AN ⊹ miss Nothing.

« Papaaa ? Tu sais où est mon portable ? » J'enjambe mon lit et dévale les escaliers de la villa en débardeur, petite culotte et chaussettes hautes. « PUTAIN 'paaaaaa t'es où ? J'vais être à la bourre ! Qu'est-ce que tu f... ARG nan ! » Je m'arrête brutalement et pose ma main sur mes yeux. Mon illustre géniteur roule allègrement des pelles à son fiancé, tous deux en peignoirs un gars/un gars dans la cuisine. « Pas dès le matin par pitié. » Je les entends rire, je lève les yeux au ciel et gueule « MON. TELEPHONE. Tu sais où il est ? » Il secoue la tête et hausse les épaules tout en approchant son mug de café de ses lèvres. « J'l'ai perdu bordel, fait chier. » Je retourne en courant vers ma chambre et crie « Ce soir m'attendez pas tôt, je vais m'en acheter un autre. Papa tu peux me filer du fric toplé ? » Sans attendre sa réponse, je claque ma porte et termine de m'habiller. Un mini-short en cuir et un vieux gilet troué, je suis l'exemple de la fille grunge par excellence. Pourtant, rien dans mon placard ne coute moins de cent livres -à part peut être mes chaussettes. Tout est soigneusement choisi, taillé à la perfection dans des matières douces, solides et légères. Populaire, riche, jolie et avec un style affirmé, je peux me vanter de pas avoir la langue dans ma poche. Je prends mon sac et mon manteau à la va-vite et redescends en courant. « J'y vais, bonne journée p'pa, bonne journée Jim. » Je leur fais une bise et chope au passage les deux cents livres que mon père me tend. Ca devrait suffire, je ne râle pas. Le ciel est gris, l'air sec et glacial. Je serre mon manteau autour de moi et entre rapidement dans ma voiture flambant neuve, cadeau de mon père pour fêter mon permis obtenu du premier coup. Je traverse lentement notre quartier résidentiel, musique à fond et première clope du matin au bec. J'emmerde les vieux et leurs plaintes sur mon comportement. Comme dit papa « C'est les plus gênés qui s'en vont. »
Je me gare devant le lycée en retard, comme d'habitude. Mais j'ai philo ce matin, pas la peine d'y aller en première heure. Je me hisse sur un muret et allume une autre cigarette. Une surveillante passe en me lançant un regard suspect. Sans baisser les yeux, je la suis du regard. Soyons désinvolte, n'ayons l'air de rien. J'emmerde les pions et leurs rapports. Derrière moi, j'entends piailler. Manquait plus que ça. Janet Johanson, cette putain de pimbêche, arrive entourée de son troupeau de dindes. Je hausse un sourcil en la voyant discuter avec animation d'une chose que je trouve totalement inintéressante. La pauvre fille s'imagine qu'elle mérite le titre de reine du lycée. Pas que j'en ai quelque chose à foutre, mais mon orgueil me pousse à la contrarier chaque fois que je la croise. Elle se tourne vers moi et me lance sèchement  « Nixon, avant que tu te ridiculises, je t’offre une chance de te taire. » Tiens donc. Je hausse un sourcil à moitié étonné. Je laisse passer de longues secondes, la détaillant de la tête aux pieds, et finis par lâcher « Hinhin. » Avant de me retourner sans plus de commentaire. Je la connais, plus que tout, Janet Johanson déteste qu'on l'ignore. Ca va la rendre folle et c'est là mon activité favorite. Enfin elle et ma mère. Ma tendre maman, celle qui est censée me donner le bon exemple. Je lève malgré moi les yeux au ciel. J'ai choisi de vivre avec mon père parce que j'en avais assez de ses beuveries incessantes. Car oui, non seulement maman est une divorcée chronique, mais elle est également alcoolique. Et après elle se demande pourquoi je suis une ado rebelle... Elle se doute pas une seconde que c'est en grande partie de sa faute. Voilà que Johanson repart à l'attaque, d'une voix un peu tendue qui me fait sourire. « Pas si bête la guêpe, elle a préféré garder sa dignité plutôt que s’attaquer à nous » Je pousse un soupir qui en dit long avant de lâcher d'un air totalement blasé « C'est toi qui parle de dignité alors que tu te montres jamais sans tes pintades, donc le QI ne dépasse pas celui d'un banc d'huîtres ? Laisse-moi rire. C'est pas en évitant de m'attaquer à vous que je garde ma dignité, c'est en m'arrangeant pour que personne me voit vous faire la conversation. » Je secoue lentement la tête sans lâcher la peste du regard, puis lui tourne ostensiblement le dos pour terminer ma cigarette. « Les ‘pintades’ comme tu les appelles sont mes amies, je serai ravie de t’expliquer le concept un jour, je crois que tu n’es pas très familière avec le mot. Sur ce, je te laisse, je n’aimerais pas qu’on me voit avec toi… Enjoy la fin de ta clope et ton cancer ! » Je pouffe, méprisante. Je préfère encore rester seule plutôt que d'être entourée de genre de nanas stupides et superficielles. « Allez les filles, assez de temps perdu avec les trainées du coin ! » Je les entends s'éloigner en cancanant, je m'autorise enfin à m'avachir un peu, tout de suite plus détendue. Brillant départ pour cette journée...
A peine sortie du lycée, je m'allume une cigarette. La journée a été longue, et je suis accro à la nicotine depuis déjà trois ans et demi. Bien que je sèche la plupart de mes cours, j'ai de bons résultats. J'ai choisi une filière littéraire parce que c'est ce qui me semblait le plus adapté pour quelqu'un qui n'aime pas bosser. Je reprends ma voiture et prends la direction du centre. Mon téléphone m'a moins manqué que je le pensais aujourd'hui, mais je pense pas pouvoir m'en passer une journée de plus. Je gare la berline sur le long du trottoir et me penche vers la boite à gants pour en sortir mon porte monnaie et... Putain. Et mon téléphone. Je ris toute seule. Quelle conne je suis ! Mais bon, maintenant que j'y suis... Je me mets donc à déambuler dans les rues à la recherche d'un moyen de dépenser mon argent quand tout à coup... Une animalerie. Un petit sourire aux lèvres, je m'y engouffre. Je suis comme une gamine au milieu de toutes ces bestioles. Chats, chiens, reptiles, piafs, rongeurs, poissons... Je pense bien que je vais craquer. Qu'est-ce qui rendrait maman tarée ? Un serpent ? Un iguane ? Je croise finalement le regard d'un rat roux qui a le même nez qu'elle. Je hèle un vendeur « Je le prends, lui là. C'est un mâle ? Parfait. Je vais l'appeler Howard... Howie, c'est parfait. » Je ris encore de la ressemblance entre l'animal et ma mère. Une fois le nécessaire acheté, cage XXL, alimentation, litière, jeux, je pose la bête sur mon épaule et envoie un sms à ma génitrice, le premier depuis quelques semaines. J'ai une surprise pour toi.

→ Mais je t'en prie, assieds-toi donc... Tu tombes bien, je reprendrais bien un... un verre. Tu me l'offres ? T'as de la chance, je viens d'avoir mon argent de poche. Je prends un gin fizz et toi ?

→ Une triple vodka pour moi, de façon au point où j'en suis tu sais, je suis plus tellement à ça près. Et puis de toute façon, ça aide à voir les choses plus belles, tu crois pas ? Si, j'suis bien d'accord. Ca permet d'oublier ses problèmes quelques heures.

→ Je bois souvent, moi, il faut croire que les choses ne sont pas si belles dans ma vie de tous les jours... Je crois que c'est à cause de l'amour, quelque chose comme ça. T'as déjà été amoureux, toi ? Non jamais, je suis trop jeune pour ça. Je suis même trop jeune pour être ici hahaha !

→ Moi je suis amoureuse de mon professeur de psycho qui n'est plus mon professeur mais entre nous, c'est impossible. Un peu comme Romeo & Juliet, d'ailleurs, ce qui est assez drôle mine de rien. Tu fais quoi dans la vie, sinon ? Moi je suis toujours au lycée, en filière littéraire option arts. J'ai le look pour ça nan ?

→ Oh c'est drôle ça. Enfin non, d'ailleurs, pas tellement. Moi je suis actrice, ça c'est drôle tu trouves pas ? Tu veux un autographe ? Pourquoi pas, si t'as raison ça se revendra cher plus tard...

→ Je crois que je vais t'embrasser maintenant, j'en ai vraiment trop envie. Non en fait, j'en suis sûre, tiens. T'embrasses bien, ça va. Tu viens souvent ici ? Parce que j'ai l'impression que c'est la première fois que je te vois, et pourtant je suis une habituée. Je viens pas souvent non, d'habitude je vais directement en boite sans passer par les bars.

→ Je vois. Mais, tu es venu tout seul ou tes amis sont dans le coin ? T'as des amis, pas vrai ? Si j'ai des amis ? Je suis la fille la plus populaire de mon lycée, un peu que j'ai des potes !

→ Et en dehors de tes amis, tu es célibataire ou pas ? Ouais, je tiens à ma liberté à ce niveau là... J'aime avoir le choix.

→ D'accord. Et tu vis chez tes parents ou tu as ton propre appartement ? Je vis chez mon père, qui est vraiment super cool. Je sais que ça a l'air nul mais c'est toujours mieux que d'être avec ma mère. Elle c'est une hystérique psycho-rigide.

→ Super, on peut aller chez toi alors ? Ca marche, mais on prend un autre verre avant !