JAD ₪ Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé

Écriture soignée sur papier vert pastel à motif d’oursons en peluche. Une photo d’un poupon endormi à l’épaisse tignasse est jointe au faire-part.

Chantale et Jean sont heureux de vous annoncer la naissance de Jordan le 25 novembre 1986. Il pèse 3,7 kg et mesure 50 cm.

Écriture soignée sur papier jaune pastel à motif de colombes. Une photo d’un poupon joufflu et chauve aux yeux entrouverts est jointe au faire-part.

Chantale et Jean partagent avec Jordan la grande joie de vous annoncer la naissance de Gabriel le 3 juillet 1990.

Lettre écrite d’une écriture ronde sur une feuille blanche avec des ballons de baudruche dans la marge.

Rochefort, le mercredi 6 octobre 1993

Madame Dénériaz,

Je vous écris au sujet de votre fils Jordan.

C’est un garçon brillant, mais si facilement distrait. Je sais que son père ne doit pas être souvent à la maison, - c’est le cas de la plupart des enfants de cette classe. Mais, si je puis me permettre une suggestion, je crois qu’il serait bon pour le petit Jordan de rencontrer la psychologue de l’école.

Je serai disponible après la classe si jamais vous voulez en discuter de vive voix.

Cordialement,
Madame Jeanne

Note griffonnée à la va-vite dans un dossier scolaire.

Note au dossier de JAD, ajoutée le 23 mai 1994.

J. va très bien. Précoce et vif d’esprit. Recommande l’adoption d’un loisir pour stimuler son intellect.

[Initiales illisibles.]

Sur du papier journal, avis de décès découpé maladroitement et plastifié.

À Kaboul, le 13 novembre 2001, à l’âge de 38 ans et 6 mois, est décédé le Maréchal des logis Jean Dénériaz, époux de madame Chantale Dupuy. Il était le fils de feu l’adjudant Pierre Dénériaz et de Mme Valérie Dénériaz, née Marceau.

Monsieur Dénériaz laisse dans le deuil, outre son épouse, ses deux fils Jordan et Gabriel; sa sœur Marie (François Moreau), ses neveux et nièce, ainsi que pl[…]

Un diplôme de brevet, un diplôme de Bac L, tous deux obtenus avec mention, probablement par la peau des fesses et en faisant nuit blanche la veille pour réviser. Puis plus rien. Plus rien d’officiels. Une liasse de partitions, pour la plupart inachevées. Des paroles de chansons écrites d’une écriture brouillonne, retravaillées, rayées, puis abandonnées. Un passeport plus épais que la normale, avec des tas de tampons de toutes les couleurs et de toutes les formes. Quelques billets de banques en devises étrangères. En souvenir. Mais surtout, des photos maladroitement prises, probablement parce que leur propriétaire manie mieux la guitare que l’appareil-photo (il n’est pas très doué avec la technologie, de toute façon…). Un visage revient plus souvent que d’autres, une petite blondinette aux yeux noisette, sur fond de Kilimandjaro, en Afrique du Sud, en Argentine, au Costa Rica, en Amérique du Nord. Puis, il n’y a plus de visages du tout, ou alors des tentatives d’autoportraits, mais la tête n’est jamais centrée et les images sont floues. On aurait cru qu’avec le temps, il s’était amélioré, mais non, toujours aussi brouillon, toujours aussi désinvolte.

Il règne un certain désordre dans la pièce. Mais à part une vague odeur de réglisse et de déodorant, rien de douteux. À côté de la porte, une valise à moitié défaite et un chaton blanc comme neige endormi sur la pile de t-shirts. Comme si son propriétaire n’était que de passage dans cette ville. Il lui faudra du temps avant de se défaire de cette habitude. Autrement, la chambre est meublée de l’essentiel : un lit, un bureau qui sert aussi de table de chevet, et une bibliothèque remplie à craquer de livres et de CDs des années 1950 à aujourd’hui, les ayant fait livrer de France par sa mère. On y trouve de tout, de Asimov à Zola, en passant par Lévi-Strauss, King, Zàfon et Descartes. Il y a même un Coran, plus par curiosité intellectuelle que par réelle conviction. Et aussi, peut-être, dans un sens, pour tâcher de comprendre ces extrémistes qui avaient tué son père. Car avant de se laisser aller à la haine et à la violence à outrance, mieux valait tâcher de comprendre l’autre.

Sur le bureau, un Dell est allumé sur une page Tumblr.

Août 9, 2012

1:42 PM

Eh bien voilà…

C’est avec regret que je vous annonce que ceci est mon dernier voyage. Je remercie tous mes lecteurs assidus qui ont suivi mes pérégrinations à travers le monde. Mais il est temps pour moi de passer à autre chose, de vivre de nouvelles aventures… chez nos voisins British! J’ai passé de merveilleuses années à explorer notre bonne vieille planète, mais ça a soulevé chez moi plus de questions que de réponses… Alors pour les prochaines années, mes projets s’orienteront vers la recherche de ces réponses.

J’espère que la Grande-Bretagne les détient…

Si la lecture d’un de mes billets vous a transmis ne serait-ce que le centième de ma soif de découverte et de mon amour des voyages, alors j’aurai atteint mon but. Continuez d’aimer, de rire, de vivre, de vous extasier, de vous émerveiller. En deux mots, redevenez des enfants qui découvrent la vie pour la première fois. Ne dites jamais non à une main tendue, à un sourire. Chaque personne est un trésor, une histoire qui ne demande qu’à être racontée.

Pendant mes années de voyage autour du monde, j’ai rencontré des gens de toutes les cultures, de toutes les confessions, aux rêves aussi variés que les variétés de gelato d’Italie ou les couleurs du coloris automnal du parc de la Gatineau. Je n’oublierai jamais chacun de leur regard, chacun de leur sourire.

Lex, globe-trotteur

#départ #Grande-Bretagne #Questions #Merci

Le billet est accompagné d’une photo d’un jeune homme au regard bleu acier rempli de chaleur et brillant d’espièglerie, sac à dos sur le dos, le pouce levé. Ses cheveux châtain partent dans tous les sens. Oubli de se coiffer ou simple taquinerie du vent…?

Le propriétaire de l’ordinateur relit son billet avec un petit air satisfait, puis il glisse ses doigts sur le clavier, incertain. Il se remet à taper.

PS : Si Ivoire, tu me lis, je…

Mais il secoue la tête, efface la dernière ligne et clique sur "Publier le billet".

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? « Le film, il parle de quoi au juste? Si c’est juste un de ces films d’ados insipides à la morale prévisible, non merci.»

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? Le cœur de Jordan se serra à la vue de cette bien triste prestation et il s’avança vers la jeune fille pour l’éloigner du regard moqueur des passants.

→ Ton(ta) cousin(e) t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? « À chaud? Je la repousse et je m’assure pour le reste de la soirée qu’elle ne consomme plus que de l’eau. À froid, bah écoutez, faut regarder les circonstances atténuantes, hein… Elle était juste bourrée. Non? »

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? "J’hésite en sortie au théâtre ou soirée geek/littéraire… J’suis pas très jeux vidéos, par contre, je ne dis pas non à un bon roman."

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? « Je crois que ma pire faute a été de tourner le dos à une super amie au nom de la sacro-sainte popularité, quand j’étais au collège. Mais voilà, au lycée, quand je fus assez mature pour me rendre compte de ma faute, il était trop tard, j’avais déjà perdu contact avec elle… »

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? "Voler la bague de fiançailles… C’est moins dommageable à long terme."

→ C'est le mec (la fille) de tes rêves, tu en es persuadé(e) et pourtant, celui(celle)-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné(e), stratégique, ou éploré(e) ? On veut les détails ! "Résigné. Écoutez, elle est libre de faire ce qu’elle veut. Et puis je ne vais pas m’arrêter de vivre à cause d’une fille. Je m’assure qu’elle est heureuse, c’est tout. Aimer, ce n’est pas ça après tout : vouloir que l’autre soit heureux? Par contre, gare aux fesses de l’imprudent qui oserait lui faire du mal."

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? "Bof… L’avenir, c’est vaste hein. On va voir déjà si je survis au premier semestre, hein. Mais j’aimerais bien avoir un ou deux enfants plus tard. Le reste, on verra bien où la route mène."

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) Dare.

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » Je dirais à Cambridge. Tu sembles être une fille avec du caractère, tu serais capable de supporter le Judging Cambridge Club et pas te laisser marcher sur les pieds. Mais après, y’a pleins d’autres facteurs qui rentrent en ligne de compte : le classement des universités, le programme que tu veux suivre, les profs et leurs intérêts de recherche… Ah euhm… Je sens que je t’ai perdue, là, non?

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Cambridge Club ? » Oh ça, je déteste. C’est un club qui espionne tous les faits et gestes de tout le monde et qui s’amuse à colporter des ragots, si les étudiants osent briser les règles du sacro-saint bon goût. Mais franchement, c’est pas parce que t’es la fille du Ministre ou le fils de tel PDG que tu dois te permettre de tout décider dans cette université.

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» Oh ça, c’est une bande de gamins qui se croient assez vieux pour entrer à la fac d’Oxford, mais en fait, qui foutent le bordel un peu partout.

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » Pour devoir t’habituer à de nouveaux profs, refaire ton réseau de contacts et bousiller tes chances qu’un prof te fasse une lettre de recommandation pour des bourses ou les études supérieures? Non… Ça ne vaut pas la peine. Si tu tiens vraiment à changer, termine ton diplôme de premier cycle, et change après. Quand t’es rendue à bosser en laboratoire ou à rédiger ta thèse, tu te fiches pas mal des petites guéguerre d’étudiants.

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. » Ouais comme tu dis. T’aaaas le temps. *ébouriffe les cheveux de la gamine avec un petit sourire espiègle.*