work work work → Jac

Il est tôt quand son portable se met à vibrer pour lui annoncer l’arrivée de Jac. En réalité, il est même tout seul dans les grands bureaux immaculés, alors qu’il peut raisonnablement se vanter d’être désormais à la tête d’une petite entreprise de qualité et qui tourne correctement. Il aime travailler tôt, il aime aussi arpenter les locaux vides de ses locaux. Et puis, ses employés n’ont pas à se plaindre d’avoir un patron compliqué, en réalité, parce qu’il leur laisse volontiers un certain nombre de libertés. C’est sans doute pour ça que Jac le contacte, d’ailleurs. Il quitte son siège pour ouvrir la porte avec l’interphone et la laisse monter, en profitant pour arrêter la bouilloire qui fonctionne dans la petite cuisine aménagée. Il boit trop de thé, cela dit, c’est sans doute meilleur pour sa santé que le café que tout le monde consommer à outrance. Il ouvre la porte et laisse le temps à Jac de franchir les étages, l’accueillant d’un sourire bienveillant et d’une bise amicale. « Salut », il lance en fermant la porte derrière elle. « Tu connais la maison, fais comme chez toi ». Ca le fait sourire irrémédiablement, qu’elle vienne lui quémander du travail pour satisfaire à ses obligations préconjugales. Cela dit, il trouve aussi que le type qui exige d’elle qu’elle travaille à tout prix n’est pas vraiment un type bien – particulièrement dans ces conditions. Que les ambitions soient différentes, d’accord – mais il devrait d’autant plus l’accepter qu’il l’a choisie elle, en connaissance de cause. Ca ne le regarde pas vraiment cela dit – quoi que, c’est chez lui qu’elle est venue frapper, après tout. « Alors comme ça, tu as besoin de travailler ? » il demande d’un air innocent en lui servant un thé et en la laissant s’installer en face de lui. « Tu devrais pas te laisser faire, tu sais ? »

Jac manqua de tomber quand le métro prit un virage un peut trop rapidement. Elle s’accrocha à la barre de métal de justesse, l’esprit ailleurs. Elle n’arrivait pas à oublier le regard suspicieux que Matthew lui avait lancé quelques minutes auparavant, avant de lui demander d’un ton doucereux « Tu ne voudrais pas trouver un vrai boulot Jacquelyn ? A moins que tu attendes volontairement que ce Léandre t’appelle à lui ? » Elle n’avait pas compris tout de suite où il voulait en venir. Le fait est que c’est ce qu’elle appréciait dans cette association avec son ami, qu’il l’appelle lorsqu’il avait besoin d’elle, la dispensant ainsi de chercher du travail. Elle avait levé son nez de son bol de porridge et lui avait jeté un regard interrogateur et innocent. « De quoi parles-tu Matt ? ». Il avait poussé un de ses longs soupirs excédés qui ponctuaient désormais chacune de ses phrases et qu’elle ne supportait plus pour finalement lâcher « Je l’ai cherché sur internet, ton soi-disant ami. Plutôt beau gosse. » Beau gosse n’était définitivement pas le mot que Jac aurait employé pour décrire le visage finement ciselé de son ami, mais tout ce qu’elle avait retenu de cette phrase, c’était le sous-entendu horripilant de son fiancé. Elle s’était levée d’un bond, abandonnant là son petit déjeuner, et avait quitté l’appartement sans se retourner, furibonde.
Désormais, elle était consciente que ça n’avait pas été la meilleure attitude à adopter dans cette situation, mais elle ne supportait pas que Matthew insinue ce genre de choses -elle qui était parfaitement droite dans ses bottes-, surtout depuis qu’elle l’avait surpris à sursauter chaque fois que son portable sonnait et qu’il partait décrocher dans la salle de bain. Elle sortit de la bouche de métro en courant, envoya un texto à Léandre pour le prévenir qu’elle approchait, sonna rageusement sur l’interphone et gravit à la volée les escaliers qui la séparaient des bureaux. La porte était entrouverte, et Jac fut ravie de tomber directement sur un visage amical lorsqu’elle la poussa. Ils se firent une bise, et elle répondit à son « Salut » par un sourire, trop essoufflée pour dire un mot. « Tu connais la maison, fais comme chez toi » lui dit-il avec bienveillance. Elle ôta son manteau et le posa avec son sac sur le fauteuil le plus proche. En reprenant son souffle, elle regarda Léandre approcher de tasse et une bouilloire, et ils s’assirent l’un en face de l’autre. « Alors comme ça, tu as besoin de travailler ? Tu devrais pas te laisser faire, tu sais ? » Elle hocha la tête, penaude. « Je sais oui, mais j’en ai assez de me battre avec lui. T’imagines pas comme il peut être fatiguant quand il a quelque chose en tête… Et puis, travailler me permet de rentrer suffisamment tard pour le voir le moins possible. » Elle savait que ce n’était pas réellement les bases d’une relation saine, mais elle en avait marre de garder ses pensées pour elle. « La meilleure, c’est que je crois qu’il pense qu’on couche ensemble toi et moi » lâcha-t-elle avec un petit rire « alors que je suis persuadée que c’est lui qui me trompe. Tu le verrais... toujours accroché à son téléphone. » Elle se sentait proche du craquage, alors elle préféra boire une gorgée de thé quitte à se brûler la langue.

Léandre écoute Jac qui lui raconte les aléas de sa relation – et ne peut pas vraiment s’empêcher de froncer un peu le nez. Il ne se permettrait pas de se faire juge d’une relation, parce qu’il connaît les aléas des couples, des gens qui se rencontrent et de tout le reste, s’il n’avait pas l’impression que le type en question n’était pas un peu abusif. Là, en l’occurrence, le caractère de ce sale type transparait dans les moindres détails qu’elle lui relate. Et ça le fait grimacer parce qu’il ne voit pas pour quelle raison une fille comme Jac devrait se sentir obligée de rester avec un sale type. Elle est gentille, jeune et jolie – elle devrait être avec quelqu’un qui prend soin d’elle et non quelqu’un qui la brusque de la sorte. « Jac… » il commence, en fronçant le nez comme lorsqu’il s’apprête à dire quelque chose qui ne lui plait pas vraiment.

« Tu sais qu’en général, quand tu es avec quelqu’un que tu aimes, tu as hâte de le retrouver, hein ? » il demande en penchant un peu la tête. « Enfin je veux dire que ce n’est pas tout à fait normal de chercher à travailler pour éviter sa moitié – c’est peut-être qu’il y a un problème », il suggère, pas parce qu’il ne veut pas d’elle pour travailler – au contraire, la nouvelle collection représente énormément de boulot et il faut qu’il recrute de toute façon. « Et puis s’il te trompe, en plus… » Léandre note d’un air un peu bougon. « Je suis flatté qu’il se sente menacé, cela dit », il ajoute en riant un peu, histoire de plaisanter et de dédramatiser la conversation. « Désolé, je me mêle de ce qui ne me regarde pas vraiment – mais je trouve que les sales types ont souvent trop de chance par rapport à ce qu’ils sont. Tu devrais pas te laisser bouffer comme ça », il explique d’un haussement d’épaule – comme pour se justifier.