19 juin 2004
«
Monsieur Turner-Rodan? » Je me lève d'un bon et lance un regard paniqué à l'infirmière. «
Ju... Juste Turner. Pas la peine de... enfin ça fait trop long après. » je bafouille avant de me mordre la lèvre pour me faire taire. Être stressé me fait toujours cet effet-là, raconter n'importe quoi. L'infirmière doit bien s'en rendre compte, car après m'avoir regardé un instant comme si j'étais complètement siphonné, elle sourit d'un air qui se veut rassurant – ce qui ne m'aide pas à me sentir moins angoissé, mais bon, elle y peut rien la pauvre. «
C'est une fille, monsieur Turner ». J'ouvre la bouche, la referme, l'ouvre à nouveau, cligne des yeux, et sens mes genoux se ramollir légèrement. Je m'empêche de tomber en appuyant ma main contre le mur et ferme les yeux, inspirant un grand coup. «
U... Une fille? » J'ouvre les yeux à nouveau, et son sourire s'agrandit. Je fronce les sourcils quand je sens quelque chose d'humide me rouler sur la joue. Je l'essuie d'un geste de la main avant de grimacer. «
Oh mon Dieu je... Je pleure?! C'est une blague?! » Je n'en crois pas mes yeux. La dernière fois que ça m'est arrivé, je devais avoir dix ans. «
Ne vous inquiétez pas, c'est assez fréquent. Je n'en parlerais à personne. » Elle me fait un clin d'œil complice, et je souris. «
Vous voulez les voir? » Mon cœur s'accélère à cette idée. Voir ma fille. Ma fille qui vient de naitre, si fragile, si petite... «
Oui, bien sûr. » je réponds sur le champs, fou de joie à l'idée de les voir, elle et ma femme. «
Suivez-moi. » Je m'exécute d'un air distrait, perdu dans mes pensés. L'idée d'avoir une petite fille me terrifie autant qu'elle me ravit. L'idée même d'être papa me terrifie, mais le fait qu'elle soit une fille, et non pas un garçon, change tout. Comment est-ce que je vais faire quand elle grandira? Oh mon Dieu, je ne veux même pas y penser. «
Et voilà! » L'infirmière toque à la porte d'une des chambre – la numéro 217 – avant de l'ouvrir. Je reste paralysé sur le pas de la porte, fasciné par la vue de la femme que j'aime tenant dans ses bras le bébé le plus adorable que j'ai jamais vu. Un certain temps passe avant que je ne fasse un pas, doucement, sans aucun bruit. «
Vous êtes magnifique » je murmure alors qu'elle se tourne vers moi et serre notre fille un peu plus fort contre sa poitrine. Un grand sourire éclaire son visage. Elle semble épuisée, mais heureuse. «
Alice » lâche t-elle dans un souffle. Je fronce les sourcils. «
Quoi? » Elle rit et berce doucement le petit bout de chou qui dort tranquillement au creux de ses bras. «
Je veux l'appeler Alice » murmure t-elle, un air émerveillé sur le visage. «
D'accord » je murmure à mon tour, pour ne pas la réveiller. D'accord.
24 novembre 2008
La pluie n'a pas cessé une seule fois depuis ce matin. Il est 23 heures maintenant, et Alice est couchée depuis longtemps. Ça pourrait être un jour ordinaire, sauf que non. Ça serait trop simple, beaucoup trop simple... Mais, alors que la porte claque, j'aurai aimé que ce ne soit qu'un jour comme les autres, un de ceux que j'oublierais vite. «
Où étais-tu? » Elle me lance un regard hagard, perdu. «
Réponds-moi, Helen. Où étais-tu? » Je le vois dans son regard. Elle en a pris. Au bout de trois ans, savoir si elle est clean où non n'est plus un problème. Ce que j'aimerais savoir, c'est comment on en est arrivé là. Je croyais qu'on était heureux. Je croyais qu'on était le couple parfait, et qu'Alice n'était que la cerise sur le gâteau. Je croyais... Je ne sais pas. En tout cas, je ne pensais pas découvrir un beau jour que ma femme est accro à la drogue, et devoir galérer à payer les factures parce que tout son fric part là-dedans. «
Je... Je... C'est pas ma faute je... » Je pousse un soupire exaspéré. «
Non. C'est bon, tais-toi. J'en ai marre de tes excuses, Helen. J'en peux plus! Je sais que c'est dur, je peux comprendre, mais est-ce que tu penses à Alice un peu? Tu te souviens d'elle? Ta fille de quatre ans? Celle que tu as mis au monde, et que tu n'as pas vu depuis trois jours parce que tu rentre trop tard pour ça? C'est finit, Helen. J'ai appelé ton frère, il arrive par le premier train. Il prendra soin de toi. » Je marque un temps, mais elle ne dit rien. «
Je... J'ai demandé les papiers du divorce. C'est terminé, Helen. Je ne peux pas m'occuper de toi et d'Alice. Je ne voulais pas, mais je n'ai pas eu le choix. Tu aurais fait la même chose à ma place. » Je serres les dents, elle serre les points. «
Tu... Qu'est-ce que ça veut dire? » Mon regard désolé croise le sien, un peu plus alerte que tout à l'heure, comme si elle prenait conscience de ce qu'il se passe. «
Alice et moi partons. Demain. » Mon ton est sans appel, montrant que c'est une décision sur laquelle je ne reviendrais pas. Je n'abandonne pas Helen, non. Je sais qu'elle sera entre de bonnes mains, qu'il saura quoi faire. Moi, je dois m'occuper d'Alice. C'est la priorité, mon unique priorité, elle l'a toujours été.
3 janvier 2009
«
On va où papa? » Ma fille me regarde sans comprendre, alors que je charger la valise. Ça me brise le cœur, mais je fais ça pour son bien. «
On s'en va, ma chérie. » Je ne vais pas plus loin. Elle est trop jeune pour comprendre que sa maman a des problèmes tellement graves que l'on doit s'éloigner d'elle à tout prix. «
Et maman? » Je déglutis avec difficulté et sens une boule se former dans ma gorge. Voilà la question que je redoutais. Celle à laquelle je ne peux pas honnêtement répondre. «
Elle ne peut pas venir. Elle et moi ne pouvons plus vivre ensemble » La petite réfléchit un instant. «
Est-ce que je la reverrais? » Je soupire et ferme le coffre. «
Je ne sais pas, Alice. Je ne sais pas. » Je m'installe au volant, et démarre. Helen va aller en cure de désintox dans quelques mois. Les papiers du divorce ont été signés il y a une semaine, et j'ai obtenu sans grande difficulté la garde de ma petite princesse. J'ai obtenu un poste de professeur à l'université de Cambridge, le rêve de ma vie. J'aurais aimé que ce soit dans d'autres circonstances, mais je suis sûr que changer de ville, de vie, repartir à zéro, est la meilleure chose à faire pour le bien-être d'Alice.
24 octobre 2012
«
Tu sais, mon vieux, il serait grand temps de te retrouver quelqu'un. T'es célibataire depuis bien trop longtemps! Tu n'as pas eu une seule relation depuis Helen! Il serait temps que tu passe à autre chose! » Je soupire mais souris. Mon frère s'inquiète beaucoup trop pour moi. «
Je suis passé à autre chose. Mais ce n'est pas ma priorité pour le moment, John. » Il éclate de rire. «
Pas ta priorité? Enfin Liam, c'est du gâchis! Tu es séduisant, encore jeune, je suis sûr que tu pourrais trouver quelqu'un si tu essayais ne serait-ce qu'un peu! » Il marque une pause, le temps de prendre une gorgée de sa boisson, et reprends, en me lançant un regard entendu. «
Ça serait bon non seulement pour toi, mais aussi pour Alice. Elle a besoin de quelqu'un d'un peu moins... coulant que toi. » Je fronce les sourcils. «
Coulant? Qu'est-ce que tu entends par là? » Il lève les yeux au ciel. «
Que tu es bien trop gentil avec elle, pas assez ferme. Mais là n'est pas la question. On parle de toi, et du fait que tu as besoin d'une nouvelle relation. Quatre ans sans personne... c'est presque malsain, Liam. Helen ne reviendra pas. » Je grogne et avale une longue gorgée de ma bière – mon fréro m'a forcé à prendre de l'alcool, m'affirmant que je dois réapprendre à me détendre. «
Je sais bien qu'elle ne reviendra pas. Je... J'ai juste peur de la réaction d'Alice. Elle n'est... Elle a compris que sa maman ne reviendra pas mais... je ne suis pas sûr qu'elle soit prête à accueillir quelqu'un de nouveau dans sa vie. » Il me regarde d'un air songeur. Il m'analyse, je le sais. Il me connait trop bien. «
C'est valable pour toi aussi, Liam. Si tu veux mon avis, tu as peur d'être blessé à nouveau. » Je ne réponds rien. Une part de moi ne veux pas admettre que j'ai peur de me retrouver une nouvelle fois à devoir choisir entre ma fille et la personne que j'aime. L'autre sait que mon frère a raison.