CSB - Money is the reason we exist...

“Et toi… Comment ça va?”

Comme d’habitude, la question de sa mère sonnait fausse. Beaucoup trop fausse mais ce n’était pas Clara qui allait le lui faire remarquer ou même lui dire que sa question était plus que déplacée. Voilà depuis plusieurs mois que les deux Brooks se livraient à se petit jeu, depuis que Clara avait intégré la prestigieuse université d’Oxford. Sa mère, Livia, vivait toujours à Londres, tentant de vivre comme si… Comme si n’avait rien changé. Pourtant Clara n’était pas dupe, elle n’avait qu’à baisser ses lunettes de soleil de ses yeux pour voir les rides plus que prématurées sur le visage de sa mère, pour constater que la robe qu’elle portait était un cadeau de son père, offert il y a quelques années et que le tissus commençait à s’abimer. Mais malgré tout, malgré tout cela, sa mère tenait à sauver les apparences à joindre les deux bouts. Elles ne parleraient pas des cours de danse que donnait sa mère pour payer son petit appartement à Camden Town, bien en dessous de la demeure qu’ils avaient un jour eu à Noting Hill. Mais elle n’en parleraient pas, tout comme la mère se retiendrait de demander à la fille comment elle pouvait déjà avoir le nouveau sac à main d’une énième marque de luxe et si les lunettes de soleil que la rouquine avait sur le visage était neuve elle aussi. Elle n’interrogerait pas non plus sa fille sur le lieu du rendez vous, pourquoi ici, pourquoi Londres et pas ailleurs à Oxford et pourquoi ce restaurant, où un simple couvert aurait pu payer le loyer de Mrs Brooks et ce pendant des mois. Non, la mère comme la fille, elles ne parleraient pas de tout ceci et Clara elle, comme à son habitude, se contenterait de beurrer copieusement son petit pain et de mordre dedans avec un sourire aux lèvres. Parce que si même si sa propre mère n’arrivait pas à la reconnaître, c’était qu’elle avait réussi son pari.

Tout avait commencé… Hmm… Il y avait d’abord eu la teinture, elle était passée du brun au rouge extrême, pour éviter de trop se faire reconnaître dans les rues et trop suivre par les journalistes. Mais elle devait commencer par le début, car toutes les princesses avaient une histoire qui méritait d’être racontée.

Et pendant des années, Clara y avait cru, elle avait cru qu’elle était une princesse, celle de son père, celui que rien ne pouvait atteindre. Elle avait eu une enfance heureuse, trop heureuse selon certains et elle savait qu’il fallait se tenir de cette manière là pour une raison, elle jouait du violon juste parce qu’il fallait amuser la galerie et parce qu’elle faisait partie de ce genre de famille. Derrière les sourires et les courbettes, les gens oubliaient bien souvent qu’il y avait un être humain et que ce n’était pas parce que Clara était née avec la cuillère à la bouche qu’elle n’avait pas faim. Elle avait toujours eu faim de tout, curieuse par nature, elle passait des heures à parler avec son père, ne se lassant jamais de rien, jamais ennuyée pas même par ses discours compliqués sur la bourse et autre concept abstrait de son monde. Mais Anthony Brooks était son héro, pas de doute la dessus et elle aussi, faisait parti de ce monde. De ce monde superficiel, où il suffisait juste de sourire et d’avoir la bonne référence ou le bon compte en banque pour s’en sortir. Elle se souvenait encore de l’anniversaire de ses treize ans, ennuyée des conversations de ses cousins et sentant sa robe de couturier trop lourde sur ses maigres épaules, elle avait tiré son père à l’écart, loin de sa conversation d’adulte et qu’elle lui avait offert un sourire. « C’est une farce… Tout ça, pas vrai? » Il avait souri, que pouvait-il faire face à sa petite fille, sa petite Clara qui avait grandi trop vite se rendait déjà compte des plus grandes tragédies du monde, et que oui, tout le monde jouait la comédie, en permanence. « Mais tu as un si joli sourire, n’hésite jamais à le montrer. »

Sourire face aux tracas, sourire face à l’adversité, sourire pour parvenir à ses fins, sourire, ce serait leur petit secret à tous les deux. Et quand le gâteau était arrivé ce soir là, Clara était dans les bras de son père et elle avait offert au photographe le plus beau des sourires, qui s’était presque transformé en une véritable expression face au cadeau de son père. Il avait offert à la princesse une vraie couronne, un diadème en diamant qui devait valoir une petite fortune, sa mère lui avait adressé un regard désapprobateur, mais ni Anthony ni Clara n’avait prêté attention à Livia Brooks, non, ce n’était plus elle la préférée de papa ni même la princesse.

Et sa couronne, on le lui avait arraché, deux ans plus tard. Elle se rappelait encore de cette nuit avec précision, sa mère s’était endormie au coin du feu et elle était assise devant le piano à jouer. Le piano n’était pas un instrument qu’elle affectionnait particulièrement, Clara en jouait uniquement lorsqu’elle voyait le sourire de son père disparaître, alors, véritable petit arlequin, elle se chargeait du divertissement, passant du Chopin à Liszt très facilement, chose qui amusait toujours Anthony. Il n’avait pas souri ce soir-là, de triste mémoire, et un autre son avait remplacé les notes du piano, un autre son que Clara n’aurait jamais cru entendre. Des sirènes. Beaucoup trop. Des voitures devant leur maison, du bruit, trop du bruit, du rouge. Le reste était confus, sa mère s’était réveillée et leur avait demandé ce qui se passait, Clara ne comprenait pas la soudaine panique sur le visage de son père. Il s’était mis à fouiller rapidement dans son bureau et il avait commencé à jeter des documents dans la cheminée, profitant des flammes. Pourquoi? Pourquoi? Livia avait murmuré des phrases en italien et Clara qui savait déjà quoi faire était venue aider son père à vider ses tiroirs et tout jeter dans le feu. Pas de pourquoi, pas de question maman, rend toi utile. Les mots avaient été faciles pour l’adolescente qu’elle était et l’étreinte que lui avait donné son père agréable. Juste quelques secondes, quelques secondes avant les menottes, avant le drame. Les mauvais jours, voilà comment Clara les appelait. Toujours poursuivie par les journalistes, toujours bousculée et sans son père, sans son héro. Mais le héro était tombé, cela aurait fait une bonne une pour un journal mais ils avaient préféré le traîner dans la boue d’une autre manière. Sa mère ne répondait pas à ses questions à l’époque, trop occupée à passer des coups de fils à son avocat, elles avaient trouvé refuge dans le seul hôtel qui avait bien voulu les accueillir, plus personne ne répondait au coup de fil, plus de cousin, plus d’oncle, plus de tantes… La sentence était tombée deux semaines plus tard, Anthony avait été condamné à passer les trente prochaines années dans une prison d’une Connecticut. Pourquoi la prison? Pourquoi aussi loin? Clara se moquait des détails, elle avait pu revoir son père une dernière fois. Encore en chaîne, dans cet affreux uniforme orange et avec une barbe de trois jours. Contrairement à sa mère, elle l’avait pris dans ses bras et elle lui avait assuré que tout allait bien se passer. « Tu n’as qu’à sourire papa. Remember? Smile, I’ll get you out of here. » Oui, du haut de ses quinze ans, elle allait refaire le monde.

Quelque part, elle en voulait toujours à sa mère de ne pas s’être montrée plus aimante envers ce mari qui les abandonnait pour la prison. Mais Clara et Livia ne se disputaient pas, elle se contentaient de s’ignorer… Elle s’étaient cordialement ignorées alors que Clara tentait de finir le lycée, la cible des moqueries des autres enfants car désormais, elle n’avait plus une fortune illimitée. Elle avait conservé son sourire aux lèvres et elle les avait tous remis à leur place, elle avait étudié, beaucoup plus, pour devenir la meilleure et leur prouvée à tous que ce n’était pas la fin des Brooks. Pas la fin, jamais la fin, c’était ce qu’elle s’était dit ce soir là en rentrant dans le casino des Hasting-Bass. Elle n’avait pas l’âge et alors? Elle s’était teint une nouvelles fois les cheveux, il y a peine trois heures de cela, les mèches rouges un puissant contraste avec sa peau, elle avait le jolie visage de Livia et dans cette robe-là, personne n’avait osé lui demandé son âge. Même les talons étaient trop haut mais tant pis, elle marchait comme Papa lui avait appris à marcher, sans veste sur les épaules mais avec un but. Elle allait plumer les Hasting-Bass comme l’avait fait son père avec ses clients et repartir avec le plus d’argent possible. Mais Clara avait été trop… impétueuse, téméraire, peut être l’âge sans doute… Au moins, elle avait réussi impressionner Bart qui lui avait fait une offre plus… qu’intéressante.

Alors non, elle ne dirait rien à sa mère et elle allait juste manger dans ce restaurant alors qu’elle n’aurait pas dû avoir les moyens. Livia ne savait pas qu’elle n’était pas la seule à faire des sacrifices, que sa fille, sa chère petite fille, jonglait entre les livres de droit civique, les visites au casino et son petit livre de compte. Une fois le petit pain disparu, Clara reporta son attention sur sa mère.

« Je crois que tu as besoin d’un petit remontant… On commande du champagne? Je sais que tu adore ça. Et au passage, je vais bien. »

Et pour la première fois depuis que son père avait quitté l’Angleterre… C’était la stricte vérité.

→ Ugh j’ai soif, mon verre est viiiiiiiiide ! Vous croyez qu’on peut considérer la menthe comme un fruit ? Seriously, ça pousse dans l’herbe comme n’importe quelle plante, ça devrait être considérée comme un fruit et quand je vous demanderai si je dois boire un mojito ou une bière cerise, je n’aurai pas à privilégier l’un par rapport à l’autre pour avoir ces foutus cinq fruits et légumes. Je mange de la salade tous les jours à cause de ça, mais je. Ne. Suis. Pas. Un. laaaaaapin. D’ailleurs tu mets quoi dans une salade de fruits rouges ? … Tout sauf des fruits rouges bien évidemment. Et puis je ne suis pas du genre à parler à de parfaits inconnus, non je plaisante bien sûr, et toi ô chère inconnue, comment s’est passé ta journée? Je te paye un verre à une seule condition, que tu acceptes de m’accorder cinq petites minutes de ton temps que je te parle d’un super produit que je vends. Oui, je sais, je n’ai pas des allures de vendeuses, mais que veux tu que je te dise ma chère Joyce, est-ce que je peux t’appeler Joyce? Peut importe, les temps sont durs et il faut bien que la jeune fille que je suis fasse des efforts pour pouvoir être en mesure de s’acheter le dernier sac Channel. Bref, je vais te les donner tes fruits pour ta salade mais je vais te passer autre chose que du sucre, tu verras, beaucoup mieux, okay, légèrement plus cher, mais tu n’auras plus faim après.

→ Pff, c’est ce que je n’arrête pas répéter à Francine qui habite à côté de chez moi mais elle ne m’écoute pas. Et elle n’arrête pas de gueuler quand j’appelle mes amies à deux heures du matin. Ca te dérangerait que je t’appelle ? Non bien sûr que non, je vais te confier un petit secret chère Joyce vu que tu ne risques pas de te rappeler notre conversation. J’ai pris l’habitude d’avoir deux téléphones portables différents à présent, un pour les… pour les gens dans ton genre dira t-on, et je dis ça en essayant de ne pas paraître condescendante, si je te jure, bref où est-ce que j’en étais? Oui, et un autre téléphone pour les affaires. Au cas où le grand manitou décide de m'appeler. Est-ce que tu as déjà entendu parler des Hasting-Bass? Oh si je suis certaine que si, tu as juste un peu trop de verre dans le nez. Si tu veux je t'emmènerai au casino un jour, pour que tu perdes tout ton argent ou au contraire, que tu touches le gros lot comme moi.

→ On parle, on parle mais on n’a même pas commandé. Alors mojitoooo ou bière cerise ? Tu manques de classe ma chère Joyce, aucun des deux, déjà entendu parler de vodka, ou même de Martini? C’était la boisson préféré de papa à une époque, tout comme celle de James Bond, il a tellement la classe mon père, tu as sans doute vu son nom une ou deux fois dans les journaux mais ne crois pas tout ce qu’on raconte à son propos. … Où est-il à présent? Oh, ça c’est quelque chose que je préfère garder pour moi, hors de question de dévoiler tous mes secrets maintenant....

→ Tu as des gouts bizarres mais j’ai soif ! Ouh ouh barman ! Coucouuuuuuuuu j’ai un billet pour toi ! Je peux le mettre dans votre caleçon ? Vous avez la tête d’un strip-teaseur ! Je ne serai pas contre une petite danse langoureuse… Finalement ça sera tequila pour tout le monde et vous savez ce qui va avec la tequila ? Le guacamole ? Oh qu’est-ce qui riiiiiiime avec guacamole ? Joyce… Est-ce qu’on t’a déjà dit que tu avais un humour… hmm… plutôt foireux? Il va définitivement falloir qu’on bosse ça. Et aussi ta façon de te tenir et … est-ce que ce sont des talons aiguilles bon marché que je vois à tes pieds? Je te pardonne pour cette fois-ci, surtout que j’ai toujours une paire de rechange dans mon sac. Oui, j’ai des vêtements dans ce sac, laisse moi te montrer: toujours des sous vêtements parce que je ne sais jamais où je vais passer la nuit, et même une petite robe noire au cas où j’aurais besoin d’avoir l’air professionnel… Et aussi parce que cette robe me fait des jambes superbes! Et regarde, j’ai même un sèche cheveux et ma propre réserve de vitamin water, je te le dis Joyce, je ne peux tout simplement pas vivre sans ce sac.

→ Troooooooooll/guacamole, you’re right ! Damn quelle heure est-il ? Je dois appeler la cousine de l’oncle de la meilleure amie de ma tante qui habite à Sydney, parce qu’elle est géniale. Tu connais Sydney ? L’autre jour, j’ai appris qu’Ewan Mcgregor avait tourné à poil là-bas. MEC EWAN A POIL CA NE TE FAIT RIEN ? Alors ça, ça m’étonnerait vraiment, il a vraiment la classe ce Ewan, mais non, les rouquins ce n’est pas vraiment mon genre. Je préfère les grands blonds… Un peu comme mon père en fait. Oui, je sais, je suis bonne pour des années de thérapie mais bon au moins je n’ai pas honte de creuser à fond dans mon complexe d’Oedipe. Et tu as encore le temps Joyce, pas encore l’heure pour Sydney, j’y suis déjà allée une fois en vacances tu sais, bon certes, je n’ai pas quitté ma chambre d’hôtel mais… Je suis du genre à adorer le room service.

→ J’ai des bouffées de chaleur rien que d’y penser. Ouh il reste un apérifrais sur la table, tu le mange ou pas ? Non vas y, je suis fâchée avec la nourriture, ou plutôt ce genre de nourriture. Eh oui Joyce, j’ai des goûts de luxe, et puis j’aime bien jouer mon rôle de petite fille pourrie gâtée jusqu’au bout, si tu savais, parfois ça m’aide à me sortir de bien des situations. Les gens sont toujours surpris lorsque j’arrive à aligner plus de deux mots et montrer que je m’intéresse à autre chose que la mode. Non pas que je ne suis pas du genre à faire chauffer ma carte de crédit de temps à autre, enfin, métaphoriquement parlant, maintenant je règle tout en espèce.

→ Tant mieux, parler de guacamole, ça donne faim. C’est une bonne situation ça scribe ?? Tu crois que si je mets plein de points d'interrogation à la fin de ma question, est-ce que le pouvoir interrogatif de cette question devient plus grand ??? … Tu es là depuis combien de temps déjà? Je crois que tu as définitivement trop de verres dans le nez, il faut qu’on commence à envisager une bonne fin de soirée pour toi, dis moi donc combien tu as sur toi.

→ Je ne sais pas, je demande. Tu porte une chemise alors qu’il fait 15 mille degrés. Aïe caramba la tequila est arrivée ! Cheers ! Omg c’est moi ou j’entends la sublime voix de Paul. SHE’S GOOOOOT A TICKET TO RIDE BUT SHEEEEE DON’T CAAAARE ! Non tu ne rêves pas, le talent c’est de famille. C’est quoi la première chanson des beatles qui te vient à la tête et pas de triche ! Tu ne regardes pas le jukebox parce que si on doit vivre une grande histoire d’amour ou juste une minuscule histoire de sexe, la taille ne compte pas, je dois savoir si tu es digne d’intérêt. Quoi que non, ça ne compte qu’à moitié. Jouons à j’épouse, je tue, je couche avec Ewan Mcgregor, Colin Firth et Pippa Middleton ! Facile, j’épouse Colin Firth parce qu’entre tous ses films et toutes ses nominations aux oscars il doit quand même avoir un compte en banque assez conséquent. Je couche avec Ewan McGregor parce que je n’aime peut être pas les rouquins mais ça ne me dérangerait pas de… tâter la marchandise. Et ensuite je tue Pippa Middleton parce qu’elle doit sûrement avoir des ristournes dans certaines boutiques de Londres… Et d’où elle ose porter ma paire préférée de Jimmy Choo?


→ Ew, je ne suis pas d’accord. Tu as de la chance d’avoir un beau petit cul. Tu dois vraiment être apprécié de la gente masculine. Pour combien tu te baladerais dans la rue en string ? Parce que je suis prête à mettre le prix qu’il faut. Enfin pour ça il faudrait que je sois payée. On est le combien ? Ah oui, j’ai trouvé ! Ca me fait penser tu sais pourquoi septembre est le neuvième mois et non le septième, octobre le dixième et non le huitième, novembre le onzième et non le neuvième et décembre le douzième et non le dixième ? … Tu divagues Joyce, j’ai une question beaucoup plus existentielle pour toi: pour quelle marque de mascara je devrais investir? Non parce que je cherche à en changer et c’est une décision qu’une femme ne peut tout simplement pas prendre seule.

→ Ah merde on m’appelle ! J’arriiiiiiiiiiiiive ! C’est Sam ! Tu connais Sam ? Sam le moche ou Sam le professeur de sociologie? Dans tous les cas, je le connais.

→ Dommage. Hop cul sec et on se revoit vite pour manger du guacamole. Surtout n’oublie pas de venir en string. Byyyyye !