L'âme des arbres [Palostu]

C'était une bonne idée. Une vraie bonne idée. Je n'étais pas sorti de Londres depuis...depuis très longtemps. A vrai dire, le dernier souvenir que j'en avais, c'était une virée à la mer avec la famille Costa qui s'était terminé en fiasco. Encore une fois, on m'avait accusé d'avoir tout foutu en l'air. Mais qu'est-ce que je pouvais y faire si mes imbéciles de demi-frères étaient des demeurés profonds. Ok je n'aurais peut-être pas dû provoquer cette bagarre en plein milieu d'un restaurant très chic. Ils l'avaient cherché, un point c'est tout. On ne pouvait pas dire que ma famille était un modèle de famille parfaite, et ils devaient bien se douter que je me conduirais en parfait petit vilain canard. Ensuite, je n'étais que très rarement sorti des frontières de notre belle Londres. Pourtant, j'aimais bien découvrir de nouveaux lieux, et les endroits tranquilles à la campagne recelaient d'évènements inédits et insolites à photographier. Pour une fois, pas de people, pas de personne à filer. Seulement la nature et les écureuils à observer. J'avoue que j'avais été sceptique lorsque Palo m'avait demandé si je voulais bien m'éclipser quelques heures à la campagne avec elle. Au départ, je m'étais dit qu'elle avait quelque chose de grave à m'annoncer, et cela m'avait mis dans un état de nervosité tel qu'elle avait tout de suite ajouté qu'elle souhaitait uniquement passer du temps avec moi. Vu la sincérité de mon amie, je n'avais pu que la croire et j'avais donc cédé à ses attentes. Une partie de moi, plus sombre, me poussait à refuser pour continuer la surveillance constante de mon étoile. Cette angoisse permanente, ce doute persistant qui me disait qu'elle allait voir ailleurs lorsque je ne la surveillais pas me minait. Et puis, avec le départ de Sean, je me retrouvais seul à l'appart à broyer du noir. Cependant, j'avais encore en moi cet enfant qui voyait en Paloma un ange tombé du ciel. Je pourrais la suivre au bout du monde, tant j'étais certain que là où elle allait, le bonheur n'était pas loin.

Nous nous étions donné rendez-vous au train, histoire de commencer à passer un peu de temps à discuter dans le wagon. En la voyant arriver, mon coeur se gonfla de bonheur et de soulagement. Je savais qu'à ses côtés, je pouvais enfin être moi-même et je n'avais plus à me cacher. Pas de jugements, juste de la tendresse. Je la pris dans mes bras dans une intense accolade. "Tu es encore plus belle que la dernière fois! Mais comment fais-tu pour rester aussi parfaite?" Quiconque aurait surpris notre conversation, aurait pu penser que nous formions un couple, mais ce n'était pas du tout le cas. Nous étions de proches amis, suffisamment proches pour se dire ce genre de choses. Et puis, j'aimais bien la taquiner, la faire rougir, la faire sourire. Je me fichais bien de ce que pouvaient penser les autres. "Tu m'as manqué Palo..." Une phrase terriblement sincère. Et c'était pourtant vrai que nous ne nous étions pas vu depuis longtemps. Bien sûr, je l'aurais reconnu entre mille, mais j'avouais que je ne savais même pas si je paraissais différent de ce qu'elle avait connu de moi. Je n'avais pas de miroir chez moi, mais d'après les remarques que j'avais eu par mes collègues serveurs, je donnais l'impression d'avoir maigri et d'être plus fatigué qu'à l'ordinaire. J'avais cessé de voir mon psy aussi, mais ça, je ne l'avais encore dit à personne. "On monte dans le train?" N'attendant pas sa réponse, je la prenais par la main et l'emmenais à l'intérieur du wagon, où des places étaient libres...

Pendant plusieurs minutes, je ne dis plus un mot et regardais le paysage qui défilait à la fenêtre. C'était parti pour un voyage qui durerait presque une demi-heure...

Je tripotais le bas de ma petite jupe à volants, partagée entre nervosité et excitation. C'était idiot. Je n'avais aucune raison d'être nerveuse. J'ai toujours été un peu nerveuse avant de revoir quelqu'un que je n'avais pas vu depuis quelque temps - ce qui pouvait chez moi tout aussi bien être 3 jours que 10 ans -, mais là, c'était différent. Avec Stue, je tournais en général à 98% d'excitation et 2% de nervosité naturelle. Pour un rendez-vous, je pouvais monter à 35% de nervosité, quoi qu'en fait c'était assez rare. Tim arrivait à me rendre particulièrement nerveuse, je dirais 60/60. Mais ce n'était pas réellement ma rencontre avec Stue qui me rendait nerveuse. C'était le sentiment étrange avec lequel je m'étais réveillé ce matin, et qui m'avait suivi tout au long de la journée. Et surtout le fait que je n'arrive pas à mettre le doigt dessus, à comprendre ce que c'était et d'où ça venait. Quelque chose clochait, je le sentais mais je ne savais pas encore quoi. Et dieu sait que je n'aime pas ne pas savoir. Je secouais doucement la tête et oubliais tout ça: ça n'avait de toute façon probablement rien à voir avec Stue et passerait très vite. J'avais dû faire un mauvais rêve, voilà tout.

Je dévalais les escaliers de la gare et le cherchais des yeux. Mon cœur se serra un instant en l'apercevant. Il était encore trop loin pour que je puisse le voir réellement, mais je n'avais aucun doute, je connaissais sa silhouette par coeur. Un sourire se dessinant naturellement sur mes lèvres et les épaules soulagées de toute potentielle angoisse ou appréhension ou jenesaisquoid'autre, je me précipitais sur lui. Il me prit dans ses bras, dans une forte accolade, et je me laissais aller à son étreinte, heureuse d'être là, tout simplement. En vérité, nous n'avions pas besoin de monter dans un train pour que la ville disparaisse, il suffisait que nous soyons tous les deux pour oublier le reste du monde. Mais nous aimions les arbres et le calme.

"Tu es encore plus belle que la dernière fois! Mais comment fais-tu pour rester aussi parfaite?" commenta-t-il, cherchant probablement - et avec succès - à me faire rougir. Je ris doucement en levant un tantinet les yeux au ciel, mais appréciant tout de même le compliment, un sourire flottant toujours sur mes lèvres. "Tu m'as manqué Palo..." continua-t-il simplement, sans que l'on puisse douter un instant de sa sincérité. Je lui attrapais la main et la serrais avec tendresse, comme si ce simple geste pouvait lui transmettre que j'étais là maintenant et que je n'allais nulle part, et à quel point je tenais à lui. Il m'avait tellement manqué à moi aussi. Parfois, je m'attendais encore à l'apercevoir au coin de la rue: c'est le problème lorsque l'on vit toujours dans son quartier d'enfance, il est plein de souvenirs et tant d'endroits sont encore marqués par l'image de ce petit garçon qui vivait juste dans la maison à côté, avec qui je passais mes journées et qui avait si rapidement pris une telle importance dans ma vie. "On monte dans le train?" me demanda-t-il avec enthousiasme, et sans attendre de réponse de ma part, il m'entraînait avec lui à l'intérieur du wagon, jusqu'à un compartiment encore vide. On s'installait dans les deux places du fond, près de la fenêtre, et je pris place face à lui.

Après quelques minutes de silence, mon regard quitta les paysages qui défilaient de plus en plus vite au travers de la fenêtre et se posa sur mon ami, que je connaissais si bien et dans lequel je pouvais lire si facilement jusqu'à il y a quelque temps, maintenant je ne saurais vraiment dire. Je sentais que certaines choses m'échappaient et espérais qu'un jour, il pourrait m'en parler. " Tu m’as tellement manqué  à moi aussi " prononçai-je simplement, dans un souffle. Cela allait sans dire, il le savait, mais parfois cela fait du bien de se l’entendre dire. Je n’attendais pas de réponse, je voulais seulement être sûre qu’il le sache.

" Tu as l'air fatigué, Stue... " continuais-je sans détour et en laissant ma phrase en suspens un instant. Beaucoup jugeraient cela bien trop direct, presque méchant de le formuler ainsi; mais il n’y avait aucune mauvaise intention de ma part, juste une sincère inquiétude et une trop longue amitié pour ne pas être franche avec lui. Lorsque mon regard dériva sur le paysage, j'ajoutais avec un faible sourire: " L'air pur de la campagne nous fera sûrement du bien à tous les deux. " Je ne savais pas s'il m'expliquerait ce qu'il se passe, mais je ne pouvais pas ne pas poser la question. Après tout, ma curiosité et ma tendance à ne pas y aller par quatre chemins étaient bien connus. Avec Stue, c'était un peu différent toutefois. Je crois que ça l'ait toujours quand on connaît quelqu'un depuis si longtemps, quand on grandit ensemble. Pendant longtemps, c'était un peu Stue et moi contre le reste du monde. Nous nous sommes séparés, éloignés, mais à chaque fois que nous nous retrouvions, nous étions toujours aussi proches, nous parlions si facilement, de tout et avec sincérité. Il n'y avait pas de sujet tabou entre nous. Stue était trop cher à mes yeux pour que je perde tout ça, pour que je renonce à une si belle amitié et le laisse s'éloigner. Je sentais qu'il prenait une certaine distance depuis un moment et, pensant que c'était ce dont il avait besoin, je l'avais laissé faire, mais c'était fini. De toute évidence, lui laisser de l'espace ne l'aidait pas, il n'allait pas bien. Aussi ce temps rien qu'à nous, à l'écart de la ville et de la réalité, nous ferait à mon avis le plus grand bien. J'ai lu un jour que l'on rentre toujours par effraction dans la vie des autres, ils se rebellent, refusent, et puis finalement, ils font avec et ils sont contents. Je me suis trompée en le laissant tranquille, on ne laisse pas tranquille quelqu'un que l'on aime quand il va mal, même si c'est ce qu'il cherche. Je cherchais son regard et lui demandais simplement, mais avec une si sincère inquiétude et tant d'amour dans la voix : " Est-ce que tout va bien, Stue? " Qu'est-ce qui t'arrive? Je voulais tellement qu'il sache que j'étais là pour lui, quoi qu'il arrive, pour toujours. Je ne m'en serais pas sortie sans lui, enfant, et je crois que lui non plus. On veillait l'un sur l'autre. On veille l'un sur l'autre.

Les yeux rivés sur le paysage, je faisais à peine attention à ce qui se passait autour. Seule la présence rassurante de Paloma me permettait de rester dans ma bulle de sérénité. " Tu m’as tellement manqué à moi aussi ". C'était tout ce que j'avais besoin d'entendre. Rien que sa voix me rappelait que je pouvais à tout moment me fier à ce qu'elle disait. Elle était l'une des seules à être sincères avec moi, une des seules que je pouvais croire. Pourtant, je sentais qu'elle voulait me dire quelque chose mais qu'elle ne se lançait pas. Pourquoi? Je savais que je n'avais pas été très honnète ces derniers temps, mais je l'avais rarement vu hésiter à me poser des questions. Cela venait peut-être de cette séparation qui avait légèrement affaibli notre relation fusionnelle. " Tu as l'air fatigué, Stue... " Cette déclaration me fit légèrement bouger de mon état statique. Je lui jetai alors un regard désolée, lourd de sens. Je ne savais pas trop quoi lui dire. Je ne voulais pas l'alarmer, mais j'avais terriblement envie de lui raconter ma vie, toute ma vie, sachant qu'elle ne me jugerait pas et qu'elle me prendrait dans ses bras pour me rassurer. Comme lorsqu'on était petit et que j'allais vers elle pour trouver du réconfort. Elle veillait sur moi, comme un ange tombé du ciel. Et de mon côté, je tentais aussi de la protéger. Alors je ne devrais avoir aucune peur à me lancer. Toutefois, une appréhension demeurait. Une petite voix me répétait en boucle que, malgré son affection pour moi, elle ne pourrait pas comprendre. Et peut-être même qu'elle aurait peur de moi. Et s'il y avait bien une chose que je ne pourrais supporter, c'était de voir apparaitre sur son visage cette expression de dégout que je voyais sur tant de visage à longueur de journée. Alors je retardais le moment où je devrais me livrer totalement...

" L'air pur de la campagne nous fera sûrement du bien à tous les deux. " Un sourire plus tard et je lui signalais que j'étais d'accord. Loin des disctractions de la ville, peut-être arriverais-je à m'éloigner de mes obsessions et de ses pensées qui m'empêchaient de trouver le sommeil si souvent. Tripotant machinalement l'appareil photo qui était autour de mon cou, je tentais de faire bonne figure et de me concentrer à nouveau sur le paysage. Pourtant, insidieusement, je sentais une boule se formait dans mon estomac. Cela me contrariait. Pourtant, j'aurais du être pressé d'avouer à Paloma que j'avais une femme dans ma vie. En quoi cela serait un problème? Je soupirais doucement et fixais mon regard sur une tache du fauteuil en face de moi. "Est-ce que tout va bien, Stue? " Jh'aussais les épaules d'un air distrait. "Ah, on est arrivé!" M'exclamant, je me levais en même temps, entrainant à ma suite ma jolie amie. Une fois sortis du train, je respirais profondément l'air de la campagne. Une petite gare isolée et j'avais déjà l'impression d'être dans un autre monde, une autre vie, un autre pays. Tenant toujours Paloma par la main, je l'entraînais sans un mot vers un chemin qui menait hors de la gare et s'éloignait du village vers un endroit boisé à mon goût. Passant une main dans mes cheveux nerveusement, je jetai un regard à Paloma. "J'ai quelqu'un. Dans ma vie je veux dire." Je ne savais pas comment commencer et je me sentais terriblement maladroit. Et j'avais horreur de ça. "C'est un peu compliqué... Mais je l'aime. Vraiment. Elle est...toute ma vie." Sur ce point au moins j'étais sincère. Mais la suite serait beaucoup plus dur à dire...