Are you going to age without mistakes - Sasha

OMFG CASSIE EST-CE QUE C'EST TOI DANS LE DERNIER CLIP DE BASTILLE ??

Cassiopée détourna brièvement les yeux de son livre, déverrouilla son téléphone et lut l'unique phrase, écrite toute en majuscules, que l'un de ses camarades de promo venait de lui envoyer. Visiblement, le clip vidéo commençait à faire le tour de Londres, car c'était le troisième message qu'elle recevait en une matinée, elle qui d'ordinaire n'était que peu sollicitée. Comment allaient réagir les élèves de Cambridge qu'elle côtoyait tous les jours ? Ceux avec lesquels elle travaillait, avec lesquels elle révisait, et qui ne connaissait d'elle que Cassiopée, l'élève douée en littérature ? Bien sûr, les adeptes des comédies musicales connaissaient sa sœur, mais ils savaient également que Cassie n'avait jamais montré le moindre intérêt pour le showbiz. La rumeur allait rapidement se propager, et ses amis allaient la voir sous un jour nouveau.


Impassible, Cassiopée reposa son téléphone, et se replongea dans son roman.
Pourtant, elle devait avouer qu'elle se sentait assez euphorique, depuis qu'on lui avait offert ce rôle dans ce clip. Si, enfant, on lui avait imposé des cours de chants, de solfège et de danse, elle n'avait pourtant jamais réellement mis le pied dans cet univers. Ces quelques jours passés sur le plateau de tournage avaient été exaltants. On l'avait traité comme une personne spéciale, elle avait eu droit à une maquilleuse, à une coiffeuse, et même à une chaise à son nom ! Bien sûr, elle ne quitterait pas son petit monde tranquille pour se lancer là dedans, cependant...
...cela avait été magique.

Maintenant que le clip était en ligne, qu'il était diffusé sur internet et également à la télévision, ce qu'elle avait gardé soigneusement secret allait être révélé au grand jour, et il y aurait des répercussions. Peut-être que son visage serait reconnu, dans les couloirs de Cambridge, même si elle en doutait sérieusement. Il devait y avoir peu d'étudiants prêts à perdre leur temps pour regarder des clips vidéos, et même si on la reconnaissait, il y avait peu de chance pour que toute l'université finisse par être au courant.
En revanche, il y aurait sûrement une personne qui l'apprendrait très rapidement.


Sa bouilloire émit un sifflement strident, l'arrachant à son roman, dont elle marqua la page avant de se lever. Elle versa l'eau chaude dans sa tasse, le petit diffuseur à thé répandant aussitôt des volutes colorées dans le liquide fumant. Son téléphone émit un nouveau bip, et elle retourna au salon pour lire le nouveau message qu'elle venait de recevoir.

Tu sais quoi Cass' ? La fille du clip de Bastille, elle te ressemble drôlement.
Sinon, tu me passerais tes notes du dernier cours de littérature étrangère ?

Cette fois, Cassiopée lâcha un soupir, mais prit le temps de répondre, en tapant d'une main sur son clavier tactile, tandis que de l'autre elle portait sa tasse à ses lèvres pour souffler sur son thé bouillant. Dans combien de temps Sasha apprendrait-elle, pour le clip vidéo ? Lorsque ce serait fait, quelle serait sa réaction ? Cassiopée aurait parié que Sasha allait mal le prendre. Très mal. Il avait fallu que Cassie quitte l'Angleterre pour étudier en Suisse, pour que sa relation avec sa sœur s'améliore, et que cette dernière cesse de voir en sa cadette une potentielle rivale. Les talents inexistants pour Cassie en matière de chants n'avaient pas suffit, et seul un éloignement quasi permanent avait rassuré Sasha. L'admission de Cassiopée à Cambridge avait semblé mettre un terme à des années de méfiance et d'accrochages entre les deux jeunes femmes. Depuis près de sept ans que Cassie étudiait la littérature, s'approchant rapidement du terme de ses études, elle ne s'était plus disputé une seule fois avec Sasha, et elle en était très heureuse. Sincèrement, elle espérait que son apparition dans ce clip vidéo n'allait pas rallumer de vieilles rancunes. Pourtant, elle avait des doutes.
Peut-être se trompait-elle. Ce n'était qu'un clip vidéo. Ce n'était pas un rôle dans une comédie musicale. Pourtant...


Le regard azur de la rousse dériva vers la fenêtre, et les rues de Chelsea, calmes et ensoleillées. Alors Cassiopée prit son inspiration, serra les mains autour de sa tasse, et se prépara pour ce qui allait arriver. Car la silhouette se Sasha venait de se profiler au coin de la rue.

Sasha avait passé une journée affreuse. Travailler avec Raphael de Lacy après un tel déjeuner n'avait franchement rien de plaisant pour tout dire, malgré la salade excellente de son restaurant italien préféré. Si elle adorait le rôle de Fantine et les misérables de manière générale, elle avait tout de même hâte de passer à autre chose et de changer de chef d'orchestre, car celui là l’insupportait profondément. Tout ça avait évidemment tous les rapports du monde avec Noah, mais séparer leur relation personnelle de leur relation professionnelle n'avait finalement rien de facile, et ce malgré de la bonne volonté. Enjolras ou Sébastien, peut importe son nom d'ailleurs, continuait de se balader avec une horde de fans issus de tumblr ou de youtube, (ça aussi peut lui important bien), ce qui l'empêchait en l’occurrence d'accéder à son taxi, cette journée avait franchement tout pour plaire. Les gens étaient terriblement agaçants sans s'en rendre seulement compte. Exception faite de Raphael, il devait probablement s'en rendre compte et ne rien faire pour arranger ça, c'était tout à fait son genre. Mais le tout n'était pas pour améliorer l'humeur de la comédienne qui devait absolument parler à sa sœur qui plus est. C'était par hasard qu'elle était tombée à la télévision sur le clip de Bastille, ou le visage de Cassie était apparu devant ses yeux à sa grande surprise puisqu'elle ne s'était pas donné la peine de la tenir au courant. Elle n'avait aucune idée de ce qui avait bien pu passer par la tête de sa sœur, et des circonstances qui l'avaient conduit à filmer ce clip, mais une chose était sûre, elle s'était bien gardée d'en parler à qui que ce soit. Sasha ne pouvait pas s'empêcher de trouver ça décevant de sa part. Sa famille n'avait elle pas tout fait pour lui offrir les meilleures chances de se lancer dans la comédie ou dans le chant ? Faire partie des derniers au courant et simplement l'apprendre en allumant la télévision n'avait rien d'agréable et donnait à l'actrice l'impression d'être mise de côté, alors qu'elle aurait pu être de très bon conseil. C'était son monde après tout et elle le connaissait bien. Mais d'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Cassie n'avait jamais vraiment pris au sérieux les conseils ou même l'affection de sa sœur aînée, comme si elle lui en voulait pour quelque chose et Sasha, très occupée par sa carrière, n'avait pas vraiment pas eu le temps de s'adonner à ces enfantillages, il fallait l'admettre.

Mais Sasha tenait à sa sœur, peut être qu'elle ne lui montrait pas de la meilleure manière, mais elle se souciait d'elle. Il y avait eu des jalousies,bien entendu lorsque la petite dernière était née et avait bousculé le quotidien d'enfant gâtée de Sasha par exemple. Très compétitive, peut être que Sasha ne lui avait pas laissé toute la place nécessaire pour s'épanouir dans leur famille pourtant aimante non plus. Mais elle ne se rendait pas forcément compte de toutes ces choses là, et ne comprenait pas forcément la distance de Cassiopée non plus. Peut être que la plus jeune interprétait la passion de l’aînée pour la musique et le travail, comme du désintérêt pour le reste, ou même pour leur relation. Sasha avait été occupée, Sasha restait intransigeante, elles n'avaient juste pas le même caractère. Ce n'était donc pas la colère qui la menait d'un pas vif chez sa sœur, mais l'incompréhension.

Elle sonna alors et afficha un sourire en voyant sa jeune sœur apparaître derrière la porte. Elle l'enlaça, puis mis les pieds dans le plat comme elle savait bien le faire finalement. « Je n'arrive pas à croire que tu ne m'en aies pas parlé! » S'exclama t-elle, théâtrale. « Je ne savais pas que jouer la comédie t’intéressait. Je connais des gens tu sais, je suis actrice depuis que j'ai dix ans, et puis je suis ta sœur !  Je pensais que tu aurais voulu me parler de ces choses là, après tout je suis dans le métier, et j'ai beau être insupportable et très critique, je ne suis pas forcément de mauvais conseil. » Elle se laissa tomber sur une chaise. « Je prendrais bien un thé. »

Les yeux clairs de Cassiopée ne quittèrent pas la silhouette de Sasha, qui traversait la rue puis grimpait les quelques marches qui menaient à la résidence où vivait sa petite sœur. Même en tendant l'oreille, Cassie ne put entendre la porte principale de la maison, qui avait été transformée en plusieurs appartements, s'ouvrir. Elle compta mentalement, imaginant Sasha faire les trois pas qui la séparaient de sa porte, et la sonnette retentit. Avec des gestes mesurés, Cassiopée posa sa tasse sur la table basse, se releva en lissant son chemisier et s'avança pour ouvrir la porte.
Sasha lui accorda un sourire, que Cassie ne parvint pas à identifier. Était-ce un sourire naturel et heureux, ou bien plutôt tendu et plein d'un ressentiment que la comédienne ne parvenait soudainement pas à dissimuler ? Cassiopée lui rendit son étreinte, s'imprégnant du parfum délicat de sa sœur aînée.

« Je n'arrive pas à croire que tu ne m'en ai pas parlé! »

En d'autres circonstances, Cassiopée aurait pu rire de l'intonation un poil dramatique de sa sœur. Sasha n'était pas seulement comédienne sur les planches, elle avait une petite tendance au mélodrame même dans son quotidien. Elle n'y pouvait rien, c'était dans son caractère. Adolescente, Cassie avait eu en horreur ce trait de personnalité de Sasha, ne se privant pas pour rouler des yeux, se moquant de sa sœur et lui en  voulant de toujours trop en faire. Maintenant qu'elle était adulte, et qu'elle avait mûrie, Cassie avait pris de la distance et elle s'en amusait.
Aujourd'hui, en revanche, elle ressentit à nouveau une pointe d'agacement. Sasha ne pouvait-elle pas simplement agir de façon normale, une fois de temps en temps ? Elle n'était pas dans un de ses rôles, elle ne jouait pas dans une pièce. Non mais, vous imaginez un peu, si tout le monde se mettait à agir comme si la vie était une pièce dramatique ? Cassie ne se voyait pas lever les bras au ciel et invectiver les Dieux à cause de la mauvaise note qu'elle aurait eu à un examen.

Les lèvres pincées, elle referma la porte derrière Sasha. « Je ne savais pas que jouer la comédie t’intéressait. » lui reprochait cette dernière. « Je connais des gens tu sais, je suis actrice depuis que j'ai dix ans, et puis je suis ta sœur ! Je pensais que tu aurais voulu me parler de ces choses là, après tout je suis dans le métier, et j'ai beau être insupportable et très critique, je ne suis pas forcément de mauvais conseil. »
Cassie s'adossa à la porte, les mains dans le dos. Bizarrement, elle commençait à transpirer. Elle avait chaud, l'air lui semblait rare et elle déglutit, la gorge serrée. Sasha, par sa simple présence, envahissait tout l'espace, s'imposant dans son salon sans même le faire exprès. Voilà ce qui faisait d'elle une excellente comédienne, elle savait occuper l'espace, et sans avoir à fournir le moindre effort. Face au naturel envahissant de sa sœur, Cassie se mordilla les lèvres. Un vieux réflexe. « Je prendrais bien un thé. »
Un thé, oui, un thé. Cassie étira ses lèvres en une parodie de sourire, et se décolla de la porte pour foncer vers la cuisine. Sans les voir elle sortit toutes ses boites de thé, les arrangea sur un plateau sur lequel elle déposa une nouvelle tasse remplie d'eau chaude sur sa soucoupe en porcelaine, accompagnée de sa petite cuillère et, bien sûr, elle omit de rajouter le sucrier.

Ses mains ne tremblaient pas, lorsqu'elle posa le plateau sur la table basse. Elles ne tremblaient pas non plus lorsqu'elle les croisa sur ses genoux, après avoir repris sa place dans le fauteuil. Son propre thé refroidissait déjà.

« Je n'ai pas l'intention de devenir comédienne. » finit-elle par répondre. « C'était juste... pour m'amuser. J'ai été abordée dans la rue, on m'a proposé de faire un essai et j'ai été choisie. Ça n'a pas une grande importance. » Cassiopée haussa les épaules, son regard dérivant vers le calme de sa rue, qu'elle apercevait à travers sa fenêtre. Puis elle revint vers sa sœur. « Donc, tu n'as pas besoin de t'inquiéter. » ajouta-t-elle à voix lente, ses lèvres étirées en un sourire ironique. Mais non Sasha, ne t'inquiète pas, ta petite sœur ne te prendra pas ta place.