Unexpected entertainment (Elliot)

Elliot avait passé un début de journée basique : il s’était réveillé étendu sur le sol devant son canapé alors que le jour était largement entamé, encore habillé de ses vêtements transpirants et imbibés d’alcool de la veille. En grimaçant, il avait repoussé les mégots de cigarette et canettes de bières vides qui jonchaient le sol pour porter sa gueule de bois et lui jusqu’à l’évier, duquel il se servit un grand verre d’eau. Après quelques minutes de silence à fixer les carreaux du mur, il avait déterminé ce qui clochait, outre le fait qu'il ne se souvienne rien de sa soirée : il n’avait plus son portable. Ses mains se portèrent à ses poches, ses yeux fouillèrent la pièce du regard. Rien. Fais chier. Il secoua la tête, abandonna nonchalamment le verre dans le bac d'eau déjà presque plein de vaisselle, déboutonna sa chemise et alla s’effondrer sur le canapé pour s’injecter une dose d’héroïne.
Maintenant la journée commençait pour de vrai. Bien plus frais qu’avant, il sauta sous le jet d’eau pour une douche très brève, enfila des fringues relativement propres, posa un chapeau sur sa tête et s’alluma une cigarette. Et maintenant ? Assis sur le canapé, il découvrit l’écran noir de la télévision au milieu duquel la télécommande était explosée, laissant au pied du meuble un amas de morceaux de verre brisé. Fais chier. Il secoua la tête avant de se relever, il fallait trouver une autre occupation.
Sortir était une bonne idée, mais le soleil agressa immédiatement ses paupières en manque de sommeil. Sans savoir quoi faire, il errait sans but dans le quartier punk de la capitale, faisant quelques signes de la tête aux visages familiers. L'idée lui vint en marchant, au détour d'une rue devenue familière à force d’avoir foulé le bitume pour rendre visite à une vieille amie. Avant de monter chez « Mme Carter »  comme indiquait la boite aux lettres, il s’engouffra dans la boulangerie voisine pour revenir avec un sac plein de viennoiseries et une autre dans la bouche.

« Che voulais t’amener à mancher »

Ses bras l’enlacèrent avant qu’il ne marmonne quelques mots la bouche pleine. Il ouvrit le sachet sur son bureau et se promena dans l’appartement en touchant comme d’habitude à presque tout ce qu’elle possédait, comme s'il n'était jamais venu auparavant, que ce soit du magnet sur le frigo à des photos sur le mur.

« Pourquoi j’y suis pas ?»

Il sembla se souvenir qu’il n’était pas seul, et pas chez lui aussi, car il se plaça juste dans le dos de son hôte pour fixer l’écran d’ordinateur sur lequel elle travaille, se reprenant à manger au passage.

« Tu fais semblant de bosser sur quoi ce coup-ci ? »

Contrairement à la majorité des gens qu'il connaissait ou avait connu, Marjane ne l'avait jamais fichu à la porte de chez elle. Ou alors, il n'en gardait aucun souvenir. Mais elle n'était pas non plus du genre à lui faire de la place sous ses draps, ce qui était bien dommage. Elle avait malgré tout toujours fait en sorte qu'il ait un coin de canapé où décuver toutes ces fois où il perdait ses clés. Jamais elle ne lui avait tourné le dos, elle se contentait la plupart du temps de hausser les épaules à ses conneries en attendant qu'il fasse preuve d'un peu plus de raison.

Un haussement d'épaules, une main qui repose maladroitement un cadre, et quelques marmonnements.

"Ouais, si tu veux"

Il n'était pas passé derrière un objectif depuis bien longtemps. Il regrettait presque le temps où on le payait à regarder le petit oiseau sortir.
Mais son attention avait déjà changé de cible, elle était maintenant brièvement concentrée sur l'écran ouvert. Il n'y connaissait rien aux ordinateurs, ne s'en intéressait aucunement. Il était persuadé de ne pas avoir besoin d'une merde supplémentaire dans sa vie. Et puis, il ne mentait pas en l'accusant de faire semblant de travailler, il ne comprenait pas vraiment son métier. Mais la questionner à ce sujet l'ennuyait, il n'aimait pas tout ce qui se rapportait à des jobs. Et à la paperasse aussi, il détestait les formulaires administratifs. Ce qu'il aimait c'était manger, boire, baiser et fumer. Ses doigts piochèrent une nouvelle pâtisserie.

"Tu devrais lui dire fuck. C'est bien payé au moins?"

D'un geste tremblotant, il lui jeta le paquet de gâteaux avant d'aller à la cuisine sans y être invité.

"T'as des bières? Je t'en mets une?"

Un petit déjeuner sans bière n'est pas un vrai petit déjeuner.

"Il faut qu'on fasse un truc fun pour te remotiver, et qui t'inspirera pour une prochaine vidéo."

Son paquet de cigarettes apparut hors de sa poche.

"Je peux fumer à l'intérieur?"

Ce matin-là, Ezra s’était brusquement fait réveillé par son propre subconscient, le même qui fait qu’on se lève d’un coup à 6h du matin un dimanche en étant persuadé d’être en retard. En sursautant, il avait manqué de tomber du canapé lit où il avait une nouvelle fois passé la nuit, il risquait rarement la mezzanine, beaucoup trop dangereux. Ez se frotta énergiquement les yeux, toujours un peu embrumé et se mit à courir dans tous les coins de son petit appartement, brossant ses dents tout en enfilant le premier pull moche qu’il trouva puis avalant du café froid qui trainait là depuis la veille, voir deux jours. Son rendez-vous avec Marjane, il avait complètement oublié et d’après sa montre, il avait déjà une bonne vingtaine de minutes de retard, fort heureusement, Camden n’était pas très loin.

Enfin assis dans le métro, Ezra en profita pour faire ses lacets et regarder son téléphone, s’attendant à trouver un message ou quelques appels manqués de Marjane mais non, rien de tout ça. Il haussa les épaules, peut être qu’elle aussi ne s’était pas réveillée. Arrivé à la sortie de la bouche de métro, Ez réfléchit un instant pour être sûr de ne pas se tromper de rue puis se mit en quête de l’appartement de son amie. Il était un peu plus réveillé et commençait à avoir hâte de travailler, il adorait bosser avec elle, ils ne se mettaient pas la pression et avançaient tranquillement au rythme de leurs idées. Parfait pour un phobique des deadlines.

Devant la porte d’entrée, il ne prit pas la peine de sonner et se contenta de toquer faiblement avant de tourner la poignée. Ezra avait passé tellement de temps ici ces dernières semaines qu’il savait qu’il pouvait entrer sans frapper, surtout quand sa visite était prévue. Il débarqua dans l’appartement, un peu essouflé, déboutonna sa veste et l’accrocha au porte manteau devant lui. « Marji? T’es là? Désolé j’suis encore en retard je me suis pas levé! » brailla-t-il en se retournant, faisant alors face à la pièce. Il fut cependant stupéfait de la scène qui se dessina devant ses yeux. Ez sursauta et pointa du doigt l’objet de sa surprise.  « Ah non pas lui ! » s’exclama-t-il.

Le junkie avait toujours été surpris que l’ancienne blogueuse accepte encore de traîner avec lui. Il fallait être réaliste, elle était mignonne, intelligente et sensée. Alors que fichait-elle avec un type aussi déséquilibré ? Bon, il n’allait pas s’en plaindre, il l’aimait bien, et ne perdait pas espoir qu’un jour elle accepte d'essayer d’être plus qu’amis, juste une nuit, pour voir…
Des photos, l’argent, toutes ces trucs qui s’apparentaient à du travail l’ennuyait déjà. La bière, ça l’intéressait ça ! Après les avoir décapsulées à la hâte dans la cuisine, d'un geste habitué, il retourna fièrement dans le salon, une cigarette déjà clouée au bec prête à être allumée. Son paquet s'ouvrit face à son interlocutrice préférée pour qu'elle l'accompagne.

« Tu penses à quoi ? Tu sais qu’il pleut dehors et que ça va continuer toute la journée ? »

Alors il colla sa tête contre la vitre pour vérifier ses dires aléatoires et infondés. Finalement, il déverrouillera la fenêtre pour l'ouvrir largement et passer un bout de chapeau dehors.

« Ah nan en fait, il pleut pas, mais il y a quand même des nuages hein, enfin on dirait un peu de loin, je croyais vraiment qu’il pleuvait quoi, mais c’est con parce que j’étais dehors alors j’aurais dû le savoir, je suis quand même pas là depuis très longtemps, même si le temps passe vite je trouve quand je viens chez toi, chez moi tout seul je m’ennuie vite mais… »

Quand la porte s’ouvrit dans son dos, il était encore penché au-dessus de la balustrade, fixant le bitume du trottoir quelques étages plus bas et lancé en grande conversation avec lui-même. Aussi n’entendit-il pas frapper, ni la poignée s’abaisser, ni le verrou claquer, ni une voix familière s’excuser d'un soit-disant retard.

« Alors c’est quoi ton idée, princesse ? »

Par contre, le large sourire qu’il affichait après avoir réussi à cracher sur un passant lambda qui passait malencontreusement sous la fenêtre quelques instants plus tôt se dissipa immédiatement. En se retournant, le poignet encore occupé à refermer la fenêtre de laquelle il n'était pas tombé, il découvrit Ezra. La phrase que le nouveau venu prononça fit étrangement écho à ce qu’il ressentait lui-même.

« Marji, que fout le pire écrivain de Londres chez toi ? »

Sourcil froncé, il mordillait nerveusement le bout de sa cigarette, prenant une seconde pour analyser l’étonnante situation. Mais sa bienveillance naturelle accueillit finalement comme il se doit le nouveau venu.

« T’es venu me rendre les 30 balles que tu me dois depuis genre cinq ans ? »