Let's have a drink ♦ Caleb & Vianney

En y réfléchissant bien, des raisons de sombrer dans la dépression, la drogue, l’alcool, Caleb en avait eu. Des mauvaises surprises, des lendemains difficiles, des imprévus. Il aurait pu péter les plombs plein de fois, foutre le camp plein de fois aussi. Il y avait eu quand Sara était tombée enceinte bien trop jeune, quand il avait son boulot de merde où il se faisait insulter sans arrêt et qui lui ramenait quelques pièces de monnaie, assez pour changer des couches. Bref, c’était tout ce qui était loin d’être une vie rêvée, et pourtant, ça n’avait pas trop mal marché jusqu’à ce moment là. Il s’était toujours demandé quelle était la limite pout lâcher prise, et s’il y en avait vraiment une puisqu’il ne l’avait jamais franchi, quand il voyait ou entendait les autres glisser dans ces méfaits qui devenaient ensuite des addictions. Et puis ça lui était arrivé, très simplement.

Il regarda son reflet au travers de la bouteille de bière qu’il tenait à la main. Est-ce qu’il était alcoolique ? Non, telle fut la première pensée qui lui vint à l’esprit.  Il pouvait arrêter quand il en avait envie. C’était en tout cas l’illusion qu’il en avait. Quand il était sous l’emprise de l’alcool, tout lui paraissait plus doux et plus simple. Tout était bien plus facile. C’était pour ça qu’il buvait ; et qu’il recommençait. Ainsi, Lisa n’avait comme jamais existé. Presque. Il ne ressentait plus le malaise persistant qu’il y avait dans l’appartement. Ce qui était d’autant plus bizarre que Sara, sa meuf, restait enfermée H24 dans leur chambre, et qu’il ne la croisait plus. Quand c’était le cas, elle était aussi livide qu’un ombre, indifférente. Au début, il avait essayé de se rapprocher, mais avait vite lâché l’affaire de toute façon puisqu’elle n-le repoussait à chaque fois. Et puis de toute façon, est-ce qu’il en avait vraiment envie ?

C’était pour elle qu’il avait toutefois décidé de se rendre à cette réunion à la con. Elle ne lui avait jamais demandé, mais quelque part, ça lui donnait bonne conscience. Parce que c’était ce qu’il fallait faire. Sûrement. Il entendit quelques bruits sourds dans la pièce d’à côté, signalant que Sara était peut-être sortie hors de son lit. Dans le doute, il préféra ne pas attendre de voir si elle était dans son bon jour pour mettre un pied dans le salon, attrapa sa veste à la va vite, et claqua la porte derrière lui. Il vagabonda un peu dans les rues de Londres sans objectif fixe jusqu’à arriver à son lieu de rendez-vous, ou en plus, il était arrivé le premier. Super. On allait croire qu’il y attachait de l’importance, en plus de ça. Il était en train de jouer mollement avec la fermeture éclair de son manteau, lorsqu’un autre participant débarqua à son tour. « Salut, lui dit-il simplement, avant de reprendre son occupation première. Il y eut d’abord un silence de plusieurs instants, qui ne tarda pas à se prolonger. T’es déjà venu avant ? Ca dure combien de temps ? Ouais, finalement il se demandait si c’était une bonne idée qu’il avait eu de se pointer ici, parce que putain, qu’est-ce qu’il avait pas envie d’être là, à écouter des gens avoir envie de s’en sortir. C’était bien pour eux, hein. Mais lui, il n’avait pas envie de se faire emmerder. Ca se passe comment ? » il avait déjà une idée préconçue du truc, mais l’espoir qu’au fond, ça n’y ressemble pas.

Caleb regretta presque instantanément d’avoir ouvert la bouche. Il ne voulait pas discuter badiner, ou que sais-je encore, avec un illuminé qui serait là pour lui prétendre qu’il avait fait le premier pas, et le bon. C’est bon c’est bon, on savait, merci. Il voulait juste des réponses à ses questions, le reste, il en avait rien à foutre. Il espérait que le mec soit sur la même longueur d’ondes. Au pire, si jamais l’autre se plongeait dans un monologue interminable, il pouvait juste prétendre écouter en acquiesçant de temps en temps, et voilà. Ca ne lui paraissait pas trop mauvais comme plan. Cela faisait quelques semaines qu’il était devenu lunatique, passant d’un état à un autre, d’une volonté à une autre. Lorsqu’il était seul, il avait le sentiment qu’il lui manquait quelque chose. Dès qu’il se retrouvait en présence d’une seconde personne, il n’avait qu’une envie, qu’on lui lâche la grappe. Il ferma les yeux quelques instants, en espérant peut être être téléporté dans un autre endroit. Ou ça ? Il ne savait pas vraiment lui même, juste ailleurs, quoi.

Et puis quand l’autre se décida à parler, ce n’était pas pour lui apporter de bonnes nouvelles. Finalement, à l’observer de plus près, il avait l’air aussi heureux que lui d’être là, ce qui en un sens le rassura légèrement. Il n’était pas trop dans le mood de voir des gens respirer la bonne humeur d’être enfin au bout du tunnel, quand il était lui-même totalement embourbé dedans. Pour l’instant, en sortir lui paraissait très compromis. Okay, vraisemblablement, l’autre n’était pas plus avancé. Au moins il n’était pas complètement illuminé, ce qui était un bon point. Les questions étaient toutes simples, mais il y eut un amoncèlement de pensées, brutalement, et répondre à ces basiques lui semblaient insurmontables. Il avait ce flashback des derniers moi, les dernières années, les bons comme les mauvais moments en train de se mélanger dans un horrible melting pot, qui sentait mauvais, si vous voulez mon avis.

« Ah ouais ? Ouais, moi aussi, c’était plus ou moins vrai. Plus moins que plus, mais sûrement que ça ferait plaisir à Sara, il s’était dit. Elle arrête pas de piquer des crises… Bref. Il coupa soudain court. Entrer dans les détails signifiaient fournir des explications. La dernière chose qu’il voulait, c’était de penser à Lisa. Trop tard. C’est ça, et maintenant, je me dis que c’est une mauvaise idée. J’ai pas envie d’avoir le rôle du type déglingué d’un mauvais film du mercredi après midi ». Ironiquement, il vit très bien à quoi pouvait ressembler la scène, devenant le troisième acteur, qui voyait tout, avec son regard extérieur. S’il avait eu le choix, nul doute qu’il aurait zappé la chaîne sur laquelle il était par mégarde tombé.

Peut être que c’était le terme qui, psychologiquement sans le savoir avait un effet sur lui. Ouais, c’est ça. Le côté conscient luttait en se répétant que c’était de la grosse grosse connerie, alors que l’autre, celui qui dormait paisiblement, ou alors le faisait croire sentait un filon qu’il y vit à exploiter. Car dans alcoolique anonyme, il y avait anonyme. Ce type à qui il causait là, il n’allait jamais le revoir. A partir de là, il pouvait bien raconter n’importe quoi, qu’est-ce que ça pouvait faire, hein ?

« C’est comme d’hab, ça veut tout dire et rien dire, commenta t-il platement, dans un léger haussement d’épaules. Au fond des gens qui voulaient s’en sortir, il y en avait peu- être. Surement même. Il voulait que l’attention se concentre sur eux. Ouais je l’ai vu. C’est triste, poursuivit-il sur le même ton, avant de laisser vagabonder ses idées ailleurs. Il y avait d’autres gens pour arriver dans la salle, ce qui lui occupa momentanément l’esprit, jusqu’à l’arrivée de celle qui présidait le truc. Trop tard. Il avait mis trop longtemps pur décider ou pas de se casser. Il eu un sourire lorsqu’il l’entendit l’autre grommeler à nouveau. Il devait surement avoir eu la même idée que lui. L’amusement fut cependant d’une courte durée, la meuf demanda aux nouveaux venus de se présenter, le tout avec une expression encourageante. Salut, dit-il encore une fois, mais cette fois ci, à tous. Et petit geste de la main au passage. J’suis Caleb j’ai 28 ans. Ouais c’était vraiment aussi débile que dans les films. Il poussa un profond soupir. La meuf lui demandait de continuer. Il n’en avait pas envie. En gros, c’était le moment d’enjoliver les choses. Ça fait plusieurs semaines que ça dure cette histoire du coup j’aimerais bien essayer d’enrayer les choses avant que ça s’aggrave. »

Il avait dit les mots magiques, ou du moins suffisamment pour satisfaire l’appétit de la gonzesse en matière de déprime et elle put continuer son tour de table. Il ne participa que vaguement à la séance, c’est à dire en écoutant ce qu’il s’y passait de temps à autres, quand lui même n’était pas empêtré dans ses pensées. Il fut les des premiers à s’éjecter de la salle, et fruit du hasard ou pas, il retomba sur l’inconnu, à la sortie du bâtiment. Ironiquement, il avait presque maintenant l’impression que c’était son meilleur pote dans cette galère de merde. « T’as une clope ? » l’interrogea-t-il. Il avait terminé la dernière tout à l’heure, pour passer le temps en arrivant jusqu’ici.

C’était bien. Ouais au fond, c’était bien, s’il y avait au moins des gens dans l’assemblée pour croire à ce qu’ils disaient. Il écouta au début, mais son oreille devint bientôt inattentive, ses pensées faisant de toute façon plus de vacarme, que les bonnes paroles de ses congénères. Peut être que tout aurait été différent, s’il avait été dans ce même état d’esprit. Peut être même qu’un jour, il allait être dans le même état d’esprit, et là, ce serait la lumière au bout du tunnel. C’était pas pour tout de suite, et il le savait, du coup, faire le moindre effort, il en voyait pas l’intérêt. Au moins, maintenant, il en était sûr, il foutrait pas les pieds ici avant un bon bout de temps. Parfois, dans la discussion qu’entretenait les autres, il y avait un mot, une expression pour l’interpeller malgré tout, comme s’il se reconnaissait un peu là dedans. Le type avec il avait conversé juste avant, comme ça, il put retenir son nom par exemple. Mais ouais, voilà, comme toujours, il y avait une intonation qui le faisait flancher à chaque fois, et contre ça, personne n’y pouvait rien : l’espoir. Très honnêtement, comment avoir de l’espoir, hein, quand l’espoir de revoir le sourire de sa gamine un jour était mort et enterré, tout comme elle ? Ca lui filait presque la gerbe, putain.

A l’extérieur, la lumière du jour l’aveugla presque, et il cligna plusieurs fois des paupières, avant de les garder fermées quelques secondes, avant de s’habituer. Le contraste était assez ironique quand même. Il venait de passer une heure avec des gens dont la plupart étaient des déchets, même s’ils essayaient d’en sortir, alors que dehors, la vie continuait, et en avait absolument rien à foutre de leurs états d’âmes à la con. Ils étaient rien de plus que des poussières dans l’univers, et qu’ils aillent bien ou pas, finalement, ça changeait absolument rien. Alors, franchement, à quoi bon ? « Merci. Il l’alluma avec les gestes habituels, avant de porter la clope à ses lèvres. Fumer sa cigarette sans penser à l’après, ça c’était dans ses cordes. Ouais c’est sûrement pour ça que sa vie est chiante aussi, confirma t-il la remarque. Il laissa passer quelques secondes, avant de continuer. Je pense qu’en fait, elle s’en fout. Elle a d’autres trucs à penser. Ces réunions de merde, c’était du bonus. Est-ce qu’elle aurait salué l’initiative ? Elle était défoncée au chagrin et à la tristesse, quelque part, seule dans sa chambre, elle n’existait plus. Non, je reviendrai pas, d’autres trucs à faire. » C’était encore une autre forme de mensonge, plus ou moins.  C’est vrai qu’il avait d’autres trucs à faire, qui incluaient de ne pas être ici. Est-ce que c’était dans son intérêt à lui, ça restait à voir.

Il écrasa rapidement sa clope au sol, de la pointe de son talon. « Comme d’aller boire un verre. Il haussa les épaules, comme il le faisait souvent. Au fond, ça aussi elle s’en fout. Tu viens ? » il n’attendait pas vraiment de réponses. Oui ou non, ça n’avait pas d’importance, mais en tout cas, c’était proposé. Le mec, Vianney, n’était pas tombé sur la personne la plus motivée de la terre, mais en même temps, est-ce que c’était pas son cas à lui aussi ? On peut s’aider à se relever, mais aussi à se faire tomber. Ils étaient vraisemblablement dans le deuxième cas de figure.

« Ok. Accepta t-il sans la moindre résistance. Il ne releva pas non plus la remarque de Vianney, comme quoi il avait juste fait office de présence à cette réunion, et d’un regard extérieur, ça avait un petit quelque chose de comique. Caleb, lui, il en avait rien à foutre. Il n’était pas là pour juger de toute façon, sinon, c’était carrément l’hôpital qui se foutait de la charité. Il s’empressa de boire une gorgée de sa bière quand elle arriva. Quelle heure il était exactement ? Est-ce que c’était l’heure de boire une bière ? Peu importe. Son camarade de fortune le lança de nouveau sur sa meuf, et honnêtement, c’était pas forcément le premier sujet qui lui serait venu à l’esprit pour badiner, mais bon. C’était lui qui avait parler d’aller voir ce verre en premier après tout, il avait donc plus qu’à fermer sa gueule. Sa femme, est-ce que ça faisait longtemps ? Ouais un peu. A peu près dix ans, un truc comme ça. Ils s’étaient connus au lycée, ça semblait être une éternité maintenant, comme s’il avait vécu mille vies, alors qu’il avait même pas trente ans. Putain la route allait être encore longue… Et s’ils avaient décidé de ne pas garder Lisa, si elle n’avait juste jamais été dans le tableau ? Y’avait moyen pour qu’ils ne soient jamais restés ensemble, ou alors ils auraient eu un gosse, mais plus tard… de quoi refaire le monde, encore et encore, et il ne s’était pas gêné pour le faire plus d’une fois. On était gosses, mais elle était pas comme ça au départ. Comme d’hab quoi. »  

Ce qui le poussait à raconter sa vie à se type ? Ca faisait des mois pourtant maintenant qu’il se coupait du reste du monde. Mais là c’était différent, c’était pas ses parents pour lui lancer des regards de pitié, pas ses potes pour le juger, juste un mec rencontré par hasard qu’il reverrait jamais ensuite, donc fatalement, pour papoter de ces conneries c’était plus simple. Il pouvait s’épancher comme il voulait, sans en avoir honte ensuite, et reprendre après sa vie, là où il l’avait laissé. Morne, et ennuyeuse. Elle a toujours été plutôt cool en fait. Il l’avait toujours trouvé géniale, mais maintenant c’était avec une parfaite étrangère qu’il vivait. Pas question d’évoquer la gamine, c’était une pente bien trop dangereuse, pour l’emprunter. Après tout, autant laisser planer le mystère. Maintenant, on a plus grand chose en commun. Elle tire la gueule, et elle préfère rester toute seule, et moi en attendant, bah je viens dans des endroits comme ici. Ce qui les unissait avait disparu, est-ce que ça voulait dire que sans Lisa, ils n’étaient plus rien tous les deux. Ça en avait tout l’air, pourtant, il ne voulait pas y croire. Fait chier. Ça méritait bien une autre lampée de bière. En tout cas, ta meuf à pas l’air commode non plus. Tu compte arranger les choses, ou tu t’en fous ? » C’était déjà compliqué de se gérer tout seul dans ces moments là, alors s’occuper des autres…

A y avoir de plus près, la fatalité, c’était une sacré connasse quand même. A en écouter le récit de Vianney, tout aurait pu rouler comme sur des roulettes. Et puis là aussi, tout avait basculé, comme c’était toujours le cas. Le bonheur, mais c’était quoi le bonheur, c’était fait pour qui ? C’était bien des saloperies pour ceux qui voulaient bien y croire, et c’était un belle grosse connerie, parce que ça finissait toujours par leur retomber sur le coin de la gueule. Caleb en était persuadé, être heureux, il n’en avait plus envie. Déjà, il aurait fallu qu’il se souvienne quel effet ça faisait, et ça c’était pas gagné, mais en plus, pourquoi faire ? Il était certain que le jour où il allait retrouver de la stabilité, on allait se charger pour lui de la dézinguer de nouveau. Il était tombé dans le piège la tête la première une fois. Pas deux. « Ah ouais ? Donc tu la laisserais se casser, comme ça ? » il fit un geste de la main dans le vide, comme pour montrer un point imaginaire. C’était une vraie question cependant. Sara dans tout ça ? Il n’attendait qu’une chose, c’était qu’elle se casse, mais en même temps, est-ce qu’il pourrait avoir le courage de la laisser partir ?

La suite, c’était comme à la roulette russe. La question aurait pu tomber, comme ne pas tomber, et ça n’avait pas manqué. Instinctivement, Caleb resserra son emprise sur son verre. Comme si ça allait changer un truc. Il n’était pas là pour parler de la gamine, sa gamine, parce que de toute façon, elle était plus là pour courir entre ses pattes, pour rire, brayer parfois aussi. Tout ça, on pouvait croire que ça n’avait pas existé. Qu’il l’avait inventé, et que toute cette merde, c’était dans sa tête que ça se passait. "Non. Répondit-il un peu trop vite. Il n’était pas vraiment rôdé à l’exercice encore, tandis qu’il était en train d’essayer de faire barrage à tout ces souvenirs. L’espace d’un instant il fut tenter de se lever sans cérémonie, se casser sans explications, planter Vianney là, et rentrer dans son appartement de merde, avec toutes les mauvaises ondes qui y régnaient. Ce qui était pas une des perspectives les plus réjouissantes. Non y’en a pas, comme tu dis, ça résout le problème. Manquerait plus qu’elle fasse chier avec ça, c’est déjà bien assez le bordel. Je sens qu’elle va pas se gêner quand même de toute façon. Par vengeance ou j’en sais rien. C’est chelous les nanas. Non effectivement y’avait pas de gosse. En tout cas, y’en avait plus. Et toi puisque t’en as marre, t’as jamais justement été tenté de te casser ? » autant changer de sujet le plus vite possible. Il fit passer sa question à travers une nouvelle gorgée.

Le manque de volonté de Vianney ne l’aidait clairement pas à se retenir, à se dire que c’était lui, Caleb, qui faisait figure d’autorité. Il eu un geste de la main en direction de la serveuse également qu’il avait envie, lui aussi, d’un autre verre. Il savait qu’il avait cette attitude rassurante, celui à qui on a envie de faire confiance, celui dont on pense qu’il ne franchira jamais la limite. Ce n’était évidemment pas nécessairement vrai, mais dans des situations comme celle ci, il ne se gênait pas pour en jouer. Vianney l’avait très bien deviné, il était mieux ici que dans ses pénates. ‘’La facilité peut être, j’en sais rien. Peut être l’envie aussi qu’elle redevienne « normale ». Au fond pourtant il le savait. Sara était cassée et il n’y avait plus rien pour la remettre d’aplomb. Ca voulait aussi dire voir la vérité en face, et c’était également plus difficile à accepter. Elle me gêne pas, j’crois que moi non plus, on fait chambre à part. Ca fait des jours que je l’ai pas croisé. J’espère qu’elle est pas crevée. Il venait de penser tout seul à voix haute, et la barmaid lui jeta sûrement sans le vouloir, un regard inquiétant. Non, non, elle ne pouvait pas être morte puisqu’il avait entendu du bruit. En tout cas, elle a pas intérêt, j’ai pas envie que ça me retombe sur la gueule ces conneries’’. C’était peut être pas la façon la plus sympathique de parler de Sara, mais quand même, il vérifierai en rentrant qu’elle n’avait pas définitivement pété les plombs. Sérieux, elle venait même le faire chier là ! Il pris une grande gorgée pour la peine. C’était plus facile pour passer au dessus de tout ça.

‘’Si tu cherches à être un type bien, j’te l’dis, t’es au mauvais endroit, se moqua t-il. Bwarf, il ne pensait pas qu’il avait été très sérieux, ou même qu’il croyait à ses paroles. En tout cas, je suis partisan d’un truc, tant que t’as pas été au plus bas, c’est difficile de trouver le chemin pour remonter’’. Du coup, en attendant il tombait, il tombait, il tombait en attendant de voir où est-ce que ça pouvait bien le mener. Il était presque curieux de bientôt toucher le fond.

Au plus bas, au plus bas… Est-ce qu’il était au plus bas ? Parfois il se posait la question. Au début oui, forcément, il lui avait semblé que c’était la fin du monde, le sien en tout cas. Tout ce qu’il tentait vainement de rattraper tombait en morceaux, comme du sable fin qu’on cherche à maintenir dans le creux de sa main. Mais non, ça ne s’était pas arrêté après l’enterrement. Il y avait eu l’après, ce désespoir dans lequel Sara s’était terré, et lui qui se sentait incapable d’y mettre fin d’une façon ou d’une autre, soit en essayant d’arranger les choses avec elle, soit en claquant la porte. Ils avaient eu un avenir tout tracé et s’était pris un mur à bord d’une voiture lancée à pleine vitesse. Que dire, que faire de plus ? J’t’appelle quand je l’sais, rétorqua t-il, incapable de donner une réponse claire à cette question. L’espace d’une seconde, il eu conscience de l’image qu’ils devaient probablement dégager tous les deux, le cliché des mecs dépravés qu’on va traîner hors du bar, au moment de la fermeture. Il eu honte, rapidement. Et rapidement aussi cette sensation se volatilisa. Il ne culpabilisait pas assez encore pour s’arrêter sur des qu’en dira t-on de merde. Au lieu de répondre à la volée à la nouvelle question de Vianney, il, Caleb se laissa un temps de réflexion. Ca aurait pu se tenter, mais… Non, je vais décoller de pense. Vianney lui paraissait être la compagnie qu’il avait eu de plus sympathique depuis bien longtemps, mais il préféra suivre cette impulsion soudaine, même si il n’avait aucune idée de comment elle arrivait à la porter.

Tu restes ? Il s’attendait à tout, surtout à rien. Il se leva d’un coup, presque apeuré soudain de se faire happer par cette léthargie sournoise qui le guettait sans arrêt. Si c’est le cas, dégage juste avant que la serveuse fasse appel à son videur. Il n’avait même pas vu s’il y en avait un ou non, mais il n’était pas sûr que le bar fasse vraiment dans la charité.