alan ▬ it's too cliché I won't say I'm in love

Bordel. Il fait aussi froid que si le mois de décembre était bien entamé et on est que mi-septembre, ce qui est quand même assez inexplicable. Je reboutonne le haut de ma veste en cuir pour empêcher l'air froid de me souffler dans le cou et glisse une cigarette entre mes lèvres, que j'allume d'un geste aussi souple qu'habitué. D'aucun pourrait penser que je marche prestement, magnifique, jusqu'à mon humble demeure - une petite maison de Notting Hill, quelques centaines de mètres carrés tout au plus - mais il n'en n'est rien. Non, plutôt que de rentrer chez moi après une grosse journée de travail, je me suis glissée dans un taxi qui m'a déposée quelques rues plus haut - sinon je n'aurais pas eu le temps de fumer avant d'arriver, et je me fiche que l'on puisse fumer à l'intérieur, la cigarette sur le bord du trottoir en pleine nuit dans le froid a une saveur particulière que personne ne peut m'enlever, même si je gèle - pour que je puisse gagner la toute aussi humble demeure d'Alan. Je ne sais pas ce qui m'y pousse inlassablement tous les soirs comme ça - ou presque tous les soirs, j'ai quand même une dignité qui m'impose la distance de temps en temps. Ou plutôt si, je sais. Good sex, cigarettes, wine, and good food. Voilà ce qui m'y renvoie inlassablement. Que celui qui n'a jamais pêché me jette la première pierre.

Je suis à peine arrivée que mon doigt écrase la sonnette en même temps que ma cigarette s'écrase par terre, sous un escarpin à talon rouge de dix centimètres de haut qui me torture à peine. Un chewing gum remplace la cigarette dans ma bouche et je croise les bras en attendant que la porte s'ouvre pour m'offrir le hall d'entrée - puis la chaleur réconfortante de son appartement que je gagne rapidement. Quand je passe la porte - laissée ouverte pour moi, je suis flattée - je ne peux m'empêcher d'observer : « Ca sent pas tellement la bouffe, j'espère que tu ne projettes pas de me laisser mourir de faim ». Je soupire et retire - à regret - mon manteau que j'accroche au porte manteau, telle une maniaque. Mon sac rejoint le meuble dans l'entrée, et je ne garde avec moi que mon paquet de cigarettes et mon téléphone portable, marchant jusqu'à la cuisine en quête d'un signe. Je penche la tête en l'apercevant et pose une main sur ma hanche. « Bonsoir », je lâche enfin, accompagnant mon entrée d'un fin sourire.

Alan travaille mollement devant son ordinateur, la télé en fond comme d'habitude. Il n'est pas forcément fatigué, mais un peu ennuyé par ces dossiers qu'il a repoussé un peu trop longtemps pour ne pas qu'il s'accumulent. Il s'attend bien évidemment à être interrompu par la jolie blonde qui vient souvent le lundi soir pour un take-away devant netflix, alors il a laissé la porte ouverte et commandé pour deux. Une habitude de couple ou presque même si ils ont toujours refusé ce label pour parler de leur relation. A dire vrai Alan ne sait pas vraiment quel mot mettre sur ce qu'il vit en ce moment avec Blair. A maintenant 41ans, il serait évidemment logique qu'il envisage de se poser un peu, et c'est sûrement ce qu'il a fait, inconsciemment. Enfin toujours est-il qu'il n'est pas vraiment concentré et que ça ne s'arrange pas quand Blair fait irruption dans la pièce, s'inquiétant du repas du soir auquel il a pensé bien évidemment. « J'ai commandé, c'est plus pratique. Ca embaume pas la cuisine et pas de vaisselle. » Il lui offre un sourire et referme le clapet de son ordinateur pour lui accorder toute son attention. « Bonne journée ? »

Je me débarrasse bien rapidement de ces talons insupportablement hauts qui habillent mes pieds - il fallait bien que je les lui montre avant de les retirer, sinon je m'en serai passée depuis l'entrée - afin de regagner la terre ferme et d'offrir à mes pieds meurtris quelques heures de répit. Je pousse un soupir de soulagement lorsqu'il m'indique avoir commandé à manger, mon ventre s'en trouvant également reconnaissant. Suspicieuse, je plisse les yeux en cherchant le signe d'une bouteille de vin entamée dans laquelle je pourrais me servir dans la pièce. « Journée passable », je finis par répondre en haussant une épaule. Mes bras se croisent et je le détaille en me demandant combien de secrétaire en chaleur il a fait succomber d'un sourire charmeur. Ce type est beau, sans doute un des plus beaux qu'il m'ait été donné de croiser. Je ne veux même pas imaginer l'effet qu'il doit faire aux stagiaires, aux secrétaires, ou aux avocats qui travaillent autour de lui. Je ferme les yeux quelques secondes, repoussant cette idée saugrenue qui me vient d'on ne sait où, et soupire. « Et toi ? Encore en train de travailler ? », je demande en m'approchant, glissant une main sur son épaule. « T'as pas l'air passionné par ce que t'étais en train de faire, il m'a fallu moins de trente secondes pour détourner ton intention. Certains pourraient prendre ça pour un aveu », je lance, dangereusement taquine pour un sujet que je n'ai pas franchement envie d'aborder pourtant.

Journée passable ? Pour Alan aussi. Même si il passe globalement son temps à faire bosser les autres pour s'éviter de faire le maximum de trucs chiants, il n'empêche qu'il continue d'exercer un boulot à responsabilité qui nécessite tout de même de passer quelques heures à s'exploser les yeux sur ordinateur en dehors des heures de travail. Alors même si il adore se prendre la tête sur le cas du type qui a fait la connerie de divorcer alors qu'il était propriétaires d'un nombre incalculable de baraques, il ne va pas dire non à la moindre distraction, surtout si la distraction en question est une jolie blonde aux jambes interminables prête à regarder le nouvel épisode d'une de leur séries préférées emmitouflée dans un plaid sur le canapé. « Toi mieux que quiconque sait que c'est très facile de me déconcentrer. » Il ricane en jetant un œil à son ordinaire. « Ce type a 23 propriétés, t'y crois toi ? » Et sa vie serait largement facilitée si le client en question n'avait pas choisi de se lancer dans l'achat de bien immobiliers. Vraiment. « C'est difficile de suivre, même pour moi, et passé une certaine heure, c'est sûrement beaucoup plus sage de migrer dans le salon. » Il ajoute en lui offrant un sourire entendu. « J'ai commandé indien, j'espère que ça te va. » Il hausse une épaule avant de se diriger vers le salon en compagnie de Blair.

Je le suis naturellement au salon, attrapant le plaid du canapé pour me glisser en dessous. Je dois dire qu'il est assez doué en matière de décoration intérieure - et que c'est un homme suffisamment ordonné pour ne pas que l'on se sente mal de s'attarder chez lui. Je sirote mon verre de vin et l'écoute me raconter les aléas improbables de son client multipropriétaire et vraisemblablement multimilliardaire, attendant qu'il s'installe sur le canapé pour glisser mes pieds sur ses genoux. « Mon père pourrait avoir plusieurs propriétés », je note en penchant un peu la tête, glissant ma main libre dans mes cheveux, entortillant une mèche autour de mon doigt. « A bien y réfléchir, mon père possède le Casino de Londres, celui d'Oxford, une maison en Ecosse et un appartement à Londres, trois domaines dans le sud de la France et il loge ma mère à Hawaï, ce qui est déjà pas mal quand on y réfléchit... » Je fronce le nez et laisse tomber ma tête contre ma main, elle même soutenue par mon coude qui s'enfonce dans le dossier du canapé. « Je ne doute pas du fait que ce soit pénible à gérer, cela dit. L'indien c'est parfait », je conclus en avalant une nouvelle gorgée de mon verre. « Il veut pas te prêter une propriété pour les vacances, ton client ? J'aurais bien besoin de vacances », j'ajoute, pour la blague, sans réaliser que c'est une proposition ouverte de vacances communes qui sonne tellement normalement que ça devrait en être étrange.

Cette histoire de baraques est un vrai casse-tête juridique, un casse-tête qui lui fait presque regretter de devoir s'occuper des divorces de clients beaucoup trop riches. Par chance Alan lui même n'a jamais songé à se marier, l'horreur. Il ne doute pas que ce soit exactement ce que sa mère attend de lui en l’occurrence. Blair a déjà eu l'immense privilège de se voir proposer la bague de la vielle grand-mère par lady Wagner herself. Alan s'estime heureux qu'elle apprécie toujours de le câliner sur le canapé après ça d'ailleurs, il serait probablement traumatisé si il avait dû subir la même chose. Sa mère peut être insupportable parfois. Well, la plupart du temps en réalité, pas étonnant que sa vie sentimentale ait été d'un calme plat pendant toutes ces années ! Oui bon, il abuse sans doute en rejetant la faute exclusivement sur sa lady de mère, peut être que c'est un connard lui aussi, ça expliquerait déjà beaucoup de choses. « Il me devrait bien ça, mais je crois que quitte à partir en vacances, les propriétés de ton père dans le sud de la France m’intéressent davantage. » Il plaisante tout en laissant sa main redessiner son corps aux détours de caresses plus osées. « Il y a aussi le château de ma mère à quelques heures d'ici, mais niveau chauffage c'est pas l’Amérique. » Il explique. « Et la connexion internet est à chier. » Il le sait pour avoir passé ses étés là bas lorsqu'il était étudiant.