Under study + Jesse/Gaby

Raphael était fatigué. Cette sensation s’imposait dans tout son corps, dans chacun de ses neurones, l’engourdissait. Il se levait le matin, endormi sans confort sur le canapé de sa salle de musique, au milieu de ses partitions. Il travaillait jusqu’à l’épuisement, pour éviter d’avoir à croiser Jane, pour se donner une excuse valable auprès de Maggie. Il se réveillait le corps courbaturé de sa position, rejetait les partitions qui le recouvraient, se relevait toujours trop brusquement, était surpris par un vertige. Il oubliait de se faire discret lorsqu’il rentrait dans sa chambre pour aller prendre des affaires et filer sous la douche. Tant pis s’il réveillait Jane. Leurs regards se croiseraient sans doute, vide et haineux, terriblement silencieux. C’était une odieuse cohabitation. Tout cela l’épuisait. La vie, autour de lui, s’étirait sans saveur, sans couleur, sans odeur. S’il buvait du café pour se donner une vague sensation de dynamisme, il ne mangeait rien, il avait l’estomac noué par ses mauvaises nuits. Il avalerait un morceau à midi, avec un nouveau café. Il avait oublié ce que c’était de vivre sainement. Parfois il avait l’impression de vivre avec seulement vingt pour cent de ses batteries. Si on appelait ça vivre. Il flottait, d’espace en espace, faisait ce qu’il avait à faire. Il tapotait les touches d’un piano à droite, à gauche, mais depuis le temps, c’était une action qu’il pouvait faire les yeux fermés, sans réfléchir. Il n’avait pas besoin d’y mettre sa tête, et sous les touches, c’était surement le reste de son coeur qui battait. En attendant, il avançait, sans rien ressentir, sans rien penser, si ce n’est cette intransigeante fatigue qui l’engourdissait. Il vivait dans ce monde cotonneux et creux, ou rien n’avait de sens, mais ou il se protégeait des mots, des actions qui pouvaient le faire trébucher.

Il avait fait passé tous les rôles principaux, comme l’avait ordonner le théâtre. C’était une manière de faire étonnante, pas toujours logique, surtout pour les Misérables ou la plus part des chansons nécessitaient plusieurs chanteur. Mais cela permettait sans aucun doute à Raphael de connaître personnellement chacun de ses chanteurs. Cela avait ses failles, ainsi que ses qualités. La faille la plus importante ayant été le tête à tête catastrophique avec Noah, qui avait bien failli résulté par la fuite du Javert. L’understudy aurait surement été ravis de l’apprendre, mais Raphael avait tout simplement jugé cela impossible. Aussi étrange que cela puisse paraître, Raphael avait besoin de Noah. Il avait besoin de lui en Javert. Il avait besoin d’avoir confiance en ses acteurs. Et il n’y avait personne dans tout le West End qui avait le plus gagné la confiance de Raphael. Sasha surement aussi, mais elle le haïssait tellement, qu’elle était capable de démissionner de son rôle de Fantine dans la foulée de la démission de Noah, juste pour la leçon. Le Valjean aussi était bon, et il n’avait en réalité rien à reprocher à ses acteurs. Mais il n’était pas Noah. Raphael avait besoin de Noah. Peut importe la douleur que cela lui causait, peut importe les regrets qui affluaient, il avait besoin de lui. Il avait besoin de savoir qu’ils pouvaient encore être quelque chose. Malgré tout. Quoiqu’il en soit, cette semaine de répétition avait été aussi positive qu’épuisante, et il ne savait guère s’il était heureux de finir par les understudy. Il avait réussit à obtenir des répétitions de groupe, le contraire aurait été une sérieuse perte de temps. En une journée, cela devrait être bouclé. A raison d’une bonne séance de travail intensif par semaine avec eux, il devrait être capable de les mener à bien pour l’éventualité ou ils auraient à remplacer leur rôle titre. Le reste du temps, ils suivraient les répétitions des coeurs, ou suivraient les répétitions de leur rôle titre.

La journée promettait d’être longue. Tous les Understudy avaient été convoqué, et par petit groupe avec des membres de l’orchestre, ils répétaient jusqu’à ce que Raphael viennent s’en occuper. Il devait être environs onze heure lorsque Raphael fit irruption dans la salle qu’occupait Marius et Cosette. Il baissa son regard sur ses partitions et son dossier, non Gabrielle et Jesse. Il passa donc la porte, le nez dans ses papiers, sans faire attention à la tension qui régnait dans la pièce. C’était le genre de chose auxquels il était devenu parfaitement hermétique tant qu’il ne se retrouvait pas directement pris entre les flammes. Il releva la tête, regarda les deux understudy, leur fit un sourire maîtrisé, s’arrêta sur leur pianiste improvisé, qui occupait généralement la place de violoniste dans l’orchestre. « Merci Joan, je prend à partir de là ! Tu peux prendre ta pause déjeuner ! Je te vois lundi pour l’orchestre ! » dit-il avec douceur, serrant la main de son collègue. Il avait fait l’effort d’apprendre les noms de chacun des musiciens de son orchestre, cela lui avait valu une soirée entière devant un trombinoscope, et une bonne partie de la nuit. Généralement, cela faisait son petit effet, il était agréable de ne pas seulement être violoniste numéro… Il se tourna vers les deux jeunes, posa ses partitions sur le piano « Je suis Raphael, votre chef d’orchestre, si vous avez besoin d’une pause avant qu’on attaque sérieusement, c’est maintenant qu’il faut le dire, si vous avez des questions, c’est maintenant aussi. » Si ces paroles pouvaient avoir l’air sèche, son ton était doux, mesuré, son sourire quoique timide était avenant, malgré sa stature droite, noble. « Ce sont vos premiers rôles dans le West End ? » demanda-t-il préférant l’entendre de leur bouche plutôt que de fouiller dans ses papiers pour retrouver leur CV. La réponse avait en réalité peut d’importance, il ne les jugerait pas là dessus, il fallait bien commencer quelque part. Eventuellement, ils pouvaient avoir plus d’appréhension si c’était leur premier rôle. « Je supposes que vous savez que le rôle d’understudy n’est pas à prendre à la légère, qu’à la moindre grippe, ou au moindre problème vous vous retrouvez sur le devant de la scène, et que cette première apparition peut basiquement lancer, ou planter votre carrière. » Non, il ne souhaitait pas les terrifier maintenant, mais autant qu’ils soient motivés, et près à tout donner. Ce n’était pas parce qu’a priori ils étaient là pour rester dans les coeurs, que leurs rôles n’étaient pas important, voir même essentiel. « Shall we begin ? » demanda-t-il, prenant place devant son piano. Raphael était fatigué. Mais il n’y avait pas de place pour la fatigue ici.

Sage était déjà partie lorsque Gaby émergea de sa chambre, la vue trouble et l'estomac en vrac. Elle soupçonnait que les départs de plus en plus matinaux de sa colocataire ait un rapport avec la gêne de Casey chaque fois qu'elle l'évoquait mais elle n'avait pas encore trouvé le temps d'aborder le sujet, que ce soit avec l'un ou l'autre. Après tout, elle les avait prévenu tous les deux. Ils étaient adultes, elle n'était pas leur mère et─ who was she kidding, elle allait s'occuper de ça. Oui mais plus tard. Ces derniers jours, elle avait à peine le temps de prendre une douche et de s'alimenter. Depuis le coup de fil des responsables de la dernière production des Mis, elle avait complètement changé de rythme. C'était normal, ils en étaient encore aux prémices de la production, à la découverte du reste du cast et des premières répétitions. Elle connaissait déjà la plupart de ses camarades, que ce soit de vue ou pour avoir travaillé avec eux. Certains comptaient même parmi ses références, à l'image de Sasha Bellamy qu'elle considérait comme une icône absolue et un véritable modèle ou son partenaire, Noah Valdivieso. Ces deux-là, Gaby les suivait depuis quelques années, elle avait assisté à plusieurs de leurs musicals et elle avait manqué d'exploser de joie la première fois qu'elle les avait croisé au théâtre. Dire qu'elle aurait peut-être l'occasion de chanter avec eux, sur scène, relevait encore du délire quelques semaines plus tôt mais elle y était. Elle avait finalement mis un pied dans le West End, le vrai, celui des grandes productions et des billets à cent livres. D'aucuns auraient dit que ce n'était que justice, après tant d'années passées à enchaîner de beaux rôles dans des productions au budget très limité mais à vrai dire, Gaby s'attendait presque à ce que quelqu'un éclate de rire en pleine répétition pour lui dire que ce n'était qu'une grosse blague. Elle n'était que doublure pourtant mais c'était un début bien plus prometteur que tous les Glinda du monde dans de petits théâtres misérables ─ ha ha ha.

Sans Sage, donc, elle s'était donc préparé un thé en quatrième vitesse après avoir enfilé son sweatshirt Hufflepuff par-dessus un jean un peu trop large pour elle, probablement appartenait-il à Cara d'ailleurs. Elle allait devoir faire du tri. Oui mais plus tard ça aussi. Elle n'avait pas le temps, il fallait qu'elle aille au théâtre. Le chef d'orchestre avait demandé à les voir aujourd'hui, l'insupportable doublure de Marius et elle. Comment ce type ─ Jesse, ugh, même son prénom l'agaçait ─ pouvait être pote avec Casey, ça la dépassait complètement et elle se serait volontiers passé de devoir le voir au boulot, pire encore, de devoir travailler avec lui. Ses réflexions lui tapaient sur les nerfs et elle était à deux doigts de lui rappeler la limite entre flirt et harcèlement sexuel chaque fois qu'il ouvrait la bouche. D'accord, c'était peut-être un peu exagéré, d'autant plus qu'il l'insupportait plus qu'il ne la mettait mal à l'aise mais elle aurait donné cher pour qu'il lui foute la paix. Il faudrait qu'il lui explique un jour pourquoi il continuait de lui faire des avances alors qu'elle lui avait clairement dit et répété qu'il ne l'intéressait pas et ne l'intéresserait jamais. Probablement pour la même raison qu'un nombre effarant d'hommes trouvaient excitant d'observer deux nanas aux faux-ongles ultra longs batifoler dans des draps en satin cheap.

Elle était arrivée au théâtre un peu tard, un peu essoufflée aussi après avoir grimpé les marches de la bouche de métro quatre par quatre, activité que lui permettaient ses longues jambes. Mais toute bonne danseuse qu'elle était, Gaby manquait un brin d'endurance et c'est le souffle court qu'elle débarqua dans la salle où les répétitions étaient sensées se dérouler. Un homme se trouvait déjà à piano ─ il faisait partie de l'orchestre, lui semblait-il ─ et, un peu plus loin, Jesse patientait. Gaby inspira profondément sans lui accorder plus qu'un regard bref. Inutile de l'encourager dans son idée stupide, elle voulait se débarrasser de lui ou, en tout cas, qu'il cesse de lui faire du rentre-dedans. C'était ridicule et ô combien agaçant. « Bonjour » lâcha-t-elle en déposant son sac, son bonnet et son écharpe sur l'une des chaises libres. Un brin d'échauffement ne lui ferait pas de mal. Elle s'éclaircit la gorge et arqua un sourcil en une question muette à l'intention de Jesse. Mieux valait commencer rapidement avant qu'il n'ait la riche idée de lui faire une remarque sur son manque de ponctualité ─ un fait tout à fait inhabituel d'ailleurs, tenait-elle à préciser ─ ou elle risquait de laisser libre cours à ses pulsions meurtrières.

Le chef d'orchestre poussa la porte alors qu'ils faisaient une pause. Gaby se débarrassait de son sweat lorsqu'il entra et elle ne put retenir un sursaut de surprise en le découvrant, une fois qu'elle eut passé le pull par-dessus sa tête. « Merci Joan, je prend à partir de là ! Tu peux prendre ta pause déjeuner ! Je te vois lundi pour l’orchestre ! » fit-il, à l'intention du pianiste qui les avait aidés à s'échauffer. Les deux hommes se serrèrent la main et, très vite, ils ne furent plus que trois dans la pièce. Le chef d'orchestre se tourna vers eux après avoir arrangé ses partitions, au piano. « Je suis Raphael » se présenta-t-il et, curieusement, il était plutôt doux. Elle l'avait croisé plusieurs fois, notamment la première fois que le cast s'était réuni et il l'avait impressionné. Ce n'était ni sa stature ni les indications qu'il avait brièvement donné aux uns et aux autres, mais plutôt l'air qu'il dégageait, vaguement austère mais serein, sévère mais juste. Exigeant aussi et c'était normal, il fallait qu'il le soit pour les mener à la baguette ─ littéralement. « votre chef d’orchestre, si vous avez besoin d’une pause avant qu’on attaque sérieusement, c’est maintenant qu’il faut le dire, si vous avez des questions, c’est maintenant aussi » Gaby acquiesça, sans pour autant toutefois trouver la moindre question qui valait d'être posée. Ce n'était pas son premier rodéo et si elle était impressionnée par le prestige des lieux, elle connaissait un peu les ficelles du milieu. « Ce sont vos premiers rôles dans le West End ? » s'enquit le chef d'orchestre ─ non, elle ne l'appellerait pas Raphael, du moins pas devant lui, même mentalement. « Non, répondit-elle, un peu vite peut-être avant d'ajouter, avec un haussement d'épaules : pas vraiment » Ce rôle, d'ailleurs, elle l'avait déjà joué. Dans un tout petit théâtre devant quinze personnes chaque soir pendant trois semaines, certes, mais elle l'avait déjà joué. Comme une douzaine d'autres qui ne lui avaient apporté aucune gloire ou presque, c'est vrai, mais elle avait acquis de l'expérience avec ces petits spectacles. C'était bien plus que ce que Jesse dearest, entre autres ici, pouvait dire, et ça la satisfaisait en l'instant présent.  « Je supposes que vous savez que le rôle d’understudy n’est pas à prendre à la légère, rappela le chef d'orchestre, qu’à la moindre grippe, ou au moindre problème vous vous retrouvez sur le devant de la scène, et que cette première apparition peut basiquement lancer, ou planter votre carrière » Attentive, Gaby hocha à nouveau la tête. Elle ne le dirait certainement pas à voix haute ─ parce qu'il était hors de question qu'elle donne matière à ricaner à Jesse ─ mais être doublure dans cette production l'angoissait bien plus que ses rôles précédents. Cette fois, elle aurait un public, un vrai, le jour où elle monterait sur scène et pas quelques touristes qui se seraient égarés. Un vrai public, une vraie salle, une salle comble. « Shall we begin ? » Il s'installa devant le piano, attendant probablement leur accord. « Allons-y, oui, approuva-t-elle, A Heart Full of Love ? Si tu es suffisamment échauffé, bien sûr » ajouta-t-elle à l'intention de Jesse. D'accord, ok, c'était petit de sous-entendre le contraire, il avait fait les mêmes exercices qu'elle, quelques minutes plus tôt et il n'était pas dénué de talent. Elle le reconnaissait, pas verbalement mais elle le reconnaissait. Dans le fond, elle aurait probablement pu apprécier de travailler avec lui s'il n'avait pas été aussi emmerdant. Probablement, oui mais jusqu'à présent, elle avait préféré bosser cette chanson avec Chris. Partitions en main après un rapide tour par son sac, elle se posta d'un côté du piano, face à son partenaire. Cosette et Marius, Marius et Cosette. Il leur fallait de l'alchimie, il leur fallait du romantisme. Oui mais plus tard, aussi. D'abord la technique, d'abord la voix. Le jeu, après et elle en était enchantée. Elle avait déjà dû gérer ses sous-entendus plus ou moins fins alors que les répétitions venaient seulement de commencer, elle n'imaginait pas ce que ça serait lorsqu'ils devraient feindre d'être follement amoureux.

« Bon, d’accord, peut-être un peu ! » avait-il fini par avouer quand Scarlett lui avait demandé s’il avait peur et que, bravache, il avait répliqué que non. Le simple haussement de sourcils incrédule de sa cadette avait suffi à le faire capituler et confesser son appréhension. Bien sûr qu’il avait peur, c’était même pire que ça, il était tout bonnement et simplement mort de trouille à l’idée de rencontrer enfin le chef d’orchestre, le dirigeant de tout le spectacle et d’assister à sa première répétition en sa présence. Et si, soudainement, sa voix se mettait à dérailler et qu’il se ridiculisait ? Si Raphael décidait qu’il était trop mauvais pour faire partie de la production et qu’il le virait, sans autre forme de procès ? A cette idée plus que déplaisante, il reste angoissé devant son petit-déjeuner, incapable d’avaler quoi que ce soit. N’y tenant plus, il attrape un sac en toile dans lequel il fourre ses partitions avant de le passer en bandoulière autour de ses épaules, embrassant sa sœur sur le front avant de quitter l’appartement, non sans un dernier signe de la main. Après un temps indéfiniment long passé dans le métro, il arrive au pas de course devant le théâtre, jetant un œil à l’horloge ; il est en avance, bien entendu, comment pourrait-il en être autrement vu son niveau d’excitation ? Il croise un agent d’accueil mieux vêtu que lui-même et il observe un instant sa tenue dans le grand miroir de l’entrée : un pull trop large, un jean tout aussi lâche, troué et effiloché à de nombreux endroits, des chaussures défraichies… Il n’avait clairement pas l’allure d’une future star en devenir. Il se mordille la lèvre inférieure, hésitant un moment à faire demi-tour, rentrer à la maison et se changer pour quelque chose de plus convenable, avant de finalement hausser les épaules. Il était là pour sa voix, certainement pas pour son goût incertain en matière de vêtements. C’est avec toute sa célérité naturelle qu’il se rend dans la salle de répétitions, commençant à échauffer sa voix sur des gammes de notes, partant de la tessiture la plus grave pour finir par la plus aigüe, a capella, puisque les musiciens ne sont pas encore arrivés. Quand il ne se retrouve plus seul – enfin – il ne cesse pas. Jamais. C’était trop important pour lui, cela signifiait trop pour qu’il se laisse aller à l’oisiveté. Il prend tout de même une petite pause, cinq minutes, pas plus, se promet-il mentalement en avalant une gorgée d’eau. « Bonjour » Il se retourne en entendant la voix de sa partenaire résonner dans l’auditorium et il ne peut retenir un sourire enjôleur. Gaby. Blonde, talentueuse, jolie et… désespérément frigide. Il en avait pourtant entendu des excuses de la part des filles, pour se défiler, mais personne n’avait encore osé lui sortir le fameux couplet du désolée mais je préfère les filles. Come on, comme s’il était possible de lui résister, à lui. Alors, malgré ce qu’elle pouvait bien en dire, il n’avait pas lâché l’affaire ; il ne le faisait jamais, la vie lui avait donné un tempérament du genre persévérant. Il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à l’heure qu’affiche son téléphone portable, constatant avec amusement qu’elle était en retard. Vu son air peu amène de ce matin (et de tous les autres jours, soyons honnêtes !), il préfère s’abstenir de tout commentaire. En tous cas pour l’instant. La tension (sexuelle, pensait clairement Jesse) n’en est pas moins palpable tandis qu’ils finissent l’échauffement ensemble, en silence, du moins sans autre forme de communication que la musique et le chant. Et qu’après elle ose dire qu’il ne lui plaisait pas ! Qu’importait, plus elle le repoussait et plus il insistait, gagné par le défi qu’elle représentait… « Merci Joan, je prends à partir de là ! Tu peux prendre ta pause déjeuner ! Je te vois lundi pour l’orchestre ! » Jesse se redresse en voyant le chef d’orchestre et soudainement, il est un peu plus tendu, sous pression. Cette journée était essentielle, il ne fallait pas la gâcher par des erreurs idiotes. « Je suis Raphael,]votre chef d’orchestre, si vous avez besoin d’une pause avant qu’on attaque sérieusement, c’est maintenant qu’il faut le dire, si vous avez des questions, c’est maintenant aussi. » Il se contente d’un léger sourire, levant la main pour indiquer que tout était bon de son côté, de celui de Gaby aussi visiblement, comme elle n’ajoute rien de plus. Ça, c’était étonnant, elle qui était pourtant toujours si prompte à babiller. « Ce sont vos premiers rôles dans le West End ? » « Non, pas vraiment. » Ben tiens ! Le jeune Andrews lève mentalement les yeux au ciel, un brin agacé par ce qu’il prend pour de la prétention, mais il finit tout de même par répondre un « oui » un peu faiblard, à mi-voix. « Je supposes que vous savez que le rôle d’understudy n’est pas à prendre à la légère, qu’à la moindre grippe, ou au moindre problème vous vous retrouvez sur le devant de la scène, et que cette première apparition peut basiquement lancer, ou planter votre carrière. » Ils hochent la tête religieusement, tous les deux. Dire que Jesse n’attendait que ça, une grippe, une attaque nucléaire ou qu’importe pour prendre le rôle du chanteur principal était un doux euphémisme. « Shall we begin ? » Il ouvre la bouche pour répondre mais, à nouveau, Gaby lui coupe l’herbe sous le pied, visiblement décidée à bien se faire voir. « Allons-y, oui. A Heart Full of Love ? Si tu es suffisamment échauffé, bien sûr. » GARCE ! ne peut-il s’empêcher de hurler dans sa tête en entendant le tacle peu réglementaire qu’elle lui envoie. « Tu ne te poserais pas la question si tu étais arrivée à l’heure… » Retour à l’envoyeur. Il n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds sans rien dire, même si la fille était jolie. Appuyé de l’autre côté du piano, il attend l’accord de Raphael pour commencer, puisque sa partie entamait la chanson. Etonnant d’ailleurs qu’elle ait choisi celle-ci ; et après elle osait prétendre qu’elle n’était pas folle de lui ? Foutaises ! Il chante, sans la moindre fasse note, bien plus assuré quand il joue son rôle que quand il n’est que ce gamin sorti de nulle part et sans la moindre expérience. Elle lui répond, sans faillir non plus, et il ne peut que reconnaitre qu’elle a du talent malgré son caractère irascible. Bien sûr, elle est loin de paraître amoureuse et Cosette ressemble davantage à la Reine des Glaces mais pourquoi pas ? C’était une interprétation, après tout. Les dernières notes de piano meurent en même temps que leurs voix et il ne peut retenir un sourire enjôleur à son attention, avant de reporter son intérêt sur le chef d’orchestre, aussi impatient qu’inquiet d’avoir son avis sur la question…

Raphael aimait beaucoup, au final, s’occuper des understudy. Notamment lorsqu’il était jeune et pas loin d’être des novices. Au final, lui n’avait jamais vraiment chanté. Il chantait pourtant bien, et tout seul derrière son instrument, c’était tout à fait honorable. Mais il n’avait jamais eu de souffle, et ne parvenait pas à respirer correctement. Il ne pouvait donc pas pousser sa voix suffisamment. Ce n’était pas un problème, il n’avait jamais voulu faire une carrière de choriste, encore moins de soliste, et il avait suffisamment de talent avec les instruments, et avec la musique en général, pour ne pas avoir à se soucier de ses propres capacités de chant. Il savait suffisamment bien chanter pour comprendre les enjeux du chanteur et savoir les aiguiller. Et après huit ans à travailler dans les comédies musicales, on pouvait dire qu’il commençait à être doué pour entraîner des chanteurs. Il prenait toujours énormément de plaisir avec les personnages principaux. D’autant plus lorsqu’il les avait déjà dirigé une ou plusieurs fois, et qu’il connaissait leur point fort, leur point faible, et qu’il savait comment les mener au mieux. Mais il aimait tout autant diriger les understudy. Principalement les plus jeunes, ceux qu’il n’avait jamais rencontré, jamais entendu. Il y avait quelque chose d’extrêmement rafraîchissant dans ses premières rencontres autour d’un piano. Il aimait essayer d’établir leur profil, d’apprendre à les connaître. Il aimait aussi pouvoir assumer un peu la position de professeur, et les guider au mieux. Bien évidement, ils sortaient, ou était encore, au milieu de leurs études, et tous les jours, ils apprenaient de nouvelle chose, mais on était jamais parfait. S’il arrivait encore à apprendre des choses aux chanteurs de trente, quarante, cinquante ans, il devrait réussir à faire quelque chose avec eux… Quoiqu’il en soit, il aimait la relation qui se développait entre chanteur et chef d’orchestre, et espérait toujours beaucoup des nouveaux chanteurs.

Raphael espérait être un bon chef d’orchestre. On ne lui avait jamais reproché le contraire, et il n’avait aucune raison de douter. Mais néanmoins, il se contentait d’espérer, à défaut d’être totalement sûr. On disait de lui qu’il pouvait être sévère. On lui reconnaissait un talent évident en musique, et il était clairement un prodige au piano. Mais il avait surtout l’ouïe si fine, qu’il repérait les erreurs extrêmement rapidement. Et la dessus, il était impitoyable. Mais il était aussi d’une patience d’ange, et était réputé pour ne pas compter ses heures de travail, et rester, jusqu’à ce que tout soit parfait. Il était clairement perfectionniste, ne supportait pas délégué, et était typiquement ce qu’on appelait un bourreau de travail. Mais c’était peut être ce qui le rendait aussi bon, aussi juste dans son métier. Quoiqu’il en soit, il pensait être à même, depuis le temps, de gérer n’importe quelle situation. Néanmoins, il n’avait jamais gérer deux chanteurs qui ne se supportait pas. Enfin, il ne pensait pas. Pourtant, là, il lui avait fallu une grosse poignée de seconde pour saisir la tension palpable qui régnait dans la pièce. Du moment qu’ils ne s’étripaient pas sous ses yeux, tout devrait bien se passer. Néanmoins ils étaient peu bavard. Ils avaient à peine réussit à leur arracher trois mots. Jesse avait presque murmurer sa réponse, et Gabrielle n’aurait su être plu évasive. Il sourit, et demanda doucement « Quel rôle as-tu jouer ? » Etait-ce bizarre de vouloir en savoir plus sur ses chanteurs, ou de simplement faire un minimum la conversation avant de sauter sur son piano ? « Et je suis sûr que ça ira bien Jesse ! Après tout, vous êtes tous les deux là pour une raison. Et il faut bien commencer quelque part. » Lui il avait commencé dans la fausse d’orchestre de Carmen. On commençait tous quelque part.

Il ne prolongea pas d’avantage la discussion. Les deux ne semblaient pas être très enclin au bavardage, et il avait eu assez de l’atmosphère pesante avec Noah pour ne pas vouloir réitéré l’expérience avec ces deux là. Il ne savait pas ce qu’il y avait entre eux, et honnêtement, à moins que ça ne dérange la pièce, il ne voulait pas le savoir. Il fronça tout de même les sourcils au coup bas lancé par Gabrielle, ne rata pas l’animosité de la réponse de Jesse. Diable, il leur ferait peut être construire un ring. « Si vous êtes échauffé, on va commencer. A Heart full of Love. » Il les regarda tout de même perplexe, dans quoi venait-il de mettre les pieds ? Il décida de faire abstraction, de leur donner une minute pour se mettre en place. On verrait bien ce que cela donnerait une fois qu’ils chanteraient. Il leur jeta un regard pour vérifier qu’ils étaient bel et bien prêt, et effleurant les touches du piano il commença. Les premiers accords résonnèrent, seul dans la pièce, jusqu’à ce que Jesse prenne son rôle. Il avait commencé à temps, était juste, son jeu était un peu prématuré, mais il ne lui avait rien dit, il ne pouvait pas savoir. La voix de Gabrielle vint raisonné par dessus. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle avait du coffre, et qu’elle en faisait trop. La première impression continua sur le reste de la chanson. Il aurait pu s’interrompre, reprendre du début immédiatement. Mais il trouvait ça toujours extrêmement impoli de couper quelqu’un avant qu’il est finit. Cela lui était arrivé quelques fois, et cela voulait dire que c’était un véritable massacre. Ce qui n’était absolument pas le cas à présent. C’était pas mal, pour une première fois. La Cosette savait effectivement ce qu’elle avait à faire, et le Marius se défendait bien malgré le probable désir de sa partenaire de l’assassiner. Lorsqu’il finit la dernière note, il marqua une pause. Il les regarda tous les deux. « C’était pas mal. Vous en pensez quoi ? » Il était toujours assez intéressant de voir si les chanteurs étaient capable de reconnaître leur propre défaut. S’ils s’en rendaient compte, c’était beaucoup plus simple à corriger. « Comme ça, qu’est ce que vous pouvez améliorer ? » Il laissa porter son regard sur Gabrielle, puis sur Jesse. « Je peux vous le dire, mais c’est plus intéressant pour vous si ça vient directement de vous. » Vraiment.

Gaby n'était pas du genre à se laisser influencer par ses premières impressions, bonnes ou mauvaises. Pour être tout à fait honnête, elle ne se souvenait pas vraiment de l'effet que cet imbécile pompeux lui avait fait la première fois mais par pure mauvaise foi, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait dû être exécrable, comme d'habitude. Ce n'était pas faute de lui avoir offert l'occasion de faire ses preuves, à plusieurs reprises d'ailleurs mais il s'entêtait. Alors non, la perspective de devoir répéter avec lui ne la réjouissait guère et ce n'était pas pour lui qu'elle avait effectué une partie du chemin au pas de course, loin de là. Comment pouvait-on être aussi bouché, elle se le demandait encore. Ce n'était clairement pas pour ses capacités intellectuelles que Jesse avait été engagé mais après tout, elle était capable de faire abstraction. Non sans une petite pique ou deux, parce qu'il ne fallait tout de même pas trop lui en demander. Voilà des jours qu'elle subissait plus ou moins silence sa compagnie qui n'était pas des plus agréables, elle pouvait donc s'accorder une petite faiblesse. Même devant Raphael De Lacy. Tout le monde, au théâtre, le connaissait mais la jeune femme n'avait pas encore eu l'occasion de converser avec lui. Elle fut un peu surprise par l'intention et littéralement stupéfaite lorsqu'il ne se contenta pas uniquement d'écouter leurs réponses respectives mais qu'il demanda également des précisions. « Glinda. Trois fois. Meg Giry pendant quelques semaines pour la dernière tournée britannique du Fantôme. Anna dans The King & I. Et Maria dans The Sound of Music l'année passée » murmura-t-elle, rougissant un peu. Elle ne précisa pas qu'elle avait interprété ces rôles-là devant quelques centaines de personnes en tout et pour tout, Meg excepté. Une tournée était un univers différent. De toute manière, De Lacy devait bien s'en douter. Elle n'était qu'une petite doublure, ce n'était pas elle, Cosette. « Et je suis sûr que ça ira bien Jesse ! Après tout, vous êtes tous les deux là pour une raison. Et il faut bien commencer quelque part » reprit le chef d'orchestre à l'intention de son camarade. Se redressant pour le regarder droit dans les yeux, Gaby s'autorisa un haussement de sourcils sceptiques. Ce n'était vraiment pas dans ses habitudes d'être aussi hautaine mais après tout, elle n'était pas plus habituée à répéter quinze fois que non, elle n'aimait pas les garçons, never had, never would. Il fallait un début à tout, manifestement.

Bien décidée à passer au-dessus du ressentiment que lui inspirait Andrews, elle s'empressa de proposer la chanson phare de ce couple auquel ils devraient peut-être donner vie ensemble, un jour ou l'autre. Ce n'était pas une chanson évidente mais Gaby l'avait suffisamment répété avec Chris pour la chanter les yeux fermés. Littéralement, si ça signifiait pouvoir se concentrer plus facilement. Parce qu'autant être honnête, le visage de Jesse ne faisait pas pétiller ni tressauter son estomac ─ ou alors de dégoût, à la limite ─ et ce n'était pas sur lui qu'elle pouvait compter pour lui inspirer romantisme et mélodie. Surtout pas lorsqu'il ne la laissait pas avoir le dernier mot. « Tu ne te poserais pas la question si tu étais arrivée à l’heure… » répliqua-t-il lorsqu'elle lui demanda très poliment s'il était prêt. Certes, elle s'était montrée à peu près aussi condescendante avec lui qu'un adulte face à un gamin parlant de révolutionner le monde but still. So bloody annoying. Agacée, elle pinça les lèvres et lui jeta un regard noir pour la forme tandis que leur chef d'orchestre coupait court à tout début de querelle. « Si vous êtes échauffé, on va commencer. A Heart full of Love » fit-il et Gaby acquiesça en silence. Elle baissa les yeux sur sa partition et se laissa porter par le piano, oubliant tout de Jesse, de sa voix pas si agaçante que ça à ses réflexions ridicules et borderline homophobes, jusqu'à sa présence dans la pièce. Elle ignorait pourquoi on les avait choisi tous les deux, pour être les doublures d'un duo pareil. Ils n'allaient absolument pas bien ensemble, leurs voix ne se mêlaient guère. Peut-être était-ce un peu de sa faute, à la réflexion. Mais en même temps pourquoi aurait-elle eu envie de l'écouter, rôle ou pas, lui dire tout son amour avec candeur et dévotion ? Ugh, lol nope. Not happening. Pourtant si, il allait bien falloir que ça arrive, réalisa-t-elle devant le regard un peu soucieux de De Lacy. « C’était pas mal. Vous en pensez quoi ? » s'enquit-il. Instinctivement, elle en disait qu'elle aurait certainement fait beaucoup mieux qu'Amanda Seyfried si elle avait passé les auditions pour le film de Hooper. Mais ce n'était pas ce qu'attendait De Lacy et ce n'était pas non plus le genre de choses à dire. En tout cas pas ici. Elle avait conscience d'en avoir fait légèrement trop pour cette première fois et de ne pas du tout écouter Jesse, si ce n'est pour le tempo. Ce n'était ni correct, ni professionnel. « On a du travail, je suppose » fit-elle en haussant les épaules. Hors de question qu'elle se mouille ou qu'elle reconnaisse qu'elle avait eu tort de pousser sur sa voix plutôt que d'harmoniser avec lui. « Comme ça, qu’est ce que vous pouvez améliorer ? reprit le chef d'orchestre, au grand dam de Gaby qui se mordit la lèvre inférieure. Je peux vous le dire, mais c’est plus intéressant pour vous si ça vient directement de vous » Evidemment, oui et au passage il vérifierait leur bonne foi et leur motivation. Bravo. « On ne s'écoute pas... pas beaucoup, rectifia-t-elle au dernier moment, ce qui va finir par poser problème quand il faudra penser à l'interprétation » Et là aussi, la partie s'annonçait compliquée. Elle avait beau avoir quelques années de théâtre derrière elle, tout ce que Gaby espérait, c'était ne pas avoir à dépasser le stade des répétitions avec lui. Elle avait croisé l'interprète de Marius à plusieurs reprises, ils se connaissaient de vue et à vrai dire, c'était un garçon bien plus charmant que Jesse Andrews ne le serait jamais. Mais après tout, elle n'était qu'une doublure et elle n'était pas exactement en mesure de se plaindre de quoi que ce soit.

Les dernières notes se meurent dans l’air de la salle de répétitions et Jesse se fend d’une moue patiente, attendant l’avis du chef d’orchestre sur leur prestation. Il n’accorde même pas un regard à Gaby, des fois que l’idée ne lui vienne de hurler encore au harcèlement. Ce qu’elle pouvait en faire trop parfois, une vraie drama queen ! D’ailleurs, même dans sa prestation, elle s’était montrée trop… trop tout. Désireux de ne pas se montrer trop prétentieux et d’entrer dans les bonnes grâces de Raphael, il préfère garder le silence sur sa performance et surtout sur celle de Gaby. « C’était pas mal. Vous en pensez quoi ? » Que c’est une frigide tout à fait folle de moi et qu’elle est bien trop fière pour avouer qu’elle a succombé à mon charme irrésistible ? Il ouvre la bouche pour répondre quelque chose de ce genre mais, à nouveau, la jeune blonde lui coupe l’herbe sous le pied (décidément, c’était en train de devenir une sale habitude !). « On a du travail, je suppose. » Oh ! Parce qu’il parlait de leurs prestations ? Pour une fois, il avait bien fait de se taire, ça aurait vite pu devenir embarrassant ! Du coup, il se contente d’un vague signe de la tête signifiant, plus ou moins, qu’il est à peu près d’accord avec son analyse. Pas qu’elle soit très pertinente, mais il n’a pas trouvé mieux. « Comme ça, qu’est ce que vous pouvez améliorer ? » Jesse fait mine de réfléchir à ce qu’il pourrait améliorer. Ce qu’il a fait est loin d’être parfait, il en est plus que conscient, mais ça n’en reste pas plus aisé de se critiquer ouvertement, encore moins devant Gaby qui se fera une joie d’en rajouter à l’abreuvoir de ses défauts. « Je peux vous le dire, mais c’est plus intéressant pour vous si ça vient directement de vous. » Pour sûr… Pour une fois, il laisse volontiers la parole à sa camarade. « On ne s'écoute pas... pas beaucoup. Ce qui va finir par poser problème quand il faudra penser à l'interprétation. » Ah, pour une fois, ils étaient d’accords sur un point. Elle n’écoutait pas, elle n’écoutait d’ailleurs jamais, surtout quand il parlait de l’inviter à boire un verre ou quand il lui contait fleurette. Elle jouait les indifférentes encore et encore et encore. Son regard glisse vers la jeune femme, un long coup d’œil en coin, s’attardant peut-être un peu trop sur ses courbes au passage, avant de revenir sur le chef d’orchestre. Un défaut… Oui, il fallait qu’il trouve quelque chose à dire lui aussi, sous peine de quoi il passerait pour un horrible petit con prétentieux, ce qui ferait bien trop plaisir à la blondinette. Rien que pour le plaisir de la faire chier, il était bien prêt à se trouver un milliard de défauts. Après quelques secondes de réflexion, il finit par déclarer à son tour, avec toute la sincérité dont il peut faire preuve. « Je ne respire pas correctement, je dirais… J’arrive essoufflé à la fin de mes phrases, ça m’oblige à prendre des respirations rapides au beau milieu d’une tirade et ça perturbe mes notes, parfois. » Il n’avait pas parlé de Gaby, il ne valait mieux pas qu’il se lance sur ce sujet parce qu’il serait capable de faire une liste longue comme le bras de ses défauts. Rien à voir avec sa façon de chanter, bien entendu. Mais Raphael n’avait pas besoin d’assister à une de leurs énièmes joutes verbales, une de plus, Jesse attendant impatiemment le moment où l’une de ces disputes les mèneraient enfin à se réconcilier au creux d’un lit douillet. Il ne perdait pas espoir que ça arrive, quoiqu’elle puisse bien en dire à qui voulait bien l’entendre. Tout le monde savait qu’elle n’avait d’yeux que pour lui, même le chef d’orchestre devait sentir cette tension sexuelle latente entre eux.