HDV ♣ Chaque seconde est un univers à elle seule. Alors une vie ? ♣

Quand j’étais petit, ma mère m’avait dit de faire une liste de ce que j’étais. J’avais pas du tout compris, je lui avais demandé des explications et elle ne m’en avait pas donné. Alors, j’ai pris la phrase à sa manière. Je suis parti de ça, de cette phrase. La liste de ce que je suis. A 10 ans, ça donnait ça :

J’adore manger du pain.
J’adore vendre du raison avec mon père, le Dimanche sur le marché.
J’adore les gâteaux de ma mère.
Je déteste la pluie.
Je déteste les gens qui parlent fort.
Je crois que je n’arrive pas à détester les gens.
J’aime tout le monde.

J’étais resté planté devant cette liste à enchaîner les traits de caractère. J’écrivais tout ce qui me passais par la tête, ça venait tout seul, ou bien je devais chercher. Je marquais les idées dans un petit carnet que j’avais souvent sur moi. J’écrivais un peu tout ce que j’avais en tête, et finalement, ce carnet est devenu une sorte de journal intime. A l’école ça n’allait jamais bien. Je n’étais pas vraiment le genre de gars qu’on adorait. Pas vraiment non, plutôt le bon pote qu’on oublie de compter quand on fait une liste de gens à inviter à son anniversaire. “Et Hugo il vient ou pas ? Ah merde je l’ai encore oublié dans la liste.” Voila, le nombre de fois où j’ai eu droit à ça ... Mais c’est pas grave. Les gens m’apprécient quand même, à la récré, je jouais avec eux au ballon, je n’étais pas très fort, je n’étais pas nul non plus. Je me fondais dans la masse, comme il fallait, toujours de la bonne manière. Mes notes n’ont jamais été terrible, je n’ai jamais été brillant. Moyen moins, voila ce qu’on marquait sur mon bulletin au collège. Les adultes soulignaient les efforts mais ça ne me faisait rien. Tout ce que je voulais, c’était des bonnes notes, pour épater mes parents. Pour leur faire comprendre ce que je valais, que je n’étais pas un nul, que j’étais digne d’être l’aîné de la famille ! Digne d’être leur fils qu’ils aimaient de tout leur coeur. Oui, j’ai toujours voulu devenir l’égal de mon père et de ma mère. Ils avaient réussi leur vie, ils avaient eu deux beaux enfants, une exploitation de viticulture qui rapportait assez d’argent à la famille. Plus je grandissais et plus je m’apercevais qu’ils méritaient tout le respect qu’on peut donner. Alors je les admirais grandement, je voulais tout faire pour arriver à leur hauteur. Mais mon piètre niveau scolaire m’en empêchait ... Et puis, j’étais le gamin (et maintenant encore, l’homme) le plus maladroit du monde. Les assiettes cassées à la cantine ? pour moi. Et les parapluie avec un trou dedans ? Hugo. Les gaffes du genre “tu savais que Brandon avait trompé Jessica ?” devant Jessica ? Devinez.

Le temps passait, le collège, comme la primaire. La liste n’avait pas vraiment changé.

J’adore le pain de campagne.
J’adore mes parents.
J’adore ma petite soeur.
Je déteste les gens qui sont compliqués.
Je déteste l’été
Je crois que je ne peux pas passer une journée sans sourire.
J’aime avoir des bonnes notes.

Rien de bien différent, au fond. Un petit Hugo qui faisait encore et toujours parti des murs. Qui était là sans qu’on le remarque jamais. J’aurais voulu me démarquer, un bon nombre de fois mais je n’en ai jamais eu l’occasion. J’étais trop commun. Et dire que ça ne me pesait pas serait vous mentir. Je ne savais pas comment être différent et au fond, ça ne dérangeait personne d’autre que moi. Alors pourquoi changer la personne que j’étais, pourquoi changer ce que les gens aimait chez moi, mon attitude si commune ? Personne d’ailleurs, n’a jamais su quel malaise j’avais ressenti étant jeune, le malaise de ne jamais pouvoir être marginal, d’être toujours semblable à la norme. A présent je m’en aperçois, et je me dis que si j’avais réagi à cette époque, ma vie aurait peut-être été bien différente ... Les gens, quant à eux, disaient que j’étais attentionné et attentif. C’est certainement vrai, j’ai toujours aimé écouter les problèmes des gens, essayant de les aider, de les consoler. Une de mes amie m’a un jour appelé monsieur mouchoir. Je ne sais pas comment j’aurais du le prendre, mais je l’ai bien pris. Je prend toujours tout bien. Les prof n’arrêtaient pas de me dire que j’étais naïf et que je devais changer si je devais faire quelque chose de ma vie. Mais à ce qu’il parait, la naïveté n’a jamais tué personne non ? Alors je n’ai pas changé.

Et puis je suis arrivé au lycée. J’ai réussi à monter mes notes, sans grand changement. Je commençais à avoir des amis stables, ma première copine, ma première gueule de bois, mon premier joint, ma première fois. La norme, encore une fois. Rien n’avait changé, mais plus le temps passait et plus j’étais heureux de ce que je devenais. Plus j’étais heureux de ce que j’étais et de ce que les gens attendaient de moi. Bon ok, je me voilais peut-être un peu la face, mais il faut se contenter de ce que l’on a et de ce que l’on est et passer du temps avec des amis, sortir de temps en temps en boite, défier parfois les règles, ça me plaisait. La liste commençait à changer un peu, ma mère me disait que je faisais bien d’en refaire une chaque année. C’était une sorte de point d’ancrage cette petite liste, je m’en aperçois réellement aujourd’hui. Au lycée, elle était comme ça :

J’adore le pain aux graines de sésame.
J’adore la tequila.
J’adore ma famille.
Je déteste la vodka pur (note pour plus tard, un désinfectant a certainement le même goût.)
Je déteste qu’on me dise que je n’ai pas assez travaillé.
Je crois que je suis bi.
J’aime être tel que je suis.

En relisant ça, je me dis que la dernière phrase est fausse. Et que j’avais écrit ça, juste pour me donner bonne conscience et arrêter un peu de faire un complexe d’infériorité par rapport à mes amis les plus proches, tous exceptionnels. Garance venait d’entrer au lycée alors que je débutais ma terminale. Ma soeur, la fille la plus populaire du lycée, son frère, le looser de deux ans de plus qu’elle. En y repensant, j’ai vraiment honte d’avoir eu une telle réputation en comparaison de la sienne. C’est aussi à cette époque du lycée que je me suis découvert bisexuel. J’ai commencé à me poser des questions quand je me suis aperçu que je reluquais autant les filles que les mecs. Un jour, en soirée, un mec m’a embrassé, j’ai adoré ça. Plus tard, je suis sorti avec ce même homme, un secret pour tout mon entourage, sauf pour Garance, qui devait bien s’en douter de toute manière. Elle me connaissais mieux que personne. Cette relation était aussi atypique qu’intense et plaisante. Mais à la fin du lycée, nous nous sommes tous les deux séparé, d’un commun accord, en restant en accord. La fac, les villes qui changeait, et puis le secret qui devenait trop dur à supporter pour nous deux. Une fois mon bac L en poche, j’ai commencé mes études de journalisme. Et là, ma vie a pris un tournant radicale.

Le journalisme, c’est vraiment quelque chose. Un milieu qui m’avait toujours passionné, même si j’avais également envisagé de prendre la suite de mon père en dans son entreprise de viticulture, mais définitivement, ça ne me plaisait pas. Je suis donc parti, à Beaunes (oui, cette petite ville de Bourgogne, connu pour l’hospice avec ses toits magnifiques, oui vous y êtes) faire mes études. Longtemps on m’a dit que je ne pourrais jamais exercer ce métier. Mes professeurs, mes amis et même mes parents m’ont toujours découragé pour me tourner vers quelque chose de plus simple, de plus à la portée d’un mec timide comme moi ... Mais seule Garance m’a jamais soutenu dans cette voie. Elle savait que cétait ce qui me conviendrait de mieux, ce qui me contenterait vraiment. Les gens pensaient et pensent encore maintenant, que j’étais trop timide pour faire ce métier qui réclame quand même de savoir s’imposer dans certaines situations, ou bien s’appuyer ses idées avec ferveurs. Certes je ne suis pas l’homme le plus sanguin du monde, mais je me savais passionné, et ainsi, j’ai persévéré. Les études ont été compliquées, longues, difficiles, harassantes, les stages compliqués, mais au final je l’ai eu. J’ai eu mon diplôme. Et pour la première fois de ma vie, j’ai eu l’impression d’accomplir quelque chose. De parvenir à mon but de sortir un peu de ce moule qu’on avait conçu pour moi, de faire ce que je voulais de ma vie ! à 22 ans, je me sentais enfin vivre. Ma liste était belle, à mes yeux.

J’adore écrire.
J’adore passer du temps à Pommard avec ma famille.
J’adore parler avec Noémie
Je déteste les chefs rédacteurs égocentrique
Je déteste ne pas réussir à m’imposer
Je crois que je ne veux rien faire d’autre de ma vie qu’être journaliste
J’aime ma vie présentement.

C’est vrai. J’aimais ma vie à cette époque. Je l’adorais même, j’avais un contrat étudiant de deux ans dans un petit magazine. C’était bien payé, mon avenir s’annonçait beau. J’ai bossé pendant trois ans dans le journalisme général avant de me spécialiser dans la communication et particulièrement dans les people, pour devenir attaché de presse. ça a bien marché, à 25 ans, je démarrais mon premier boulot de rêve : Attaché de presse ! On devait fêter ça, j’avais rameuté tous mes amis à Beaunes, dans un salle des fête où on était censé passer la nuit à danser et à boire. J’aurais voulu que ce soit simple, et que tout aille bien. Ma mère et Garance venait de Pommard, ma petite ville natale, on les attendait. Elle n’avait qu’une petite demi heure de route. Et elles ne sont jamais arrivées.

Pendant plusieurs heures, je les ai attendu, avec toutes les autres personnes. Je leur ai dit de commencer la fête sans elles, ils n’ont pas voulu. On s’est fait un sang d’encre. On a essayé de les joindre a de nombreuses reprises, sans succès. Toujours leur messageries, leur petites voix, si similaires, que je connaissais rien bien. J’avais peur. Et au matin, elles n’étaient toujours pas là. Un policier est venu nous voir, nous disant qu’il fallait le suivre à l’hôpital. Sans un mot, mais l’esprit bouillonnant de question, je l’ai suivi. Et là-bas, m’attendait le pire spectacle de toute ma vie. Ma mère et ma soeur, reposant sur ces infâmes brancards. Avec cet espèce de tissu blanc qui leur recouvrait le corps. On m’a demandé d’identifier les corps. Je m’étais avancé dans la salle de trauma, j’avais d’abord vu ma soeur, et ses beau cheveux chatains, bouclés, soyeux. Et son visage ensanglanté, pâle. Le même spectacle pour ma soeur. Une forte nausée m’avait pris, j’étais ressorti complètement mortifié. Sans comprendre, j’avais couru, jusqu’à l’arrière de l’hôpital, désert en ce dimanche matin, j’avais vomis mes tripes, en repensant à ce spectacle horrible et macabre auquel j’avais eu droit. Je m’étais appuyé contre le mur, m’étais laissé glisser jusqu’au sol. J’avais remonté mes genoux contre moi, m’étais mis à pleurer. à pleurer toutes les larmes de corps, bruyamment, sans me retenir. A l’abri de tous les regards, personne ne pouvait comprendre la douleur que j’éprouvais à ce moment. On se disait toujours que ce genre de chose n’arrivaient qu’aux autres, on comprenait leur douleur, sans pour autant l’assimiler, et en saisir la portée. On ne peut pas comprendre une telle souffrance tant qu’on ne l’a pas nous même ressenti. Et je peut vous dire que, sincèrement, j’aurais voulu ne jamais vivre ça.

Je ne sais pas combien de temps j’étais resté à pleurer, à l’arrière de l’hôpital, dans le vide et le désespoir qui me submergeait, un peu plus fort à chaque seconde. Je venais de perdre les deux femmes de ma vie. Comment vouliez vous que je me relève, que je prenne ma bagnole et que ... que je fasse quoi ? Que je rentre à mon appartement ? J’en étais tout bonnement incapable. Je ne pouvais pas me remettre sur mes jambes, effacer mes larmes et me relever. Alors je ne pourrais vous dire combien de temps je suis resté là. Je me suis endormi, et quand je me suis réveillé, j’étais dans un lit, en train de dormir paisiblement. Enfin, aussi paisiblement qu’un homme qui vient de voir sa mère et sa soeur morte ... Me relevant à grand peine, j’avais croisé un médecin qui m’avait indiqué que j’avais dormi une journée entière, trop fatigué, et qu’ils avaient transporté ma mère et ma soeur à la morgue.

De la suite, je n’ai qu’un souvenir vague. Il y a eu beaucoup de monde à l’enterrement. Tous mes amis, tous ceux de Garance, tous ceux de ma mère. Elles étaient très appréciées. Mon père a sombré dans la dépression, l’alcool. Moi, rapidement, je me suis aperçue que je ne pouvais pas continuer à vivre à Beaunes. Tout me les rappelait, les deux femmes de ma vie, qui m’avaient quitté sans même me dire au revoir. Étrangement, je n’ai eu sur le coup, aucun remord quand j’ai quitté mon père, devenu alcoolique, pour partir en Angleterre. Oui, je l’ai laissé seul en France, depuis quatre ans, je ne l’ai pas revu. Pas de nouvelles et même si lorsque j’étais jeune, il était mon héros, je n’ai eu aucun scrupule à l’abandonner. Aujourd’hui, je m’en veux horriblement, mais je ne peux pas retourner en arrière. Et puis de toute manière, avec ou sans moi, se se pendra certainement dans quelque temps, si ce n’est pas déjà fait. Je ne pouvais rien faire pour lui. J’avais pourtant essayé de lui remonter le moral, de lui faire reprendre gout à la vie, mais je m’étais fait une raison. Il ne voulait plus de moi. Et si je restais, c’est moi même qui aurait fini par m’ouvrir les veines dans ma baignoire. Ma liste, à mon départ, était comme ça :

J’adore regarder des film.
J’adore écrire.
J’adore passer du temps seul.
Je déteste ma vie.
Je déteste le destin.
Je crois que je suis maudit.
J’aime ne pas savoir où je vais.

L’Angleterre. Je n’ai jamais été bon en ce qui concerne la langue de Shakespeare et avec du recul, même si ça a été la meilleure décision de toute ma vie, je me demande encore ce qui m’a pris. Je parlais un anglais bateau, je ne connaissais personne, j’avais simplement un diplôme et un petit CV pour m’aider. Mais je ne pouvais pas rester en France. Le seul moyen de continuer ma vie, un minimum normalement était de tout recommencer à zéro, là où personne ne me connaissait, moi ou mon histoire. Je voulais redevenir le mec normal que j’étais et que je serais toujours, le mec qui se fondait dans la masse. Pas celui qu’on montre du doigt en évoquant sa triste histoire, ou encore celui qu’on vient voir à la fin de la journée de boulot pour lui dire à quel point on est désolé. Je ne suis pas ce mec la, moi je suis celui qui réconforte les gens et qui n’a pas besoin d’aide pour reussir sa vie de petit mec normal. Et un nouveau pays, inconnu, quoi de mieux ? La langue m’a posé beaucoup de problème, surtout au début. C’est comme tout ce qui est approximatif, on s’en tire, en galèrant comme un fou. Et trouver un boulot, surtout dans la communication, quand on ne parle pas la langue, bonjour les ennuis. Mais je me suis fait des amis, des connaissances ne sachant de moi rien de plus que mes origines françaises (que mon nom de famille trahit d’ailleurs) et elles m’ont bien aidé. Je ne leur ai jamais fait part de mon histoire, je me suis inventé le fait que j’arrivais en Angleterre pour voyager un peu et découvrir de nouveaux horizons. Ils l’ont tous cru. Je ne suis pas menteur, mais je ne voulais simplement pas qu’on me plaigne. Je ne voulais simplement pas que l’histoire se répète et qu’on me présente ses condoléances à tous les coins de rues. Et ces amis que je me suis fait m’ont bien aidé.

Il y a un an, ma liste ressemblait à ça :

J’aime Londres.
J’aime mon job d’attaché de presse.
J’aime faire des rencontres chaque jours.
Je déteste qu’on me prenne de haut parce que je ne suis pas anglais
Je déteste ne pas avoir de pain au déjeuner.
Je crois que je suis bien mieux en Angleterre
J’aime le fait que personne ne me connaisse réellement.

Et puis, ma vie a continué comme ça. J’ai trouvé un bon job, un appartement plutôt pas mal, des amis, une vie sociale. Je suis toujours aussi maladroit, toujours aussi discret, toujours ce petit coté looser qui me colle à la peau. Mais à présent, il me semble que je vais mieux. Que je remonte une pente. Une pente que je suis seul à connaitre dans ce pays et que justement, j’adore garder pour moi-même. Je ne veux pas que les gens sachent ce qui m’est arrivé, ils n’en ont pas besoin. Et ainsi, ma vie se passe bien. Il y a un an, j’ai même commencé à travailler pour une star connue. Lauren E. Griffyn. En bon cinéphile, je la connaissais et la rencontrer a été un vrai choc pour moi, surtout quand on sait qu’elle est aussi exigeante et exaspérante, invivable diva que magnifique et talentueuse. Je ne saurais vous dire à quel point je me suis attaché à elle. A quel point je ne supporterais plus de travailler pour quelqu’un d’autre que cette belle jeune femme. Cette magnifique blonde, qui m’a envoûté et fait perdre mes moyens plus d’une fois. Mais soyons professionnel, je ne lui ai jamais dit ce que je ressentais ... Car d’une part, je ne sais même pas ce que je ressens et que de plus, on parle là de Lauren E. Griffyn. La star, LA jeune fille que les médias et les plus grands réalisateurs s’arrachent. Ouai, celle la, et vous pensez vraiment qu’elle accorderait même un quelconque regard au frenchie looser sur les bords, que je suis ? Je ne crois pas. Et même si notre relation a bien évolué en amitié depuis peu, je me vois mal agir autrement qu’en professionnel avec la star.

Oh et, j’ai fait une liste hier. Voila ce que ça donne :

J’adore boire de la tequila sur ma terrasse en regardant les bus rouge passer.
J’adore mon boulot.
J’adore sortir au bar avec des amis.
Je déteste le dimanche.
Je déteste penser au fait que je mens bien trop souvent pour protéger mon secret.
J’aime passer du temps avec Lauren.