TP — Don’t let your happiness depend on something you may lose.

Elle aimait capter ce moment, les rares fois où elle s’en rendait compte. Ce temps de battement entre le sommeil et le réveil complet qui ne lui donnait pas encore totalement conscience des réalités dans lesquelles elle était ancrée. Elle ne rêvait plus, son songe s’était dissous dans le flot ininterrompu de ses pensées qui restaient elles aussi une vaste brume. Elle ne faisait rien pour aller les chercher, les ramener à elle ainsi qu’aux préoccupations diverses qui la submergeraient bientôt. Elle préférait de loin rester dans cet état de flottement, ce cocon chaud qui l’enveloppait tout entière et qui la protégeait, cet endroit si agréable où rien ne pourrait lui arriver.

Elle avait cette réunion en début d’après midi… Heureusement, ce n’était pas avant. Avec la journée de la veille, qui s’était terminée très tard dans la nuit, elle se serait mal vue rappliquer au bureau à neuf heures pétantes. Où est-ce qu’elle mangeait aujourd’hui ? En ville ? A la maison ? Elle n’avait pas envie de manger sur le pouce comme elle le faisait tous les autres jours de la semaine, mais il faudrait sûrement prendre le repas avec Jared sinon, et elle n’arrivait pas à dire si elle en avait vraiment envie… mais savait que ça ne la réjouissait pas.

Elle battit des cils. Pressa les yeux, cligna des paupières. La lumière du jour qui filtrait à travers les rideaux la forçait à être maintenue en éveil.

L’éphémère parcelle de bonheur, dans lequel elle s’était trouvée quelques secondes plus tôt, s’était dissipé. Un poids s’abattit dans sa poitrine. Le même, comme chaque matin.

Tamara avait appris à l’ignorer, cela faisait tellement longtemps qu’elle vivait avec qu’elle n’y prêtait même plus attention. Elle se tourna machinalement vers sa table de nuit pour consulter l’heure affichée sur le radio réveil. Déjà onze heures passées… Elle laissa échapper un soupir, ferma les yeux parce qu’elle avait bien encore besoin d’une heure ou deux de plus de repos, mais c’était impossible, et d’ailleurs, il fallait vraiment qu’elle s’active. Elle écarta le bras de Jared entouré autour de sa taille, mais ne put aller au bout de son geste, car dans un mouvement tendre, ce dernier avait tenté de la retenir un peu plus. Elle y répondit par un claquement de langue contre son palet, et se dégagea plus sèchement, annonçant la couleur : elle ne voulait pas d’un câlin, surtout lorsque lui se prélassait au lit, alors qu’un nouveau client, quant à elle, l’attendait dans peu de temps !

La soirée de la veille avait été une réussite, pourtant, jusqu’au dernier moment, elle s’était préparée au pire, mais tout s’était passé sans encombre. Un anniversaire, rien de très extraordinaire, mais ça ne faisait que quelques mois qu’elle avait le job de chef de projet, après avoir terminé ses études. Elle avait un tempérament de leadeur, peut être, et même si elle savait très bien le cacher, elle était loin d’être encore tout à fait à l’aise lorsqu’il fallait gérer les différentes sources de stress et de pression, tout ça en même temps. La boîte qui l’employait ne tolérait aucune erreur, en même temps, elle faisait partie des meilleures de Londres, et pour les trente ans de leur fille, les parents qui les avaient engagé voulaient que tout soit parfait et de grande envergure – évidemment.

Elle rangea le jus d’orange dans le frigo après s’être servi un verre, mais ne s’attarda pas devant la vue que lui offrait sa fenêtre, parce qu’elle n’en avait pas vraiment le temps. Ca n’avait rien à voir que dans le quartier de Covent Garden où elle avait grandi. Ses parents étaient partis quand elle avait commencé ses études et elle était restée à Londres, et elle n’avait pas toujours été à Notting Hill. Elle s’était trouvée un petit studio les premières années et quand elle avait commencé à travailler, elle avait cherché ailleurs, et un appartement plus grand aussi, qu’elle louait pour un prix raisonnable. En même temps, vu toutes les galères qu’elle avait enchaîné pour le trouver, Tamara ne cessait de se dire que c’était bien mérité !

Elle rejeta ses cheveux laissés lâchés en arrière, à l’aide de sa main, ce qui ne faisait pas négligé, parce qu’elle avait sa veste de blaze par dessus sa chemise à manche courtes, au col légèrement bouffant. La seule façon dont elle signala à Jared qu’elle quittait l’appartement fut quand elle claqua la porte d’entrée pour descendre les trois étages de l’immeuble à petit pas rapides et pressés. Elle n’avait pas envie d’attendre l’ascenseur, comme finalement qu’elle achèterait un sandwich en chemin. Elle ne se voyait pourtant pas sans son petit ami, parce qu’elle était tombée sous son charme après tout, et ça faisait un petit moment déjà. Pourtant de plus en plus, elle trouvait sa façon de parler désagréable, ses manières déplaisantes, et sa nonchalance semblait être à son apogée. Mais là aussi, elle arrivait rapidement à se convaincre que ce n’était qu’une façade et que tout allait rapidement rentrer dans l’ordre. Comme avant, comme au début. Comme quand elle ne faisait pas encore des comparaisons entre ce que faisait Jared et ce qu’il aurait fait à sa place.

Comme d’habitude elle arriva bien assez en avance au bureau pour se servir un café à la machine, voir deux. Ce jour là, son boss s’y trouvait aussi.

- Tamara, bonjour. Tu vois les Wright en fin d’après midi pour faire le point pour la soirée d’hier. Il but une gorgée de son café, avant de reprendre. C’est bien que tu sois là, j’en ai parlé à certains d’entre vous déjà. Il devenait bien mystérieux tout à coup… Une chose était sûre,  il savait bien faire ménager le suspens. On va avoir pas mal de boulot, pour les semaines… les mois à venir.

La jeune femme ne montra aucun signe de fébrilité, bien que la tension à l’approche d’une grande nouvelle visiblement, était bien là. Elle se concentra sur le bruit de la machine à café, qui était en train de préparer sa boisson.

- Tu connais Harry Potter ?