui offrir un sourire bienveillant. Il avait passé toute l'après midi à jouer au Tennis avec un de ses cousins ce qui l'avait passablement épuisé, mais c'était de la bonne fatigue, un peu comme la baise avec Adrian Fletcher, mais ça il se garderait bien de le préciser. « Au moins pas de rupture de stock concernant le vin ici. Vu la cave de Grams on risque pas de mourir de soif, et oui j'ai un tire bouchon. » Hashtag Hardy saved the day. Quand la conversation dériva sur Harry, il laissa s'échapper un soupir. « Harry va pas très bien, le voyage l'a épuisé, c'est pas évident avec sa maladie l'avion tout ça, mais ouais, il essaye sûrement de l'éviter du fond de son lit. Elle est assez chiante avec lui en ce moment, c'est limite malsain. » Il se redressa un peu et fixa son cousin. « Enfin bref, toi ça va ? j'ai l'impression que ça te fait du bien de sortir de Londres, surtout en ce moment. » Il lui présenta le tir bouchon afin qu'il ouvre la bouteille, tout était toujours mieux, encadré d'un verre de rosé.

Plus jamais ça, avait-il dû se dire en se réveillant, quelques heures plus tôt and here he was, remettant le couvert alors que l'après-midi s'étirait en longueur. Bah, après tout il n'avait qu'une vie et il ne comptait pas la terminer dans une cascade ridicule avant d'avoir vécu un peu. Et, oui, vécu un peu signifiait siroter un vin à la qualité probablement douteuse au bord d'une piscine avec son cousin. Charlie savait que ces petites vacances étaient de courte durée, que bientôt il lui faudrait retourner à Londres et remettre les pieds aux studios. Il n'était pas spécialement enthousiaste à l'idée de devoir faire face au crew et encore moins à l'opportuniste qui avait été engagé pour remplacer Nevil. Ce type ne devait sa place sur le tournage qu'à sa gueule, c'était presque triste. Well, ça l'aurait été si ça n'avait pas été si déstabilisant. Charlie savait qu'il ne s'agissait pas de Nevil, il le savait, il avait vu Nevil sur le sol, sans vie. Il avait assisté à ses funérailles. Il savait que ce n'était pas Nevil et pourtant, il fallait bien l'admettre, ce Belge engagé par leurs producteurs lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Mais il n'était pas Nevil et Charlie préférait ne pas penser à ce qu'il ressentirait lorsqu'il lui faudrait faire face à cet usurpateur. Pour l'heure, il était en vacances aux frais de Grams et entendait bien profiter du soleil et du vin à sa disposition.

Il s'écrasa sur l'un des transats, expliquant toute la difficulté qu'il avait eu à trouver cette bouteille à la provenance inconnue devant le sourire aimable d'un Will à peu près aussi en forme que lui. « Thank God for Grams then » ricana-t-il, se calant plus confortablement sur la chaise longue. Il avait chaud, un peu trop chaud et en règle générale, il n'aimait pas particulièrement cette atmosphère si lourde mais ça changeait de Londres et c'était suffisant pour qu'il s'y sente presque bien. Evidemment, on lui fichait la paix depuis  la mort de Nevil, alors forcément ça aidait. Le pauvre Harry, en revanche, devait gérer les crises de Tamsin sur Facebook. Difficile de profiter du beau temps dans ces conditions. « Malsain, ouais, c'est le mot. C'est plutôt sur toi qu'elle devrait faire une fixette, pas Harry » Pourquoi s'en prenait-elle à son cousin, Charlie n'était pas sûr de comprendre ni même de vouloir qu'on lui explique mais il comprenait aisément qu'Harry en soit affecté. Cette petite comédie, ajouté à la fatigue de l'avion et du reste, avait de quoi fatiguer n'importe qui, à plus forte raison Harry. Avec un peu de chance, Tamsin passerait rapidement à autre chose et ils pourraient tous trois reprendre leur programme du parfait petit vacancier. « Merci » marmonna-t-il en attrapant le tire-bouchon que lui tendait Will, évitant du même temps de répondre tout de suite à la question qui lui était adressée. Pas qu'il avait l'intention d'ignorer les inquiétudes de son cousin mais il se savait incapable d'y répondre sans avoir ingurgité au moins un verre de vin. Il déboucha la bouteille sans grand mal et servit  William avant de se réserver lui-même une généreuse portion. Pas plus haut que le verre, disait souvent Grams avec toute l'élégance qui lui était propre. Voilà, pas plus haut que le verre, c'était la dose parfaite. « Ça va, oui, répondit-il, tournant la tête pour éviter tout contact visuel, ici ça va, c'est tranquille. Et personne n'est mort ici » ajouta-t-il avec un rictus mauvais. Ce n'était pas son genre et il en était conscient, mais il ignorait comment gérer la mort de Nevil. Il avait gémi, pleuré, hurlé. Peut-être qu'il était temps d'en rire. Après tout, c'était une thérapie comme une autre mais le plus sûr restait encore le vin et c'est dans cette optique qu'il se resservit un deuxième verre, évitant toujours soigneusement le regard de son cousin.