LMB - Her voice is full of money

« Tu es sérieux? » Je pose mon livre, pleine d'espérance « Très. » Je regarde Maman, qui sourit doucement et hoche la tête d'un air content. Mon coeur de petite fille bat la chamade. Il ne faut pas plaisanter avec ces choses là. Mes parents, aussi loin que je m'en souvienne, n'ont jamais vraiment été ensemble après ma naissance. J'ai passé ses neuf années avec ma mère et des visites occasionnelles de Papa, qui m'accompagne aux compétitions de cheval et vient aux galas de danse. Mais là, c'est sérieux. C'est mieux. Il dit qu'on va venir habiter avec lui. Dans la grande maison qu'il a récupéré après le divorce. Je ne comprends pas bien pourquoi il dit ça, alors qu'il n'y a pas longtemps, il s'est disputé très fort avec Maman. Je plisse le nez, les observe un moment. Je crois que s'ils me mentent encore, je ne le supporterai pas. Je ne pense pas pouvoir supporter de les voir se crier dessus et se séparer de nouveau. « Vous ne me rendrez pas triste? » dis-je d'un ton très sérieux, l'air grave. Mon cher papa s'esclaffe et m'ébouriffe les cheveux mais ma mère se contente d'un vague sourire et d'un hochement de tête évasif. Quelque chose cloche. Font-ils ça parce que c'est mon anniversaire la semaine prochaine? Pour me faire plaisir? Pourquoi maintenant? Alors qu'il y a neuf ans de ça, ils ont décidé qu'ils ne pouvaient pas être ensemble, même pour s'occuper d'un bébé.

Ils s'éclipsent dans la cuisine, parlant à voix basse et me laisse avec mon livre et pensées. Je ne sais pas bien ce qu'ils se disent, je n'entends pas d'ici. Mais ça a l'air sérieux. Et ils ne semblent pas assez contents, pour des gens qui ont décidé qu'ils étaient de nouveau amoureux. Je soupçonne une manigance quelconque, bien que je sois encore trop jeune pour y voir clair. Et il se trouvera que j'avais raison. Que nous n'avons même pas déménagé. Que Papa a disparu des mois durant, même si mes cours de danse et d'équitation continuaient à être payés, il ne venait plus nous voir. Et je crois qu'il n'est pas venu depuis. Depuis le jour où nous aurions dû redevenir une famille normale. Ironie qui semble illustrer à merveille mon existence.

« Tu ne vas pas acheter ça Suzy? No offense, mais ça jure avec tes cheveux. » Elle me regarde d'un air consterné et j'entends Carrie ricaner dans mon dos et je peux l'imaginer secouer son affreuse tignasse blonde décolorée. Je souris d'un air compatissant, lui tend une jolie robe noire et ajoute « Ce n'est pas pour te vexer ma belle, c'est un conseil d'amie, rien de plus. Essaye donc ça. » Elle hoche la tête, retourne dans la cabine d'essaye pour ôter cette horreur orange qui lui donnait l'air d'une carotte périmée. Carrie et Claire s'approchent de moi, les bras pleins de robes, shorts et autres T-shirt à paillettes. « Quel thon... Rappelez-moi pourquoi on traîne avec elle? » lâche la seconde d'un air blasé et faussement cynique. Je l'observe une seconde et me rend pertinemment compte qu'elle cherche à imiter mes expressions. Sa copine rigole et je rétorque, assez froidement « Parce qu'elle est ridiculement riche et a une maison immense et des parents absents. Et personnellement, j'apprécie de pouvoir parler à quelqu'un qui a une capacité cérébrale excédant celle du chien commun. » Carrie pouffe bêtement mais Claire me regarde d'un air confus, semblant presque comprendre que je viens de l'insulter. « Avec le blond, tu devrais porter du rose. Et si j'étais toi big C, j'éviterai trop de bling-bling. On ne veut pas de l'incident de la dernière fois. » Elle passe une main anxieuse dans ses cheveux marron, se remémorant sans doute le verre de Cosmo qui a fini sur son débardeur blanc strassé. Et surtout de l'exposition de la tâche à la lumière ultra violette du club. Toutes deux reposent sagement les vêtements que j'ai déconseillé et j'affiche un léger sourire. Suzy ressort de la cabine et avec un hochement de tête satisfait, je valide cette tenue. Les deux idiotes font à leur tour leurs essayages, à grand renfort d'exclamations bruyantes, de compliments plus ou moins sincères et de débat inutile. Mon téléphone sonne bruyamment et je m'éloigne un instant de la petite bande. « T'es où? » Je soupire et rétorque « Bonjour à toi aussi mère. » Elle m'insulte et me demande de revenir bientôt. Et d'acheter du vin. Je secoue la tête, bien qu'elle ne puisse me voir « Je te rappelle que je n'ai même pas encore quinze ans et que c'est illégal. Demande à Bob. Ou à Tony. » Je raccroche sans plus de cérémonie, affiche un sourire resplendissant et m'empare finalement de la robe que j'avais repéré dès mon entrée dans la boutique. Je sais ce qui me va et je sais aussi comment me distinguer du lot de gamines. Cette soirée est organisée par le frère aîné d'une camarade, que je connais disons relativement bien. Et j'entends bien être sa meilleure option ce soir. Ne serait-ce que pour le principe, j'aime me sentir au dessus du lot. Ce qui explique pourquoi je m'entoure avec ces gens.

« Mère, quel charmant spectacle. » Avachie dans le sofa, son éternel verre de vin à la main, elle me regarde d'un air absent. « Tu comprends rien Lyly. C'est dur d'être adulte tu sais. D'aimer. Tu sauras ça quand tu seras plus grande tu vois, mais la vie, ça se passe jamais comme on s'y attend. T'as déjà aimé Lydia? Vraiment? » Je soupire, l'ignore ostensiblement et allume la radio, espérant que la musique du moment couvre le son de ses diatribes alcoolisées. Mais elle reprend, d'une voix un peu plus forte« Non, je pense pas, tu le dirais. Mais même si c'est une fille hein, ça me dérange pas moi tu sais. Ton connard de père peut-être, mais pas moi Lyly. Moi je t'aimerai toujours, je ferais tout pour toi... Viens me faire un bisou. » Je soupire, faussement désespérée. Il y a bien longtemps que je ne fais plus cas de ses discours incohérents. Elle essaie de se lever pour venir m'enlacer, mais trébuche et renverse son verre, ce qui cause un tumulte sans pareil. Je secoue la tête, blasée et la laisse s'énerver contre le vide, regagnant ma chambre dans la plus grande indifférence. Je remets de la musique, pour ne pas entendre la vieille folle et entreprend de trier un peu mon bureau, où je retrouve le chèque que m'a fait mon père la semaine dernière. Première de ma classe ce trimestre, £300. Le succès paie, assez littéralement. Prise d'un élan de conscience ou d'un désir d'une nouvelle paire de chaussures, je range soigneusement l'argent et sors mes exercices de maths. Mon Iphone émet une alerte, mais je ne me laisse pas déconcentrer. Jusqu'à ce qu'il sonne encore trois fois et j'abandonne l'exercice pour voir ce qui est si urgent. Suzy, qui me demande la page de l'exercice. Mais ensuite, Claire, en pleine crise existentielle qui pense que Joanna sort avec Tommy, ce qui ne serait vraiment pas cool, puisqu'elle est sortie avec lui à la soirée de Suzy et que du coup, ils sont ensemble, non? Tommy ne sort pas avec Joanna. Tommy a couché avec moi le soir de la soirée de Suzy. Je réponds donc qu'ils ne sont pas ensemble, que ce n'est pas officiel et qu'il faut qu'elle arrête de s'enticher du premier mec qui lui roule une pelle en soirée. Elle s'offusque un peu, je devine qu'elle appelle Carrie pour avoir son opinion, ô combien avisé. Et voilà que le téléphone fixe se met à sonner. L'univers ne veut décidément pas que je résolve cette équation. Je me dépêche de répondre avant que ma chère mère ne comprenne ce qui se passe. Et je fais bien. « Madame Bennet n'est pas là pour l'instant, je peux peut-être prendre un message... Pardon? Vous êtes certaine, parce que je ne crois pas que nous ayons eu de courrier de rappel. Oui, envoyez l'email. Je lui en parlerai dès qu'elle rentrera, ce sera réglé sans faute. Merci à vous, bonne soirée. » Je plisse le nez et remonte rapidement dans ma chambre, allume mon Mac, ignorant royalement les sms incessants de Claire et l'appel manqué de Tommy, qui m'arrache néanmoins un sourire. Je lis sans attendre le mail de la compagnie d'électricité et constate en effet que nous avons deux factures de retard. Cette pauvre garce a dû oublier de les payer. Je m'occupe rapidement de faire quelques chèques en son nom, la laissant cuver son vin devant Danse avec les Stars. Idiote. Une fois cette affaire réglée, je prends un yaourt dans le frigo et une pomme, avant de retourner à mes devoirs de maths et mes affres de lycéenne privilégiée.