GTA ⊹ elle a les yeux noirs et le corps d'une bombe.

Nous y voilà. La trotteuse de l'horloge murale compte bruyamment les secondes, le tic-tac résonne dans le long couloir vide. J'attends depuis presque dix minutes, ma nuque est trempée de sueur. J'ai déjà eu le temps d'examiner chaque tableau qui recouvre les murs blancs, tous représentant des légendes de la scène. Corps élancés élevés vers le ciel, jambe droite, pointe tendue. Disques d'or. Déguisements d'époque et perruques. Tout cela m'intimide et me motive à la fois. Je veux intégrer la London School of Arts, j'ai quitté mon Australie natale pour réaliser ce rêve et je suis plus que jamais incertaine d'y parvenir. La danse est mon domaine de prédilection, ce sont les deux autres matières qui me posent un domaine. Si on m'a déjà dit que j'avais une jolie voix, j'ai conscience de manquer de puissance, tout comme je sais pertinemment que je suis une piètre comédienne. Je fais craquer mes doigts et instantanément la voix de ma grand-mère paternelle résonne à mes oreilles. « Cesse de faire ça Ginny, ce n'est pas beau pour une fille. » Je m'approche d'une des fenêtres qui surplombe la cour intérieure de l'école. Le ciel est dégagé, mais sa couleur laisse deviner une température des plus fraîches. En bas, des élèves traversent le patio, s'installent sur les bancs, s'étirent pour s'échauffer... Je meurs d'envie de les rejoindre, de faire partie de leur communauté. Il est bientôt quatorze heures, heure de mon rendez-vous. Je suis contente d'être plus que ponctuelle.
La porte du bureau s'ouvre, une jeune femme en sort et s'avance vers moi. Ses lèvres sont étirées d'un immense sourire et elle semble marcher sur un nuage. En deux secondes, je la détaille du regard. Peau lisse, maquillage soigné, chignon haut parfait, corsage blanc et pantalon noir, le tout porté avec une paire de ballerines, un sac de créateur et quelques bijoux discrets. Mon ventre se serre. Je n'ai strictement rien à voir avec ce genre de filles. J'ai l'habitude de m'habiller comme aujourd'hui, d'un jean et d'un tee-shirt tout simple. Je donne un coup de Converses dans mon sac à dos usé et attache rapidement mes cheveux dans un semblant de macaron sans aucune tenue. Mon stress augmente encore, si c'est possible. « Mademoiselle Ginger Abernatti. » La voix qui sort du bureau est ferme et autoritaire. Étrangement, je sens ma confiance revenir. C'est droite comme un i que je m'approche avec détermination. Les trois professeurs sont installés derrière un grand bureau. De mon côté, une chaise en bois. Je salue poliment mes futurs professeurs d'un signe de tête gracile accompagné d'un simple « Madame, messieurs. » Ils m'invitent à m'asseoir et attaquent immédiatement l'entretient d'une unique question. « Racontez-nous. » Mon premier réflexe aurait été de répondre Quoi ? mais je m'efforce de réfléchir. La réponse me vient aussitôt. Que je leur raconte moi. Ma vie. Mon expérience, ma passion, ma détermination. Je prends une profonde inspiration, et je me lance.
Mon père est un italien par excellence. Luis Abernatti est un restaurateur de talent, beau et ténébreux, à l'accent charmeur et ensoleillé. Ma mère quant à elle représente parfaitement l'Australie, avec sa peau bronzée et ses cheveux décolorés par le sel et le soleil. Maman est vétérinaire, comme ses parents avant elle. Elle a rencontré mon géniteur lors d'un voyage en Sicile qu'elle avait organisé avec son ex-copain qui a eu l'excellente idée de l'emmener dîner dans un restaurant de luxe afin de la demander en mariage. Elle a préféré le quitter pour épouser l'homme qui l'avait tant régalée ce soir là. Fou amoureux de cette femme au tempérament de feu, mon père a quitté son pays pour ouvrir son propre établissement chez elle, à Perth. C'est là que je suis née il y a vingt-quatre ans. Je pense que j'ai eu l'enfance dont toutes les fillettes rêvent : maison à trois minutes de la plage, pensionnaires que ma mère ramenait chaque soir chez nous et qu'elle m'autorisait à câliner, soleil 360 jours par an, repas délicieux... Je n'aurais rien pu demander de plus. Je me suis rapidement mise à la danse. Classique pour commencer, puis moderne, hip-hop et orientale. J'aimais ça autant que les animaux dont je m'occupais au cabinet de maman. Pourtant je n'ai jamais vraiment songé à en faire mon métier. Il paraissait logique que je suive les traces de ma mère et que je sois vétérinaire à mon tour. 
Je me suis donc naturellement tournée vers des grandes études, la danse passant en arrière plan. Six heures par semaine, je laissais mes soucis s'envoler sur le parquet des studios. J'ai obtenu mon diplôme et le droit d'exercer à vingt-trois ans, et après un an de soins aux côté de ma mère, j'ai décidé de donner une chance à ma vraie passion. La famille fut conviée à un repas un dimanche midi pour que je puisse leur annoncer ma résolution. Je partais à Londres à la London School of Arts. Je financerai le tout moi-même, je ne leur demandais que trois ans de liberté pour ne jamais avoir de regrets. J'avais de l'argent de côté, j'étais déterminée. Après de longues conversations, ils ont finalement accepté de me laisser partir -et avec quelques économies qui plus est. Je me suis envolée le mois suivant. J'ai trouvé une place à mi-temps dans un petit cabinet vétérinaire pour arrondir mes fins de mois et j'ai trouvé un minuscule appartement à prix modeste... J'espère que je n'ai pas fait tout ça pour rien... J'ai conscience de ne pas correspondre aux normes d'ici. Je n'ai pas la même classe que les autres élèves, pas la même attitude, mais je suis résolue et ce n'est pas parce que je ne me balade pas habillée de la tête aux pieds de Chanel que mon talent est moindre. Je veux vraiment intégrer cette école, et j'espère que vous me donnerez ma chance, je la mérite tout autant que la jeune fille qui m'a précédée.

→ Dans la vie, on cherche toujours à atteindre un but, quelque chose de vraiment personnel, un idéal de vie, un rêve, quelque chose qui vous rendrait heureuse finalement. Pour vous qu’est-ce que c’est ? Quand j'étais petite, je rêvais d'être vétérinaire. Comme toutes les petites filles d'ailleurs j'imagine. Je m'en suis donné les moyens, ms parents m'ont poussée dans cette direction et j'ai à présent un diplôme pour exercer ce métier. Toutefois ma vraie passion reste la danse. Voilà pourquoi j'ai choisi de m'installer à Londres pour intégrer la LSOA, malgré la réticence de mes parents.

→ Et qu’est ce qui vous bloque en fin de compte ? J'avoue que j'ai un peu le mal du pays, sans compter que si j'ai toujours pratiqué la danse à un haut niveau, le chant et la comédie ne sont pas vraiment mes domaines de prédilection.

→ Je vois. Est-ce que vous avez des regrets ? Pour le moment je me demande si j'ai bien fait de m'inscrire. L'école me prend beaucoup de temps et d'énergie mais je ne suis pas connue pour renoncer aussi vite.

→ Qu’est-ce qui vous rends heureuse dans votre vie aujourd’hui. Une personne, une passion ? Comme je l'ai dit, même si le chant et le théâtre m'épuisent, avoir des cours intensifs de danse me permet de m'épanouir totalement.

→ Et est-ce que vous vous sentez seul parfois ? Oui, souvent même. Je viens de débarquer d'Australie et pour le moment je m'investis pleinement dans mes cours, je n'ai donc pas encore eu le temps de créer des liens avec mes camarades.

→ Rien d’anormal je vous rassure, mais dîtes moi, qu’est ce que vous attendez des autres, qu’ils vous aiment, qu’ils vous comprennent ou qu’ils vous respectent ? Un peu des trois ? Franchement je ne sais pas, je pense que tout est nécessaire.

→ Et qu’est ce que vous attendez de vous même ? De tenir jusqu'à l'obtention de ce second diplôme tout en ayant de très bons résultats.

→ Et peut être que vous vous en demandez trop. Qu’en pense votre entourage ? Mes parents n'approuvent pas cet engouement pour la danse, ils estiment que c'est une perte de temps. D'après eux j'aurais du devenir vétérinaire et pratiquer de temps en temps la danse en temps que loisir..

→ Est ce que vous sentez soutenue dans vos choix par votre famille et vos amis ? Pas vraiment, mais ils ne m'ont pas lâchée pour autant. J'ai décroché un poste d'assistante vétérinaire pour financer ma vie à Londres, donc ils sont satisfaits quand même d'un côté.

→ Bien, nous continuerons la semaine prochaine si vous voulez bien, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez un souci d’horaire.