INTRIGUE : prière de rester assis à votre place et d'attacher votre ceinture

Mon voisin ronfle. Et depuis beaucoup trop longtemps à mon goût. Je suis sûre qu’il ronflait déjà dans la salle d’embarquement. Je soupire et lui donne un léger coup de coude, tout en arborant mon air le plus innocent. Mais ma tentative se révèle inutile puisqu’il ne bouge pas et ronfle même encore plus fort. Je lève les yeux au ciel, tournant les pages de mon magazine avec agacement. Je n’ai jamais trouvé un vol aussi long. Pourtant Paris-Londres, ça ne devrait pas être désagréable. Sauf quand son voisin se met à ronfler dès qu’il s’est posé dans son fauteuil. Je regarde autour de moi, à la recherche d’un peu de compassion, voire de quelqu’un avec qui je pourrai faire la conversation pour passer le temps et oublier, un instant, ce désagrément. Mais j’ai l’impression que tous les passagers de cet avion ont pris l’option sommeil avec leur billet. A croire, qu’ils ont tous prévu de faire la sieste en prévision d’une nuit interminable. Peut-être que je devrais faire pareil… et puis non ! Je suis encore jeune et jolie, je n’ai pas besoin de faire la sieste pour être en forme ce soir. J’ai tellement hâte d’ailleurs de faire la fête. Ronnie m’a donné envie avec ses projets pour ce soir et je suis impatiente de voir où elle va m’emmener. Ca va me faire finir les vacances en beauté. J’ai eu de la chance que Nancy m’accorde une semaine. Elle se l’est accordée aussi mais rien ne pouvait laisser présager qu’elle nous laisserait quelques jours de congés. Après tout, il y a encore plein de choses à faire pour la prochaine émission, la toute première de cette nouvelle année. Je frissonne d’excitation et souris comme une idiote. Finalement, malgré quelques débuts difficiles, et un mauvais jeu de rôle qui finira bien par se terminer un jour, tout se passe bien. Ma mère a encore émis quelques doutes concernant mon travail mais j’ai l’impression qu’elle se fait à l’idée. Enfin, ça ne l’empêche pas d’être toujours énervante. Heureusement, pour une fois étonnamment, nous n’étions pas à Edimbourg. J’ai pu échapper aux disputes qu’impliquait forcément mon séjour chez mes parents. Visiter Paris à cette époque de l’année est autre chose et c’est la bonne excuse pour échapper à ma mère. Mon voisin se retourne vers moi et ronfle dans mon oreille, me faisant sursauter. Je grogne et lui donne un coup plus fort. Je regretterai presque de ne pas avoir un enfant qui s’extasie sur le fonctionnement d’un avion. Je soupire de plus belle quand des secousses se font sentir. Je sursaute et m’accroche à mon siège. Les lumières s’éteignent d’un coup, nous laissant dans le noir. Certaines personnes commencent à paniquer, réveillant mon voisin. D’autres secousses se font également sentir, faisant tomber les nombreux sacs qui remplissaient les porte-bagages au-dessus de nos têtes. Je retiens ma respiration, à la recherche d’un regard rassurant. Ce vol est censé être calme et tranquille. Les hôtesses commencent à crier de bien rester calme et à sa place. La cabine tremble pour la troisième fois et mon voisin jure en français. « Que se passe-t-il ? » hurle un homme dans l’avion.  Je n’aime pas ça du tout.

Je ne sais toujours pas ce que je fais là. Ce voyage à Paris était une mauvaise idée –pour ne pas dire un désastre –mais Dieu merci il touche à sa fin. Je me retourne vers un Hayden paisiblement endormi. Cette escapade dans la capitale synonyme de raffinement et d’élégance était pour lui. Il mourrait d’envie d’y retourner, la dernière fois remontant à l’époque où il était encore reconnu pour son talent. Sa nouvelle productrice, cette Aliyah Coolidge, fait beaucoup pour lui et le fait qu’elle s’intéresse à sa carrière lui met du baume au cœur –mais elle n’est pas aussi influente que son frère jumeau, elle n’a pas autant de pouvoir dans l’industrie de la musique. Je le sais, Hayden le sait et il est aussi conscient que ses efforts ne changeront jamais rien à son passé, qu’ils n’effaceront pas les scandales dans lesquels il a été mouillé. Ce genre événements restent profondément ancrés dans la mémoire des gens –et en parlant de ça, nous avons de plus en plus de mal à donner le change. Peu de personnes croient encore à notre couple. En raison de mon emploi du temps et des heures qu’il a dû passer en studio, nous nous sommes faits relativement discrets ces dernières semaines et les rumeurs vont bon train. Certains crient au coup monté, d’autres à la rupture, sans parler des mauvaises langues qui parlent de « tromperies ». En temps normal, ce genre de ragots m’aurait fait sourire –à la différence près que cette fois, il en va du futur de mon meilleur ami. Si j’ai accepté de jouer la comédie en premier lieu, c’était avant tout pour lui permettre de regagner un semblant de crédibilité. Aujourd’hui, je l’admets volontiers, je me suis lassée de ce petit jeu. Même si je n’ai jamais été très douée pour les relations de couple, j’aimerais avoir la chance de rencontrer la bonne personne –et pourquoi pas même de me poser, définitivement. Papillonner et multiplier les aventures sans lendemain est un moyen comme un autre de passer le temps, mais je ne pourrais pas toujours m’en contenter – arrivera un moment où ça ne me suffira plus. Je le sais, je le sens… Mais il ne s’agit pas de moi, n’est-ce pas ? Ni même de mon désir de mettre un point final à cette mascarade. Hayden est mon meilleur ami, la personne la plus importante dans mon existence et temps qu’il aura besoin de moi, je serais là. On passe peut-être notre temps à se balancer des vacheries au visage, il n’empêche que pour lui, je serais capable de tout. « Tu te réveilles enfin marmotte ? » Il se redresse brusquement. Les traits tirés, il a l’air contrarié. « Mon Dieu, ce que tu peux être laid ! T’as une mine effroyable ! » Hayden me fusille du regard. « Tu t’es déjà vu dans un miroir ?! J’suis crevé c’est tout alors t’es mignonne, mais on jouera à se prendre le bec une autre fois, j’suis pas d’humeur ! » Il grogne. Encore et toujours, il grogne. « Calm down touchy ! Si c’est pour être aussi désagréable, tu ferais bien de te rendormir ! » « Et comment tu veux que j’dorme dans de telles conditions ?! » C’est vrai que c’est déjà la troisième secousse. Il se passe quelque chose d’anormal. L’hôtesse regagne sa place et boucle sa ceinture. Etrange. Surtout quand on sait qu’elle n’a pas annoncé d’atterrissage imminent. Des gens se mettent à crier. Bordel de merde ! On va quand même pas crever dans un avion ? Pas le soir du nouvel an ? Pas comme ça ?! Je me lève brusquement de mon siège et me dirige d’un pas décidé vers l’hôtesse. « Madame, regagnez votre place et attachez-vous s’il vous plaît » s’exclame-t-elle d’un ton ferme. « Je ne ferais rien temps que je ne saurais pas ce qui se passe ! » « Madame s’il vous plaît… » Je reconnais alors le visage de mon assistante. « Bonnie ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Décidément, elle est partout celle-là…

Okay, je ne suis pas du genre à paniquer facilement et pour un rien mais là, je ne suis pas très rassurée. Un voyage en avion entre Paris et Londres doit être le voyage le plus simple du monde, alors POURQUOI je ne suis pas rassurée et y a-t-il autant de secousses ? Je ferme les yeux un instant, essayant de me concentrer mais maintenant que les enfants et leurs parents hurlent comme si c’était la fin du monde, ça ne fonctionne pas très bien. Je n’ose pas lâcher les accoudoirs pour le boucher les oreilles. Je gémis en sentant une autre secousse et rouvre les yeux. Les hôtesses tentent de rester calmes et je suis admirative de leur professionnalisme dont elles peuvent faire preuve en ce moment. Je pense que j’aurai depuis longtemps perdu mon sang-froid, à cause des secousses et des hurlements incessants des passagers. Une femme passe à coté de moi et se dirige droit vers l’hôtesse. Ça y est, l’anarchie est en place ! Si les gens commencent à se lever, on ne va pas s’en sortir. Et comment ose-t-elle quitter son siège alors que tout le monde hurle à la mort, croyant que l’avion risque de s’écraser à tout moment. « Madame, regagnez votre place et attachez-vous s’il vous plaît » « Je ne ferais rien temps que je ne saurais pas ce qui se passe ! » « Madame s’il vous plaît… » Oh fuck. Je connais la voix de la femme. Je me penche pour mieux la voir et me redresse immédiatement sur mon siège. Que fait Nancy dans cet avion ? « Bonnie ? Qu’est-ce que tu fais là ? » Double fuck. Je soupire. « Nancy je ne crois pas que ça soit le moment d’avoir cette conversation. Vous ne voulez pas aller vous rasseoir et quand on aura atterri je pourrai vous raconter mes fabuleuses vacances à Paris ! » Je lui offre un grand sourire mais je ne suis pas sûre qu’elle apprécie. Une nouvelle secousse et une annonce du pilote interrompent cette merveilleuse conversation avec ma patronne qui a l’air, décidément, ravie de me voir. « Chers passagers, ici James Abbot, pilote de ce boeing 747. De vents violents qui se sont levés sur la capitale aux alentours de 19h30 nous empêchent d’atterrir. Veuillez rester patients et à votre place, en attendant plus d’informations ! Ne vous inquiétez, vous serez chez vous et en bonne santé pour le passage à la nouvelle année. » Les hurlements cessent, laissant place à une rafale de questions inutiles. Je suis plus ou moins rassurée. « Madame !! Maintenant retournez à  votre place ! » Je remarque que Nancy est toujours à mes côtés, s’accrochant comme elle peut lors des secousses aux sièges alentours.