welcome home ∆ Chris

C’est toujours les vacances scolaires, et pourtant, Adrian se trouve au volant de sa voiture, sur le chemin du retour d’Oxford. Il a proposé à certains étudiants d’organiser une journée de révisions pour les partiels qui arrivent, notamment ceux de ses élèves qui sont le plus en difficulté. Ca fait quelques années maintenant qu’Oxford lui fait confiance, et il a obtenu le droit de venir dispenser des cours de soutien pendant les vacances, ce qui a eu pour conséquence de le faire se tirer du lit assez tôt le matin même pour venir ici aider les élèves. L’avantage, c’est qu’il devrait être rentré pile à l’heure du déjeuner – un brunch, ils avaient convenu de le faire comme ça. Le brunch de la veille de la rentrée, pour que les garçons profitent de la dernière journée de vacances comme des rois, en dînant avec leurs pères avant de jouer tout l’aprem et de se préparer. Adrian sourit avec tendresse quand il repense au chemin parcouru depuis toutes ces années – le mariage, et les adoptions, l’une après l’autre.

Il appelle sa mère en chemin pour organiser un dîner le vendredi qui suit, histoire de faire passer le temps. A côté de lui se trouve un chien qui dort la tête appuyée contre la portière. Il a fallu négocier de longues heures pour obtenir le droit d’amener un chien à la maison – Chris en a une peur bleue – mais finalement, la bête s’est fait une place particulière dans leur vie, dans sa vie aussi. Il l’emmène à Oxford, là où il a l’avantage de la reconnaissance pour se parer contre les critiques et les sceptiques. Quelques minutes de voiture supplémentaires et Adrian se gare, ouvrant la porte à la chienne pour qu’elle le suive dehors puis jusqu’à la porte. Il a récupéré un sac empli de viennoiseries et de bonbons du coffre – une petite surprise pour la veille de la rentrée. Il porte finalement la porte de la maison et dépose ses affaires dans l’entrée, retirant son manteau avant de déclarer « Je suis rentré ! » d’une voix joyeuse. 2017 est une année qui commence pour le mieux – il n’aurait pas pu espérer autre chose, en réalité.

Chris est débordé, mais gère sa nouvelle vie avec bonheur. Ce n'est pas toujours évident, mais il a l'impression qu'ils s'en sortent, qu'ils mènent enfin l'existence dont ils ont toujours rêvé, même si elle est réglée comme sur du papier à musique et qu'on pourrait leur reprocher d'avoir tout organisé sans laisser place à l'imprévu. Adrian écrit, Chris adapte et le duo fonctionne aussi bien dans leur vie de couple que dans leur vie professionnelle. Un portait idyllique pour une famille qui a traversé l'épreuve du temps et des emplois du temps qui ne coïncident pas toujours. Parfois Chris a l'impression que l'équilibre ne tient qu'à un fil et pourtant ils règlent presque tout par une organisation méthodique qui fonctionne à merveille, une organisation testée et approuvée qui ne rend pas leur famille malheureuse loin de là. Adrian et lui ont divisé les tâches, décidé qui emmenait quel enfant à l'école et jusqu'à preuve du contraire tout fonctionne admirablement. Ils sont ce couple qui veut faire mieux que bien parce qu'ils savent pertinemment qu'ils seront toujours considérés par les esprits les plus étriqués comme un couple d'homosexuels qui ne pourra jamais offrir à leurs enfants ce que pourrait leur offrir un couple hétéro. Ils ont beau ne pas accorder beaucoup d'importances aux intolérants, la pression est réelle comme s'ils avaient quelque chose à prouver au monde entier. Mais ils sont heureux, très heureux, récompensé de leurs efforts par une vie plaisante qu'on pourrait facilement leur envier. Chris a préparé le repas avec les enfants qui s'amusent désormais sur la console tandis que leur père raccroche le téléphone qui n'arrête pas de sonner. Lorsqu'Adrian arrive, il sourit et lui offre un baiser en guise de bonjour. « Comment va le bourreau de travail ? » Les enfants ne lui laissent pas le temps de répondre qu'ils lâchent leur manette pour enlacer leur père et réclamer des sucreries.

Il sait qu’il travaille trop. Il sait aussi que parfois, il laisse un peu trop de responsabilités sur les épaules de Chris. Avec le recul, c’est ce qui a failli lui coûter son couple, il y a quelques années. Jamie venait de faire leur apparition dans leurs vies, à quelques mois près, et Chris l’a trompé avec un autre homme, plus disponible. Il a vu passer, très proche de lui, la fin de son mariage, mais avec le recul, il sait qu’il était en partie fautif. D’ailleurs, son rythme de travail de professeur l’angoisse – parce qu’il a peur que ça recommence, qu’un jour, Chris finisse par être trop las. Trop fatigué de l’attendre, de gérer la vie de famille. Adrian fait de son mieux pour faire des compromis, pour éviter les allers-retours ou les semaines complètes.

Il a fait aménager son emploi du temps pour ne travailler que le vendredi matin et le lundi après-midi, par exemple – en plus des autres jours complets de la semaine – histoire d’avoir un week end un peu plus long que la normal. Il a également proposé aux étudiants en manque de soutien de leur faire cours pendant la pause déjeuner plutôt que le soir. Mais le frein réel s’est fait sentir quand il a eu son accident de voiture, un soir, en rentrant de la fac. Il ne comprend toujours pas vraiment ce qu’il s’est passé, les conditions n’étaient pas si mauvaises. Mais tout ça est derrière eux et la vie continue. Il embrasse les lèvres de Chris et soulève Jamie qui lui court dessus pour lui faire un calin. Charlie ne tarde pas non plus et s’accroche à sa jambe – les deux garçons restent en position quelques secondes avant de se détacher pour regagner la console qui tourne à plein régime. « Ca va », il répond dans un sourire. « Je ne t’ai pas réveillé en partant ? Ca sent bon », il lance en déposant les viennoiseries et les sucreries sur le plan de travail.

Chris regarde les enfants retourner jouer à la wii après avoir enlacé Adrian tendrement. Ils sont bien élevés, mais comme pour tous les petits garçons de leur âge, l'attrait des jeux video est difficile à contenir. Les adultes ont le même problème avec un verre de blanc après le travail. C'est d'ailleurs ce que sert Chris a Adrian en le regardant avec une tendresse non feinte. Lorsqu'il pense aux épreuves qu'ils ont traversé, il ne peut pas s'empêcher d'éprouver une certaine fierté devant tout ce qu'ils ont désormais accompli en tant que couple. Une jolie maison, deux enfants qui jouent joyeusement en sautillant sur le canapé et une vie professionnelle bien remplie aménagée méthodiquement autour de leur vie de famille elle aussi bien remplie. Certains ont essayé de chercher la faille dans ce tableau idyllique évidemment, se sont confondus en commérages, prétendant que Chris se lassait du côté autoritaire et froid d'un Adrian qu'ils ne connaissent finalement pas du tout, mais la vérité c'est qu'ils sont heureux ensemble et qu'il n'y a pas grand chose d'autre à inventer à leur sujet. Et il y a de la beauté dans tout ça. L'entente suprême, se connaître tellement bien qu'on a plus besoin de discuter pendant des heures de ce qui est déja évident. Ils se complètement et s'estiment avec toujours ce besoin irrépressible d'être tout l'un pour l'autre. Ils ne sont pas de ceux dont la passion s'exprime par l'insécurité et la jalousie, mais de ceux qui sans faire l'erreur de se considérer comme acquis par l'être aimé, sont portés par la confiance mutuelle qu'ils se portent. « Non, je me suis endormi sur le scénario hier tellement j'étais fatigué, c'est Charlie qui m'a réveillé. D'ailleurs dans l'ensemble c'est super, il y a peut être deux ou trois chose à modifier sur la forme, mais pour un premier jet tu t'en sors bien. » C'est la première fois qu'Adrian travaille sur le scénario, et Chris aime l'idée de pouvoir faire ça avec lui plutôt qu'avec un professionnel. C'est toujours beaucoup plus intéressant de travailler en étroite collaboration avec l'auteur d'un roman qu'on adapte, et la collaboration est d'autant plus étroite qu'il est possible de le faire du lit conjugua avec un plateau repas et beaucoup de café. « Pas de problème sur la route ? » Il ne peut pas s'empêcher de s'inquiéter à chaque fois.

Ils travaillent ensemble en ce moment même, sur un des romans d’Adrian. Il a profité des vacances de Noël et de la période particulièrement inspirante des fêtes pour terminer la rédaction du scénario telle qu’il pensait la fournir à Chris qui se chargera de réaliser le tout. Il est assez fier quand il entend la remarque de son mari, d’ailleurs, et bombe le torse pour embrasser ses lèvres de nouveau. « Merci », il lance tout en rangeant les courses et en gardant sous le coude ce dont il a besoin pour la table du brunch. « On regardera ça après le déjeuner ? » il propose en caressant sa joue d’un geste tendre. « Je pourrais sans doute apporter les modifications rapidement. Un soir de la semaine ou le week-end prochain si l’inspiration me vient ». En réalité, c’est plus facile de rédiger un scénario quand vous vous êtes vous-même chargé d’écrire le livre qui sert de base.

Il termine de mettre la table et se trouve dos à Chris quand il entend sa question. Il ferme les yeux et sa main tremble un peu sur l’assiette qu’il est en train de déposer sur la nappe. L’accident est un sujet qui fâche, parce qu’Adrian ne veut pas avoir l’air d’être un homme qui doit avoir des aménagements particuliers pour aller travailler. Il est capable de se conduire tout seul, il est capable de faire attention sur la route. Il est même bon conducteur, d’ailleurs, mais ce stupide accident a mis de l’inquiétude dans la vie de tous ses proches et maintenant, ils sont tous sur son dos, à lui demander si la route se passe bien, à lui parler des trains réguliers et des taxis. Ca l’agace, parce qu’Adrian tient à l’indépendance. A l’autonomie. « Pas de problème, non », il répond, un peu sèchement, évasif surtout.

Chris hoche la tête, mais son esprit est évidemment centralisé sur la dernière question qu'il vient de lui poser. Question qui fait tiquer Adrian évidemment. Chris le connait, il sait qu'il n'apprécie pas vraiment que toute la famille s'inquiète à son sujet. Et avec une famille aussi grande que la leur, il y a beaucoup de gens pour le faire, ce que le rouquin ne supporte pas cela va sans dire. Adrian et garder le contrôle, une grande histoire d'amour qui n'est pas prête de s'arrêter. Il sait qu'il est bon conducteur, considère que l'accident devrait être traité comme un accident justement, alors évidemment le fait que Chris le questionne sur la route l'agace sûrement plus qu'il ne veut le montrer. Chris ne peut pas s'en empêcher pourtant et ça ne part pas d'une mauvaise intention loin de là. Il ne cherche pas à démontrer à son conjoint qu'il n'est pas suffisamment bon conducteur pour rentrer seul en voiture, il ne veut juste pas cumuler les risques et pense que peut être faire une heure et demi de route chaque jour dans l'obscurité et le brouillard n'est pas une très bonne idée ni même une situation idéale à terme. « Je sais ce que tu penses. » Chris finit par soupirer pour répondre à au ton sans doute involontairement sec de son mari. Il n'a aucune intention d'entrer dans une zone tendue avec Adrian, il sait très bien qu'il ne gagnerait rien à jouer ce jeu là. Adrian se refermerait comme une huître et l'ambiance serait glaciale. « Je veux juste savoir si ton trajet s'est bien passé. » Il répond d'une voix douce en servant deux verres de vin blanc. Puis il s'approche de lui et masse ses épaules avant d'embrasser son cou. « Allez fais pas cette tête Fletch, sois pas fâché. » Il va lui dire qu'il n'est pas fâché, il le connaît par cœur.

« Je ne suis pas faché », Adrian réplique-t-il de la manière la plus prévisible qui soit. Sans doute Christopher s'attend-il à cette réponse évasive et Adrian le sait. Ils se connaissent trop bien pour tenter le jeu des mensonges, ça ne leur a de toute façon pas très bien réussi par le passé. Ce n'est pas réellement qu'il est fâché, d'ailleurs, au demeurant. Disons simplement que l'accident l'a angoissé, lui aussi, et que sa seule façon viable d'extérioriser son angoisse, imprévisible et imprévue, est de prétendre que tout va bien et qu'il n'y a rien d'inquiétant dans les évènements récents. Prétendre rend les choses plus simples. Lui qui est un maniaque de l'organisation et des planifications ne peut pas supporter qu'on imagine une seule seconde qu'il serait mieux pour lui de ne pas organiser sa vie et ses horaires comme il le souhaite en se rendant l'esclave d'un train alors qu'il aime se mettre au volant de sa voiture, la musique classique résonnant dans l'habitacle, pour partir le matin ou rentrer le soir auprès des siens. « Mais je sais que tu t'inquiètes et que tu voudrais que j'arrête de prendre ma voiture pour aller travailler, et ce n'est pas quelque chose que j'ai envie de faire. Ca augmenterait mes horaires, en plus, je verrais moins les enfants », il ajoute, dans une tentative maladroite sans doute de clore le débat et de se donner un peu de légitimité. Il sait qu'il finira par céder, parce qu'une petite voix au fond de son cerveau l'y incite, parce qu'il n'aime pas l'air inquiet sur le visage de Chris. « Ca arrive à tout le monde d'avoir des accidents, à tous les conducteurs. Je vais bien. »

Chris sourit lorsque Adrian réplique qu'il n'est pas fâché. Un sourire tendre qui ne lui veut que du bien. Il le connaît par cœur, et c'est avec toute sa tendresse qu'il le laisse s'expliquer sans chercher à le contredire. Adrian sait très bien ce qu'il en est. Il ne se voile pas spécialement la face, il ne cherche pas vraiment à convaincre Chris qu'il a tort non plus, il veut garder son indépendance, ne pas s'abaisser à être traité comme un infirme alors qu'il se pense tout à fait capable de conduire ce qui est sûrement légitime. Chris sait tout ça, parce que ce n'est pas la première fois qu'ils ont cette conversation. Mais Chris sait aussi qu'Adrian se braque très facilement sur le sujet même si il accepte de temps à autre les compromis lorsqu'il ne trouve plus d'arguments à lui opposer et qu'il sait que son mari n'a pas toujours tort, même si Adrian Fletcher par définition, aime avoir raison. « Je sais ce que tu penses, et tu sais ce que je pense. » Chris réplique simplement en buvant une gorgée de vin pour ne pas faire d'une petite remarque un grand sujet de dispute entre lui et son mari. Puis il repose son verre de vin en tentant d'éviter le sujet qu'Adrian a visiblement envie d'aborder, frustré sans doute de lire des sous entendus dans le regard de Chris dont il perçoit indéniablement le sens. « Je ne te ferais pas changer d'avis de toute façon. » Et c'est bien le problème. « Et si invitait Isaac à dîner ? »

Adrian ne peut retenir un rire léger, ironique aussi, à la remarque de Chris. Bien sûr qu’il finira par le faire changer d’avis. A force de questions de ce genre, il ne pourra pas rester éternellement dans le déni de l’inquiétude qui le préoccupe un peu. Il se souvient très nettement de son accident de voiture, et s’il était tout à fait objectif, il dirait qu’il ne comprend pas du tout ce qui lui est arrivé. Il a perdu le contrôle, simplement. Ses mains refusaient de lui obéir, ses pieds étaient paralysés par l’angoisse – et c’est la première fois que ça lui arrive, mais il ne s’est jamais senti comme ça auparavant. Il n’a pas envie d’y penser, parce que c’est plus facile de prétendre que cet incident isolé était lié à la fatigue et à rien d’autre. Alors il attrape son verre de vin et en avale une gorgée sans relever davantage les remarques de Chris. « Je t’aime tu sais ? » il soupire en s’enfonçant dans son fauteuil, fatigué. Les journées sont longues, c’est vrai. Elles sont fatigantes, lui demandent d’avoir toujours le cerveau à plein régime. Heureusement que Johnny est là, parfois, pour soulager sa tâche, au moins d’un point de vue de la gestion courante. « On peut inviter Isaac, oui », il répond en hochant la tête. Leur ami va mieux, un peu, mais il a sans doute besoin de voir du monde, même si Adrian doute que croiser la route d’un couple marié avec deux enfants n’est pas le plus sympathique pour Isaac. Il prend ce qu’il a, en somme. « Et on pourrait peut être partir en week end ? Les beaux jours me donnent envie d’aller voir la mer. »