What's wrong with me ? Chris

Christopher est en train de coucher les enfants quand Adrian rentre de sa journée de travail. Il retire son manteau et s’installe à table après avoir lancé une bouilloire de thé. Ce soir, il n’a pas le moral. Un peu plus tôt dans la journée, pendant un cours, il a eu du mal à écrire sur le tableau noir à craie. Sa main tremblant trop. Et il a beau avoir eu envie d'ignorer tous les signes, de minorer les effets de son accident de voiture, Adrian sait que quelque chose ne va pas. Il a un problème, et son instinct lui dit que ce n’est pas un petit problème. Il soupire et se relève pour verser le thé dans sa tasse mais de nouveau sa main tremble et il verse de l’eau à côté. Il pousse un soupir frustré, et repose la bouilloire. Il faut qu'il en parle à Chris. Il n’a plus le choix. D’autant plus qu’au delà du problème qui est le sien, Charlie l'inquiète aussi. Après tout, c’est son fils biologique.

Adrian tend l’oreille quand Christopher redescend et soupire un peu. Il n’a pas envie d’avoir cette conversation. Il a peur, aussi, et l’angoisse lui creuse l’estomac et les tripes. « Bonsoir », il murmure sans quitter sa chaise. « Chris… » il soupire mais sa voix se brise, traduisant indéniablement le problème qui plane au dessus de sa tête. Adrian n’est pas du genre à perdre les pédales. « Il faut que je te parle de quelque chose. Je crois qu'il vaudrait mieux que tu t’asseyes » il ajoute. S'il avait été suffisamment courageux, il serait allé faire des examens tout seul pour éviter tout ça à son mari. Mais il n’a pas la force d’affronter tout ça tout seul. « Depuis l’accident de voiture, quelque chose ne va pas. Tout à l’heure j’arrivais pas à écrire sur le tableau pendant mon cours. Et là, je ne peux pas remplir ma tasse. J’ai des trous de mémoire comme pour les cupcakes de Charlie et je… » il murmure, sa voix empreinte de désespoir. « Il y a quelque chose qui cloche », il murmure.

Adrian n'a pas l'air dans son assiette, et Chris ne peut que le remarquer puisqu'il le connaît mieux que personne. Pourtant, il interprète mal les signes, pense stupidement que c'est son commentaire sur les cupcakes de Charlie que son mari a pris de travers, alors qu'il en est tout autrement. Véritablement chagriné par l'ambiance froide et distante qui pèse sur le foyer depuis quelques jours, Chris songe à ouvrir son coeur à Adrian une fois les enfants couchés. Et après une longue histoire, il finit par d'ailleurs descendre, mais il est bien vite accueilli par un Adrian dont l'expression est défaite et inquiète. Tandis qu'il s'apprête à amorcer la conversation, il se fait devancer par son mari qui lui propose de s'asseoir. Son coeur loupe alors un battement. Chris devient étonnamment anxieux lorsque son mari est impliqué. Sa famille est tout ce qu'il a, et la suite de cette conversation n'annonce rien de bon vu les circonstances dans lesquelles elle prend place. Lorsque Adrian évoque l'accident de voiture, Chris est un instant rassuré avant de paniquer de nouveau. L’ascenseur émotif dont il est victime s'affiche d'ailleurs bien trop ostensiblement sur son visage désormais inquiet. Il reste un moment silencieux, puis regarde son mari. Pendant des semaines il l'a encouragé a consulter, mais maintenant que la question se pose, le déni semble presque une alternative attirante. Il hoche la tête, cherche ses mots. « Il faut que tu vois un médecin. C'est important. Juste pour vérifier que c'est juste un peu de stress. » Il a besoin de croire à cette alternative, même si l'idée semble de moins en moins probable. « Je suis là. » Il lui dit en tendant le bras vers lui pour l'inciter à se caler contre lui dans un besoin inévitable de tendresse. « Tout ira bien. »

Ce n’est pas facile de sortir du déni. L’accident remonte, maintenant, et il pensait presque être tranquille. Adrian avait fini par mettre sur le compte d’un léger endormissement cet écart de route qui l’avait conduit à percuter un autre véhicule sur une voie rapide et qui ne l’avait laissé que très superficiellement blessé alors que l’autre s’en tirait sans rien, mais ces dernières semaines, il ne pouvait qu’observer que quelque chose allait mal. Il ne savait pas exactement quoi, ni pourquoi, mais il avait la sensation étrange que quelque chose lui échappait – que ce soit la réalité de la situation ou bien même son esprit lui-même, en tant que tel. Et l’anxiété qui accompagnait cette idée l’empêchait de rester davantage dans le déni encore. Pire, ce qui rendait les choses plus inquiétantes encore était sa paternité vis-à-vis de Charlie, qu’il avait décidé de faire lui après que Chris ait fait Jamie. Un fils chacun, l’idée semblait aussi bonne qu’originale et équitable, et pourtant, depuis quelques semaines de la même façon, elle l’oppressait. Il était maladroit, son fils, son bébé. Comme lui. Adrian ne se pardonnerait jamais d’avoir transmis quoi que ce soit de nocif à son fils – jamais. Il pouvait endurer bien des souffrances mais imaginer un instant qu’un de leurs enfants puisse souffrir le mettait déjà hors de lui et accélérait notablement son rythme cardiaque.

Il se laisse aller contre Christopher, acquiesçant lentement, sceptique cependant. « Ma mère m’a dit qu’il y avait déjà eu un cas de maladie du cerveau dans la famille », murmure-t-il, sans comprendre pourquoi il n’avait jamais été averti de ce fait, d’ailleurs. Peut être qu’il aurait réfléchi à deux fois avant de se désigner comme le père biologique de Charlie, s’il avait su. « La Chorée de Huntington », explique-t-il sans pouvoir expliquer cependant qu’il est allé vérifier les symptômes sur internet et qu’ils correspondent – c’est toujours un peu le cas après tout, non ? Il ferme les yeux et sa main tremble, un peu. « J’ai peur, Chris », il ajoute sans rouvrir les yeux. « Charlie… C'est une maladie génétique. » Il se sent presque déjà condamné, au moins au pied du mur.

Si Chris avait voulu rester dans le déni, la réplique d'Adrian l'en aurait brutalement empêché. Voilà qu'il parle de maladie génétique dans sa famille, d'Huntington, de toutes ces choses dont Chris ne veut pas entendre parler, même si il a été le premier à l'encourager à aller voir un médecin pour vérifier que tout allait bien. Pire Adrian évoque Charlie, et c'en est trop pour Chris dont le cœur s'affole envahi d'un stress tout nouveau. Il repousse ses cheveux en arrière dans un geste nerveux et tente de ne pas laisser les larmes couler toute seules en encaissant le discours peu rassurant d'Adrian et le choc qu'il provoque. C'est un cauchemar, un cauchemar qui n'a pas lieu d'être alors que des examens ont été prétendument réalisés après l'accident. Tout cela n'a pas de sens, Adrian l'aurait su si il avait été atteint d'une maladie génétique non ? Chris doute désormais, lance un regard désespéré à son mari qu'il aimerait pourtant pouvoir rassurer. « Adrian... » Il tente, mais la supplique ne change pas les choses. Adrian ne fait que partager ses angoisses, et Chris se doit de les entendre. Il prends une inspiration, puis prends la main de son mari dans la sienne. « Il faut qu'on voit un médecin. On ne peut pas faire des suppositions comme ça. Et puis tu as fait des analyses après l'accident, ils auraient forcément trouvé quelque chose si tu avais une maladie génétique ? » Chris fronce un peu les sourcils, il est définitivement contrarié. « On appellera demain, je prendrais ma journée. En attendant promet moi de ne pas passer la soirée à faire des recherches internet qui vont t'inquiéter encore plus. » Ce qu'il a probablement déjà fait d'ailleurs.

Il s’en veut presque immédiatement quand il voit l’air paniqué de Chris qui lui fait face. Il aurait dû taire son angoisse, de toute façon, il n’y a rien de plus à faire que de patienter pour le rendez-vous du médecin, alors ça ne vaut pas vraiment le coup de l’inquiéter. Il s’empare de la main de son mari dont il caresse le dessus de son pouce et hoche la tête. « Tu as raison », il murmure en serrant sa main. « J’avais oublié les analyses après l’accident. Mais ils auraient forcément vu quelque chose ». Il prend une inspiration et se redresse, abandonnant la main de Chris pour s’étirer un peu. Sa main droite tremble, un peu, d’un mouvement imperceptible qu’il associe immédiatement à ses angoisses alors même que ça ne pourrait être qu’un signe anodin de fatigue passagère. Adrian ne peut pas croire qu’il soit réellement en train de se questionner sur la santé de son cerveau, cette partie de son corps qui lui sert tant – il va bien. Il est intelligent, il sait s’exprimer, il écrit, il enseigne. La période est angoissante, la fin de l’année arrive, bientôt il sera en vacances et n’aura d’autre loisir que de s’installer dans le jardin pour écrire pendant que Charlie et Jamie joueront autour de lui. Il a hâte, même s’il aime son travail ; les deux mois d’été sont toujours particulièrement reposants et inspirants pour lui.

« Je vais manger un morceau », il murmure en ouvrant le frigidaire à la recherche de sa part du dîner traditionnellement laissée par Chris à son intention. Il réchauffe le tout et s’installe en se versant un verre de vin, imitant son geste pour son mari. « Merci pour le dîner. Je suis désolé, je ne voulais pas t’inquiéter », il ajoute dans un murmure, la gorge un peu serrée. Il a beau essayer de se convaincre que ses inquiétudes sont infondées, quelque chose au fond de lui le presse de réaliser qu’il a raison, qu’il est malade, et que leurs vies à tous ne vont pas tarder à basculer.

Chris ne sait pas trop quoi penser de la conversation même si Adrian semble avoir pris le parti d'éviter le sujet pour le reste de la soirée. Il aimerait pouvoir tout simplement oublier et rationaliser en se disant que les analyses ont été faites de toute façon. Mais si il y réfléchit bien, lui aussi a pu remarquer quelques bizarreries dans le comportement de son mari qui ne s'expliquent pas par un peu trop de stress accumulé à la fin de l'année universitaire. Alors si Adrian est inquiet lui aussi, Chris ne peut que suivre le mouvement dans une logique implacable et angoissante. Il s'en veut d'ailleurs de l'avoir poussé d'une certaine manière, à se réfugier de nouveau dans le déni, ce qui n'aide pas vraiment la situation qui est devenu un sacré problème depuis l'accident. Chris tente de se rassurer en se disant qu'ils iront tous les deux consulter un médecin dès le lendemain et qu'ils auront bien vite des réponses à leurs questions mais il ne peut pas s'empêcher de se dire que les résultats pourraient ne pas être ce qu'ils attendent tous les deux. Chris tressaillit d'ailleurs à cette idée tandis qu'Adrian se lève pour aller réchauffer sa part du dîner, en le laissant seul dans le salon un instant. Chris en profite pour tenter de reprendre contenance et lorsque Adrian reprend place contre son épaule, Chris embrasse ses cheveux dans un geste tendre et désespéré. « Tu fais bien de m'en parler. Tu sais que tu peux tout me dire... » Il murmure en caressant doucement son bras. « On fera ce qu'il faut Fletch, tu peux compter sur moi. » Il ajoute doucement. « Je t'aime, tu sais ? »

Adrian sait qu’il l’aime mais il ne peut pas s’empêcher d’avoir peur de ce qui se profile – bien sûr, s’il n’a rien, tout ira bien. Ils auront juste eu peur pour rien, il aura été trop attentif et tirera les enseignements de sa fatigue. Mais s’il a vraiment quelque chose ? S’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas chez lui ? Il faudra traverser une épreuve qui s’annonce traumatisante et terrible et Adrian n’est même pas sûr qu’il soit capable lui de le faire de la bonne façon – mais Chris ? Chris qui l’aime et qui pourtant est déjà par le passé allé voir ailleurs ? Qu’adviendra-t-il de lui s’il devient un handicapé presque sénile ? Il secoue la tête pour chasser cette idée de sa tête, se concentrant plutôt sur le fait qu’il est fatigué et que c’est sans doute ce qui explique les symptômes, qu’en plus de ça il a déjà passé les examens nécessaires qui ne lui révèleront sans doute rien d’autre que ce qu’il sait déjà. Alors il se contente d’hocher la tête et d’embrasser les lèvres de Chris tendrement. « Oui, je sais », il ajoute en prenant sa main. « Moi aussi je t’aime. Et toi aussi, tu peux tout me dire, sans exception », il ajoute. Il laisse son assiette à peine entamée qu’il rapporte à la cuisine et s’étire un peu. « Je vais aller embrasser les enfants et prendre un bain » il explique, le sourire aux lèvres histoire d’inciter son mari à le suivre, s’il en a envie. Adrian a désespérément besoin de sa tendresse et de ses bras rassurants. C’est presque vital.

Chris ne sait pas vraiment ce qu'il ressent. Un mélange de tristesse et de peur qu'on voudrait à tout prix étouffer pour ne pas inquiéter davantage. Il fixe Adrian, un peu perdu dans ses pensées. Plus il pense à ce que son mari lui a dit, plus son visage s'assombrit. Il se déteste d'être aussi transparent. Mais ses efforts ne valent pas grand chose contre le poids des années passées avec son meilleur ami et amant. Adrian le connaît par coeur, et lire en lui n'a rien de franchement difficile pour le rouquin qui sait presque instantanément quand quelque chose ne va pas chez lui. Chris se rappelle notamment la rapidité avec laquelle Adrian avait pressenti que quelque chose s'était passé le matin ou il était rentré honteux et désespéré à l'idée de l'avoir trompé. Mentir à Adrian est mission impossible, lui cacher son inquiétude, pas plus évident. « J'ai jamais vraiment besoin de te dire les choses, tu les devines généralement déjà bien tout seul. » Il soupire avant de tout de même reparler des tremblements et des confessions du roux. « Je voulais pas t'obliger à taire tes inquiétudes. Je suis désolé, ça m’inquiète aussi malgré les analyses et tu as raison de m'en parler, ma réaction était juste merdique, pardon. » Il lance, en l'attirant dans ses bras. « T'as pas à m'épargner si t'es inquiet. » Chris veut qu'il puisse en parler, pas qu'il cherche seulement à adoucir la réalité pour qu'il puisse l'entendre. C'est un grand garçon.

Adrian ne commente pas, pas qu’il soit particulièrement d’accord avec Chris – il s’en fiche, et en réalité, il aimerait autant le préserver si c’est encore possible. Sauf qu’il ne peut pas vraiment ignorer la petite voix au fond de son crâne qui lui répète que quelque chose ne va pas et qu’il n’y peut rien. Alors il se contente de se laisser entrainer dans les bras de son mari entre lesquels il s’installe, déposant ses lèvres contre le cou de Chris. « Je t’aime, c’est tout ce qui compte », murmure-t-il sans réellement y croire cela dit ; pas que leur amour ne compte pas, loin de là. Il représente tout pour Adrian. Simplement, s’il est effectivement malade comme il le pense, si quelque chose ne va pas dans son cerveau, il se demande ce qu’il va lui arriver et ce qu’il va devenir. Une énorme partie de la personnalité d’Adrian repose sur ce qu’il est, lui, le professeur intelligent, travailleur et cultivé, l’écrivain aussi. Il se mord un peu la lèvre et son cœur accélère sa course dans sa cage thoracique tandis qu’il caresse distraitement le bras de son mari. « Je vais aller prendre une douche », il murmure finalement en se redressant un peu après quelques minutes. Il embrasse ses lèvres de Christopher et l’abandonne un instant sur le canapé pour aller prendre une douche brulante qui, il l’espère, le détendra un peu dans l’optique du lendemain et des nouvelles qui l’attendent peut être.