MAB - One last kiss

Etre une Brennan n’est pas chose aisée. Si ce nom vous ouvre beaucoup de portes, celle des clubs les plus selects, des sociétés les plus secrètes, il est des plus lourds à porter. Vous ne pouvez pas vous tromper dans vos choix, vous n’en avez pas le droit. Il vous faut être la meilleure, être celle qui remporte tous les prix, qui excelle dans tous les domaines et qui fait l’admiration et l’envie de tous. Peu importe que vous ayez des projets plus modestes, si vous portez le nom de Brennan, c’est impossible de contrecarrer les plans qu’ont dressés vos parents vous concernant. Chez moi, tout le monde est fier de faire partie de cette famille. Etre une Brennan, c’est forcément être promis à un brillant avenir. Vous devez vous démarquer, sortir du lot, peu importe de quelle façon, du moment que vous êtes au-dessus de ceux qui vous entourent. Vous n’avez pas le droit d’être leur égal, vous devez les surpasser, les écraser, vous élever un maximum dans l’échelle sociale et être au sommet pour régner sur les moins bien lotis.
Je n’aime pas régner. Je ne suis pas faite pour cela. Pendant des années j’ai vu mes parents, et puis mes frères et sœurs à mesure qu’ils grandissaient, agir comme des êtres supérieurs. Parce qu’ils avaient fait de longues études dans des universités prestigieuses, parce qu’ils étaient de haute naissance, parce qu’ils sont intelligents et en sont pleinement conscients, je les ai vus agir comme si la réussite était la seule chose qui comptait. Et forcément, je devais faire pareil. A huit ans, j’ai remporté un concours d’orthographe à l’école. A l’époque, je n’ai pas vraiment compris pourquoi tout le monde me félicitait aussi chaleureusement, pour moi, épeler des mots, cela n’avait rien de bien sorcier. Et puis au fil des années, j’ai dû me rendre à l’évidence : on ne me félicitait pas parce que j’étais capable d’épeler correctement des mots compliqués, mais parce que j’avais gagné.

Citation :

Flash-back

« Toutes nos félicitations au nouveau docteur de la famille ! »

Les coupes de champagne se lèvent et s’entrechoquent délicatement. Avec un temps de retard, je lève mon verre de jus d’orange. Je suis encore trop jeune pour boire de l’alcool, mais j’ai eu le droit d’avoir une coupe, comme les adultes. Mes parents irradient littéralement de fierté, tout comme ma sœur ainée, celle qui exhibe son diplôme encadré avec soin pour que tous puissent le voir. En les observant, je me demande s’ils n’ont pas trop mal aux zygomatiques à force de sourire de la sorte. Leurs dents paraissent si blanches, si droites, si parfaites, et du haut de mes treize ans, je trouve ça assez effrayant. Quand ils sourient tous comme ça, on dirait des loups.
Près de mon père, ma mère couve ma sœur d’un regard pleinement satisfait, et c’est là qu’elle lance, en se penchant vers mon père : « Un vrai docteur, tu veux dire chéri, n’est-ce pas ? ». L’ambiance semble se teindre d’une tension que même-moi, je ressens, mais je suis incapable d’en comprendre la raison. Les regards coulissent rapidement vers mon frère, puis reviennent se poser sur ma sœur et les sourires, qui s’étaient légèrement affaiblis, redeviennent éblouissants, et aveuglants. Je ne comprends pas. Mon frère aussi est docteur, en chirurgie plus exactement. Et son diplôme, pour l’avoir vu, est tout à fait réel. Mais pour mes parents, ce n’est pas un vrai docteur. Ma sœur, physicienne accomplie, va dédier sa vie à la recherche. Mon frère, lui, sauve des vies. Apparemment, ce n’est pas assez bien. Honteux, mon frère baisse les yeux, et tout le monde a vite fait de l’ignorer pour se mettre en cercle autour de ma sœur, qui irradie littéralement. En la regardant, je me dis qu’elle a l’air d’une étoile autour de laquelle graviteraient des planètes. Quand mon autre frère, le plus âgée, a obtenu le prix Nobel, le même phénomène s’est produit. C’est assez drôle, en fait, et j’essaie de cacher mon sourire derrière mon verre de jus d’orange. Manque de bol, ma sœur s’en aperçoit, et cramponnée à son diplôme comme si sa vie en dépendait, elle me fait une grimace hautaine : « Et toi, sœurette (pourquoi ce mot sonne aussi mal dans sa bouche ?), tu ne me félicites pas ? ». Cette fois, c’est moi qui suis au centre de l’attention. J’ai la bouche sèche, et surtout, l’esprit vide. La féliciter ? D’accord, elle a obtenu un autre diplôme, mais qu’est-ce que ça change ? J’ai passé l’année qui s’est écoulée à subir ses remarques désobligeantes à mon sujet, parce que je suis arrivée seconde de ma classe aux examens de fin de semestre. Mon père me fixe avec sévérité : « Et bien Margot ? », et c’est ce qui me fait céder. Je veux juste qu’il soit content de moi, alors j’esquisse un sourire, et je me hisse sur la pointe de mes pieds pour serrer ma sœur contre moi : « Je suis tellement contente pour toi, et… et je suis si fière d’être ta sœur. » En m’écartant, j’ajoute, de façon à rendre tout le monde satisfait : « J’espère qu’un jour, je ferais aussi bien que toi. », ce à quoi ma sœur rétorque, après un rire peu charitable : « Oui, tu peux toujours essayer. », et tout le monde m’oublie, enfin.
Je pourrais essayer, oui. Mais je n’aime pas la physique.

Fin du flash-back.

Chez moi, il est essentiel de se démarquer des autres. La compétition qu’il y a entre mes frères et sœurs ainées m’a toujours profondément perturbée. Je veux dire, ne sommes-nous pas censés nous aimer d’un amour inconditionnel ? Et pourtant, un drôle de paradoxe semble avoir pris le pas sur nos liens fraternels : seuls les meilleurs méritent le respect, mais si on bat les autres, ils nous congratulent tout en nous haïssant d’avoir fait mieux. J’ai essayé d’être la meilleure de ma classe, mais ce n’était jamais assez. C’est difficile de se concentrer, quand on n’aime pas réviser, ou réfléchir. Lorsque, enfant, j’ai passée des tests pour déterminer mon quotient intellectuel, mes parents ont pu se féliciter d’avoir mis au monde un cinquième rejeton au QI plus élevé que la moyenne. Adolescente, ils m’ont refait passer les mêmes tests, pour s’assurer que j’étais bien leur fille et non pas une enfant échangée à la maternité par erreur. Même résultat, j’ai un cerveau en parfait état de marche et une fonction cognitive élevée. Mais voilà, je n’aime pas l’école. Devoir me forcer à travailler sur des matières que je n’aime pas, lire des livres énormes qui ne m’intéressent pas, me préparer à faire des études que je n’aime pas… Au final, mes parents ont dû se rendre à l’évidence : je n’étais pas à la hauteur de leurs espérances.

Citation :

Flash-back

Comme tous les deuxièmes jeudi du mois, nous nous retrouvons, tous en famille, au Galvin at Windows, sauf que cette fois, c’est mon anniversaire, et je suis fébrile. Depuis près de quatre mois, j’insiste auprès de mes parents pour qu’ils m’offrent un billet d’avion pour Paris. Je meurs d’envie de visiter le Louvre, et d’assister à une représentation d’une pièce de Molière dans un des théâtres de cette magnifique ville. J’ai bon espoir qu’ils accèdent à ma demande, après le bulletin scolaire que j’ai ramené à la maison. J’ai travaillé dur, et j’espère que le sacrifice paiera. En début d’année, mes parents m’avaient bien prévenu : un bon bulletin, un beau cadeau. Je suis persuadée que j’aurais mon billet d’avion. Je le sais, je le sens. Assise au bord de ma chaise, je trépigne littéralement d’impatience, au risque de froisser ma robe neuve. « Chérie, tiens-toi tranquille. » m’ordonne ma mère d’un ton sec. « Tout le monde te regarde. ». C’est faux, évidemment. Mais une adolescente de seize ans, incapable de rester assise sans bouger, ça fait mauvais genre. J’attends patiemment, donc, que tout le monde passe commande, et le temps s’écoule à une vitesse horriblement lente. L’apéritif. Les amuses bouches –une appellation des plus étranges, manger un toast au foie gras ne m’a jamais amusé les papilles. L’entrée, le plat principal, et le dessert. Avec ma fourchette, j’émiette consciencieusement mon fondant au chocolat, parce que mes parents échangent des messes basses depuis déjà dix minutes en me regardant, et finalement, une enveloppe atterrit sur la nappe d’un blanc immaculé, et le silence se fait.

« Ma chérie, nous avons remarqué… »

Et bla bla bla. Oui, j’ai bien travaillé, oui j’ai eu de bonnes notes –du moins, meilleures que d’habitude. Oui je suis une bonne fille, j’ai été sage, donne-moi mon enveloppe ! C’est tellement difficile de ne pas simplement déchirer le papier pour enfin tenir entre mes mains… une lettre avec le signe d’un grand cabinet d’avocat. Parce qu’obtenir un stage dans une branche de métier qui ne m’intéresse pas le moins du monde est plus important que de m’offrir un cadeau qui me ferait véritablement plaisir. « Mais voyons chérie, tu dois devenir avocate ! » Ah ? C’est gentil d’avoir choisie pour moi, ça m’évite de trop me creuser la cervelle pour savoir quoi faire de ma vie.

Fin du flash-back

Au final, mes parents avaient raison. De toute évidence, je dois devenir avocate, puisque je n’ai pas été capable d’accomplir mes rêves. Et puis, être admise à Oxford, c’est quand même quelque chose dont on peut être fier, non … ? Au moins, mes parents sont contents, eux qui abhorraient l’idée de me voir monter sur les planches. Ce n’est pas en chantant que je vivrais ma vie, mais dans le silence de mes regrets.

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? Hum, et bien... pour avoir vécu une situation plus ou moins similaire, et en avoir subi par la suite les conséquences, je prendrais le temps de la réflexion avant de répondre. Ce producteur peut me trouver à son gout, certes, mais... rien ne dit qu'il en sera de même pour le reste de son équipe. Et si le réalisateur trouve que je passe mal à l'écran ? Et si le scénariste trouve que j’interprète mal mon personnage ? Et si la costumière ne parvient pas à m'habiller ? On ne peut se fier à l'avise d'une seule personne, aussi influente soit-elle. Croyez-moi.

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? Pauvre fille ! Si elle pleure, c'est qu'elle souffre, et donc qu'elle a besoin d'aide. Ce serait cruel de la laisser dans son chagrin. J'irais très probablement la voir, ne serait-ce que pour m'assurer qu'elle va s'en remettre. Et je lui donnerais un mouchoir également.

→ Ton(ta) cousin(e) t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? Hum... mieux vaut en rire, je suppose. Mais tout de même, un membre de ma famille... Et puis, je suis désormais contre la consommation d'alcool. J'ai vu les dégâts que cela pouvait causer, merci bien.

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? Awww une sortie au théâtre ! J'irais volontiers revoir "Songe d'une Nuit d’Été". A défaut de pouvoir un jour en faire mon métier, autant continuer à apprécier le spectacle...

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? Que j'ai pêché. Que, très naïvement, j'ai cru pouvoir échapper aux blagues douteuses des Trouble Makers, et que pire, je me suis volontairement prise au jeu de leur stupide pari. Que je me suis rendue ivre, et que j'ai fini à l'hôpital, et que c'était vraiment, vraiment stupide de ma part.

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? Je ne volerais jamais ! Mais en même temps, mes parents seraient si déçus en apprenant la vérité sur cette soirée d'Halloween.. mais je ne suis pas une voleuse. Pourtant, je n'ai pas envie que ma famille ait honte de moi. Mais je ne peux pas voler un ami ! Oh Seigneur...

→ C'est le mec (la fille) de tes rêves, tu en es persuadé(e) et pourtant, celui(celle)-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné(e), stratégique, ou éploré(e) ? On veut les détails ! S'il est en couple avec une autre, pourquoi m'acharner ? Ce serait inutile, et un peu bête de ma part. Je ne pourrais pas briser un couple, d'autant que s'il est avec elle, ce n'est pas pour rien, c'est qu'il l'aime, et pas moi. Donc, je me résignerais. Et j'irais pleurer en chantant All by myself, un cornet de glace à la main.

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? ...probablement avocate, comme mes parents l'avaient prévu pour moi...

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) Plus jamais, JAMAIS, de défi. Je choisis la vérité !

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » Je ne pense pas qu'on puisse apprendre à être Reine à Oxford, ni à Cambridge d'ailleurs. L'apprentissage de la royauté se fait différemment, c'est un peu... un peu comme apprendre à jouer un personnage pour une pièce de théâtre. Il faut comprendre le rôle qu'on nous demande de jouer, il faut l'appréhender de toutes les façons possibles, et se l'approprier pour qu'il soit à nous. Ni Oxford, ni Cambridge, ne peuvent te préparer à devenir Reine.

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Cambridge Club ? » Pour le peu que j'en sais, il s'agirait d'une société visant à s'assurer que les étudiants de Cambridge ne ternissent pas l'image glorieuse de l'université. Ils se doivent d'être parfaits, bien propres sur eux, avec de bonnes notes, de bonnes manières... Et pour le peu qu'on m'a raconté à leur sujet, ils ont beau incarner la perfection, ils aiment un peu trop tout contrôler.

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» Je m'abstiendrais de dire ce que je pense des TroubleMakers, tes parents m'en voudraient si je t'apprenais de vilains mots.

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » Bien sûr ! Tout le monde a le droit de changer d'avis, il n'y a que toi qui peut tracer ton chemin. Tu es la seule à savoir ce qui est le mieux pour toi.

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. »