ezra - (what's the story ?)

LONDON 2010 - IN AND OUT OF MY MIND

Qu'est-ce qui leur a pris. Un doctorat. Quelle bonne idée. Avec déjà presque cinq ans d'études derrière eux, Eileen et Ezra  s'étaient lancés chacun de leur côté, comme une compétition. C'était à celui qui craquerait le premier. Du moins c'est ce qu'il croyait. Ils ont posé leurs affaires de cours sur la table collante d'un pub poussiéreux où ils passent leur journée, ils étudient sans échanger un mot, juste quelques regards complices. Leur amitié n'a jamais été bavarde, ils ont pris l'habitude de se parler sans rien dire. Pourtant, aujourd'hui, Eileen a beaucoup à dire. Elle pose son stylo, ils ont le même, un plume gravé d'un double 'e' - et cette écriture de médecin presque indéchiffrable. Elle s'en va. Il rit d'abord, un peu pris au dépourvu. Elle prend son doctorat au sérieux et veut le terminer aux États-Unis. Une bien étrange idée. Le soir, dans leur petit studio, il demande 'c'est loin l'Oregon ?' à son ordinateur, quinze heures de vol environ, tout au plus, il hausse les épaules, de quoi payer une visite à Eileen tous les week-ends. Il nie. Ezra se demande s'il ne va pas simplement disparaître quand elle ne sera plus à ses côtés, alors il laisse plus d'un an de recherches dans un coin de son ordinateur et déménage lui aussi. À trois quart d'heure de train, ses 250 pages écrites dans la foulée d'un voyage qu'il a surement fait trop jeune bien rangées dans sa valise, prêtent à enfin briller. Parce qu'il est juste là son rêve à lui, il manque juste une reliure à toutes ces feuilles volantes.

LONDON 2017 - HE'S SANCTIFIED AND HE'S BEEN BORN AGAIN.

Il est 8h, café chaud et tabac froid. Ezra bouquine au son d'un vieux vinyl -un peu rayé- de Joy Division, installé dans son confort de stéréotype vivant. Son manuscrit, relié et corrigé en face de lui, il lui lance quelques regards furtifs, au cas où il disparaîtrait. Ces deux dernières années furent des plus difficiles de sa vie. Les nouvelles d'Eileen se faisant de plus en plus rare, son malêtre l'a épuisé physiquement et mentalement, le rendant incapable d'écrire une seule ligne, même sa botte secrète ramenée de ses sombres soirées allemandes n'y changeaient rien. Emprisonné dans une spirale malsaine, il voyait rarement la lumière du jour et passait le plus clair de son temps à dormir, pleurer ou imaginer des plans abracadabrants pour faire passer son futur suicide en violent cambriolage. Breakfast : wine, lunch : wine, dinner: whine. Et puis c'est allé mieux, tout doucement, avec l'aide de pleins de femmes absolument incroyables. Alors, petit à petit il s'est remis à écrire, un article par ci par là, puis quelques paragraphes, jusqu'au chapitre entier. Il avait terminé, c'était son meilleur livre. Demain, un modeste nombre d'exemplaires serait envoyé dans, cette fois ci, la plupart des librairies de la ville. Il avait écrit pour tout le monde, pas seulement pour les gens comme lui, intellectuels hautains au vocabulaire souvent bien plus riche que leur compte en banque. Aujourd'hui Ezra, café chaud et tabac froid, barbe taillée et cheveux cirés, il sourit et puis il claque la porte, pour rencontrer encore plein de femmes merveilleuses, mais surtout pour elle alors il glisse le manuscrit dans une enveloppe et l'envoie loin, à quinze heures de vol environ.