You don't need to save me

Il avait eu son numéro en passant par d’anciens amis communs qu’ils avaient à Oxford. Et Jaya avait du mal à croire qu’il se soit embêté à reprendre contact avec d’anciens potes simplement pour pouvoir lui reparler. Il y avait tout de même quelques choses de mignon dans cette idée, dans le fait qu’il ait fait tout ça juste pour reprendre contact avec elle. Mais Jaya gardait bien à l’esprit le semblant de promesse qu’elle lui avait fait lors de leurs retrouvailles. Puisque clairement, si on lisait entre les lignes elle lui avait dit qu’ils coucheraient ensemble à leur prochaine rencontre (le tout en espérant qu’il n’y aurait pas de prochaine rencontre). Donc le fait qu’il se donne autant de mal pour avoir son numéro, prouvait à Jaya que Edward n’avait pas vraiment changé et qu’il n’était intéressée que par une potentielle nuit avec elle. Pourtant elle lui accordait une chance. Une seule. Acceptant de sortir le voir, le rencontrant dans un petit café en centre-ville. Seulement à peine dix minutes après le début de leur rencontre, alors que Jaya commençait tout juste son thé, une blonde sulfureuse s’invita à leur table. Sans gêne, aucune, elle faisait les yeux doux à Edward. Jalousie ? … peut-être un peu, mais Jaya était restée de marbre, refusant de jouer les ex possessives, tentant de se convaincre qu’elle ne ressentait plus rien du tout pour Edward. Ce qui précipita la fin de ce tea-time entre ex, fut plutôt lorsque la blonde se décida à évoquer le ‘bon temps’ qu’elle avait passé avec Ed la nuit dernière. Son but était clairement d’avoir Ed pour elle seule et Jaya ne comptant pas se battre pour un type comme lui, pas une seconde fois anyway, elle récupéra son sac et partit.
Il était à peine cinq heures, mais à cette période de l’année il faisait déjà nuit. Jaya avait donc appelé un taxi. Seul souci : la rue dans laquelle se trouvait le café était bloquée car des travaux avait lieu en contre bas. Elle se retrouvait donc forcée de marcher jusqu’à une rue voisine. Elle s’engagea dans une petite rue, très mal éclairée, pour rejoindre l’avenue où son taxi allait la retrouver, mais tomba nez à nez avec deux mecs un peu louches. Premièrement elle se contentait de tracer sa route, car ce n’était pas la première fois qu’elle avait à faire à des harceleurs de rue et qu’elle savait qu’il valait mieux ne rien dire. Mais rapidement l’un des deux types l’attrapa par le poignet pour la retenir. Il la tira d’un coup sec, la forçant à se retourner avant de venir la plaquer contre un mur crasseux, alors que l'autre type lui arrachait son sac à main pour le fouiller.

Vous connaissez ce moment où un regard, une parole, et en l’occurrence ici, une rencontre peut faire basculer une cool après-midi, bien qu’intéressée, à une fin de journée à chier des ronds de chapeau ? C’était ce qui s’était passé lorsque Jaya avait levé les fesses de son siège et avait pris congé sans aucune cérémonie. Il fallait même rembobiner un peu en arrière pour saisir tout l’intérêt de l’enjeu, lorsque l’autre conne avait fait son apparition sans même y être invitée. Rien qu’au sourire de tordu qu’elle affichait, Edward avait compris que la petite sauterie était vouée au désastre, ce qui n’avait pas manqué lorsqu’elle avait lâché le pavé dans la mare. Sérieux, c’était bien un truc de meufs ça, se tirer dans les pattes, alors que de son côté, il n’y avait aucun enjeu. Enfin. Concernant Jaya c’était autre chose, pas la nana qu’il s’était tapé parce que le temps d’une soirée, c’était toujours sympa. Bref, le temps de réaliser que sa rencontre avec son ex prenait une tournure des plus dramatiques, elle l’avait planté avec son coup d’un soir, réduisant à néant tous les objectifs de ce rendez vous – et avec une nouvelle fois l’addition à payer, merci. Son habile stratagème avait pourtant bien fonctionné jusqu’à présent puisque à coups de quelques sms, il avait fini par dégoter le numéro de téléphone de Jaya, puisque cette dernière avait décrété qu’elle ignorerait ses demandes de messages sur Facebook. Il n’avait d’ailleurs pu rien tirer de son profil dont les informations étaient strictes pour ceux qui ne faisaient pas parti du cercle très fermé de ses amis. Qu’à cela ne tienne, rien vraiment pour décourager Edward, convaincu que cela allait très bientôt changer. Il savait qu’il devait la jouer plus fine sur ce coup là, il avait par le passé de trop nombreuses fois berné la brune pour l’embobiner encore aussi facilement. Clairement, depuis leur dernière entrevue, Jaya était devenue comme une idée fixe et obsessionnelle, une bonne façon de boucler la boucle, quelque part, et enfin passer à autre chose. Un nouveau challenge à relever et pas des moindres, ce qui le rendait encore plus excitant. Son objectif en tout cas n’était pas de lui révéler ses véritables desseins tout de suite, on avait vu ce que ça avait donné la dernière fois, mais surtout lui prouver qu’elle se trompait sur son compte et que les histoires de cul, ça allait bien cinq minutes (c’est toujours sympa d’y croire). Le terrain neutre d’un café lui semblait être une bonne initiative, surtout dans l’après midi, elle pouvait ne se douter de rien. Evidemment, ça perdait un peu de toutes bonnes intentions quand on rajoutait une potiche blonde dans l’équation. « T’es vraiment conne, putain. » ne se gêna t-il pas de lui lâcher sans plus un regard pour elle, quittant à son tour le café, puisque plus rien ne le retenait ici.

Il y avait toujours la dernière option de courir après Jaya, mais ça impliquait de devoir se justifier, et franchement, no way. Il n’avait rien à se reprocher pour une fois, puisqu’elle ne lui en avait même pas laissé l’opportunité en s’arrachant si vite. Ca signifiait aussi qu’elle s’était pointée avec son joli petit jugement à la con, finalement, c’était peut être pour le mieux, puisqu’elle n’avait envie de voir que ce qu’elle avait envie de voir. Tant pis pour elle, il n’avait finalement rien perdu. Par réflexe, il vérifia quand même si elle n’était pas dans le coin, et comme elle était absente de tout horizon, il décida d’aller s’acheter un paquet de clopes, avant d’aller se pieuter chez lui. Le bureau de tabac se trouvant dans une rue perpendiculaire, il la redescendit, connaissant la petite allée permettant de rejoindre l’une des artères principales de la ville. Pas vraiment le lieu pour une petite fête improvisée, ce qui au demeurant, n’était pas de l’avis de tout le monde. De loin il aperçu un couple en train de se peloter, génial une petite sympathie pour lui rappeler l’échec de sa journée. Quelques pas pourtant lui permirent très vite de se rendre compte que quelque chose n’allait pas, la nuit tombée ne devenait pas un filtre pour la connerie, désolé de vous l’apprendre. Ils n’étaient pas deux, mais trois, okay jusque là chacun ses fantasmes, mais le but, c’était quand même que chacun des partis soient consentants, right ? Pas besoin d’être bigleux pour comprendre que c’était loin d’être le cas de la nana, dont on faisait les poches et un peu plus que ça même, des gros dégueulasses, ouais, c’était à foutre la gerbe. Et attention mesdames et messieurs, les enchères avaient décidé de continuer de monter, et le sang d’Edward ne fit qu’un tour lorsqu’il reconnut, et c’est cadeau, Jaya, bien en peine face à ses agresseurs. Très bien, une chose à la fois. D’abord il s’occupa du type qui cherchait à la maintenir de force en lui attrapant le bras pour lui décocher un crochet du droit au passage, ce qui lui valut un coup de poing dans la pommette en réponse. « Vous avez pas autre chose à foutre, sérieux ? » il en profita pour attirer Jaya vers l’arrière et éviter qu’elle ne soit une victime collatérale. « Sinon, je te propose d’éviter de te taper ma meuf, ça évitera des problèmes à tout le monde. » c’était encore la meilleure technique de persuasion, il le savait, même si ça impliquait de s’expliquer avec la brune ensuite. Là n’était pas l’urgence de toute façon. Coup du destin ou pas, au moment où il voulut attraper le sac pour le rendre à sa propriétaire tout en essayant tant bien que mal d’éviter de se prendre un coquard gratos, des sirènes retentirent au loin. Oh elles n’étaient pas pour eux, mais ce fut le signal pour les deux assaillants semblant réaliser la gravité de la situation, et qui ne manquèrent pas d’en profiter pour prendre la fuite à toutes jambes. Le sac à main avec, évidemment. Il y eut quelques secondes de battement durant lesquels Ed ne manqua pas de souffler et de lancer des insultes à qui voulait l’entendre, dans les faits il n’y avait qu’une autre paire d’oreilles avec lui. Leur courir après, c’était tentant, et en même temps, après ce qu’il venait de se passer, c’était tout sauf une bonne idée de laisser Jaya seule de nouveau, et sans ses affaires en plus. « T’inquiète pas, je t’en rachèterai un nouveau, de sac. » tenta t-il maladroitement, n’osant pas trop la regarder en face, après ce qu’elle venait de vivre.

On la poussait contre le mur, lui arrachait son sac et elle n’avait rien le temps de faire que déjà le salop qui la maintenait contre le mur prenait quelques libertés. Premièrement ça ne semblait être que pour vérifier qu’elle n’avait rien d’autre de valeur sur elle, mais lorsque la main de son agresseur ne s’arrêta pas pour lui fouiller les poches, elle comprit qu’il s’agissait d’autre chose. Pourtant son iPhone était dans la poche de sa veste, mais non, il préférait glisser ses mains bien plus bas. Il était trop près au gout de Jaya et elle tente de le repousser, vaguement, mais sans grand succès. C’était la première fois qu’elle se retrouvait dans une telle situation. Elle avait déjà vu ça dans les films et dans des vidéos sur internet, et c’était toujours dit que si ça venait à lui arriver, elle se défendrait. ‘Un coup de pied entre les jambes et le tour est joué !’ Elle pouvait même s’entendre le dire. Et pourtant là elle était tout bonnement tétanisée. Elle ne respirait presque plus, ne criait pas, ne bougeait quasiment pas, attendant que ça se passe alors que des larmes se formaient aux bords de ses yeux. Avec un peu de chance il n’irait pas plus loin.
D’un coup, sortie de nul-part Edward attrapa le mec aux mains baladeuses pour lui en coller une. Il se prit un coup de poing en retour, mais resta de marbre, se contentant de le provoquer un peu avant de tirer Jaya derrière lui. Elle se laissa faire, restant à l’écart, tremblante, alors que ces foutus larmes roulaient à présent sur ses joues. Elle s’en voulait de n’avoir rien fait. De ne pas avoir crier au moins. C’était une jeune femme active, elle aurait pu en repousser au moins un. Mais visiblement la Jaya forte, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, était restée couchée ce matin. Sans quoi elle aurait certainement envoyé balader la pouf qui c’était incrustée dans son rencard un peu plus tôt. Edward lui ne se dégonflait, faisant passer Jaya pour sa copine histoire, certainement, de justifier ce petit acte héroïque. Puis des sirènes retentirent au loin, faisant fuir les deux lâches. Ils partirent avec le sac de Jaya et sur le coup, elle était encore bien trop sous le choc pour réaliser qu’elle venait de perdre tous ses papiers et bien plus encore. De son permis (dont elle ne se servait que rarement) en passant par sa carte de crédit, son badge pour aller bosser, sa carte de fidélité chez Foyles, ses clefs, certainement quelques bijoux qui devaient trainer au fond de son sac, un paquet de chewing-gum, du parfum… Bref elle allait s’amuser pour aller bosser demain sans tout ça. En fait tout allait être compliqué pour les jours à venir, mais dans l’immédiat elle était juste là, tremblante comme une feuille, le regard dans le vide. Edward lança quelques insultes à l’intention des voleurs qui étaient déjà loi, avant de tenter, maladroitement, de … rassurer Jaya ? Ou alors de détendre l’atmosphère ? C’était difficile à savoir. Mais cette dernière posa ses prunelles brunes sur lui, toujours se même regard vide collé au visage. Lui racheter un sac… Et si elle avait été violée il aurait racheté quoi ? Sa dignité peut-être ? Un silence pesant s’installa alors que Jaya reprenait petit à petit possessions de ses moyens. D’un revers de main elle essuya ses larmes, reniflant un coup.  « Merci. » lâcha t-elle enfin, se figurant que c’était à peu près tout ce qu’elle pouvait dire dans cette situation. S’il n’était pas venu la sauver elle aurait peut-être fini dans un coin de cette ruelle, défigurée, souillée, ensanglantée… Bref ça aurait pu être bien plus grave s’il n’était pas intervenu. Donc elle lui devait bien un ‘merci’.

Ce n’était vraiment pas l’idée qu’il se faisait de passer son unique jour de repos, mais bon, le destin avait parfois une drôle de façon de se foutre de la gueule des petits pantins qu’ils étaient. Même si tous ses lundis étaient libres, ils n’étaient jamais très amusants, Edward s’était dit qu’au moins celui-là ferait exception et serait moins déprimant que celui des autres semaines. Son rendez vous hebdomadaire plié il avait pu se concentrer corps et âme sur Jaya, mais maintenant qu’ils étaient là tous les deux dans l’une des rues les moins funs de Londres, il le regrettait presque. Il se massa la mâchoire en grommelant toujours, ça lui laissait assez de temps comme ça pour évaluer la façon dont gérer la situation. Il se baissa pour ramasser un rouge à lèvres, nul autre que celui de la brune, merci Sherlock, et le glissa machinalement dans la poche de son jeans. La vérité, et c’était assez rare pour le noter, c’était qu’il était totalement désemparé parce qu’il venait de se produire se sentant coupable, comme si c’était lui qui avait laissé ses mains crades tripoter une parfaite inconnue, comme ça, en toute impunité. Ce qui le dégoutait encore plus c’était de se dire que ça n’empêcherait pas de dormir ces deux imbéciles sur leurs deux oreilles, leur petit pactole à brandir comme trophée. Il détestait ces types qui lui rappelait son père quelque part, qu’il s’était promis de ne jamais ressembler. Ce n’était peut-être pas le mec le plus gentleman de la terre, mais quand même, il y avait des limites et ces dernières, elles avaient clairement été franchies.

Il finit par la dévisager, pour jauger un peu l’état de gravité dans lequel Jaya se trouvait. « Je suis désolé. » lui dit-il alors, balayant d’un revers ses remerciements. Puisqu’il n’y avait personne pour le faire à sa place, autant s’excuser de la connerie humaine dont elle avait été victime, et puis aussi pour avoir été un peu nul avec elle la plupart du temps. Ca pouvait passer. Même du point de vue d’Edward, il ne s’était jamais senti aussi sincère. Sûrement parce qu’il se souvenait qu’avant, c’était plutôt lui qui la faisait pleurer, alors pourquoi parce qu’une fois ce n’était pas de sa faute, cela avait plus d’impact ? Impossible de savoir. Il s’approcha assez près d’elle pour passer ses mains sur ses joues brûlantes, et ôter les larmes qu’elle avait manqué. Il ne réalisa qu’au moment de faire le geste qu’après ce qu’elle venait de subir, cela pouvait paraître plus que déplacé. « Pleure pas, ça n’en vaut pas la peine. » loin de lui l’envie de vouloir minimiser les faits, au contraire, mais il n’était pas question de donner du crédit à des sales connards avec le QI d’une huitre, qui se réjouissaient déjà d’avoir volé le sac du meuf, whouhouuu débouchons le champagne ! Il passa une main derrière le dos de Jaya, juste assez pour la frôler pour lui indiquer de reprendre la marche et se dégager de cette allée douteuse, ce qui lui permit de réaliser qu’elle tremblait comme une feuille. Il s’écarta ensuite, estimant qu’après ce qu’elle venait de vivre, sa seule envie était sûrement qu’on respecte son espace vital, ce qu’il pour une fois décida d’honorer, ce qui ne faisait pas vraiment partie de ses habitudes. Edward se mit à réfléchir à toute allure, alors qu’il regagnait enfin la grande avenue lumineuse et commerçante, sur la conduite à adopter, tout comme les prochaines actions à faire. Il fit asseoir Jaya sur un des bancs du trottoir avant de s’installer à ses côtés. « Okay, est-ce que tu as envie d’appeler quelqu’un ? » il ne savait pas si elle avait son téléphone par chance toujours sur elle, ou alors si celui-ci avait aussi été dérobé. « Tu veux que je te ramène quelque part ? » Hors de question qu’il la laisse reprendre la route seule, elle avait intérêt à ne pas dire non. « Jaya, est-ce que ça va ? » finit par lui demander Ed, avec une douceur qui ne lui ressemblait pas. C’était complètement con comme question, mais il se voyait difficilement l’aider sans ça.

Edward s’excusa. Il n’avait rien fait de mal, au contraire d’ailleurs, et pourtant il était désolé. Jaya ne bougeait quasiment pas, reniflant un peu, ne le quittant pas des yeux alors qu’il se rapprochait, venant essuyer les larmes restantes sur les joues de la brune. Il y avait quelques choses de rassurant dans ce contacte, et ce malgré ce qu’il venait de se passer. Mais ça ne dura pas, car rapidement le jeune homme prit ses distances, invitant l’indienne à ne pas pleurer (ce qui était plus facile à dire qu’à faire) avant de lui indiquer le chemin. Jaya passa une main dans ses mèches brune avant de glisser ses mains dans les poches de sa veste et de suivre Edward qui ne resta qu’un court instant près d’elle, s’écartant assez vite, lui laissant de l’espace. C’était un comportement plutôt étrange venant de lui. Lui qui était toujours à vouloir la tripoté et qui ne semblait pas pouvoir rester loin d’elle plus de deux minutes. Ils marchèrent silencieusement pendants quelques minutes, jusqu’à déboucher sur une grande avenue, là où Jaya devait rejoindre son taxi, qui était du coup partie depuis longtemps. Ed l’a fit s’asseoir sur un banc et elle s’exécuta, le regard toujours vide, alors que ses larmes séchaient enfin. Elle se sentait bête, ne sachant pas comment se comporter après ce qui venait de lui arriver. Elle était sous le choc et avait cette sensation étrange d’avoir perdu bien plus que son sac à main dans l’histoire. Il s’installa à côté d’elle, lui demanda si elle voulait appeler quelqu’un et évidemment elle pensa à sa mère, puis à Gabrielle. Mais il n’était pas question de les appeler. Déjà parce qu’elles devaient l’une comme l’autre être occupées ; ensuite parce que ce ne serait que les inquiétés inutilement ; et enfin, si madame Poddar ne connaissait pas vraiment Edward, Gabrielle elle, le détestait et risquait, non seulement de le tabasser, mais également d’en vouloir à Jaya de l’avoir revu une nouvelle fois. Alors elle secoua la tête de gauche à droite, avant de reporter son attention sur Edward qui était décidemment très attentionné ce soir. A croire que pendant tout ce temps ce Edward tendre et attentif était là, enfouit. C’était tout de même un peu triste qu’elle soit obligée de se faire agresser pour qu’il se comporte enfin comme un parfait petit-ami. Il lui demanda s’il pouvait la ramener quelque part et Jaya hocha lentement. Elle qui, il y a peu de temps, c’était promise de tout faire pour ne pas donner trop d’information personnel à son ex, histoire qu’il ne se retrouve pas à l’attendre à la sortie du boulot, ou à venir toquer à sa porte, voilà qu’elle allait le laisser la ramener chez elle. Parce que de toute façon elle n’avait plus d’argent sur elle, et elle ne voulait surtout pas rester seule. « Je sais pas… » dit-elle enfin alors qu’il lui demandait si ça allait. Il avait l’air sincère et inquiet, c’était assez étrange venant de lui. « Je sais juste que … j’ai froid, que je veux pas que tu me laisses et que… je veux rentrer chez moi. » Gabrielle serait à la maison d'ici peu, si ce n'était pas déjà le cas, alors oui, c'était certainement la pire des idées de se faire raccompagner par Edward, mais sur le moment Jaya s'en moquait un peu. Elle voulait simplement qu'il reste avec elle, parce que sa présence la rassurait.

Ce n’était pas la première situation de crise qu’Edward avait à gérer, entre son travail qui s’oxygénait à l’adrénaline, et ses fréquentations qui ne lui permettaient pas toujours d’avoir un rythme de vie paisible. Il avait agi - malheureusement il ne pouvait se sentir que spectateur face à ce que Jaya pouvait ressentir. Là était tout le problème, et il avait beau tenter de se mettre à sa place, c’était vain. C’était pourtant le genre d’événements tristement courants, il avait déjà entendu ses amies, ses meufs même, ou encore d’autres témoignages relayant ce type d’agression. Il avait toujours accueilli les choses avec détachement, pas par désinvolture, mais plus comme un acquis qui existait, qu’il trouvait répugnant et dans lequel il ne voulait pas sombrer, mais qui était un état de fait, comme dire que le président américain était un pauvre connard par exemple. Avoir participé d’une façon ou d’une autre remettait les choses dans un contexte nouveau, et surtout, il n’y avait qu’à voir l’état de Jaya pour en saisir pleinement la teneur. Il ne s’était pas attendu à ce que cela le déstabilise à ce point, et si d’ordinaire c’aurait été l’occasion rêvée de briser l’espace vital entre lui et la brune, quitte à lui faire du rentre dedans, maintenant cela relevait plutôt du mauvais goût. La première réponse de la jeune femme fut alarmante, mais Edward préféra ne pas s’y attarder, car trop de choses devaient se bousculer dans sa tête pour accoler des mots précis sur cette rencontre inopportune. Il hocha la tête pour lui faire comprendre qu’il avait compris et comptait bien accéder à sa requête. Il savait que ce serait lui de nouveau qui initierait le mouvement, mais il laissa quelques minutes où il ne se passa rien. L’idée de faire un geste brusque qui pourrait la briser d’avantage lui avait traversé l’esprit, limitant le champ d’action. Les épaules rentrées vers l’intérieur de Jaya trahissaient toujours son malaise, ce qui le décida finalement à ne pas les laisser moisir ici. Dans le cliché le plus total du mec qui prend soin de sa nana parce qu’elle est en sucre, elle peut se casser, il retira sa veste pour la lui déposer sur les épaules – ils devaient bien aller chercher des fonds de vérité après tout dans ces films à la con. « On rentre. » décréta t-il, parce qu’elle était incapable d’avoir sa propre pensée pour le moment, ayant noté au passage, quand même, qu’elle réclamait sa présence. « C’est quoi ton adresse ? » demanda t-il en se levant, tout en ouvrant l’application des bus sur son téléphone portable pour trouver les lignes les plus proches pouvant les y conduire. Il la traîna à un arrêt de bus, et par chance l’un d’entre eux arriva en même temps, leur permettant de s’y engouffrer, grimpant au premier étage de celui-ci, où il y avait encore de nombreuses places libres. Tristement, il songea que les gestes lui paraissaient d’une simplicité déroutante – il avait les mêmes avec sa mère, même si heureusement Jaya n’allait jamais devenir malade comme elle. Elle avait pas intérêt. « Il va falloir que t’aille en parler au flics de ça je crois. » lâcha t-il. Est-ce qu’il fallait ramener le sujet constamment, ou alors en changer complètement, vu son état, la brune était difficile à cerner. « Bon clairement, c’est pas le genre de début de soirée que j’avais imaginé. Toi non plus d’ailleurs. » se rattrapa t-il tant bien que mal. La diplomatie, c’était pas son truc, fallait pas déconner quand même. « Mais tu sais, ça a le temps de changer si tu t’enfuies pas comme Cendrillon, la prochaine fois. » encore une maladresse, mais c’était tout ce qui lui était venu à l’esprit pour la faire discuter, pourquoi pas la dérider un peu. Est-ce que c’était la bonne méthode, ça restait à voir.

Il y eut un court silence durant lequel ils restèrent tous les deux presque immobile. Puis Edward retira sa veste pour la poser sur les épaules de Jaya. Elle redressa machinalement la tête, se retournant un peu vers Ed pour le détailler du regard. Il ne faisait vraiment pas chaud, surtout depuis que le soleil s’était couché, pourtant il jouait les gentlemen, lui laissant sa veste. « Tu vas avoir froid. » souffla t-elle à mi-voix, alors que Edward, annonçait la suite du programme avant de se lever du banc tout en demandant son adresse à Jaya. Alors qu’elle la lui donnait, sans aucune arrière pensée, il sortit son téléphone, pianotant quelques secondes, avant d’entrainer la jeune femme vers l’arrêt de bus le plus proche et de monter dans le premier bus qui s’y arrêtait. Elle le suivit à l’intérieur, grimpant au premier étage avant de s’installer à côté de lui. Il faisait meilleure ici, mais elle gardait tout de même la veste de Ed sur ses épaules, comme si cette dernière allait l’empêcher de trembler davantage. Elle hocha la tête alors que Edward notait qu’elle allait devoir reporter ce qui c’était produit à la police. « J’irai demain. » Elle aurait pu y aller tout de suite, mais le cœur n’y était pas vraiment. Pour le moment elle voulait surtout rentrer chez elle, au chaud, se changer, puis aller se coucher. Appuyer sur reset en quelques sorte. Demain elle irait certainement mieux. Ou du moins aurait les idées suffisamment claires pour porter plainte. Edward tenta maladroitement de changer de sujet. Il évoquait le départ précipité de Jaya durant leur petit rendez-vous. Est-ce qu’il voulait réveiller en elle la Jaya battante, qui n’avait pas sa langue dans sa poche ? Ou est ce qu’il profitait que cette Jaya la soit absente pour aborder un sujet sensible sans qu’elle ne s’énerve ? « J’avais pas envie de me battre avec une autre de tes copines. » dit-elle simplement. « Puis au final… j’aurai mieux fait de rester. » ajouta t-elle, forcée de constater que si elle était restée avec Edward et cette garce, elle ne se serait pas faite agresser. Peut-être que c’était un signe enfin de compte… Ou une sorte de métaphore de sa pauvre vie amoureuse : elle ne trouvait pas mieux que Edward et continuer seule n’était visiblement pas une option. « S’il y a une prochaine fois… ne laisse pas une pouf dans son genre tout gâcher. » concluait -elle en reposant ses prunelles brunes sur Edward. Pour le coup c’était plus qu’une simple remarque sur le fait qu’il avait laissé cette fille gâcher leur rendez-vous. C’était aussi une référence, pas vraiment subtile, à leur relation passée. Au fait que Edward avait toujours laissé des poufs dans ce genre foutre le bordel dans leur relation. Il ne c’était jamais battu pour Jaya, n’avait jamais vraiment tenté de la retenir non plus. A y regarder de plus près, ce tea time était une version condensée de leur histoire, plus particulièrement de leur rupture. Le moment où Jaya avait cessé de se battre pour avoir Ed était le moment où leur relation avait pris fin. Et c’était exactement ce qui c’était passé lorsqu’elle avait quitté le café pour rentrer chez elle.

Elle eut encore une de ces remarques qui faisait que Jaya était troublante, difficile à cerner. Son sous entendu voulait tout dire et rien dire, comme d’habitude à croire qu’elle était persuadée qu’Ed était bac+ 50 en terme d’analyse de non dits des filles. Avec tout ce temps quand même, elle aurait pu se rappeler que non. Est-ce que tout ça voulait dire qu’elle avait vraiment espéré quelque chose ? Edward préféra ne pas s’étendre sur cette pensée, surtout comme elle était bouleversée encore. En tout cas, si c’était un piège, il était bien décidé à ne pas tomber bêtement dedans avec des réponses un peu graveleuses, ou n’importe quoi qui aurait pu trahir ses apparentes bonnes nouvelles résolutions. Soyons amis, et tu vas voir, tout se passera bien. Peut-être qu’après tout, il était là, le message caché. Vu comme ça avait toujours eu le don de se terminer en queue de poisson et peu importe les quelques atomes crochus, il y avait des bouts de chemin qui n’étaient pas faits pour se poursuivre ensemble. Ouais peut-être que c’était ça, après tout, s’ils ne s’étaient pas croisés par hasard la dernière fois, Jaya ne serait pas redevenue une idée fixe comme c’était le cas à présent. Du coup, il n’y avait rien de mal à voir ce que ça allait donner non ? « Ca commence en faire beaucoup, des prochaines fois. » souligna t-il pour mettre en avant qu’elle était elle-même prise à son propre piège, et qu’il n’avait même pas fait l’effort pour la coincer dans son trou de souris pour une fois. Oui parce que hein, on savait tous ce que ce genre de conditionnel voulait dire n’est-ce pas. Il y avait plein de double discours qu’il ne saisissait pas, mais il y avait des limites. « Et puis tu sais plutôt bien te battre si je me souviens bien. » Parce qu’on ne frappe pas une fille, même avec une fleur, mais l’inverse n’existe pas, au cas où vous auriez encore des doutes.

Les lumières londoniennes défilaient paresseusement au delà des fenêtres du bus, éclairant les passants sur les trottoirs. Ce rendez vous au départ vite avorté avait pris une autre tournure, mais loin de ce qu’Edward avait espéré, puisqu’il voyait mal se foutre de sa gueule après l’épreuve qu’avait encaisser Jaya, ce qui foutait à peu près tous ses plans de départ en l’air. Pas question de perdre la face, c’était le moment de se ressaisir. « Mais ok, ça marche, je te prends au mot. Tu as plus qu’à organiser la sortie suivante. » En jouant comme ça, il y avait de fortes chances qu’elle ne le recontacte jamais à la réflexion, mais comme Jaya n’avait elle-même pas très claire sur ce qu’elle voulait, il y avait toujours un espoir.

Ouais c’était leur deuxième rencontre et la seconde fois qu’elle lui parlait de ‘prochaine fois’, c’est sur qu’à force il ne pouvait que voir clair dans son jeu. Ça sonnait toujours comme des paroles en l’air, une promesse qui ne serait jamais tenue et il n’était pas assez bête pour la croire sincère lorsqu’elle utilisait cette tournure de phrase. Sa seconde remarque arracha un petit sourire à l’indienne. Elle en avait envoyé balader des coups d’un soir qui s’agrippaient à son mec à l’époque et puis Edward avait souvent dû contrôler une Jaya impulsive, littéralement prête à en tourner une à la première venue ou à le frapper lui s’il la cherchait un peu trop. Elle avait été sa petite-amie, aveuglée par ses sentiments, mais avait toujours gardé son fort caractère, et lors de dispute le pauvre s’était déjà pris des coups. « Hm. Mais je n’vais pas me battre pour boire un thé avec toi. » Lâcha t-elle. Elle n’avait pas l’intention d’être blessante, même si quelques part ses mots étaient francs et en auraient contrarié plus d’un. Elle était simplement sincère. Il y avait longtemps qu’elle avait renoncé à se battre pour passer du temps avec Edward. Jaya regardait par la fenêtre, reconnaissant les rues. On s’approchait petit à petit de son quartier. Elle avait hâte de rentrer, retrouver la sécurité de sa maison, retrouver Gabrielle et un semblant de normalité. Quelques choses de rassurant, quelques choses qu’elle savait qu’on ne pourrait pas lui voler. « ‘La sortie suivante’… c’est pas déjà notre 3ème rendez-vous là ? » elle esquissa un faible sourire. « Y’a plus intéressant qu’une sortie en bus, je te l’accorde. Mais, d’une certaine façon, je t’invite chez moi… donc prend ça comme la ‘sortie suivante’. »

Toujours aussi charmante, est-ce que Jaya venait d’oublier que le preux chevalier d’Edward était l’avait sauvé des griffes de pauvres types aux hormones défaillantes ? Habituellement, il ne se serait pas gêné pour le lui rappeler, ce qu’il se retint de faire pour une fois, preuve d’une grande maturité qu’elle aurait quand même pu souligner. A la place, elle préférait l’attaquer de façon vicieuse, okay, pourquoi pas, au moins, ça voulait dire qu’elle était en train de reprendre du poil de la bête. Elle ne méritait pas ce genre de méchanceté, mais ce n’était pas une excuse pour en profiter non plus. « Ok, tant pis pour toi. » rétorqua t-il avec la même rudesse. Non parce qu’il fallait pas exagérer non plus, il n’allait pas s’agenouiller pour obtenir ses faveurs, autant qu’elle en ait conscience tout de suite. L’invitation qui suivit lui parut pour le moins suspecte, forcément. Est-ce qu’elle essayait de le mettre à l’épreuve ? Il avait l’impression que quoi qu’il réponde, la réponse serait forcément fausse à ses yeux, ce qui n’aidait pas. Ou alors, elle s’attendrait vraiment à ce qu’il fasse preuve de faiblesse et craque le premier s’il débarquait chez elle, autant dire que là aussi, elle se mettait le doigt dans l’œil jusqu’au coude, il n’allait quand même pas faire cette erreur de débutant. Il comptait bien le lui prouver. « Rappelle toi bien de ce que tu viens de dire avant de changer d’avis. » se contenta t-il de souligner, histoire qu’elle ne lui la fasse pas à l’envers. La fraîcheur de la fin de l’automne les accueillie à la sortie du transport en commun, et Edward laissa Jaya les guider jusqu’à chez elle. Rien qu’à l’extérieur, ça n’avait rien à voir avec l’appart dans lequel il créchait, et il se demanda un instant ce qu’il foutait là, mais fini quand même par franchir le seuil de la porte. « Et tu vis en coloc, c’est ça ? » questionna t-il, se remémorant les dires de la brune de la dernière fois. Si seulement il avait pu imaginé qu’il s’agissait de LA coloc.