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Aujourd'hui...
La chambre était silencieuse et plongée dans la pénombre. Des dossiers s'empilaient un peu partout sur le sol et on pouvait y sentir une odeur de plats réchauffés mélangée à de la cigarette. Leonard soupira une énième fois en lisant le rapport balistique d'une affaire liée au Casino. Il le posa à côté de lui et regarda droit devant lui d'un air déterminé, essayant de remettre les pièces du puzzle en place. Toutes ces affaires étaient complexes et peu d'entre elles apportaient de réelles informations intéressantes, mais Leonard n'était pas de ceux qui abandonnaient à la première difficulté. C'était un fouineur et à la manière d'un chien qui détectait d'infimes traces de drogue dans une pièce, lui savait dénicher l'information capitale dans un dossier de plusieurs centimètres d'épaisseur. Alors qu'il réfléchissait consciencieusement, un grognement bref, mais ferme le fit tourner la tête. Deux yeux marrons le fixaient avec douceur et un sourire se dessina sur le visage marqué du policier. Le jeune malinois se mit à gémir, remua la queue et tourna sur lui-même, signe évident d'impatience. "Tu as raison Grumpy, il est l'heure..." Leonard se leva attrapa sa veste qu'il avait négligemment jeté sur un fauteuil. Le chien le suiva docilement. D'aillleurs, Leonard avait depuis longtemps abandonné l'espoir de faire obéir le malinois. Le chien prenait plaisir à ne pas se laisser dresser, préférant n'en faire qu'à sa tête. Même s'il ne l'avouerait certainement jamais, le vieux policier était heureux d'avoir un canidé à ses côtés, et son côté indomptable et insouciant lui plaisait beaucoup. Il en cotoyait certes dans son travail, mais celui-ci, offert par sa fille, était son seul espoir de lien social en dehors du travail. Car il fallait bien le dire, s'il n'avait eu son chien à sortir, il aurait depuis longtemps élu domicile au commissariat, pour pouvoir travailler encore plus. Depuis le départ de sa fille, seul son travail comptait, et il avait beau lui dire au téléphone que tout allait bien -pas question qu'elle se fasse du souci-, il n'en était rien. C'était un homme détruit, qui tentait désespérément de recoller les morceaux pour retrouver un semblant de vie. Il s'était inventé son propre chemin vers la rédemption, qui passait avant tout par une vengeance acide. Se fixer un objectif avait au moins pour avantage de l'empêcher de rester inactif et replié sur lui-même. Ouvrant la porte de l'appartement, il resserra son manteau autour de lui et se dirigea vers la sortie de l'immeuble, suivi de près par son chien. La nuit était déjà bien avancée, mais les deux acolytes étaient habitués à sortir tard. Et surtout, ils connaissaient le chemin par coeur. Après transports en commun et marche à pied, deux ombres se faufilèrent le long des rues et s'arrêtèrent sur un trottoir, apparemment intrigués par ce qui se passait sur le trottoir d'en face. En réalité, ils étaient arrivés sur leur lieu d'observation favori. Même le chien semblait intéressé par ce qu'il voyait. Le casino. Les lumières qui sortaient de ce lieu de luxure et de débauche dégoutaient profondément le policier. Oh, il savait pertinemment que les chiens de Grant Bass l'avaient depuis longtemps repéré. Mais il revenait inlassablement toutes les nuits, histoire de montrer qu'il ne comptait pas abandonner et que tant qu'il serait vivant, il serait là pour les emmerder. Se grillant une cigarette, il jeta un oeil à Grumpy, qui, comme pour répondre à ses pensées, émit un jappement bref. "Oui, on les aura un jour. Je te le promets." Et il ne rompait jamais une promesse.

20 ans auparavant...
Leonard n'avait jamais eu à se plaindre de sa vie. A vrai dire, il avait plutôt été gâté en ses jeunes années. Des parents aimants qui l'ont toujours encouragé et poussé à suivre la voie qu'il désirait. Une scolarité brillante qui lui ouvrit les portes des écoles qu'il souhaitait. Le droit à Cambridge, l'école de police dont il sortit major de sa promotion. A chaque éngime que la vie inventait sur son parcours, Leonard prenait un malin plaisir à les résoudre haut la main. Jusqu'à ce jour où il rencontra sa nouvelle coéquipière. Elly. Un mystère féminin à elle toute seule. Si, de prime abord, Leonard voyait d'un mauvais oeil l'arrivée d'une femme dans son équipe -après tout, elle paraissait si fragile et si frèle- , il lui fallut moins d'une journée pour être convaincut qu'il s'était trompé. La jeune femme en voulait. Elle avait du caractère, du cran, ne se laissait pas marcher sur les pieds et savait remettre à sa place les quelques gars de la brigade des stupéfiants qui se montraient un peu trop machos. En un mot, elle était tout simplement unique. Et désirable. Cela faisait quelques temps qu'il allait sur le terrain. Il avait choisi lui-même la brigade canine, qu'il trouvait originale et surtout indispensable au travail de la brigade des stupéfiants, et il connaissait les points forts et faibles de chacun de ses coéquipiers. Il était d'ailleurs reconnu comme un élément très prometteur dans les rangs de la police et on le chargeait de plus en plus de s'occuper d'affaires complexes. Cependant, malgré toutes ses qualités, il était incapable de déchiffrer sa jolie coéquipière. Elle restait cette énigme qui le fascinait... à tel point qu'il en développa des sentiments forts pour elle. Et à son grand bonheur, il découvrit bien vite qu'ils étaient réciproques... Leur amour du travail et de l'adrénaline les avait rapprochés, et leur duo était l'un des plus efficaces de leur brigade.

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"Elly!! Tu es sûr que ça va?" Le regard inquiet de Leonard se posa sur sa femme qui rit doucement. "Mais oui, tout va bien, mon amour... Je vais bien... Et Emily aussi..." Le jeune homme s'assit aux cotés du lit et tenta un sourire plus détendu. Ces heures d'attentes l'avaient tué. Même une planque d'une journée ne le fatiguait pas autant. Alors, de voir enfin sa femme heureuse, le soulageait. Et il y avait leur petit ange, arrivé au terme de ces heures interminables... La petite fille était endormie dans le berceau à côté du lit, petit être frèle qui venait de rencontrer un monde bien trop vaste et cruel... "Tu peux la prendre dans tes bras si tu veux!" La jeune femme lança un regard plein de défis à Leonard, bien consciente que son mari n'était pas encore très à l'aise dans son rôle de père. Pourtant, Emily était le fruit d'un mariage heureux et elle était très attendue. Leonard fit une moue gênée, mais se leva et se dirigea vers le berceau où il observa sa fille avec un mélange de tendresse et d'appréhension. Puis, tout doucement, et suivant les conseils de la sage-femme, il prit délicatement Emily dans ses bras. Même si ses gestes étaient encore hésitants, il lui suffit de porter son regard sur sa fille pour tout oublier. Elle était son petit trésor, son tout, un morceau de lui-même et de sa femme adorée. Il releva les yeux et croisa le regard de sa femme. Ils étaient heureux, tout simplement.

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Bien entendu, elle ne l'avait pas écouté. Elle avait insisté pour travailler de nouveau alors que leur fille avait besoin d'elle. Et surtout, elle avait décidé de lui miner la santé en l'obligeant à craindre pour sa vie à tout moment... Il avait pourtant prié pour qu'elle ne recommence pas à travailler après son accouchement... Même s'il était heureux de retrouver sa coéquipière, il aurait préféré qu'elle reste à l'abri auprès de leur fille. C'était sans compter sur le tempérament de feu de sa femme. Alors il se résigna à accepter son retour.

Et il s'en mordit les doigts.

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L'affaire était sordide et complexe. Cela faisait des mois qu'ils travaillaient sur ce trafic qui impliquait de nombreux fournisseurs et qui était chapoté par un certain Hastings Bass. Ce nom resterait à jamais gravé dans la mémoire de Leonard. Ils avaient tout planifié, chiens et policiers étaient prêts... Malheureusement, c'est quand on pense avoir tout prévu que rien ne se passe comme on l'aurait souhaité. Une fusillade éclata, le cri d'une femme résonna dans la nuit. Leonard eut juste le temps de tourner la tête pour voir s'effondrer sa femme. Il hurla. "ELLY!!" Il courut jusqu'à elle, tremblant de rage et de désespoir. La prenant dans ses bras délicatement, il n'entendit même pas son collègue qui appelait déjà les secours et tentait de remettre de l'ordre dans ce chaos. Le jeune policier avait les yeux fixés sur la blessure de sa femme, et tentait de faire pression pour éviter qu'elle ne perde trop de sang. Il ne cessait de lui parler, essayant autant de la rassurer que de se rassurer lui-même. "Tout va bien, chérie... Tu vas t'en sortir... Tu vas t'en sortir..." Le monde semblait s'écrouler autour de lui, et lorsqu'il pensa à leur petite fille qui venait de fêter ses 5 ans, le désespoir finit de l'achever. Il remarqua à peine l'arrivée des secours, refusa de laisser sa femme et resta à ses côtés jusqu'à l'hopital.

Les yeux dans le vague, Leonard attendait une réponse qu'il pressentait déjà depuis plusieurs minutes. Plus tendu que jamais, il n'osait même pas regarder sa petite fille qui attendait sagement sur un siège, son doudou dans les bras. Qu'est-ce qu'il pouvait lui dire? Comment pouvait-il lui expliquer? Quand deux médecins passèrent les portes du bloc opératoire, il sut instantanément que ses pires craintes s'étaient réalisées. Se levant, il secoua la tête dans la vide, refusant d'y croire. "Non... C'est faux! Vous allez la sauver, n'est-ce pas?" Le médecin posa une main sur son épaule, ses yeux plein de compassion pour cet homme qui souffrait. Leonard prit son visage dans ses mains et se laissa glisser à terre, sur les genoux. Terrassé par la tristesse. Déchiré par la peine, il sanglotait, le coeur brisé en mille morceaux. Il lui fallut plus demi-heure pour se reprendre et avoir la force de se relever. Il se sentait vide, atrocement vide. Même les quelques mots naïfs de sa fille n'arrivèrent pas à lui remonter le moral... Certes, Elly était un ange à ses yeux. Mais en tant qu'adulte, il était beaucoup plus terre à terre et ne voyait que le fait qu'il ne pourrait plus jamais la serrer dans ses bras ou l'embrasser tendrement en allant au travail...

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La descente en Enfer se fit plus rapidement que ce qu'il aurait pensé. La dépression était un mal subtile et ravageur, qui ne prévenait pas. Le vide était trop intense, trop présent. Il n'arrivait pas à s'en défaire. On avait tenté de lui envoyer psy et autres charlatans, sans succès. Il refusait toute aide et ne croyait pas en ce stupide système du deuil en plusieurs étapes. Sa femme était partie et elle lui manquait atrocement, point barre. Il s'éloigna de son travail, de ses amis, de sa famille, hormis sa soeur qui devint une deuxième mère pour Emily. L'alcool lui semblait être un bon refuge, mais il n'avait même pas besoin de boire pour se faire du mal, les remords le rongeant de l'intérieur. Il n'avait plus goût à rien, et seul sa fille gardait de l'intérêt pour lui. Il refusait de sortir... Cela dura des mois.

Puis, un beau jour, il recommença à sortir, se remit au travail dans un petit bureau de commissariat de quartier. Même si, petit à petit, il reprenait confiance en la vie, il avait toujours cette peur panique de perdre ce qui lui restait: Emily. Alors il fit le maximum pour la garder près de lui, lui interdisant toute sortie, inistant pour qu'ils fassent tout ensemble: "Toi et moi contre le reste du monde", telle était leur devise. Certes, cela ne lui plaisait pas, et quelque part, Leonard savait bien qu'il la perdrait un jour ou l'autre. Mais il souhaitait que ce soit le plus tard possible... Son travail n'était pas très important, mais il s'en contentait, et il pouvait de nouveau entraîner des chiens, son expérience dans le domaine l'ayant précédé.

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"Hé, Dylan, t'as vu, un nouveau casino s'installe à Londres! Encore du boulot pour nos collègues... Hastings-Bass... Rien qu'au nom du patron, on sent le truc qui se veut plus classe qu'il ne l'est!" Leonard leva la tête de sa paperasse. Hastings-Bass. Hastings-Bass. Ce nom résonnait familièrement en lui. Après quelques minutes à rassembler ses pensées, il sut. Se levant brusquement, faisant tomber sa chaise, il vint vers son collègue et lui arracha pratiquement le journal des mains. En photo, Hastings-Bass se pavanait, fier comme un paon en posant devant son nouveau casino. Leonard fronça les sourcils. Tout était de sa faute, SA faute. Il fallait qu'il paye. Lorsqu'il redonna le journal à son collègue, il était étrangement calme. Il aurait pu tout casser, laisser libre court à sa colère. Mais il savait que ce n'était pas la bonne solution. Pour la première fois depuis des années, il savait exactement ce qu'il devait faire, il avait un but. Atteindre Hastings-Bass, ruiner son commerce et le détruire.

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La première étape était de se faire un nom de nouveau, d'être dans la place, à l'endroit même où il pouvait avoir accès à toutes les informations nécessaires à son enquête. Grâce à ses anciennes relations et à des références excellentes, il mit seulement quelques années à obtenir une mutation, entraînant avec lui sa fille pour une nouvelle vie à Londres. Pensant qu'il avait fait le plus gros du travail, il tomba des nues en voyant le dossier associé au casino. Il était vide. Les collègues n'avaient rien trouvé sur Hastings Bass. Monsieur semblait extrèmement prudent et ne se laissait pas intimider par quelques descentes des flics ou des stups chez lui. Leonard lui-même accompagna de nombreuses fois ses collègues et ne trouva rien. Il rencontra aussi le gérant, et lui fit sentir qu'il ne lacherait jamais l'affaire, et que s'il devait devenir leur bête noire, il le serait avec plaisir. On lui affecta une jeune coéquipière, qu'il traite avec respect mais sans aucune affection, de peur de s'attacher. Il se montre même plus froid qu'il le voudrait, mais ne sait pas faire dans la demi-mesure. Toutefois, il reconnait qu'elle travaille assidument et qu'elle est parfaite en infiltrée au casino...

Ce travail est devenu son but dans la vie. Lorsqu'il trouva la lettre de sa fille sur son lit, il crut défaillir de nouveau, mais se souvint de son objectif, et décida d'aller de l'avant, soutenu par le nouveau venu de la famille, le malinois Grumpy. Sa fille avait grandi si vite... Il aurait voulu la garder pour lui toute sa vie, la protéger de ce monde trop cruel. Mais elle était partie. Il ne pouvait que la comprendre. Les nombreux conflits qui les avaient opposés ces derniers temps et le temps qu'il passait au boulot n'aidaient pas une bonne entente familiale... Il lui en voulait d'être partie à l'improviste, oui. Cependant, c'était son trésor, et il ne pouvait pas être faché bien longtemps avec elle....