Je jetai un œil à ma montre et accélérai le pas, ne souhaitant pas être en retard. Je n’étais pas revenue sur Londres depuis Noël, mais je ne pouvais décemment pas manquer la crémaillère de mes amis, qui après maintes tergiversions s’étaient finalement installés ensemble. Je refermai la main sur la bouteille de vin achetée pour l’occasion et pénétrai dans l’immeuble, me précipitant en apercevant les portes de l’ascenseur commencer à se refermer. Je me glissai juste à temps dans le petit – et ancien – élévateur et soupirai de soulagement – je n’avais aucune envie de parcourir les quatre étages à pied au pas de course, surtout pas avec ces chaussures. Je relevai alors les yeux vers l’inconnu près de moi et ne pus m’empêcher d’avoir un hoquet de surprise. Je connaissais ce visage.
«
C'était moins une! » je crus l’entendre dire – je n’étais à vrai dire même pas encore sûre qu’il était bien là. J’avais envie de lever l’index et de l’appuyer sur son épaule, juste pour vérifier. Je n’en fis rien, mais c’en était moins une comme il dit. «
Quel étage ? » continua-t-il alors que je continuais pour ma part à le fixer en clignant des yeux. Ça ne pouvait pas être lui, la coïncidence aurait trop grande et pourtant il lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. J’avais commencé à l’apercevoir dans les rues il y a quelques semaines de cela et alors que sa présence se répandait jusqu’à mon écran de télévision, je n’arrivais pas à me détacher de cette impression de le connaître. Qui n’aurait pas voulu connaître le bel étalon de la dernière pub de parfum en vogue, me direz-vous ? Beau au point d’un faire de très beaux rêves, si vous vous demandez. J’avais tout de même vérifié et mon instinct ne m’avait pas trompé : le jeune homme atrocement sexy que j’apercevais dans mon écran était William Hardy qui avait apparemment fréquenté le même lycée que moi d’où cette familiarité. Mais ça n’expliquait en rien pourquoi mon inconscient faisait une obsession sur le jeune homme. J’avais fait hier soir l’un des rêves les plus perturbants de toute ma vie – je me retrouvais perdue dans les spaghettis à la bolognaise qu’il devait manger dans une de ses publicités avant que finalement un autre lui vienne me sauver vêtu – enfin, plutôt dévêtu en l’occurrence – comme dans la publicité de Paco Rabanne. Je n’entrerais pas dans les détails et passages les plus tordus mais je ne crois pas qu’il y ait de mot pour un tel degré de confusion. Aussi vous comprendrez pourquoi au lieu d’indiquer mon étage, je me retrouvais à le fixer et le détailler, des images fusant dans mon esprit. Je parvins toutefois à me reprendre à peu près pour formuler quelques mots d’une voix hésitante, irréelle : «
Étage ? Quatre. Quatrième. » avant de tenter de sourire – après tout, ce n’était pas tous les jours que l’on se retrouvait dans l’ascenseur au côté d’un mannequin dont on rêvait - littéralement.
Sans même relever mon état évident de choc à la limite du crétinisme, il commenta avec un sourire désarmant et sa voix qui aurait pu rendre un mot comme "radiateur" sexy : «
Je savais pas que j'attendais quelqu'un. Ça tombe bien, je vois qu'on a tous les deux prévu de quoi prendre l'apéro. ». Mon regard glissa naturellement vers le sac qu’il tenait avant de remonter avec ses yeux, en s’attardant une seconde de trop sur son torse. Sa remarque permit au moins à l’étrange grimace formées par mes lèvres de se transformer en un véritable sourire. Les joues légèrement rosées, je répliquai simplement : «
Je n’allais tout de même venir chez vous les mains vides, question de respect. ». Je n’arrivais pas à croire que j’avais dit ça. Il faut dire que c’était lui qui avait commencé, et l’adrénaline lancée par un flirt du jeune homme était plus efficace qu’un valium pour se remettre du choc de le voir – à moins que ce fussent les délicieuses phéromones qu’il dégageait qui m’avaient perturbée.
Mon sourire disparaît bien vite toutefois quand je remarque que William est plus intéressé par les portes de l’ascenseur que par ma personne. Portes qui ne s’ouvrent pas, alors que l’ascenseur est bel et bien arrêté. Ma gorge se serre un petit peu alors qu’il tente de presser les différents boutons. Je jette un œil à mon téléphone qui, bien entendu, indique « pas de réseau ». Ce serait trop facile si ces petites choses se révélaient fonctionnelles et utiles lorsqu’on avait besoin d’elles. «
J'ai peur qu'on finisse par le prendre ici cet apéro. On est coincés. » J’acquiesçai doucement. J’avais pris l’ascenseur pour être à l’heure et je me retrouvais bloquée à l’intérieur. «
Au moins, on est pas seuls. Ça doit être tellement angoissant de se retrouver enfermé pour une durée indéterminée, absolument tout seul… » je pensais à voix haute plus que je ne lui répondais, le regard un peu perdu dans le vide. Je n’aimais définitivement pas la sensation d’être enfermée. La preuve je n’avais même pas relevé sa remarque sur l’apéro.
«
On aurait pu se trouver en bien moins bonne compagnie aussi... » me répond-t-il et je tourne naturellement la tête vers lui, souriant à la vue de son visage et du sourire rassurant qu’il arborait. Je ne pouvais que le rejoindre sur ce fait. Et ses remarques pour le moins ambiguës avaient l’énorme avantage de me distraire du fait que nous étions bloqués dans un tout petit ascenseur, très ancien et suspendu au-dessus du vide, en apesanteur. «
C’est sûr... » je confirmai donc avec un plaisir non dissimulé. «
Je suis Paloma, by the way » je me présentai en lui tendant la main avant de demander «
Will, c’est ça ? »
J'espérais de tout cœur ne pas me tromper. Si je faisais erreur sur la personne, la situation allait devenir très embarrassante et c'est un terrain qu'il vaut mieux éviter lorsque l'on est enfermés dans un espace confiné avec un (presque) inconnu et que l'on a aucune idée du temps que prendront les secours - déjà faudrait-il que quelqu'un remarque notre absence. À cette idée, je me demandai aussitôt si le mannequin avait quelqu'un qui l'attendait chez lui. Probablement - il était magnifique et avait pris de quoi faire un apéro. D'un autre côté, sa manière d'être semblait indiquer le contraire, mais ce n'était qu'un petit flirt innocent, pour le moment.
«
Exact, mais c'est pas les spaghettis bolognaise ou la pub pour paco rabanne qui t'ont renseigné sur ça, on se connait ? » Je réalisai à cet instant l’erreur que j’avais faite. Il avait beau avoir l’air d’avoir été sculpté, et envahir les publicités dernièrement, il n’était pas encore
si connu. Je me mordais un instant la lèvre, me demandant comment j'allais me sortir de ce pétrin. Je ne voyais que deux possibilités: flatter son égo - il était tellement incroyable dans la publicité que je me suis renseignée - ou jouer la carte " tu ne te souviens pas de moi ? " - rapport à Holland Park. Dire l'absolue et complète vérité n'était pas une solution envisageable. Mes yeux étaient déjà bien trop écarquillés des images que les mots "spaghettis bolognaise" avaient fait surgir en moi. Vous ne réalisez pas à quel point la scène était anxiogène - il allait me manger et j'étais perdue et il y avait des petits morceaux de viande sournois autour de moi. Bref, il fallait être dans ce rêve pour comprendre. Je secouai un instant la tête pour me débarrasser des relents de ma nuit et me décidai à répondre, avec un sourire engageant : «
Le fait de voir ton visage partout dernièrement,
jusque dans mes rêves, je m'abstins de préciser,
a aidé mais nous étions dans le même lycée. ». J'aurais sûrement dû choisir la flatterie et la séduction, ça fonctionnait tellement mieux jusqu'à maintenant. Surtout qu'il allait sûrement réaliser qu'on ne se connaissait pas vraiment au lycée, voir du tout.
La chance devait être avec moi - en doutais-je encore ? j'étais bloquée dans un ascenseur avec un mannequin - puisqu'il ne chercha pas plus loin que mon explication. «
Ah, tout s'explique. Je sais pas si je me dois me sentir gêné que tu aies vu la pub pour la bolognaise, parce que pour draguer dans un ascenseur, c'est pas du meilleur goût. ». Il revenait même de lui-même à la séduction, il fallait que je me mette à jouer au loto. «
Nice to meet you again Paloma! ». Le sourire éblouissant sur mon visage suffit à montrer que le plaisir était partagé. «
Well, j'ai aussi vu la pub pour Lady Million, si ça peut te rassurer. » je précisai en penchant légèrement la tête, les yeux dérivant de son regard vers ses lèvres et son torse. Pour ma défense, il n'y avait pas grand chose d'autre à regarder dans ce petit espace clos et manquant cruellement de décoration. Quant à sa remarque, je ne préférais pas revenir sur la bolognaise. Le souvenir traumatisant que j'en avais serait sûrement mal interprété. Une pub pour parfum ne permettait pas de démontrer ses grands talents d'acteur, mais c'était clairement plus utile pour draguer au détour d'un ascenseur. Avis que semblait partager le jeune homme qui me répondit avec un clin d’œil : «
Si t'as vu celle là, je pense que mon honneur est sauf. » avant de s'enquérir de mes plans pour la soirée : «
Et sinon en réalité, t 'avais quoi de prévu ce soir ? ». Me rappelant alors qu'un monde existait en dehors de cet ascenseur et de ces yeux bleus profonds, je jetais un oeil paniqué à l'heure. William avait raison d'utiliser le passer. À ce rythme-là, je n'avais aucune chance d'arriver à temps. Et pour être honnête, je n'en avais plus rien à faire. «
Petit apéro de crémaillère chez des amis. Mais apparemment ce sera pour une autre fois. » Indiquant d'un regard le sac empli de vivres et alcool qu'il portait, je m'enquis à mon tour : «
Et toi ? Qui t'attend désespéramment au quatrième ? ». Je savais que je n'aurais pas dû poser la question à l'instant même où elle franchit mes lèvres, je ne voulais pas réellement savoir. Parce qu'après je ne pourrais pas faire comme si je n'étais pas au courant, et j'avais très envie de maintenir le doute. Mais ma curiosité me trahissait aujourd'hui. «
Britain's got talent, mon frère, du bon vin aussi car Lady million ça paye un peu mieux que Garbit. » apparemment amusé de ma question et je ne peux retenir un grand sourire devant ce tableau pourtant très anodin. «
En dehors de ça, pas grand chose alors autant se mettre à l'aise. » continua-t-il en se glissant le long de la paroi de l'ascenseur. «
Ce n'est pas du très bon vin, je ne fais pas de publicités. » je faisais remarquer en soulevant la bouteille de blanc que j'avais toujours à la main. «
Mais si on doit passer la soirée dans un ascenseur avec une bouteille, autant l'ouvrir, non ? » je proposai en m'asseyant à côte de lui - et si je continuais à boire et discuter aussi proche de lui, mon cœur allait finir par lâcher. C'était - heureusement - moins visible, mais je ne m'étais toujours pas complètement remise de tomber sur William Hardy. Surtout quand je le voyais comme ça, détendu, le dos posé contre la cloison. Il faut croire qu'il n'y a pas que dans Grey's anatomy que les ascenseurs sont hot.
«
Oh tu sais quand on est bloqués dans un ascenseur, même en faisant des publicités, on ne fait pas le difficile, j'ai des olives aussi si tu veux, des cacahuètes... » Je souris à sa réponse, et remercie le ciel d'avoir été bloquée avec (quelqu'un qui avait) de la nourriture. «
Honnêtement, là, n'importe quoi de comestible m'ira. Sors tout ce que tu as. » Et heureusement pour nous, connaissant mes amis et la date à laquelle ils avaient emménagé, j'avais attrapé à la dernière minute un tir-bouchon. Je le récupérai de la poche arrière de mon jean - ce que j'aurais probablement dû faire avant de m'asseoir - et entrepris d'ouvrir la bouteille. Je n'étais pas allée jusqu'à prendre des verres, supposant qu'ils en auraient au moins en plastique, mais au point où on en était, je ne pense pas que l'un de nous s'offusquerait de boire directement au goulot. «
À toi l'honneur » dis-je en lui tendant le vin, tandis qu'il sortait les fameuses olives de son sac de courses. J'en piquai une avant de récupérer la bouteille de vin. «
Il manque plus qu'un peu de musique. Pas besoin de réseau pour ça. » Je pris une petite gorgée de vin, qui n'était finalement pas si mauvais, avant de reposer la bouteille entre nous pour sortir mon téléphone. Je n'avais pas énormément de musique, mais on ferait avec les moyens du bord. Après tout, nous étions en train de prendre un apéro sur le sol d'un ascenseur et les activités possibles pour s'occuper réduisaient à vue d’œil, maintenant que nous avions ouvert bouteille et nourriture. Je tournai la tête vers lui, et demandai : «
Alors, qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? »
uc.