The first time we talk

Oxford, la superbe. Je ne parviens toujours pas à me faire à l’idée de ma présence ici, en tant que Professeur. Hier, je suis allé voir Adrian, après plusieurs semaines – voire plusieurs mois – passés à l’ignorer royalement pour lui manifester mon mécontentement quant à sa conduite avec mon frère. William souffre, et j’estime irrespectueux pour mon meilleur ami d’avoir privilégié à notre relation cette relation qu’il savait éphémère en prenant le risque de faire souffrir la seule personne au monde que j’aime de manière si profonde. Seulement voilà, je ne suis pas non plus le dernier des ingrats, et je sais que si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à Adrian, qui possède une salle de cours magnifique dans les quartiers de littérature. Je m’y suis donc rendu pour le remercier, et nous avons partagé un thé avant que je ne revienne de là où je venais – les couloirs de la criminologie. J’adore cette matière, j’adore cette université, j’adore enseigner ici. C’est véritablement une chance, une opportunité sans pareille. Je ne veux rien gâcher et c’est pourquoi j’applique le plus grand soin à la préparation de chacun de mes cours. Bien entendu, le rythme est difficile à tenir, mais je n’ai pas eu à m’absenter une seule fois pour l’instant. Il m’arrive de rester dormir à Oxford, mais ce n’est pas aussi fréquent que je l’aurais pensé. En tout cas, pour le moment, tout va bien, et mes classes semblent apprécier le cours dispensé ici pour elles.

Aujourd’hui, c’est aux premières années de droit que je donne un cours de criminologie. L’idée me parait un peu saugrenue, pour être tout à fait honnête – je ne vois pas très bien en quoi des premières années de droit peuvent s’intéresser, déjà, à cette matière. Cela dit et à leur décharge, ils se sont montrés très attentifs jusqu’à présent, à quelques rares exceptions près que j’ai déjà fait sortir du cours à mon bon gré. Aujourd’hui, je leur parle de Jack l’Eventreur, parce que la légende me passionne et qu’Halloween approche – j’ai donc imaginé pouvoir faire un cours moins traditionnel que d’habitude, et je dois admettre que le succès escompté est au rendez vous. Je force les étudiants à réfléchir au profil psychologique d’un des tueurs les plus célèbres de Londres, et termine la classe par une plus ou moins bonne nouvelle. « Vous me rendrez un devoir sur le profil psychologique de Jack l’Eventreur. Une page, mille mots, pas plus. Je compterai ce devoir comme un bonus pour aider votre moyenne à la fin de l’année si cela s’avérait nécessaire », je précise en hochant la tête. « Bonne après-midi à tous », je finis par lâcher, satisfait. Le silence règne pas mal dans la salle désormais, j’ai réussi, je crois, à ne pas me faire bouffer par les étudiants. Peu à peu, les rumeurs se colportent, circulent dans les couloirs d’Oxford, et informent les étudiants sur l’originalité, la rigueur de mon cours. Ce n’est pas plus mal – cela m’évite quelques débordements.

Je range mes affaires quand une étudiante s’approche. C’est, de faire, très rare que les étudiants viennent me voir à la fin de l’heure, ils sont plus rebutés qu’autre chose, même si mon cours plait. Mlle Nicholson – je connais les noms de mes étudiants, ce qui m’a pris un temps fou mais ne me rend pas peu fier. Elle me parle du tout premier devoir que je leur ai assigné, qui est à rendre pour la semaine suivante. « Mlle Nicholson, vous savez que reprendre votre devoir pour vous aider à l’améliorer avant qu’il ne soit ramassé et noté serait une forme de triche par rapport à vos autres camarades qui n’auront pas de relecture ? » je lui demande, sans agressivité mais réaliste. « Je ne peux pas vous donner cette faveur, malheureusement, même si j’apprécie votre motivation. Cela dit, si je peux me permettre quelques conseils – les détails sont parfois inutiles. Il ne faut pas privilégier la quantité à la qualité – supprimer quelques détails ne vous portera pas préjudice, partez du principe, vu votre niveau de première année et de débutante en criminologie, que votre devoir pourrait être adressé à un adolescent qui a besoin de comprendre les grandes lignes de votre développement », je suggère en hochant la tête. Je suis exigeant, bien entendu, mais pas idiot non plus – ils ne sont pas tous chargés d’une thèse en criminologie. « Si vous avez des questions, en revanche, plus précises, je peux y répondre ».