EAG ϟ i think reality is over-rated

L’atmosphère est enfumée, comme d’habitude. Je fais jouer le jeton entre mes doigts experts et tire une nouvelle taffe, longue, posée, sur ma cigarette déjà largement consumée. « Tapis », je lâche d’une voix enrouée, marquée par la fatigue, le tabac et l’alcool. Il est presque sept heures du matin, je n’ai pas dormi depuis… plus de quarante huit heures maintenant. Je porte le même costume qu’hier et je commence à sentir les effets de l’accumulation abusive des excès régulièrement opérés depuis le même laps de temps. Il est temps que cette partie se termine. Mon voisin me suit, les autres se couchent. J’inspire, laisse l’autre déposer son jeu sur la surface gominée de la table, et cligne légèrement des yeux dans l’obscurité oppressante. « Je crois que j’ai encore gagné. » Je dépose à mon tour ma donne et ramasse l’argent qui trône au milieu de la table et qui est accompagné de quelques petits sachets blancs poudreux. J’adresse un clin d’œil à mon adversaire qui m’offre un sourire édenté. « Bravo, encore une fois. Mais un jour ton arrogance te perdre et crois moi… » Ce jour là je serai là pour voir ça. Voilà ce qu’il va dire. Il s’agit juste de laisser le temps s’étendre quelque peu, de lui laisser son effet théâtral. Je fourre mes gains dans une couche inférieure et secrète de mon sac et hausse un sourcil curieux, sortant une nouvelle cigarette de ma poche intérieure de costume. « Oui ? » Il soupire, avale une gorgée de whisky et acquiesce, lentement. « Je serai là pour voir ça ». Je souris un peu, porte ma main à mon front et lui fais un signe d'adieux avant de quitter la pièce, mon sac sur l'épaule. Le jour se lève à Oxford. J'irai attendre de charmants étudiants en manque de sensations fortes en fin de journée, pour l'instant, il faut que je dorme. J'erre un instant dans les rues, foule les pavés humides, avant de passer la porte de chez moi, me laissant tomber sur mon lit sans aucune retenue.

« Maman, pourquoi on s'en va ? » Elle ne répond pas, ne m'adresse même pas un regard, continuant de fourrer ses affaires dans sa valise dans de grands gestes paniqués. « Mais Maman... » Elle s'interrompt un instant, presque essoufflée par l'effort que lui réclame le rassemblement de ses affaires. « Prépare tes affaires Eliott. » Je grimace et tape du pied, mais son air mécontent m'empêche de protester. Je gagne ma chambre et regroupe deux trois cahiers, surtout ceux qui concernent les sciences. Je me demande, d'ailleurs, tiens... Si je dis à la prof de français que Maman quitte Papa, est-ce qu'elle me dispensera des prochains cours ? Je déteste le français. Enfin non, j'aime parler français avec mon accent anglais parce que ça impressionne toujours les gens. Mais je déteste étudier toutes ces conjugaisons, ces verbes...
Les sciences sont beaucoup plus logiques pour moi. Je l'ai dit à Maman, quand je serai grand je serai chercheur de nouveaux médicaments, je pourrai soigner des maladies incurables.

Je pose mon sac sur mon épaule et file dans l'entrée. Papa est la aussi, dans le salon. Il pleure comme un bébé. « Pourquoi on part, Papa ? » Mais il ne répond pas non plus, j'ai envie de leur hurler à tous que je ne suis plus un enfant et que je peux très bien comprendre, mais au lieu de ça, je m'écrase sur une chaise en soupirant.

Je m'appuie contre le mur blanc de la fac et soupire. Mes lunettes de soleil sont enfoncées sur mon nez et j'ai une gueule de bois monstrueuse. En dehors de ces deux éléments perturbateurs on pourrait croire que je suis un étudiant comme les autres et que je fréquente la fac tous les jours comme un gentil garçon en mal de réussite. Je ricane, écrase ma cigarette contre un cendrier et soupire. Ma montre m'indique qu'il est presque l'heure, j'ouvre ma veste et m'installe sur un banc, sur le banc habituel, devant le bâtiment de biologie, que j'aurais fréquenté peut être si ma vie n'avait pas été complètement différente. Chercheur de médicaments. Je ris de nouveau et retrouve mon sérieux en apercevant une nana qui s'approche et se laisse tomber à côté de moi. « Quelqu'un m'a dit que... » Je secoue la tête, je déteste les nouveaux clients. Ils sont suspects, tremblants, inquiets. Je soupire « Quelqu'un t'a dit ? » Elle se mord la lèvre, je grimace, joue avec mon téléphone. « Que tu pouvais m'aider à me... Détendre un peu. J'ai trop de boulot ici et... » Elle bafouille, rougit, s'énerve. Je la coupe d'un geste brusque. « On s'est trompé, j'aide pas les minettes dans ton genre. Bois un café, fume une cigarette, c'est tout ce que je peux faire pour toi. Allez, dégage. » Sa lèvre inférieure tremble un peu et elle se lève pour s'éloigner, visiblement peu convaincue.

Les habitués se laissent tomber à mes côtés sans ouvrir la bouche, me tendent une liasse de billets et s'éloignent sans demander leur reste. C'est comme ça que ça marche. Autrefois j'aurais vendu n'importe quoi a n'importe qui, mais aujourd'hui je joue dans une catégorie différente. Les choses ont changé et je n'ai plus besoin de gamines idiotes et apeurées pour vivre. C'est un fait.