Les devantures des boutiques de Camden Town avaient certes de quoi fasciner n’importe quel
toiturophile du dimanche. Alec avait presque l’impression de se retrouver sur le Chemin de Traverse des Harry Potter. Il s’attendait presque à voir apparaître du coin de l’œil quelques
chapeaux pointus. Cette exubérance avait de quoi surprendre étant donné les légendaires flegme et retenue britanniques. C’était peut-être ce que Alec appréciait tant : ce contraste. Ça lui donnait l’impression d’être de nouveau en voyage.
Cherchant un livre précis dans la langue de Molière, il en était à sa sixième librairie aujourd’hui. Il savait bien sûr en quittant son appartement ce matin-là que cela ne se ferait guère
en deux coups de cuillère à pot. Mais l’espoir faisait vivre, disait-on. En effet, Alec préférait de loin lire dans la langue originale dans la mesure du possible : il pouvait ainsi mieux apprécier la complexité et la variété des
arbres syntaxiques derrière les phrases lues. Sans oublier que cela permettait un accès direct à la
charpente même de la pensée de l’auteur, sans aucun intermédiaire, comme si un
tuyau reliait leurs cerveaux.
Alec arriva donc à la librairie qu’un couple
fagotés comme des as de pique lui avait indiquée, juste avant de lui demander d’
aller se faire lanlaire, car il semblait
yoyoter de la touffe. D’abord offusqué par ce manque de politesse flagrant, il avait failli se laisser emporter par la mauvaise humeur du couple et donner au suivant, mais il s’était raisonné juste à temps, car au fond, il
s’en souciait comme d’une guigne. Il resta quelques minutes devant la vitrine de la librairie à scruter les titres mis en évidence et déjà, ce petit échantillon lui plaisait. Il poussa alors la porte de la boutique et prit une profonde inspiration. Les librairies avaient cette odeur entêtante des livres neufs qui l’enivrait. Ne sachant trop où chercher, il préféra errer dans les allées. Un ou une commis finirait bien par l’accoster.
@Zaira E. Neyland