the (future) hangover #WILMY

Ce n’était clairement pas le genre de Romy d’aller dans les bars après le boulot. Ce n’était clairement pas le genre de Romy de boire, en fait. D’ailleurs, elle n’aimait pas ça, le goût de l’alcool. La sensation de l’ivresse, elle ne la connaissait pas vraiment : non, elle n’avait jamais été du genre à rouler sous la table, et ne l’avait par ailleurs jamais fait. Mais ses collègues de cours avaient pourtant réussi à la traîner dans un bar après un TP qui s’était éternisé. Elle avait commencé par un cosmopolitan, classique. Elle avait d’ailleurs demandé au serveur de ne pas le charger. Après tout, elle n’avait pas mangé, et était épuisée, ce qui – lui semblait-il – faisait mauvais ménage. Ce dernier, charmant au possible, l’avait écouté, et avait mis plus de soft qu’autre chose dans son cocktail, elle lui en était d’ailleurs très reconnaissante. Deuxième verre, même consigne, toujours respectée. Troisième verre, même consigne, toujours respectée. Puis à partir du quatrième, elle ne pensait plus trop à la consigne pour être honnête. Il fallait dire que la sortie lui changeait vachement les idées, ce qui n’était pas de refus après ces dernières semaines – pour ne pas dire mois – tourmentés. Elle avait besoin de souffler, de se détendre, d’oublier. Mais oublier quoi au juste ? La fatigue, le stress et la pression dans un premier temps. La trahison, la déception, et le dégoût dans un deuxième temps. La tristesse, le manque, l’isolement dans un troisième et dernier temps. Elle n’aurait cependant pas imaginé la tâche être aussi évidente après seulement quatre cosmopolitans. Est-ce que le serveur avait bien respecté la consigne ? Il lui semblait que oui, mais au fond, elle ne savait pas trop ce qu’était censé goûter ce cocktail étant donné que c’était la première fois qu’elle y goûtait. Toujours était-il que la soirée était bien entamée – au moins autant que la jolie brune – et que ses amies étaient parties les unes après les autres, laissant une Romy, motivée, si pas déchaînée, toute seule, dans un bar.

Qu’on se mette bien d’accord, elle n’était en rien saoule, et tenait plutôt bien l’alcool à vrai dire. Mieux, en tout cas, que ce qu’on aurait été en droit de penser. Disons simplement qu’elle était joyeuse, et certainement pas d’humeur à rentrer chez elle. À ceci près qu’elle n’était pas sur les Champs Elysées, elle avait tout de même envie de dire bonjour à n’importe qui. N’importe qui, mais ce fut lui. Lui qui ? Lui quoi. Un homme d’une vingtaine d’année, plutôt bien fait, qui ne semblait pas plus accompagnée qu’elle. Lui surtout qu’elle pensait connaître. Non, elle en était persuadée. Elle avait oublié d’où elle le connaissait. Elle l’avait alors fixé pendant plusieurs minutes – plus ou moins discrètement – avant de bondir de sa chaise, de vider son verre d’une traite (et de garder sa fierté alors qu’il était déjà vide), et de se diriger vers ledit jeune homme « William ? William Hardy ? » se risqua-t-elle du beau des lèvres, un sourire maladroit sur les lèvres. C’est qu’elle n’était absolument pas sûre de son coup, mais qu’il lui semblait cependant bel et bien avoir reconnu son voisin d’autrefois, le petit Will. En vérité, ça aurait probablement pu être n’importe qui : elle n’avait plus vu son voisin depuis maintenant quoi … une dizaine d’années ? Peut-être plus, peut-être moins, elle avait une notion du temps plus que déplorable. Il fallait néanmoins lui laisser le fait qu’elle avait une mémoire infaillible, et qu’elle était physionomiste. En espérant cependant que l’alcool ingurgité au cours de la soirée n’avait pas altéré ses fonctions motrices, sans quoi elle risquait sans doute de se prendre le vent le plus monumental de l’année.

Will avait fait pas mal de conneries ces derniers temps. Ruiner un mariage faisait partie des conneries en question. Il essayait de s'en remettre doucement mais sûrement, projetait de se mettre au vert dans un avenir proche, mais compensait pour l'instant avec une consommation d'alcool abusive. Il en avait besoin, et comme il n'y avait ni Dexter, ni David pour l'empêcher de boire et le faire culpabiliser au passage, il se faisait un plaisir d'écumer les bars pour oublier sa connerie et les messages restés sans réponses de Teacher. Il s'était excusé platement, mais ça n'allait rien changer à leurs relations houleuses, il le savait pertinemment. Le ginger n'était pas un homme taillé pour le drame, et il ne lui pardonnerait jamais d'avoir gâché le plus beau jour de sa vie. William se demandait pourquoi il finissait toujours par craquer pour les rabats-joie, il y avait une certain dose d'évidence dans le fait que ça ne pourrait pas marcher entre deux caractère aussi opposés, mais William Hardy couldn't take the hint, c'était son problème. Il ne pouvait pas non plus entamer une guérison forcée en rejoignant un groupe d'alcooliques anonymes, car il n'était plus vraiment anonyme pour le coup, bien que probablement alcoolique. Son manque d'anonymat, le rattrapa d'ailleurs bien vite, tandis qu'une jeune fille s'approchait de lui. Il n'avait pas la mémoire des noms, mais il était plutôt physionomiste. Cette fille n'était rien d'autre que sa petite voisine, la sœur de Zoey Barton, à en juger le style vestimentaire. « Hey Romy, la sœur de Zoey c'est ça ? Je pensais pas que c'était ton genre d'écumer les bars, tu m'en vois agréablement surpris. » Je lui offre un sourire un peu béat à défaut de mieux. Mon état d'alcoolisation est déjà avancé, et je suppose que le sien l'est suffisamment pour ne pas me prendre pour un imbécile heureux aux techniques d'approches douteuses. Même si de fait, elles le sont un peu. L'initiative lui revient en revanche, et je suppose qu'elle peut donc tolérer un certain degré de Williamisme dans ma prose. Je ne suis pas revenu à Chiswick depuis que j'ai quitté le domicile familial avec mon frère, mais c'est tout de même amusant de retrouver mon ancienne voisine ici. Je crois lui avoir fait goûter au punch lors de la fête des voisins, mais mes souvenirs de cette fête sont plutôt vagues, ça pourrait donc tout à fait être Zoey. Je ne m'avance donc pas et ajoute. « Mais oui, c'est bien moi, totalement du genre à écumer les bars par contre. » Je lui adresse un clin d'oeil, et m'approche du serveur pour commander un verre à la jeune femme, en bon gentleman que je peux être parfois avec un brin de motivation. « Je te paye un verre et on parle du bon vieux temps, tu n'as qu'à choisir lequel et me dire ce que tu es devenues depuis la fête des voisins ? » Ce genre de détail m’intéresse assez, et intéresse encore plus ma version alcoolisée qui se pique encore plus facilement de curiosité pour ces petites choses là. Je n'ai pas vraiment besoin d'élaborer sur ma propre vie, pourtant j'ai assez bu pour ça !

Des deux jumelles Barton, Romy n'était jamais celle dont on se souvenait. Non, ça c'était Joey. L'exubérante Joey. L'inoubliable Joey. A côté, Romy était plutôt fade et effacée. Sauf quand elle avait frappé son petit camarade à l'école pour avoir dit de vilaines choses à sa soeur, de cet épisode, étrangement, tout le monde s'en souvenait. Peut-être était-ce le signe qu'elle devrait frapper les gens plus souvent si elle voulait qu'on se souvienne d'elle ? Ouais non, peut-être pas. Toujours fut-il que Romy ne cacha pas sa surprise lorsque William se souvint d'elle. Plus encore, il ne s'était pas trompé ! Ce qui était assez surprenant. En toute objectivité, celle qui écumait les bars, c'était pas elle, mais sa jumelle. Jumelle que Will venait d'appeler Zoey. Soit Romy était en train de rêver, soit il y avait un bug dans la matrice. Probablement la première solution. Bref, elle ne prend pas le temps de le corriger - Joey s'appellerait Zoey le temps d'une soirée, ce n'était de toute façon pas bien important - et préféra vivement hocher la tête pour confirmer les dires de son ancien voisin. Oula, ça tourne. « Volontiers ! » répondit-elle à la proposition du brun, à savoir prendre un verre, bande de pervers. Lequel ? Concentration intense, moue indiquant sa très grand réflexion, comme s'il s'agissait du verre de son existence « Martini Dry ! » tant pis pour le cosmopolitan qui avait perdu ce duel interne et alcoolisé de peu. Au pire, ce serait pour le prochain. Comment ça, elle avait probablement suffisamment bu ? Non, une femme dans sa situation ne buvait jamais assez. « Ce que je suis devenue ? » Elle gloussa. Mon dieu, elle gloussait. Peut-être le cosmopolitan était-il à proscrire en fin de compte « Euh, je suis étudiante en droit, je me suis fiancée, mais j'ai rompu y a pas longtemps grâce à ma très charmante soeur. Et euh, je gère des trucs pas très gais, je doute que t'aies envie de t'attarder là-dessus. » Contrairement aux propos très crus qui seraient de sa bouche, elle affichait un air détaché, presque moqueur. Oui, elle se moquait d'elle-même, mais après tout, c'était là l'une des merveilleuses vertus de l'alcool. Elle n'en aurait sans doute pas bu autant si elle était d'humeur à s'apitoyer sur son sort de toute façon. « Et toi ? Enfin, je crois que t'es acteur c'est ça ? J'ai vu ta tête sur ... raaah ! » Elle ne retombait pas sur le film. Allez, celui qui allait sortir, avec plein d'acteurs cools là ! Non, rien à faire, ça ne lui revenait pas. Il fallait lui laisser qu'elle n'était pas très cinéma, et qu'elle n'était au courant des futures sorties que grâce aux affiches dans le métro. « C'est très cool en tout cas, enfin, je suppose, d'être acteur, non ? » Ses mots n'étaient pas dans le bon ordre, qu'importe, ne la jugez pas, merci. Oooh, un Martini !