DAL Ϟ there was a time.

Mon dieu, ce truc ne ressemble absolument pas à la photo de la recette. Qui m’a foutu cette idée stupide en tête de vouloir… cuisiner ? Je soupire en remuant un truc qui a une couleur approximativement… verte. Oui, verte. Je n’ose même pas goûter, je crois que commander les traditionnelles pizzas reste encore la meilleure chose à faire. Nouveau soupir, j’abandonne une pile de vaisselle aussi haute que la tour de pise dans l’évier, je m’en occuperai plus tard. Pour une fois, ce soir sera une soirée tranquille, et je suis la dernière personne sur terre qui se prend la tête à cause de plats râtés, vraiment. Starmania démarre bientôt et on me seconde de manière tout à fait formidable pour que je n’aie pas à être là dès huit heures du matin – juste vers neuf heures, du coup – et mon temps se partage de manière remarquable. Tout roule comme sur des roulettes et je suis fier de la stabilité instaurée qui me permet de m’occuper l’esprit la journée durant et de vaquer à mes occupations nocturnes quand le boulot s’achève. J’abandonne la cuisine et rejoins le salon, avisant ma fille qui semble légèrement songeuse. Elle se tord les mains et je fronce le nez, mais elle ne me laisse pas le temps de m’inquiéter. « Tu as ta soirée de libre Papa, rien de prévu, on est d'accord? » J’acquiesce vaguement mais ça n’avait finalement pas grand-chose d’une question, elle connaît déjà la réponse. « Parce qu'on va avoir de la visite... Je ne peux pas vraiment t'en dire plus mais c'est très important. Et surprenant. Plus que ça même... bouleversant, oui voilà, renversant. » J’écarquille les yeux. De la visite ? Important ? Renversant ? Je grimace, mon dieu qu’est-ce qu’il se passe ? « Bref, quelqu'un va venir pour nous parler. Te parler plus exactement et promets-moi de l'écouter jusqu'au bout et surtout, de le croire et de ne pas paniquer. Ecoute le. Promets-le moi Papa, s'il te plaît? » J’inspire et me mords un peu la lèvre, tout à coup songeur. « Tu n’as pas fait venir ta tante ? » Ou… oh. « Ni ta mère, rassure moi ? Parce que je ne veux pas croiser ta mère Lia la dernière fois était assez horrible comme ça, et franchement même si je sais que c’est ta mère et que je dois ménager ton opinion à son propos en restant tout à fait objectif il faut reconnaître que… » mais je m’interromps, sa mère ne semble pas être l’option à retenir ce soir. « Pas ta mère alors ? » Elle secoue la tête et rit légèrement, je souffle, rassuré, et m’installe dans le canapé à côté d’elle. « Non, ce n'est pas maman, même si un jour il faudra bien que tu t'en remettes et que tu fasses la connaissance de Joyce hein. » Je grimace un peu mais je n’ai pas le temps de protester, quelqu’un sonne à la porte. Mes sourcils se froncent dans un ensemble curieux et elle embrasse mon front avant de disparaître dans l’entrée, accueillir son hôte. « Entre, entre, pose ta veste. C'est par là. » Je grimace un peu, elle revient bien rapidement avec un jeune garçon qui doit être un peu plus âgé qu’elle. « Papa, je te présente Lucas. » Je me fige un instant, est-ce que je dois sortir l’artillerie du père qui rencontre le petit ami de sa fille ou est-ce que ce garçon est un inconnu quelconque ? Une audition surprise, une… il s’approche et me tend sa main, visiblement peu à l’aise. « Bonjour Monsieur ». Je serre sa main et acquiesce. « Bonjour Lucas. » Il s’assoit à côté de Lia et sort une enveloppe de sa poche. « Il faut qu’on discute de quelque chose… » Mes sourcils se froncent encore un peu plus et j’interroge ma fille du regard. J’ignore pourquoi, mais une étrange sensation s’empare de moi en même temps que le temps avance, nous réunissant tous les trois dans cette pièce. Il me tend une photo, je me fige et hausse les sourcils en reconnaissant… Mary ? Je suis sorti avec Mary avant de rencontrer Jane, ça fait des années que… « Vous la reconnaissez ? » Je relève les yeux, hoche doucement la tête. « Oui. » Il inspire, les signes d’angoisse sont très facilement retraçables, aussi bien sur son visage que sur son attitude générale. « C’est ma mère ». Je penche la tête, compare la photo au garçon en face de moi, plisse les yeux. « Est-ce qu’elle a des ennuis ? Parce que malgré tout le respect que je te dois, ta mère ne fait pas exactement partie des gens dont je veux avoir des nouvelles… » Mais il secoue la tête et ajoute, en riant légèrement, hautement ironique : « Voilà un point que nous avons en commun ». Mes yeux cherchent Lia de nouveau, le sommet du bizarre est en train d’être atteint. « Voilà une lettre qu’elle projetait de vous envoyer ». J’attrape le courrier qu’il me tend et en parcours les lignes rapidement. Soudainement, tout prend évidemment son sens. Mary, qui n’a jamais été personne d’autre que Mary. Cette femme aurait fait n’importe quoi pour me pourrir la vie. Et ce garçon… Mon dieu. Je me tourne vers Lia et me fige dans la stupeur. « Comment est-ce que vous vous connaissez ? » Je pose la lettre sur la table devant moi et secoue la tête. C’est forcément une blague. Ou un coup monté. Ou n’importe quoi. Est-ce que ce type a manipulé ma fille pour qu'elle organise... ça ? Je grimace, serre les poings. Je ne peux pas avoir un fils de vingt quatre ans, Mary ne peut pas m’avoir caché un fils pendant toutes ces années… Pourquoi l’aurait-elle fait ? Elle aurait adoré pouvoir me prendre de l’argent tous les mois, foutre en l’air mon mariage, tout ça. Non. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Je doute fortement que Mary ait jamais écrit ça, elle l’aurait envoyée. » Lia se redresse et s’installe sur l’accoudoir de mon fauteuil, s’emparant de ma main. Je respire et me détends légèrement, ma fille a l’air en pleine possession de ses capacités d’analyse et je ne doute pas de ma fille. « Lucas est venu me trouver Papa. Il voulait te rencontrer mais tout ça est un peu... compliqué. » Compliqué ? Le mot semble relativement inadapté à la situation, je me garde de le souligner cependant. Impossible, incroyable, dément, tout ça me parait nettement plus perspicace. « Mais tu m'as promis de faire un effort. S'il te plaît, écoute-le jusqu'au bout. » Je ronchonne face à son air de petite fille, celui qu’elle fait toujours quand il faut obtenir quelque chose qu’elle sait qu’elle finira par obtenir. Je roule des yeux et acquiesce vaguement, avisant de nouveau le jeune homme dans mon canapé, qui lui reprend, apparemment pas découragé. « Ma mère m’a toujours dit que mon père était mort. Elle m’a élevé seule, et elle voulait vous envoyer ça au moment où vous avez commencé à devenir célèbre. Je ne sais pas pourquoi elle s’est ravisée, je n’avais que cinq ou six ans à l’époque, mais c’était sans doute pour moi qu’elle l’a fait. » Je ronchonne, ne peut-elle pas l’avoir fait parce qu’elle mentait ? Mon inconscient me hurle une vérité que je connais déjà, Mary n’était pas le genre de femme à tromper son petit-ami, surtout à l’époque, et la rupture avait été difficile. Mais tout de même, où sont les certitudes ? « Je suis sûr de ce que j’avance, mais je n’attends rien de particulier ». Je resserre un peu la main de Lia, comment m’assurer que tout ça est véridique sans passer pour le plus gros des connards ? « Je ne suis pas là pour l’argent, c’est ce que je veux dire ». Certes. C’est sans doute une raison suffisante pour me prouver sa bonne foi – parce que j’ai très largement de quoi être obligé de l’entretenir pendant qu’il fait je ne sais trop quoi. « La question ne laisse aucun doute ? » Il me fixe, se mord la lèvre. « Je suis prêt à faire des tests ». Je secoue la tête, me tourne vers Lia, puis de nouveau vers lui. Je me lève un matin père célibataire, je me couche le soir avec un fils en plus. « Non, non. » Je me mords la lèvre. « Qu’est-ce que… » Qu’est-ce que je suis censé dire ? Quelles questions poser ? Je soupire et me masse la tempe un instant. « Ta mère est au courant que tu es ici ? » Il secoue vivement la tête. « On ne se parle plus depuis quelques mois. Je ne vis plus chez elle, elle a un… léger problème avec l’alcool ». Il ne semble pas vouloir s’étaler sur le sujet, je ne suis pas exactement sûr de ce que je suis censé penser de Mary maintenant. Je fixe l’extérieur de la maison, tout ça est… étrange, définitivement étrange. « Lucas... Tu as des ennuis? Je veux dire, les choses n'ont pas l'air d'aller fort avec ta mère et puis il y a cette sœur dont tu m'as parlé... Dans le coma? » Je me crispe un peu, observe le jeune homme qui s’avère donc vraisemblablement être mon fils du coin de l’œil. Une sœur dans le coma et une mère alcoolique ? Visiblement, l’histoire frappe Lia aussi. « Je veux dire est-ce que... Est-ce qu'on peut faire quoique ce soit? T'aider? » Elle demande, mais ajoute rapidement : « Autrement que financièrement s'entend. » Non pas que j’ai de l’argent à conserver ou quoi que ce soit, je dois néanmoins admettre que le fils prodigue qui réapparait pour soutirer de l’argent est une histoire qui serait sans doute assez vendeuse. Il semble hésiter, puis secoue la tête. « Pas vraiment, non. J’ai l’habitude maintenant et à part passer la voir régulièrement, il n’y a rien d’autre que je puisse ou doive faire ». J’hausse une épaule et grimace un peu. « Fais le nous savoir s’il y a quoi que ce soit. » J’ignore ce que je suis censé faire maintenant. Proposer quelque chose ? Congédier ? « En fait, si ». Il se redresse et se mord la lèvre. Je plisse le front et me demande si la ressemblance… Oui, en fait, il me ressemble sans doute un peu. « Est-ce que vous pourriez ne pas aller la voir ? » J’hausse un sourcil, me crispe de nouveau. « J’aimerai lui dire moi-même, inutile qu’elle se foute encore plus en l’air qu’elle ne l’est déjà ». Je le toise une minute, finis par hocher la tête lentement. Pourtant, aller voir Mary est tout ce qui me démange pour le moment. « Je vais vous laisser, je dois prendre mon service dans une demie heure. » Il se redresse et j’écarquille un peu les yeux. La vie est assez injuste, dans son genre. Je me lève également et tousse un peu. « On devrait aller diner, un de ces soirs. » Je me tourne vers Lia. « Un soir où tu pourras revenir de Cambridge, et où je serai à Londres aussi. Ou peut être diner ici ? » Je ne sais pas, ça n’est pas vraiment moi qui lance ce genre d’invitations d’habitude. Je ne suis absolument pas doué pour jouer au rôle du père absent depuis vingt quatre ans.

« Oui, bonne idée, on pourra manger à la maison ce sera plus... convivial. On en rediscutera et on s'appellera, je te raccompagne Lucas. » J’acquiesce tandis que le jeune homme en fait de même, se laissant entrainer par Lia dans notre entrée. Je me lève et me sers un scotch selon moi amplement mérité. Franchement, je savais que ma vie était souvent marginale et partait régulièrement dans tous les sens… mais un fils ? Un fils plus âgé que Lia que j’aurais eu avec Mary que j’ai quitté parce qu’elle devenait folle ? Sérieusement, ces revirements ne tiennent plus de la marginalité, mais du n’importe quoi le plus complet. Je me rassois dans mon fauteuil, avalant une longue gorgée de mon verre et me perdant dans mes pensées qui sont ponctuées par les bruits dans l’entrée. Je soupire un peu, essaye d’analyser la situation et de rassembler les éléments en ma possession mais je n’y parviens pas, l’assemblage est trop compliqué à réaliser. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’il vient de se produire. J’avale une nouvelle gorgée tandis que Lia revient dans le salon, s’asseyant en face de moi. Elle savait, ce garçon est venu la trouver. De nouveau, un soupir m’échappe et je la fixe un instant, incapable de dire quoi que ce soit qui pourrait sembler un tant soit peu constructif, nous faire avancer. Je finis par demander, maladroit : « Ca va ? » C’est surtout pour elle que je m’inquiète, apprendre que j’ai un fils de 24 ans est déjà une sacrée épreuve, la nouvelle doit être pour elle légèrement plus compliquée à avaler. « Oui. Vraiment Papa, c'est peut-être une bonne nouvelle au fond, je n'en sais encore trop rien. » Je lui adresse un regard dubitatif, pas franchement gagné par son optimisme. J’ai déjà eu du mal à mener à bien une vie de famille, s’il faut en plus recommencer avec un fils, je ne suis pas absolument persuadé du résultat que l’on sera en droit d’attendre. Sans compter que si le test de paternité reste impossible à imposer pour le moment, lui seul pourrait ôter la fine couche de doute qui subsiste dans mon cerveau, et que ce gosse, s’il est le mien, semble avoir vécu une vie bien difficile quand je faisais tout pour couvrir toute légèreté financière potentielle de la maison. « Papa... Qui était-ce? Mary... » J’inspire, joue avec mon verre en gardant les yeux figés vers le sol. « Hm… » Mary. « Je l’ai fréquentée avant de rencontrer ta mère. C’était plus ou moins sérieux mais elle était très instable. Les dernières semaines ont été terribles, j’ai rencontré ta mère et j’ai fini par la quitter. » Je soupire un peu en me remémorant ces souvenirs qui datent d’une époque que je ne pensais jamais devoir ressortir. « Elle était parano, sans ambition et très laxiste, et moi je tenais absolument à percer. On était incompatibles ». Je secoue la tête, avale une nouvelle gorgée de scotch. « Elle me déteste sans doute, pour autant, j’ignorais qu’elle serait capable de me dissimuler un fils. » Elle garde le silence un moment, sans doute plongée dans ses réflexions qui, je n’en doute pas, doivent tourner à mille à l’heure. « Mais ce n'est pas de sa faute. A lui. » En effet, il n’y peut rien. C’est peut être mon fils, peut être pas, l’instinct me dicte la réponse qui semble à ce titre difficile à nier. « Je ne sais pas ce qu'il fera mais... s'il veut faire un effort vers nous, tu en feras un aussi? Parce que moi oui. » Je la fixe, songeur, me mordant la lèvre et laissant une grande inspiration remplir mes poumons. « Viendra un jour où il faudra lever le mystère qui plane sur cette histoire. Je veux bien faire un effort mais il faudra qu’il nous donne des réponses, lui aussi ». Je me crispe un peu, je n’ai absolument aucune idée de comment être un père pour un fils, aucune idée de ce que je dois faire ou de comment procéder. « Est-ce que tu sais exactement qui il est ? » Mon ton est neutre, j’ignore vraiment quel est le fond de ma pensée. Elle inspire, semble enregistrer et analyser profondément le moindre de mes mots, comme elle le fait toujours quand la situation le mérite un tant soit peu, c'est-à-dire très souvent quand on décide qu’il est temps d’avoir une conversation sérieuse. « C'est mon demi-frère. Je sais que sa mère est alcoolique, dépressive et qu'il ne lui parle plus depuis des mois. Qu'il a une sœur dans le coma. Qu'il est serveur. Photographe. Baby-sitter. Vaguement étudiant. Qu'il a réglé l'addition la première fois qu'on s'est vus alors que j'ai clairement plus de moyens que lui. Qu'il ne réclame pas d'argent. Qu'il est parti tôt pour être à l'heure au travail. Je sais aussi que moi j'ai la chance d'être en bons termes avec mes deux parents et de vivre confortablement. Et que je me dois au moins de croire ce qu'il me dit, surtout que je sais pertinemment que c'est vrai. Et toi aussi. » Je la fixe un instant, écarquillant les yeux, m’enfonçant de quelques centimètres dans mon fauteuil. Je reconnais parfois sa mère dans sa façon d’être, et je dois avouer que c’est légèrement effrayant. Je tousse, termine mon verre. « Certes. » Je soupire un peu et dépose ce dernier sur la table basse. L’idée que mon… fils… ait pu avoir une vie lamentable rencontre doucement la zone réalisation de mon cerveau et me fait serrer les points d’un agacement imperceptible. « Arrangeons-nous pour qu’il accepte de revenir dîner, alors ». Je fronce le nez en essayant de m’imaginer ce qu’aurait pu devenir Mary. Ma promesse de ne pas lui parler me parait désormais bien lourde. L’accord est tacite, elle acquiesce et se lève pour venir se placer dans mes bras. J’hausse les sourcils, peu habitué de ce genre de marques d’affection, surtout depuis qu’elle n’a plus trois ans. Mais je referme néanmoins mes bras autour d’elle, maladroit sans doute, sans faire de commentaire supplémentaire sur la situation qui me semble bien assez bizarre d’elle-même. « Et Maman? On va lui dire... quoi? » Je me mords la lèvre et hausse une épaule. C’est une très très bonne question. « La… vérité ? » Après tout, elle est bien devenue lesbienne. Avoir un fils est criant de normalité, à côté de ça, non ? Elle relève les yeux vers moi, la difficulté que soulève la question est bien réelle et ne se trouve pas que dans ma tête, à en croire son air en tout cas. « Haem, oui, je suppose... » Elle s’autorise quelques instants de réflexion et je ne peux que tenter d’imaginer ce qui lui passe par la tête dans ce silence qui nous entoure soudainement. « Oui, tu as raison, après tout devenue lesbienne vs. retrouve un fils caché, c'est une opposition intéressante. » Je la fixe un instant puis elle explose de rire, et je l’imite bien rapidement, sans doute la pression qui retombe et qui se fait sentir. Mais il est vrai, quand on y réfléchit bien, que la situation est assez comique. Je soupire en continuant à rire, il m’est difficile de reprendre le contrôle. « On t’a vraiment imposé une famille de fous, hein ? » Elle relève les yeux vers moi. « Oui, mais je n'en changerait pour rien au monde. » Elle embrasse ma joue et je souris un peu, légèrement fier. « Bon, je vais aller sauver notre dîner. » Elle se redresse et s’étire, j’acquiesce vivement. « Bonne idée, parce qu’aux dernières nouvelles, je l’ai massacré ».