GK ◊ i have nothing to declare except my genius.

« Montre-moi de la colère, sois furieuse Regina, allez ! » La jeune fille tâcha de paraître furibonde et récita son texte d’une voix sèche, forte et saccadée. Lorsqu’elle termina sa tirade, son professeur de théâtre se pinçait l’arrête du nez, les yeux fermés. « Non Regina, ça ne va pas du tout ! L’intonation est très bien, mais ton visage… Tu n’as jamais été en colère carissima ? » Gina baissa la tête, les joues rouges de honte. Ses camarades échangèrent un regard goguenard. Ils suivaient les mêmes cours depuis onze ans. Onze années durant lesquelles Regina avait réussi à évoluer de classe en classe grâce à ses performances vocales. Elle savait retranscrire n’importe quelle émotion à l’aide de sa voix, mais tous s’accordaient à dire qu’elle était une piètre actrice. Pourtant c’est ce qu’elle avait toujours voulu être. Actrice. Depuis qu’elle avait regardé Charade avec Cary Grant et Audrey Hepburn lorsqu’elle avait sept ans. Ses parents l’avaient immédiatement inscrite à un cours de théâtre et étaient encore les seuls à ne pas se rendre compte qu’elle n’avait aucun talent de comédienne. Même elle commençait à ne plus y croire. Tandis qu’une autre élève prenait sa place au milieu du cercle qu’ils formaient pendant les cours, Gina songea qu’il serait peut être plus prudent de commencer des études plus courantes, maintenant que la fin du lycée approchait. Elle ne se voyait pas faire autre chose, mais il valait probablement mieux miser sur la sûreté.

Elle gravit les marches qui menaient à la porte d’entrée deux à deux. « Je l’ai euuuu !! » hurla-t-elle en entrant dans la maison familiale. « Papà, mamma, j’ai eu le rôle !! » Le visage de sa mère apparût dans l’encadrement de la porte de la salle de bain. Elle avait presque cinquante ans, mais tout ce que Gina voyait en la regardant, c’était l’image d’une femme forte et éternellement jeune. Une femme qui avait simplement haussé les épaules quand sa fille ainée lui avait annoncé son homosexualité et qui avait lancé un regard d’avertissement à son mari pour qu’il ne s’avise pas de dire quoique ce soit de désagréable. Une femme… qui s’obstinait encore à se poser des bigoudis dans les cheveux chaque soir au lieu d’utiliser un fer à boucler. Gina se précipita vers elle et s’écria « On m’a choisi pour être la voix de Juliet Russell dans le nouveau film à succès. Je vais y arriver mamma, je le sais ! » Clio Kopaliani regarda sa fille avec fierté. Quand Gina lui avait dit qu’elle souhaitait arrêter le théâtre pour démarrer des études de géographie, elle n’y avait pas vraiment cru. Et trois ans après, sa petite fille se relançait à la poursuite de sa carrière. Elle sourit et dit « J’en suis sûre bella mia. » Et c’était vrai.

Gina s’engouffra dans le taxi noir qui venait de s’arrêter en face d’elle. Elle donna l’adresse de l’hôtel qui allait l’accueillir durant ses premières nuits dans la capitale anglaise et s’installa confortablement pour regarder le paysage défiler. « Vous êtes ici en vacances ? » Elle leva les yeux et croisa ceux de son chauffeur dans le rétroviseur. Elle secoua la tête et répondit en souriant « Non… en fait j’emménage ici. » Du moins elle l’espérait. Elle avait pris cette décision à peine une semaine auparavant. Elle venait de terminer le doublage de Juliet pour le deuxième film des Maraudeurs et s’était rendue compte qu’elle parviendrait sûrement plus facilement à ses fins si elle déménageait. Ses parents n’y avaient vu aucune objection, et elle avait réservé ses billets d’avion dans la journée. « Je suis actrice » poursuivit-elle en se délectant de ce petit mensonge. « Je viens rencontrer Juliet Russell. Vous avez dû entendre parler d’elle, elle joue dans la saga des Maraudeurs. » Le chauffeur émit un petit sifflement « Eh ben, vous savez vous entourer vous. Vous allez aussi jouer dans le dernier film ? » Elle hésita, avant de dire « Non, non non. Le casting est complet, mais ça aurait été avec plaisir. Ceci dit, je ne pense pas avoir un assez bon accent pour jouer une anglaise. » Ils rirent tous les deux. « Ça viendra » la rassura-t-il « Vous parlez déjà très bien, et votre accent est très joli. » Elle rosit légèrement. Son premier contact anglophone était agréable, ça la remplissait de confiance pour la suite. Elle ne se voyait pas rentrer à Capri dans une semaine la queue entre les jambes. Elle comptait trouver un logement et un job pour se mettre à l’abris les premiers temps -le temps d’être engagée pour son premier rôle. Elle soupira et, quand la voiture s’arrêta sur le bas-côté, donna un pourboire indécent au premier anglais à avoir cru en elle.