RP ◊ We're all mad here

   Reese tendit l’oreille, pour vérifier qu’elle était bien la seule éveillée, dans la maisonnée. Si ses parents la découvraient à une heure aussi avancée de la nuit devant l’ordinateur familial, alors qu’elle se levait à sept heures, demain matin, pour aller en cours, elle allait se faire défoncer. Encore plus si sa mère apprenait qu’elle parlait à des inconnus, bouuuuh oulalala, des horribles violeurs psychopathes derrière leurs écrans, sur le forums sur lesquels elle était inscrite ! Forcément, elle était pas au courant. Non mais n’importe quoi. Des tarés, y’en avait tout les jours dans la rue, hein, et ça l’empêchait as de sortir. Elle était pas conne non plus, elle faisait quand même au minimum attention avec qui elle discutait, ou alors, elle arrêtait de leur parler tout court, et basta. C’était ça qui était quand même bien pratique d’être peinard, dans sa chaise chez soi, à rencontrer des gens sur internet. T’en a ras le cul ? Next !

Et puis franchement, fallait en avoir envie de parler avec des gros pervers dégueulasses, limite elle avait honte que sa vieille puisse imaginer ça ! Elle allait bientôt avoir quatorze ans, et tu sais pas quoi, elle se disait que la prochaine fois, si sa mère lui faisait encore la remarque, elle ne manquerait pas de lui dire que c’était pas avec ses nichons à peine formés et avec l’un plus gros que l’autre en prime, qu’il allait lui arriver grand chose derrière sa webcam ! Grosse parano relou bonjouuuuur !

Il n’y avait que l’écran de l’ordinateur pour éclairer la petite pièce exiguë, mais c’était bien suffisant. Cela faisait plusieurs fois en moins d’une minute qu’elle actualisait la page, en lisant, sans vraiment les voir, les noms des différentes catégories du forum. Elle observait aussi la liste des personnes connectées sur le site, et en lisant le pseudo de l’une d’entre eux, son cœur fit un bond dans sa poitrine.

Elle connaissait par cœur la commande de touches, pour rafraîchir la page. Une fenêtre pop up lui annonça qu’un nouveau message privé venait d’arriver sur son compte. Elle sourit en lisant le nom de l’expéditeur CalamityCassie, qui la gratifia en début de message, du propre surnom qu’elle arborait sur le forum :

« Salut Cheshire ! »

La nuit ne faisait que commencer.

   Elle courrait, elle courrait, évitant avec une justesse frisant l’insolence, les balles, toutes tirées dans sa direction. Seule contre tous, voilà ce qu’elle était. Pour ne pas changer, songea t-elle, mais elle allait les éliminer un par un. Enfin, quand elle pourrait, car l’heure était plutôt à une planque où elle pourrait reprendre des forces avant de passer à l’assaut. Elle prit son élan sans réfléchir, sauta dans le vide, elle n’avait pas le choix de toute façon. Ca criait dans une langue qu’elle ne connaissait même pas dans son dos, et dégaina son piolet accroché à sa ceinture pour l’enfoncer dans la roche en face d’elle pour trouver tant bien que mal un point d’appui. Elle finit de cette façon les derniers mètres qui la séparaient d’une nouvelle plate-forme. Elle pouvait déjà les apercevoir, d’autres l’attendaient pour lui faire manger la poussière sitôt qu’elle aurait grimpé. Elle hésita une fraction de seconde, car de toute façon, elle ne pouvait pas faire marche arrière. Elle se hissa, dégaina son fusil à pompe pour tirer à son tour, sans aucune pitié. Malgré son agilité, elle était quand même touchée à plusieurs endroits, sa vision commençait à se troubler pour devenir noir et blanche…

On lui donna le coup de grâce et elle s’étala sur le sol. Trop tard.

- Pauv’ conne ! Ne put s’empêcher de s’emporter Reese. De rage, elle jeta la manette de sa console un peu plus loin devant elle sur le lit.

Parce que malgré sa colère éphémère, elle n’était pas folle – piquer une crise de nerfs, même si elle en avait très très trèèèès envie là, maintenant, tout de suite, aurait équivalut à endommager son matos et ne plus pouvoir jouer ensuite. Elle n’était pas encore inconsciente à ce point.

- Reese, ça va peut être aller les gros mots à longueur de journée ?! Sa mère étant passée dans le couloir au même moment venait d’ouvrir sa porte à la volée, l’insulte de trop étant malheureusement parvenue à ses oreilles.

Non, non, mais vraiment, non, ça n’allait rien faire pour arranger son humeur, massacrante désormais. Elle ne prit même pas la peine de lever les yeux dans sa direction, se contentant de récupérer sa manette pour relancer sa partie. Ca faisait plusieurs fois qu’elle essayait d’aller au bout de ce passage, sans succès, mais impossible, c’était trop dur. Elle était sûre que c’était putain de irréalisable, et qu’est-ce que ça pouvait faire chier aussi ! Après cette foule d’injures prononcées intérieurement cette fois, elle se contenta de répliquer avec négligence :

- Oh mais ouais, c’est bon. Ca va aussi hein. De toute façon elle partait du principe que s’énerver quand on jouait aux jeux vidéos, c’était inévitable. Pourquoi ? Ca arrivait systématiquement à un moment où à un autre, mais ça, sa mère n’avait toujours pas compris visiblement.

- Et puis tu peux pas faire ton lit et mettre un autre tee-shirt que celui là qui traîne depuis des jours ?! C’est plus possible, ça va devoir changer. Ca va changer Reese, tu vas devoir te bouger et tu vas pas avoir le choix, tu vas voir ! Quand elle s’agaçait, la voix de Madame Peters se faisait plus rapide, sèche et aigue, comme si le fil de ses cordes vocales s’était tout à coup tendu. Tu vas avoir des surprises, et faudra pas venir t’étonner ensuite !

La concernée se contenta de ne pas répondre, préférant filtrer les informations qui l’ennuyaient, comme c’était le cas en ce moment. Elle lui répondit, dans sa tête une fois de plus, qu’elle l’emmerdait à chaque fois à répéter ces conneries, et pourtant, elle était toujours ici, preuve que ça devait pas trop la déranger que ça finalement, alors qu’est-ce qu’elle venait lui faire ce genre de remarques encore ?! Il valait mieux que Reese la ferme pour une fois, sinon sa mère allait surenchérir, et elle, elle n’allait pas pouvoir s’en empêcher non plus, parce que la blonde aimait avoir le dernier mot. Ca dépendait de son état d’esprit, parfois elle s’emballait tout de suite parce qu’elle avait le sang chaud, parfois sachant d’avance l’issue d’avance, elle préférait s’éviter des crises de nerfs supplémentaires. Et comme là c’était pas trop le moment, franchement elle avait bien la flemme de se lancer dans un débat comme celui là.

La plus vieille des deux Peters finit par quitter la pièce, mais laissa toute la tension qui s’était accumulée dans la pièce. Bon sang, mais ses deux frères, tous deux plus âgés qu’elle, avaient bien eu raison de se casser de la maison, au moins y’avait personne pour venir les souler parce que t’avait trois pauvres chaussettes qui traînaient par terre ! Ca va elle vivait pas dedans, qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire à sa mère aussi ?! En plus, elle pouvait parler, elle bossait même pas, et passait ses journées à la maison à faire le ménage et à venir lui casser les noises accessoirement, quand elle s’ennuyait trop dans sa petite vie toute relou !

Mais souvent, comme dans le cas présent, elle se disait que ouais nan, c’était cool d’avoir son propre appart’ et tout, surtout pour faire des soirées avec ses potes, mais ce qu’elle avait actuellement lui convenait tout aussi bien, même si sa mère piquait des crises de temps en temps, c’était pas assez non plus pour la faire quitter sa piaule. En plus cet aprèm pour le goûter, y’avait du cheesecake, elle l’avait vu tout à l’heure, quand elle était allée chercher sa bouteille de coca dans la cuisine. Petite précision aussi, son père avait bien gagné assez d’argent avec son métier d’orthophoniste pendant une vingtaine d’années pour elle, c’était bien qu’il pouvait le faire encore un peu plus longtemps hein. Ses journées, c’était comme celle d’une ado, mais en vachement mieux : déjà, elle avait plus cours donc elle faisait ce qu’elle voulait de ses heures de libres, donc ça voulait dire trainer dans son lit jusqu’en début d’après midi, quand elle jouait pas à la Playstation. Ou organiser des journées shopping avec ses copines pour trouver la tenue parfaite pour le mec – souvent différent – avec qui elle allait sortir le soir et qu’elle allait charmer ostensiblement pour qu’il lui paye des coups à boire toute la soirée. Elle découchait souvent pour finir dans le lit de l’heureux élu à la place, mais ses relations ne duraient jamais bien longtemps en général. Bof, pas envie. Ensuite, sa mère avait beau dire, de son côté, elle était totalement dépassée par la situation et la laissait vivre comme elle l’entendait, parce qu’en même temps, elle était adulte maintenant, elle faisait ce qu’elle voulait ! Franchement, elle allait pas se casser la tête à aller gagner de l’argent pour casser la croûte alors qu’elle avait tout ce qu’il faut ici ! Elle avait pas le temps, en plus. Elle avait déjà bien assez à faire avec cette sale connasse qui… Sérieux, elle s’était encore laissée zigouillée ??! Oh et puis c’est bon ils lui tiraient tous en même temps aussi ! C’est quand qu’on lui laissait le temps d’attaquer à son tour ???

C’était là sa banale petite vie dans laquelle elle s’était confortablement installée, et elle n’allait certainement pas sortir de sous la couette, parce qu’elle ne s’en plaignait pas bien au contraire. Elle n’était jamais vraiment sortie du lot, mais ça ne l’empêchait pas de dormir sur ses deux oreilles, elle s’en foutait, elle était en accord avec ses principes et ce qu’elle faisait, parfaitement épanouie dans le petit confort d’existence qu’elle s’était construit, petit à petit.

Y’avait peut être juste sur ça qu’elle se sentait légèrement supérieure aux autres, et ils étaient bien assez cons pour pas s’en apercevoir : quand ses vieux préparaient leurs valises quatre jours à l’avance quand ils partaient en vacances chez ses grand parents, elle décrétait un beau matin qu’elle allait sortir en ville pour s’acheter deux ou trois nouveaux jeux avec la tune qu’elle n’avait pas – qui ne lui appartenait pas vraiment surtout – dans la boutique du coin. Puisqu’elle n’avait jamais voyagé plus loin qu'en Grande Bretagne, qu’au moins elle puisse se rendre à Paris pendant la révolution française comme le lui promettait le boitier qu’elle tenait entre ses mains.