josefoker ≈ don't kill the neighbours because i have no idea how to hide the bodies

L'invitation à dîner de Rachel avait surpris Jason. Non pas qu'ils ne passaient plus de temps ensemble mais elle était occupée, lui aussi et ils se contentaient de se croiser entre deux coups de fil. Il s'inquiétait tout de même pour elle, évidemment. Aussi avait-il sauté sur l'occasion de vérifier que tout allait bien, même si ça signifiait sacrifier une soirée avec Rose. Elle travaillait moins ces derniers temps et depuis qu'il avait quitté son job au Bastille, ils se voyaient bien plus qu'après leur emménagement. Il avait donc passé le début de soirée avec sa sœur sans se sentir trop coupable. Ils avaient discuté de tout et de rien, évitant soigneusement d'évoquer leur mère et ses envies de leur rendre visite, et il l'avait quittée rassuré. Rachel était jeune mais elle avait la tête sur les épaules. Elle le lui aurait dit, si elle avait des problèmes ─ du moins l'espérait-il.

Le retour se déroula sans encombre, en dehors d'un chauffeur du dimanche qui le klaxonna copieusement, et il se retrouva bientôt dans le hall de l'immeuble, casque dans une main et clés dans l'autre. D'ordinaire, il ne croisait personne après 20h et passées 21h, il était rare d'entendre du bruit. D'ordinaire, keyword. Il fut accueilli par le refrain d'une chanson phare de Disney, chanson bien connue d'ailleurs, émanant des étages supérieures. A en juger par la maîtrise et la justesse, il s'agissait de ses voisins de palier. Un sourire étira ses lèvres lorsqu'il s'engagea dans les escaliers. Rose devait probablement fulminer et l'idée de la trouver prête à aller mener une expédition commando pour faire taire les comédiens d'en face le mettait en joie. Elle était vaguement effrayante quand elle se mettait dans des états pareils mais ça le faisait plus rire qu'autre chose ─ probablement parce qu'il n'était pas l'objet de sa colère.

Une fois la porte d'entrée refermée, il abandonna ses affaires avec l'habituel « honey I'm home » qui ne manquait jamais de le faire ricaner. Bientôt un an qu'ils vivaient ensemble et il avait encore du mal à réaliser combien ça paraissait naturel. Enfin, jusqu'à ce que Foster se trouve un peu trop près de Figgins ou qu'il termine le lait sans prévenir. Tout ne leur était pas venu naturellement, il avait fallu s'adapter un minimum, se tester aussi. Il n'était pas difficile à vivre, du moment que certaines limites étaient posées. Quoi qu'on en dise, les règles avaient du bon, dans la colocation comme dans la vie à deux, même s'il apprenait encore les rudiments de cette dernière. Après un rapide passage par le frigo et la découverte d'une bière amplement méritée, Jason se laissa tomber sur le canapé sans même chercher à cacher son grand sourire. Il posa un bras sur le dossier et tourna la tête pour regarder Rose. « Ça va, tu passes une bonne soirée ? La musique d'ambiance te plaît ? » s'enquit-il, faussement innocent. Rose n'était déjà pas une grande adepte des comédies musicales, il l'avait appris peu après leur arrivée dans l'immeuble et les premières vocalises de leurs voisins. Mais Disney, sauce West End ? Sans doute encore moins.

« Jenny, je vous ai embauchée parce que je pensais que votre joli diplôme et vos lettres de recommandation pleine de superlatifs m'éviteraient ce genre de conversation. Ne me faites pas regretter ma décision. » Mon assistante continue à déblatérer – avec diplomatie et aisance, je me dois de le reconnaître – et à se confondre en excuses. Elle ne me dérangerait pas si elle pouvait faire autrement, ce n'est pas du ressort de Miss Prescott, le client était très très insistant au téléphone... Je soupire légèrement, plus parce qu'elle a raison qu'autre chose. Mais si je me complais dans ma petite vie de business woman – c'est la conclusion naturelle de mes années de ice queen hit girl sur le campus d'Oxford – je commence à me lasser du côté 24/7 du métier. Si cela avait un côté excitant au début et que je suis ravie de ne pas avoir le temps de m'ennuyer, j'en suis arrivée au stade où ma vie personnelle est également une priorité. Et Jason ne devrait pas tarder à rentrer de son dîner chez Rachel, le reste de mes affaires est en ordre et cet appel après dix-huit heures – le jour où j'avais explicitement demandé à avoir la paix – m'agace plus que je ne veux bien le reconnaître. « Bien, rappelez Mr Arsehole et dites lui que s'il ne peut pas attendre demain 9h, soit les horaires normaux de toute la ville, il peut se chercher un autre larbin pour son gala d'affaires ou ses cinquante ans de mariage, peu importe. Maintenant, je vais vous laisser, mon compagnon ne devrait pas tarder et j'aimerai boire du vin et lui faire l'amour sur le canapé sans courir le risque d'une interruption. » Je raccroche, un petit sourire satisfait sur les lèvres. Surprendre – pour ne pas dire, légèrement traumatiser – mon assistante est un plaisir dont je ne me lasse pas.

Mais mon amusement est de courte durée. Alors que les beuglements retentissent sur la musique beaucoup trop forte, je fusille la porte d'un regard assassin, espérant pouvoir atteindre mes insupportables voisins à travers la cloison. Enfoncée dans le fauteuil le plus confortable, un délicieux Sauvignon blanc sur la table, je devrais profiter d'une soirée calme et m'attaquer très bientôt au programme annoncé à Jenny. Mais ces deux imbéciles viennent bien sûr tout gâcher. L'insonorisation de cet immeuble est pourtant excellente. Le propriétaire me l'a assuré et m'a même envoyé les documents le prouvant, après avoir reçu un appel musclé de ma part. Mais apparemment, le summum de la qualité anglaise ne peut pas lutter contre la formation des acteurs du West End. Je pianote nerveusement sur le bras du fauteuil, essayant d'élaborer la meilleure contre-attaque. Quelque chose de fort. De définitif. Non, pas un double meurtre. Bien que ce soit tentant. Mais rien qui puisse laisser ces deux abrutis croire qu'il s'agit d'une gueguerre amiable entre voisins. Ce n'est pas un jeu. C'est un conflit que je vais gagner.

Je relève à peine la tête en entendant Jason rentrer, me contentant de grimacer à sa blague récurrente. Je vis dans l'attente du jour où il s'en lassera. Pas demain la veille donc. Je m'imagine en train de saboter la plomberie des deux princesses quand mon petit ami réapparaît dans mon champ de vision, clairement amusé par la colère qui émane de chacun de mes pores. Je serre les dents et plante mes prunelles enragées dans les siennes. « Tu crois qu'ils ont un animal de compagnie ? » Le petit sourire qui apparaît au coin de ma bouche est sans doute inquiétant, pour qui ne me connaît pas. Sans doute pour qui me connaît encore plus, à bien y réfléchir. J'incline légèrement la tête sur le côté, pensive. Kidnapper un éventuel chat/chien/hamster serait plus un acte de bonté envers l'animal qu'autre chose. Et au vu des énergumènes, allez savoir s'ils se rendraient compte de la disparition de leur compagnon poilu. Ou écaillé ou qu'importe. « Passe-moi mon ordi. » Je tends une main autoritaire vers Jason et me reprend rapidement. « S'il te plaît. » Je roule un peu des yeux devant son hésitation flagrante et ajoute « Je ne vais pas googler comment se débarrasser d'un cadavre, t'en fais pas. J'ai regardé assez d'épisodes d'Elementary et de How To Get Away With Murder pour savoir, de toute façon. Je veux juste chercher des moyens de causer des extinctions de voix. » Jason n'était pas le partenaire idéal pour de telles manigances. Si Tristan avait été présent, une session de brainstorming diabolique serait déjà en marche et ils seraient en train de mettre sur pieds un plan d'attaque ultra sophistiqué en trois phases. Mais qui sait, peut-être qu'un peu de sang neuf et la joie de revenir à ses anciens vices de mean girl seraient suffisants pour lui donner l'idée du siècle. Il fallait juste espérer que sa tendre moitié ne se mette pas en travers de son chemin.

Oho, oui, Rose devait certainement le point d'exploser, songea-t-il en reconnaissant la voix de ses voisins. Il grimpa les quatre étages qui le séparaient de son appartement, le sourire aux lèvres à l'idée de retrouver sa copine. Peut-être n'était-il pas nécessaire de se réjouir autant, puisque Rose soumise à un karaoké des deux comédiens d'en face était une Rose énervée et c'était lui, et non les voisins, qui allait se retrouver en ligne de mire. Mais Rose énervée était particulièrement sexy et la journée avait été tout aussi particulièrement longue. Alors tant pis si elle était sur le sentier de guerre, he would just happily roll with it. Son hypothèse se confirma lorsqu'il la trouva au salon, visiblement énervée. S'installant sur le canapé à ses côtés, il ne résista évidemment pas à l'envie de la taquiner un peu plus. Le sourire qui apparut sur son visage inquiéta un instant Jason qui fronça les sourcils. « Ils ont un chat. Pas les chats. Rose, on ne s'attaque pas aux chats. De toute façon, il est bien plus gros que toi » précisa-t-il, dans un souci de détendre très vite l'atmosphère et d'éloigner toute éventualité d'enlèvement, voire de meurtre, de tout félin vivant dans l'appartement de l'autre côté du palier. Jason avait vu la bête et il avait une seconde pensé que leurs voisins versaient dans les expériences scientifiques étranges. Ce chat était vraiment, vraiment très gros.

Il se pencha pour l'embrasser, vite arrêté par un ordre des plus secs qui lui fit hausser un sourcil. Foster rectifia rapidement le tir mais il ne bougea pas d'un poil. Pas parce qu'elle avait une nouvelle fois fait preuve de son autorité naturelle – ou ce qu'il prenait pour tel – mais parce qu'il ne tenait pas vraiment à voir débarquer Scotland Yard ou le MI5 chez eux parce qu'elle aurait fait une recherche internet un peu douteuse. « Rassurant » marmonna-t-il en s'exécutant, une fois qu'elle lui eut assuré que ses intentions étaient tout à fait honorables, du moins face à ce à quoi il s'attendait. Il déposa l'ordinateur sur les genoux de sa propriétaire et s'installa un peu plus confortablement, un bras derrière elle. « Tu sais, tu pourrais aussi les inviter à dîner et leur faire des fruits de mer. Ou un truc avec des noix. Ils sont peut-être allergiques » Ce genre de plaisanteries était peut-être à éviter, compte tenu du sens de l'humour tout à fait particulier de sa petite-amie. Sans oublier qu'elle paraissait vraiment sur les nerfs. La musique adoucit les mœurs ? Ah la bonne blague. Objectivement, Jason n'avait rien contre leurs voisins. Il ne les connaissait pas et ne leur avait jamais vraiment adressé la parole, en dehors des salutations d'usage lorsqu'il les avait croisé dans l'ascenseur ou les escaliers. Mais il avouait bien volontiers qu'il n'était pas vraiment enclin à passer la soirée à les entendre beugler du Disney. Et, non, malgré ce que pouvait croire le West End, le Fantôme de l'Opéra n'était pas vraiment la meilleure des bandes-son pour du morning sex.