Two old friends telling stories - Rupert

L’automne était bel et bien arrivé. Les vestes chaudes étaient de sortie, le temps était de plus en plus humide et les couettes chaudes avaient réintégré les lits. Londres allait reprendre ses habitudes, les londoniens sortant les gros pulls et les manteaux chauds pour se protéger contre les gros nuages gris menaçant au-dessus de leurs têtes. Les arbres changeaient de couleur et les feuilles tombaient bien que l’on soit seulement début octobre. La plupart des gens rechignaient lorsque l’été s’éloignait pour laisser place aux nuages mais Izia n’aurait pas pu être plus heureuse. Cette saison où il ne fait pas trop chaud, où la nature montre tout son nuancier, où l’on peut se blottir dans des pulls moelleux pour échapper au froid plutôt que de subir une chaleur étouffante sans pouvoir rien y faire représentait le summum du confort. Pour Izia, passer une soirée dans le canapé devant la cheminée avec une énorme tasse de chocolat chaud et un bon bouquin se rapprochait du Paradis. C’est donc avec un grand sourire aux lèvres qu’elle se leva de bonne heure ce samedi matin. Le soleil brillait malgré un fond de l’air très frais et humide. Elle prit cela comme un signe et décida de se motiver assez pour aller courir avant le petit déjeuner. Elle sauta du lit, enfila des vêtements adaptés et sortit de son appartement, téléphone et écouteurs en main. Elle fit le tour de Hyde Park en une heure à bonne foulée, rentra, prit une douche et s’attaqua à la préparation d’un petit-déjeuner capable d’atténuer ce sentiment de ne pas avoir mangé depuis six mois. Deux substances jaunes dégoulinantes sur les cheveux de Caro à la coque, deux toasts, une pile de pancakes au sirop d’érable et un litre de thé plus tard, elle était prête à affronter la journée. Elle commença par se mettre à l’écriture brouillonne de l’épisode final de la première saison de sa propre série. Elle n’arrivait pas à y croire. C’était la dernière ligne droite avant d’atteindre le but qu’elle s’était fixé ; lorsqu’elle aurait une saison complète terminée, elle enverrait ses scénarii à toutes les chaînes du pays et américaines. Après, advienne que pourra. Si elle n’essuyait que des refus, elle n’arrêterait pas d’écrire pour autant. Elle y passa quelques heures, puis vint le tour des corvées domestiques. Ranger l’appartement était la priorité. Les pages imprimées et éparpillées de sa propre série en cours d’écriture retrouvèrent un ordre logique et une place en pile sur son bureau. Les fringues dispersées partout finirent dans le panier à linge, la vaisselle sale dans le lave-vaisselle.

Ne voulant pas passer l’après-midi seule alors que Raphaël passerait son temps à corriger des copies, elle décida de sortir et envoya un texto à Rupert, lui proposant de se voir. Elle le connaissait depuis longtemps, lorsque Rupert s’appelait encore Roxanne. Elle était arrivée un jour à l’association de lutte pour les droits LGBT du campus et Izia l’avait immédiatement prise sous son aile, touchée par son histoire et son combat pour enfin devenir lui-même. Ils avaient gardé contact même après qu’Izia ait quitté l’université et se voyaient régulièrement. Elle lui donna rendez-vous à Kensington Gardens, espérant qu’il serait libre. La réponse arriva une quinzaine de minutes plus tard, lui disant qu’il la retrouverait là-bas dans vingt minutes. Izia sourit et prévient Raphaël qu’elle partait pour quelques heures. Mettre à nouveau ses bottes la fit sauter de joie. Sortant dans un froid soleil, la jeune femme héla un taxi qui l’amena à son lieu de rendez-vous à l’heure dite. Elle jeta un regard circulaire sur le parc, et repéra Rupert assis sur un banc. Le sourire qui ne l’avait pas quittée s’élargit en le voyant. Il avait l’air bien dans sa peau, confiant. Elle s’approcha et s’assit à ses côtés, posant un baiser sur sa joue. « Comment vas-tu en ce beau jour d’automne ? » demanda-t-elle en s’asseyant en tailleur et resserrant son manteau autour d’elle pour se protéger de l’air frais. « J’espère que je ne t’ai pas dérangé dans tes plans pour le week-end. Tu as sans doute mieux à faire que de traîner avec moi. » ajouta-t-elle en laissant échapper un petit rire embarrassé. Elle avait toujours l’impression de déranger lorsque c’était elle qui demandait à voir ses amis, comme si ils n’oseraient pas lui dire non si elle les dérangeait vraiment. C’était un sentiment dont elle essayait de se débarrasser depuis longtemps, sans jamais vraiment y parvenir. Mais elle y travaillait. Elle regarda le ciel. Ce soleil qui brillait semblait de bonne augure. Commencer une saison par profiter des petits plaisirs de la vie ne pouvait que signifier de bons moments à venir. « J’ai été super productive ce matin, je suis fière de moi ! » déclara-t-elle en lui souriant de toutes ses dents. Elle se sentait véritablement adulte aujourd’hui, ce qui était assez rare pour mériter d’être souligné. Avoir été au bout d’un projet qui lui tenait à cœur depuis si longtemps lui redonnait confiance en sa vocation et plus de volonté qu’il n’en fallait pour déplacer des montagnes, porter cette série à bout de bras jusqu’à ce qu’elle soit diffusée sur une chaîne. Décidément, 2016 s’annonçait sous les meilleurs hospices.