italien food stop ▬ arthur

Nathaniel est un peu angoissé quand il quitte sa répétition. Il jouera Beethov, avec un violoniste, rien de trop pompeux ou de trop complexe, un petit retour sur le devant de la scène, juste pour voir. Il est à l’aise en répétition, à l’aise chez lui, les notes ne s’enchainent pas trop rapidement – ce qui le rend plutôt serein. Et puis de toute façon, le premier soir, la salle ne sera remplie que de ses proches. Des gens qu’il n’a pas envie de décevoir mais qui comprendraient s’il lui arrivait quelque chose en plein morceau, si sa main le trahissait, par exemple. Ce n’est pas vraiment ça qui le rend anxieux, parce qu’à un moment de sa vie, il était tellement persuadé qu’il ne parviendrait jamais à remonter, à rejouer, que même une petite occasion pas terrible est mieux que rien et que ce à quoi il s’attendait en réalité. Alors il prend ce qu’on lui propose, ce qui est à sa disposition. Ce n’est pas ça qui le rend anxieux – c’est plutôt la perspective de son dîner avec Arthur, dont il est pourtant à l’initiative – une initiative qu’il ne regrette d’ailleurs pas, pour être honnête.

Il repasse chez lui pour prendre une douche – les répétitions, c’est comme courir un marathon, ça le laisse tout transpirant et tout ko – froide et enfiler un costume – sans cravate pour ne pas en faire trop, il n’a pas envie que ça ait l’air d’être autre chose que des retrouvailles pour voir, pour analyser. Le fait est que depuis qu’il l’a recroisé avec son fils au Starbucks, il ne peut s’empêcher de penser à lui – tout le temps. De se demander ce qu’il fait, où il en est. Alors sans doute a-t-il besoin de l’avoir dans sa vie quelque soit le moyen, la façon. Et si c’est comme ça que ça doit fonctionner, alors – soit. Et advienne que pourra. Il préfère réfléchir comme ça qu’en angoissant ou qu’en réfléchissant trop. Une fois prêt et rafraichi, il quitte son appartement et attrape un taxi – il se déplace rarement à pieds ou en transports en commun, surtout la nuit. Soit il prend sa voiture, soit il utilise les taxis londoniens – réflexes empruntés à une certaine nuit traumatisante de sa vie. A 21h pile, le serveur l’installe à une table ou il le fait s’asseoir pour attendre Arthur. Il commande du vin – et regrette son choix presque aussitôt. Le restaurant n’est pas vraiment simple, le décor plutôt luxueux – et la carte un peu chère. Niveau simplicité, la recette n’y est pas vraiment – mais il fait de son mieux, et il n’avait pas envie d’emmener Arthur n’importe ou.

il ne pourrait dire pourquoi ses mains tremblent depuis ce sms. ce n'est rien ce soir. juste un dîner. juste le revoir. rien, pas même le signe que quelque chose pourrait recommencer, potentiellement, un jour, demain, un autre. c'est juste une soirée. une qu'il n'a pourtant pas reprogrammée, faute de temps. c'est qu'il était censé jouer ce soir. c'est qu'il était censé rentrer pas trop tard. mais peu importe au fond, il n'a pas pensé à deux fois en changeant ses plans, en demandant à se faire remplacer - ce qui ne lui arrive que peu. il ne s'imaginait pas pouvoir se passer de l'instant, lui dire non, plus tard, quand c'est lui qui a, de toute façon, fait ce premier pas pour retourner vers lui. le ravoir dans sa vie, d'une façon ou d'une autre. parce que c'est nécessaire, rien d'autre. juste nécessaire. et peut-être que le retrouver l'aidera a se retrouver aussi, un lien entre maintenant et ce passé, ces passés qu'il a dû mal à relier entre eux, comme un de ces jeux étrange dans les journaux pour gamin ou on se retrouve à lier les points. sauf qu'il n'a ni consigne ni modèle. c'est sa vie qui est éparpillée ainsi.

il dépose markus chez son frère en avance. rudy danse ce soir, mais max a pris pour habitude de jouer au baby-sitter. c'est surprenant son aisance avec les gamins. pas quelque chose auquel arthur ce serait attendu de premier abord, mais il n'y pense plus vraiment, juste au passage. il pense trop ce soir peut-être, pour que ça lui effleure même l'esprit. mais il retombe aussi vite dans cette soirée, qu'il appréhende, oh, au moins un peu. plus qu'il ne voudrait l'admettre. c'est que rien n'est ce qu'il était, et il ne sait vraiment pas ce qui se pourrait se passer. que nate n'est peut-être plus l'homme qu'il a connu, qu'il n'est plus celui qu'il connaissait non plus. mais il tente de ne plus se poser de questions en poussant la porte du restaurant. sa vie n'est pas si mal aujourd'hui après tout, il a réussi à avoir de la chance dans ce fatras. et le retrouver ne peut lui faire que du bien, quand il lui a manqué autant. quand le perdre lui a fait autant de mal. peut-être était-ce juste la violence des circonstance ? il ne sait pas, même en ayant essayé d'y penser. l'endroit est chic, plus franchement ce qu'il peut se permettre, mais il est toujours tiré à quatre épingles, même si les costumes ne sont plus aussi neufs, ils restent bien entretenus. arthur n'oserait pas se laisser aller, quel que soit l'endroit, bien qu'intimidé comme au premier rencard. ils n'en ont pas vraiment eu, d'ailleurs, de premier rencard, quand on y pense. leur relation s'est faite autrement, a sa façon. et ce n'était peut-être pas plus mal. il ne peut s'empêcher de sourire en l'apercevant, se faisant mener à sa table. et un doute étrange se pose, s'installe, comment le saluer? lui serrer la main semble peu approprié.  « hey. » il ne sait pas. s'assoit donc, ne pouvant empêcher ses joues de prendre en couleur, sans en dire grand-chose. peut-être impoli, mais au fond il ne sait juste pas, et ses mains tremblent toujours quand il les pose sur la table. « je connaissais pas ici. l’hôtel si, mais jamais mis un pied dedans. » conversation stupide, sûrement, mais c'est plus simple que de mettre directement les pieds dans le plat. parler de ce qui a été manqué. de combien il lui a manqué. pas encore le moment. « enfin. ça va depuis la dernière fois ? » il n'y a pas si longtemps que ça. depuis plus longtemps en fait - il voudrait savoir tout ce qu'il a manqué. tout ce qu'il n'a peut-être pas eu la force de rester pour voir, ou juste pour être là, pour l'aider. mais il est là maintenant, et il est certainement temps de se rattraper.

 

C’est bizarre de se retrouver là, attablé. Arthur fait son apparition et Nathaniel lui offre un sourire sans trop savoir ce qu’ils cherchent, tous les deux. L’idée de rattraper le temps perdu lui semble un peu prétentieuse et puis ils ont sans doute beaucoup changé, l’un comme l’autre – trop pour faire comme si rien ne s’était passé pendant toutes ces années. Arthur est devenu père à priori et ça n’est pas rien. Nate s’est remis à jouer, luttant des années durant avec les opérations et les nouvelles annonces de chirurgie. Ils n’ont plus rien à voir l’un et l’autre avec les hommes qu’ils étaient il y a près de 8 ans maintenant, et Nate le sait, il suffit qu’il se remémore toutes ces années de thérapie pour en être convaincu. Il ne sait pas vraiment pourquoi il a invité Arthur à diner, peut être simplement parce qu’il en avait envie. Même s’ils ne sont plus ensemble depuis des années, Nate ne peut pas prétendre qu’il s’en fiche ; au contraire. Ca lui importe, de savoir qu’Arthur est heureux, qu’il prend soin de lui et qu’il va au mieux possible.

« Hey », il murmure en réponse accompagnant ce simple mot d’un hochement de tête tandis qu’Arthur tire sa chaise. « C’est beaucoup moins simple que ce que j’aurais voulu, tu sais ? Enfin non. Surement pas. Mais mon but n’était pas de te faire tomber dans un traquenard de rendez-vous, je… » il argumente, se perdant un peu lui même sur ce coup. « J’aurais préféré quelque chose de plus détendu mais je n’ai pas vraiment anticipé quand j’ai appelé ici pour réserver… » il s’excuse. Pourtant, son costume atteste bien du fait qu’il était renseigné sur le côté luxueux de l’endroit, sinon il serait venu dans un simple jean. Mais il n’a vraiment pas réfléchi, se contentant de faire la réservation de manière machinale. « Enfin, sans regret, on mange très bien ici », il ajoute pour rattrape son amas difforme de paroles. « Ca va, et toi ? » il demande finalement, quand il a réussi à se calmer et à faire cesser le débit de paroles qui lui échappe de la bouche.

il le connait toujours. le reconnait, au moins. c'est qu'il fut trop observateur, et qu'oublier n'est pas son fort. chaque geste, chaque mot reste comme familier - quelque chose d'étrange quand il n'a pas été retrouvé, retouché longtemps. comme des partitions un temps, il a caché, enfoui ces souvenirs, loin, là ou ils ne pourraient plus le heurter. pourtant il est là. comme près à se laisser tomber de nouveau dans ces souvenirs, reprendre quelque chose, partir de là ou partir de rien, il ne sait pas vraiment. mais ce temps, ce rien entre temps - il est impossible à ignorer. et le moment n'est pas étrange que pour lui, il n'y a même pas à le remarquer. même sans le connaitre, c'est aisé de le voir se perdre dans ses mots nate. parce que c'est tout sauf simple cette situation. parce que c'est inconnu, imprévisible et imprévu, peut-être. même si le rendez-vous l'était - prévu, au moins un peu. ce n'est juste pas le genre de situation simple, qui coule de source. pas une relation clé en main, ou il n'y a qu'à suivre un vague mode d'emploi, et à se souhaiter bonne chance. c'est trop de paramètres indescriptibles. qu'il est impossible de contrôler.

mais si une chose est sûre au fond - c'est qu'ils ont voulu se revoir. arthur au moins, quitte à y perdre sa contenance peut-être, ce semblant d'équilibre qu'il a réussi à remonter. pas comme avant. pas mieux, pas moins bien juste - différent. « t'inquiètes pas pour ça, je comprends, vraiment. c'est parfait. » parfait. pas un traquenard. pas un rendez-vous. pas les mots. pas vraiment. mais peu importe. il rassure, peut-être trop, comme pour le poser - le calmer, même si le besoin n'est peut-être pas vraiment là. vieilles habitudes trop vite reprises. qu'il n'a jamais vraiment perdues. il a toujours été comme ça après tout, avec trop de personnes. mais peu importe. les mains, à plat sur la table d'abord, trouvent le menu, dont il triture un coin à peine abîmé. il est peut-être nerveux - lui aussi, mais ne voudrait rien laisser paraître. c'est raté, probablement. et ses lunettes glissent un peu trop bas sur son nez. il se tient trop droit d'habitude, mais la tête reste baissée un instant de trop. trouver une réponse à une question qu'il essaie de ne plus se poser, aussi simple soit-elle. il ne veut pas la réponse bateau, mais le mensonge ferait tâche. il n'a peut-être juste pas de réponse. « on fait aller, je crois ? » lunettes repoussées, l'air de rien. et une position plus habituelle reprise, presque aussi vite qu'il l'avait perdue.  « ça va, en fait. en général, je veux dire. je n'ai... pas vraiment de raison de me plaindre ? » donc la réponse bateau et bête n'aurait pas été un mensonge. donc il n'a pas de raison de ne pas vouloir y penser, probablement. mais il n'est pas tout à fait sûr de vouloir parler de lui. peut-être pas maintenant. peut-être pas sans un verre. peut-être pas pour revenir sur de vieux oublis, de vieilles choses qu'il aurait oubliées de lui dire, quant ils étaient censés ne rien se cacher. un temps qui parait à la fois affreusement loin, et, quand il le voit là, face à lui, quoi qu'un peu vieilli, juste - tout près. comme s'ils y étaient encore. sentiment étrange, au fond.