I think we need to talk w/ Esther

Les récentes discussions avec son avocat avaient toutes un goût amer pour Neal. Les mots divorces, garde alternée et pension alimentaire revenaient un peu trop à son goût et il ne trouvait pas ça spécialement agréable. Son histoire avec Alice avait duré bien trop longtemps pour qu'il ne se batte pas pour sauver ce qui en restait, mais elle semblait en avoir décidé autrement. Le divorce avait donc l'air d'être la seule solution et Neal passait plus de temps qu'il ne l'aurait aimé en compagnie de son avocat. Il avait failli ne pas relever lorsque celui-ci lui avait parlé de la jeune femme qui s'était récemment renseigné sur son compte. Surtout parce que les fans un peu cinglées et curieuses, Neal en avait déjà rencontré. Assez peu, heureusement, mais c'était déjà arrivé et jamais son avocat n'était intervenu dans l'affaire avant qu'elles ne tentent de s'introduire chez lui. C'est ce qui l'avait fait tiqué et l'espace d'un instant, il avait mis de côté le divorce, Alice et leur fils pour examiner le dossier assez mince que l'avocat lui avait présenté. Une photo, quelques informations, rien de très parlant au premier regard. Le visage de la jeune femme, prénommée Esther apprit-il une seconde plus tard, ne lui était absolument pas familier. Elle n'avait pas l'air d'être une stalkeuse en puissance mais après tout, certains cachaient bien leur jeu.

Au final, cette parenthèse aurait pu rester une simple pause dans l'un de ces innombrables entretiens juridiques qui occupaient son existence ces derniers temps. Il ne connaissait pas la fille, ne l'avait jamais employé et n'avait, apparemment, aucune connexion avec elle. Il avait lu le reste de son dossier d'un œil distrait, passant presque à côté du détail crucial qui changea finalement la donne. Sa mère. Neal n'avait pas vu son nom de jeune fille au départ, concentré sur le Montgomery écrit en capitales tout en haut de la page. Mais la mère de cette fille ne s'était pas toujours pas appelée Montgomery.

Des maîtresses, Neal en avait eu quelques unes. Trop pour se souvenir de toutes, plaisantaient certains de ses amis. Ce n'était pas tout à fait vrai, heureusement, et il se souvenait encore de la mère d'Esther. Assez bien pour passer un moment à sillonner le passé, le dossier ouvert sous ses yeux. Il n'avait vu qu'une seule raison pour qu'elle se renseigne à son sujet et, malheureusement, les dates concordaient bien trop à son goût pour qu'il ne s'en inquiète pas.

Nul besoin d'enquêter à son tour, puisqu'après tout son avocat s'en était chargé pour lui. Il avait songé à laisser tomber l'affaire en espérant que la fille abandonne elle aussi mais puisqu'elle avait été suffisamment persistante pour qu'il finisse par entendre parler de ses questions, Neal doutait qu'elle tourne la page facilement. De toute évidence, sa mère avait dû lui parler de lui, probablement en supposant qu'il était le père de sa fille. Mais pourquoi après tant de temps ? Et pourquoi, surtout, ne pas lui en avoir parlé directement ? Certes, à l'époque, il était encore marié à Jia et il ne s'en était pas caché. Le divorce approchait à grands pas mais cette aventure n'avait pas eu de lendemain, pas vraiment. Quelques semaines, quelques mois tout au plus d'une complicité partagée entre deux personnes tout à fait conscientes de la brièveté de la chose. Seulement il y avait cette fille, et à en croire le dossier, elle avait été élevé par un autre homme dont elle portait le nom. Neal avait du mal à se souvenir de ce type-là. Avait-il été là à l'époque ou non, il était incapable de le dire. Une partie de lui espérait sincèrement que ce soit une erreur, que la mère se soit trompée. Et il n'y avait qu'un seul moyen de s'en assurer.

Son fils était sensé passer le week-end chez lui, une fois de plus mais Neal avait préféré reporter, pour le plus grand plaisir d'Alice, toujours convaincue qu'il n'avait rien à faire de leur famille et de sa nouvelle paternité. Daniel était encore trop jeune pour comprendre ses sous-entendus, fort heureusement, et le cinquantenaire s'était promis de se rattraper très vite. En quelques jours, cette fille qu'il ne connaissait pas le moins du monde, Esther, avait pris une place un peu trop importante dans son existence et il était prêt à l'en déloger. C'était dans cet état d'esprit qu'il avait traversé la ville pour lui rendre visite. C'était la seule façon de s'assurer qu'elle n'était pas sa fille ─ il était incapable d'imaginer le contraire. Pourquoi diable sa mère ne l'aurait-elle pas prévenu ? Il avait trente-et-un ans à l'époque, sa carrière était en plein boom et, well, son mariage, en plein crash. Peut-être avait-elle gardé le silence à cause de Cara, âgée d'à peine un an à l'époque. Ou peut-être avaient-elles toutes les deux d'autres motivations pour réapparaître dans sa vie de cette manière. L'argent n'était, certes, pas un problème pour Neal mais il n'avait absolument pas l'intention de céder au moindre chantage.

Peut-être aurait-il dû dire à quelqu'un qu'il avait l'intention de faire une promenade à Stonebridge, réalisa-t-il en sortant du métro. Il avait l'impression de faire tâche, dans son costume impeccable devant les graffitis et les bâtiments défraîchis. Peu désireux d'attirer l'attention, il se mit en quête de l'immeuble de la jeune femme et par bonheur il ne tarda pas à le trouver. Arrivé devant sa porte, il prit un instant pour envoyer un message à son avocat. Simple précaution, évidemment. Qui sait ce ce qui l'attendait derrière cette porte ? Il frappa, trois coups secs qui semblaient bien plus bruyants qu'ils ne l'étaient réellement. Et, évidemment, c'était maintenant qu'il commençait à regretter sérieusement cette décision de venir voir cette Esther dont il ne savait rien. Elle s'était contentée de poser des questions à son sujet, elle ne l'avait pas contacté. Peut-être n'en avait-elle même pas envie. Mais c'était un peu tard pour penser à ça maintenant. « Bonsoir, fit-il en s'efforçant de sourire lorsque la porte s'ouvrit finalement, j'imagine que vous savez qui je suis » Un peu abrupt peut-être mais il ne voyait vraiment pas l'intérêt de tourner autour du pot pendant une heure. « Je crois qu'il faut qu'on parle » ajouta-t-il et son sourire se fana. Non, vraiment, il n'avait pas envie d'avoir cette discussion. Mais il était trop tard pour reculer.

I think we need to talk
Neal & Esther

Les jours commençaient à se ressembler de plus en plus. Depuis quelques temps, la jeune anglaise avait finit par adopter une certaine routine qu'elle ne cessait de répéter chaque matin jusqu'à la tombé de la nuit. Au début, elle se disait que cela finirait par changer mais au fil du temps, elle n'y porta même plus d’intérêt. Comme si cela n'en valait plus la peine. En se retrouvant blessée au poignet, Esther avait perdue la seule chose qui lui permettait de vivre, qui lui rapportait de l'argent. Certes l'argent ne faisait pas tout mais par moment, il pouvait s'avérer bien utile. Après avoir pris son petit déjeuner et s'être préparée, la jeune brune alla s'installer devant la télévision, qui lui semblait être aussi petite qu'une carte postale, voire même plus. Afin qu'elle s'entraîne hors des séances, son kinésithérapeute lui donna une espèce de balle qu'elle devait serrer puis déserrer plusieurs fois d'affilé. Même si cela était censé lui fortifier le poignet, elle n'avait pas l'impression que cette minuscule balle rose allait lui enlever les douleurs et les picotement qu'elle ressent.

Elle se trouvait dans une situation paradoxale. D'un côté, Esther avait envie de s'en sortir pour retrouver sa vie d'avant : qui inclus sa carrière dans le tir à l'arc. En plus, après une absence de la sorte et si ses résultats sont plutôt bons, il y a des chances pour qu'elle se fasse d'avantage remarquer. Puis de l'autre, comme elle ne voyait pas d'amélioration dans sa convalescence, Esther n'y mettait plus du sien. En plus, il n'y a pas si longtemps, sa mère, une personne qu'elle pensait bien sous tout rapport, lui avait appris quelque chose qui allait changer sa vie. Elle ne savait pas vraiment pour quoi elle avait choisit ce moment là. Peut être, que dans le fond, sa mère avait pensée qu'elle ne pourrait pas aller plus mal qu'elle ne l'était. C'était totalement faux.

En début de semaine, alors que son mari n'était pas là, elle lui demanda de venir passer l'après midi chez elle. De prendre le thé également, quelque chose de typiquement britannique. «Pourquoi tu souhaitais me voir aujourd'hui?» dit-elle en allant s'asseoir sur une chaise dans la cuisine. Sa mère fronça les sourcils quand elle entendit ces quelques mots, peut être qu'elle les avait pris pour une agression. Esther détourna le regard, préférant être ailleurs. «J'ai des choses à faire à l'appartement» Elle n'eut pas besoin d'attendre trop longtemps avant d'être rejointe par sa mère. Quand Esther croisa son regard, elle su presque instantanément que quelque chose n'allait pas. Qu'elle voulait lui dire quelque chose mais que cela allait être difficile. Qu'elle le dise, simplement. Une fois l'information transmise, la jeune brune se leva d'un geste vif et se dirigea vers la sortie. Même si elle aimait ses parents, sa mère et l'homme qui l'avait élevé en sachant pertinemment qu'elle n'était pas sa fille, Esther avait envie d'avoir du temps pour elle, pour réfléchir à certaines choses.

* * * * *

Trois bruits brefs contre le bois de la porte la fit sortir de ses pensées. La personne n'avait probablement pas vu la sonnette qui se trouvait juste à sa droite ou peut être, vu l'état de l'objet, n'avait-il pas envie d'attraper quelque chose. La jeune brune n'était pas habituée à ce qu'on lui rendre visite, surtout maintenant, qu'elle avait envie de voir personne. Elle n'était pas enthousiaste à l'idée de bouger. Esther mit plusieurs secondes avant de se lever pour aller lui ouvrir. «Oh» C'est tout ce qu'elle avait trouvé à dire. Pas un salut, ni un bonsoir, rien du tout. Jamais elle n'aurait cru que Neal ferait le chemin jusqu'à son appartement pour la voir. «Je vois qu'on vous a bien passé le message. C'est déjà ça» dit-elle en baissant les yeux. «Mais entrez, si vous voulez» lui répondit-elle tout en se reculant pour lui laisser la place de passer. Comme la discussion à venir risque d'être plutôt longue, ils seraient mieux à l'intérieur que dans le couloir exposé aux oreilles indiscrètes de ses voisins. Elle ne savait pas trop quoi lui dire. Peut-être devait-elle le laisser commencer? Esther n'était pas des plus rassurée, tout un tas de questions lui venaient à l'esprit. Est-ce qu'il était juste venue pour lui dire de le laisser tranquille? Allait-il tout lui raconter?

© ACIDBRAIN

Il s'était presque mis à prier pour qu'elle n'ouvre pas, qu'elle soit absente, mais c'était trop en demander au destin, à Dieu, ou à quelconque autre entité supérieure qui régissait les grandes affaires de ce monde. Non, la fille ─ Esther, bloody hell, il fallait qu'il commence par l'appeler par son prénom, même dans sa tête, juste au cas où il s'agissait bel et bien de sa fille ─ la fille donc, la fille était là, bien chez elle, et elle ne tarda pas trop à lui ouvrir. Elle eut même la décence de sembler surprise et Neal haussa un sourcil, dubitatif. Si elle avait posé des questions à son sujet, elle devait savoir aussi qu'il passait son temps à observer des actrices et non des moindres d'ailleurs. Toutefois son étonnement avait quelque chose de sincère, vaguement. Ce fut trop bref pour qu'il ne creuse la question, trop fugace pour qu'il capte plus qu'une impression, un semblant de pressentiment. « Je vois qu'on vous a bien passé le message. C'est déjà ça » fit-elle, recouvrant manifestement très vite ses esprits. Et, vraiment, quel aplomb. Il se serait plutôt attendu à ce qu'elle lui claque la porte au nez, au lieu de l'accueillir ainsi, avec méfiance, presque défiance même. « Mais entrez, si vous voulez » ajouta-t-elle en s'effaçant pour le laisser passer. Son « merci » faillit rester coincé entre ses lèvres alors qu'il passa le pas de la porte pour pénétrer à l'intérieur. Vu l'état des rues, en bas, dehors, il avait légèrement peur de ce qu'il allait trouver. Cette Esther était bien loin des femmes qui l'entouraient, c'était indéniable mais elle ne ressemblait pas non plus à ces adolescentes court vêtues qu'il avait croisé un peu plus tôt en sortant du métro. Peut-être qu'elle vivait là par obligation, plutôt que parce qu'elle y était née. Dans ses souvenirs, sa mère était une femme tout à fait convenable. Pas spécialement riche, et sans aucune ressemblance avec les filles d'Oxford qu'il fréquentait d'ordinaire, mais une chic fille tout de même. Que lui était-il arrivé pour qu'elle laisse sa fille vivre dans un quartier aussi, well, sordide ?

N'osant s'aventurer trop loin, Neal resta planté au beau milieu du petit couloir, les sourcils froncés, jetant un regard inquiet à tous les recoins de l'appartement qu'il pouvait apercevoir de là. Ce qu'il voyait le rassurait un petit peu, sans toutefois parvenir à effacer l'hypothèse que cette fille et sa mère aient réapparu dans sa vie, motivées par une seule chose. L'argent n'avait jamais manqué chez les Gallaghers et ce, bien avant que Neal n'obtienne la reconnaissance de ses pairs et leurs fonds pour réaliser ses films. La mère d'Esther aurait aisément pu voir en lui le moyen de se sortir d'une quelconque galère. « Il faut qu'on parle, répéta-t-il avant de se tourner vers elle, je ne sais pas ce que votre mère a pu vous raconter ni à quoi vous jouez toutes les deux, mais je préfère vous prévenir. Vous n'obtiendrez rien de moi sans un test de paternité » articula-t-il avec raideur. Il n'avait pas prévu de l'agresser, pas vraiment mais après un tour dans son quartier, Neal était sur ses gardes. Ce n'était probablement guère sympathique mais après tout, si cette fille était la sienne, sa mère aurait pu l'en informer avant. Il y avait près de vingt-cinq ans qu'il ne l'avait pas vue, elle avait eu amplement le temps de se manifester. « Pourquoi maintenant ? Quel âge avez-vous ? Vingt-cinq, peut-être vingt-six ans ? Pourquoi maintenant ? répéta-t-il, perdant patience tout seul. Vous avez besoin d'argent ? » Il regretta un peu d'avoir demandé ça, réalisant au moment où les mots quittaient sa bouche à quel point ils étaient hautains. Tant pis. Elle l'avait cherché, à poser des questions ici et là sans oser s'adresser directement à lui.

I think we need to talk
Neal & Esther

La jeune brune commençait déjà l’observer, à cerner la façon dont il se comporte. Du moins, à essayer, parce qu’elle était loin de comprendre. Tout était un peu flou pour elle. Dans les manies que Neal avait, Esther essayait de trouver une quelconque ressemblance mais cela était difficile. A part l’ADN qu’ils partageaient tous les deux, ils n’avaient pas grand-chose en commun. Elle avait bien remarqué qu’au moment où il était rentré dans son appartement, il avait commencé à la juger, à avoir tout un tas d’idées en tête, mais bien, elle ne pouvait pas l’en empêcher. En tous cas, elle n’avait pas encore ce genre d’influence sur lui et probablement, qu’elle n’en aura jamais. « De rien ?» dit-elle sur un ton aussi bas qu’il l’avait remercié.

Et voilà, qu’il commençait déjà à lui parler d’un test de paternité. Même si Esther avait été plus que déçue par le comportement que sa mère avait pu avoir ces derniers temps, elle ne faisait pas partie de ce genre de personnes, celles qui aiment profiter des autres jusqu’à inventer des mensonges de la sorte. «Je ne peux pas refuser le test de paternité, même si j’en connais déjà la réponse. Je n’en doute pas». Plus il parlait, plus il l’énervait mais elle tâchait de ne pas laisser sa colère se montrer sur son visage. Il se devait de rester calme, car une conversation avec deux personnes remontées ne mènent souvent à rien. «Ma mère m’a juste dit qui vous étiez, voilà, pourquoi je cherche à en savoir plus. Apparemment, elle a été un peu trop rongé par la culpabilité et a décidé de tout m’avouer maintenant.» Esther n’était pas prête à faire un long discours, elle n’aimait pas parler pour ne rien dire. Cela ne semblait pas l’intéresser.

Afin d’être plus à l’aise, la jeune brune alla s’installer dans son canapé, comme si de rien n’était. Après tout, jusqu’à preuve du contraire, elle était encore chez elle. Il n’y avait rien qui aurait pu la faire agir autrement. «Allez savoir pourquoi maintenant» Elle n’avait pas d’argument valable pour répondre à cette question, mais s’il voulait réellement avoir une réponse, qu’il s’adresse à sa mère pour cela. «Même moi, je me pose encore la question» dit-elle en levant les yeux au ciel. «J’ai vingt-six ans, si cela peut vous aider à faire les calculs pour voir si cela colle chronologiquement parlant.» Sa date de naissance était probablement inscrite dans son dossier mais apparemment, cela ne l’avait pas marqué plus que cela.

«Besoin d’argent? Nous y voilà enfin. Vous en avez vraiment peur, c’est ça? Pas vrai?» dit-elle en soupirant. Dit de cette façon, cela pouvait être mal interprété. «Comme vous le voyez, je n’ai pas la chance de vivre dans un appartement luxueux et je n’en ai pas envie. Ma famille, enfin celle que je croyais avoir, ne roule pas sur l’or, ça n’a jamais été le cas et ça ne le sera probablement jamais. Et alors? Votre argent ne me donne pas spécialement envie. Maintenant, j’espère que vous êtes rassuré sur ce point. Vous pouvez garder votre argent» Esther fit une courte pause, histoire de reprendre sa respiration. Elle était loin d’avoir fini de parler. «J’ai cherché à vous contacter parce que j’avais envie de vous connaître. Ça ne vous est jamais venu à l’esprit? Rien qu’une fois? Une petite fois?» C’est vrai, qu’au premier abord, l’appartement de la jeune femme peut en surprendre plus d’un. Il n’y a pas grand-chose dans le salon, mais cela lui était amplement suffisant. En essayant de fuir le regard de Neal, Esther jeta un coup d’œil sur les photos souvenirs qui ornait une petite étagère. Elle pointa une des photographies. Sur cette dernière, elle était jeune, en compagnie de sa mère. Elle venait juste de gagner son titre. «Vous voyez, moi je vis pour ça. Et malheureusement, là, je ne peux plus. Alors l’argent, ça me passe au-dessus de la tête.» lui répondit-elle tout en montrant son bras blessé.

© ACIDBRAIN

Il faisait tâche dans ce décor et il pouvait aisément entrevoir la raison pour laquelle cette fille et sa mère avaient décidé de débarquer dans sa vie maintenant. D'une certaine manière, il comprenait. Après tout, lui avait de l'argent et la possibilité de vivre dans un quartier où on ne risquait a priori rien pour peu qu'on ait décidé de s'y promener. On ne pouvait guère en dire autant de Stonebridge. Pour autant, Neal ne faisait pas la charité à la première venue, même si elle était la fille  d'une ancienne conquête. Rien ne l'obligeait à s'intéresser à cette Esther et rien non plus ne l'avait contraint à venir aujourd'hui. C'était le doute, mince mais pourtant bien présent, qui l'avait poussé à se présenter à sa porte. Pas une organisation de charité donc mais un bon père. Malgré les difficultés d'une vie de père célibataire et les tragédies qu'il avait involontairement infligé à Cara en épousant deux femmes qui avaient connu un triste sort, Neal estimait avoir fait un job relativement correct avec elle. Il était fier de la femme qu'elle était devenue et, égoïstement, il s'en félicitait quelque peu aussi. Alors s'il y avait la moindre chance pour que cette fille-là, Esther, soit la sienne, il ne comptait certainement pas l'ignorer. « Je ne peux pas refuser le test de paternité, annonça-t-elle et il soupira discrètement, ravi qu'elle n'oppose pas plus de résistance, même si j’en connais déjà la réponse. Je n’en doute pas » Il se tourna vers elle en entendant ça, les sourcils froncés. Il comprenait difficilement comment cette fille pouvait être si convaincue de ce qu'elle avançait. Elle semblait un peu trop déterminée, un peu trop sur ses gardes aussi, pour ne pas être sincère. Ou bien elle était réellement bonne actrice et Neal devrait songer à lui offrir un rôle dans un prochain film.

Mais quelques mots lâchés avec fermeté n'étaient pas suffisants pour le convaincre que toute cette situation n'était pas une vaste arnaque destinée à le dépouiller. Jusque-là, il n'avait pas estimé être vraiment matérialiste. Vaguement privilégié, oui, mais après tout il n'avait pas volé son patrimoine actuel. Sa famille, en revanche, était à l'abri du besoin depuis des générations et ─ well, yes, il était privilégié. Et peut-être que sa petite tirade lui laissa un arrière-goût amer en bouche mais ça, Esther n'avait pas besoin de le savoir. Surtout pas si elle comptait l'escroquer. « Allez savoir pourquoi maintenant » Ah, c'était arrangeant, vraiment. Il haussa un sourcil, un rictus moqueur déformant sa bouche. « Même moi, je me pose encore la question, reprit-elle ─ et, vraiment, était-ce une conversation qu'elle devait avoir avec lui ? Pourquoi pas avec sa mère, plutôt ? J’ai vingt-six ans, si cela peut vous aider à faire les calculs pour voir si cela colle chronologiquement parlant » Oh, ça collait, ça collait probablement très bien. Il ne put s'empêcher de se sentir vaguement coupable, en se souvenant que Cara n'avait que vingt-sept ans. Son mariage avec Jia n'avait pas été parfait, certes, mais il aurait probablement pu faire quelques efforts. Fréquenter la mère d'Esther, par exemple, était l'une des erreurs qu'il aurait volontiers aimé gommer. Fat chance obviously, surtout s'il était le père biologique de la petite brune. Il l'observa un instant sans mot dire, cherchant à capter la moindre ressemblance entre elle et son aînée, même vague. Le froncement de sourcils peut-être ou l'air de défi qu'avait souvent affiché sa fille aînée à l'adolescence, lorsqu'il avait le malheur de lui refuser une sortie ou une nouvelle dépense. Peut-être, oui, mais dans le fond, il n'en avait pas du tout envie. Quitte à choisir, il aurait préféré être la victime d'une jolie petite arnaque montée de toutes pièces que de devoir annoncer à Cara qu'il était le père d'une autre fille à peine plus jeune. Leur relation ne s'était pas franchement améliorée depuis son retour, malgré les efforts qu'il faisait, et elle prendrait un coup, avec ce genre de nouvelles.

Il réalisa en sursautant qu'il s'était perdu dans ses pensées et la voix sèche de la jeune femme le ramena sur terre. « Besoin d’argent? Nous y voilà enfin. Vous en avez vraiment peur, c’est ça? Pas vrai? » Il faillit acquiescer, plus par réflexe que par réelle envie, et il eut soudain vaguement honte. Oui, clairement, c'était l'une de ses préoccupations. Il n'avait pas d'abord pensé à ce que cette fille, sa fille ─ si tant est qu'il était son père ─ avait pu traverser ni pour quelle autre raison elle avait pu le contacter, sinon pour l'argent. « Comme vous le voyez, je n’ai pas la chance de vivre dans un appartement luxueux et je n’en ai pas envie. Ma famille, enfin celle que je croyais avoir, ne roule pas sur l’or, ça n’a jamais été le cas et ça ne le sera probablement jamais. Et alors? Votre argent ne me donne pas spécialement envie. Maintenant, j’espère que vous êtes rassuré sur ce point. Vous pouvez garder votre argent » Eh bien. Neal haussa un sourcil. On ne pouvait nier qu'elle avait du culot et des convictions. « J’ai cherché à vous contacter parce que j’avais envie de vous connaître. Ça ne vous est jamais venu à l’esprit? Rien qu’une fois? Une petite fois? » Non, pas vraiment, non. Parce qu'il s'était interdit de penser qu'elle pouvait être vraiment sa fille, alors pourquoi s'attarder en bons sentiments ? Surtout quand son aînée lui en voulait tant.

Il allait détourner les yeux lorsqu'elle désigna du doigt quelques photographies, une en particulier et, sans réfléchir, Neal s'approcha. Il reconnut immédiatement la femme, à côté de la gamine qui souriait fièrement ─ Esther probablement. Sa mère était un peu plus âgée que la dernière fois qu'ils s'étaient croisés, certes, mais elle n'avait pas changé tant que ça sur cette photo. Il esquissa un sourire involontaire. « Vous voyez, moi je vis pour ça. Et malheureusement, là, je ne peux plus. Alors l’argent, ça me passe au-dessus de la tête » conclut-elle en levant un bras. Neal jeta un autre coup d'oeil à la photo, remarquant l'attirail aux côtés de l'enfant, probablement pour du tir à l'arc. « C'est votre métier, je suppose ? » fit-il, plus doux qu'auparavant. Un métier qu'a priori, elle ne pouvait plus exercer. Il échangea un nouveau regard avec la photographie, comme si regarder l'une de ses anciennes conquêtes pouvait lui donner le moindre courage. « Vous ne pouvez pas m'en vouloir d'assurer mes arrières. Je ne suis pas sûr que vous réalisiez la gravité de la situation. Je suis peut-être votre père mais je ne suis pas seul. J'ai des enfants » D'autres enfants, se retint-il de dire. « Ma fille, Cara, a vingt-sept ans. Daniel va en avoir quatre. Attendez » fit-il en extirpant son portable de la poche intérieure de sa veste. Il le lui tendit, une photo de ses enfants étalée sur l'écran. « Je ne garderai pas ce genre de choses pour moi. Si vous êtes bien ma- si vous avez raison, ils sauront, je ne leur cacherai pas. Ce n'est pas seulement une question d'argent, alors réfléchissez bien » ajouta-t-il après une seconde d'hésitation. Non, ce n'était même plus vraiment une question d'argent, pas maintenant qu'il avait accepté la possibilité qu'elle soit sa fille.