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 can we steal champagne ? ♦ SCOTT

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MessageSujet: can we steal champagne ? ♦ SCOTT   can we steal champagne ? ♦ SCOTT Icon_minitimeJeu 12 Avr - 11:31

Un carton d’invitation trône sur ma coiffeuse et je lui lance des grimaces régulières, comme si le regarder avec tant d’insistance allait le faire disparaître. Mon père a reçu la même mais par je ne sais trop quelle décision folle et non avenue, il a déclaré qu’il ne mettrait pas les pieds à ce… truc cette année. Ce qui n’est pas fondamentalement plus mal étant donné que je pourrais d’autant plus m’en éclipser en douce le plus tôt possible. Si les gens parviennent à identifier pourquoi je suis là, souvent ils sont longs à la réaction, alors que le visage de mon père est lui nationalement connu – je ne me risquerai pas à parler de sa réputation dans les autres pays du Monde.
Patricia « Trish » Hastings-Bass. Les films ne sont pas très connus mais j’ai aimé ma mère dans chacun des projets auxquels elle a participé. Femme belle, classe, éternelle, presque intouchable, je me souviens des moindres scènes dans lesquelles je l’ai vu jouer. A l’instar de mon père, ma mère était folle. Actrice intègre, elle vivait dans la peau de ses personnages pendant toute la durée de ses tournages et même après encore. Nous criait des répliques à toute heure de la journée, me réveillait la nuit pour me réciter son texte. Et c’est elle que je suis censée honorer ce soir.

Je secoue la tête pour sortir de mes considérations philosophiques et m’installe sur à la coiffeuse que ma mère, justement, avait faite installer pour moi quand j’étais plus jeune. Maquillage, brosses, épingles, touches de neutre et alliages de couleur. Je fais ça comme une professionnelle, discret et sans vulgarité, parade hors pair à la fatigue que j’éprouve.
J’enfile une robe qui, en revanche, est bien loin d’être discrète et relève quelques mèches de mes cheveux dans une pince brochée. J’ajoute une touche de rouge à lèvres et attrape une pochette dans laquelle je jette, classiquement, mon téléphone portable, un paquet de cigarette et mon portefeuille.
Je descends à la hâte et attrape une paire de talons que je prends à la main, enfilant plutôt des ballerines, pour conduire. Chaque détail est machinal mais a été dûment pensé. Je n’ai pas toujours été une fille mondaine et populaire, du genre à s’apprêter pour les grandes soirées, et surtout, à s’y fondre avec autant de facilité. Avant, j’étais aussi une fille tranquille, un peu flemmarde. Du genre à préférer la chambre que l’activité sportive ultime de la femme qui consiste à déambuler toute une soirée sur au moins dix centimètres. L’aptitude s’acquiert avec le temps. Je monte en voiture, dépose l’invitation sur le siège et allume la musique à fond. Let’s go.

23 heures. La soirée est hébergée par le Claridge’s, qui aux dernières nouvelles était devenue la propriété de Gregory Faure. Après une cérémonie bien trop solennelle pour l’évènement, nous sommes tous conviés à nous lever pour manger, boire, et fiesta. L’heure me semble bonne pour quitter les lieux, mais je dois d’abord supporter quelques curieux qui viennent me faire la conversation. Votre mère, Trish. Elle était formidable. C’était une très bonne amie de la famille. Comment va ce bon vieux Bartholomew ?
Au secours, de l’air. J’avale une coupe de Champagne comme on avale un jus d’orange et m’éparpille entre les invités, faisant de mon mieux pour que les plus pénibles d’entre eux soient évités. Mais mon regard fuyant est arrêté par un visage drôlement familier, au fond de la salle. Un visage que je ne m’attendais pas franchement à croiser ici mais qui du reste, semble bien moins inintéressant que tous les autres présents ici. Nouvelle coupe saisie d’une main de professionnelle, je m’approche à pas rapides. Je me glisse derrière Scott Peterson, avec lequel j’ai eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises. « Bonsoir Scott ». J’hausse un sourcil curieux et m’arme d’un sourire. « Tu es venu perdre ton temps pour la soirée, toi aussi ? »

« Bonsoir Blair. Pas trop compliqué de s'éloigner de tous les charognards qui guettent chacun de tes pas et de tes paroles ?» Son ton est profondément ironique et je souris un peu. J’ai, sans prétention, l’habitude d’être suivie. Ce qui est d’autant plus drôle que je suis aussi apte à faire n’importe quoi de ma vie et des gens qui m’entourent ; c’est comme si cette horrible capacité à faire souffrir les autres, ou à souffrir soit même à en devenir insupportable, attirait les gens plutôt que de les faire fuir. Ce qui est profondément idiot ; qui pourrait être masochiste au point de s’imposer la compagnie des gens qui, au lieu d’être simple, ne sont qu’enchainement de complexités glauques et inexprimées ? Définitivement, je ne sais pas. Pourquoi, que ce soit ce soir pour me parler de ma défunte mère qui était si talentueuse ou en temps normal pour me soutirer une heure ou deux de compagnie charnelle, les gens ont cette aptitude incroyable à vouloir me raconter leurs vies, ou faire des projets pour l’avenir avec ma pauvre personne, comprenant dans le programme les idées de maison, de gosses, de pelouse et de métiers, éléments qui à eux seuls pourraient me faire fuir bien plus loin que les Etats-Unis. « J'aurais sincèrement préféré m'ennuyer chez moi, plutôt qu'ici, mais certains évènements sont incontournables dans ma profession. Le champagne compense un peu, mais ça aurait été bien plus le pied si on pouvait en griller une. Je ne devrais pas être étonné de te voir là, mais l'image de psychiatre pour gamins hystériques a du mal à correspondre avec celle de l'habituée des relations mondaines. En parlant de gamines hystériques, comment ça va ? » J’hausse un sourcil sceptique et secoue la tête avec appréciation. Pas de ménagement, j’aime cet état d’esprit. La collaboration entre Scott et moi remonte à un peu de temps maintenant, même de l’époque où il était toujours dans son pays d’origine. Houleuse, comme toutes les relations professionnelles qui fonctionnent – cette pensée n’engageant que moi – elle a fini je pense par nous réussir à tous les deux. Je sirote ma coupe de Champagne, sceptique. « Ton prochain grand âge et des soi-disant responsabilités ne t’autorisent pas à me traiter de gamine hystérique ». Je lui assène un clin d’œil et extirpe mon paquet de cigarette de ma poche. « Surtout quand je suis capable de se faire réaliser tes rêves les plus chers. » Je lui tourne le dos et me dirige vers la terrasse où je l’invite à me suivre, piquant une bouteille pleine dans un seau à Champagne. « Qu’est-ce que tu fiches ici en dehors de l’accomplissement de tes obligations professionnelles de vieux sage ? » Je remplis ma coupe et lui tends la bouteille tout juste volée.

« Ne me rappelles pas mon âge, veux-tu ? C'est assez douloureux comme ça de penser que tu as presque cinq ans de moins et que tu seras toujours plus jeune et vigoureuse que moi. » Il avale un peu de Champagne et je ris, l’âge est un problème récurrent chez les loups solitaires, je n’en ai que très clairement l’expérience. « En effet, mais tu as le bonus de l’expérience de ton côté ». Vieillir n’a jamais été aussi pénible que depuis que j’ai décidé de vivre une vie de célibataire débauchée et largement je m’en foutiste. C’est sans doute le seul point négatif que je trouverai à sortir, d’ailleurs, cette peur de la nouvelle année. Prendre une année dans la gueule comme on se prendrait une gifle, quand on est obsédée par le besoin latent de profiter de chaque instant à vivre, c’est toujours difficile. Peu de gens comprennent ça, les autres se contentent de souffler leurs bougies en trinquant à leur longue vie future. Tout ce que je constate, moi, c’est que plus les années passent, plus ma vie future est réduite. Paradoxalement, écartons toute frayeur inconséquente liée à la mort de ma personnalité. Je me fiche pas mal de mourir demain, dans trente ans ou à cent vingt deux ans. C’est moins rationnel que ça, plus superficiel. C’est la peur de vivre sans n’avoir plus rien à prendre ni à donner. Ma vie repose en grande partie sur ma jeunesse physique, qu’adviendra-t-il quand je serai assez vieille pour être grand-mère mais que de toute évidence je ne le serai pas devenue ? Je soupire et tire une nouvelle taffe de ma cigarette, inspirant profondément, yeux semi-clos. « Ce que je fais ici ? Voyons ma chère Blair, comment pouvez-vous osez demander cela ? Je ne suis là que pour profiter de votre sublime beauté ! » J’éclate de rire et dégage mes cheveux de mon épaule pour faire la belle un instant. Certains compliments déguisés sont plus appréciables que d’autres franchement assumés. « Je sais, je sais, je suis irrésistible ». Le désir dans les yeux des hommes parle souvent de lui-même, mais entendre les mots même nuancés par la blague est révélateur d’un besoin rassurant. « Je ne sais pas trop ce que je fais ici. Avec tout le respect que j'ai pour ta mère, je ne suis pas sûr que je sois la personne la mieux placée pour lui rendre hommage. Enfin, je suppose que je ne suis pas le seul. » Je suis son regard et ricane légèrement, en observant tous ces vieux mecs et ces gens de la Haute qui ont sorti leurs plus beaux habits pour venir se montrer. Personne ne la connaissait vraiment, de toute façon, Trish Hastings-Bass sera morte inconnue, sauf sans doute aux yeux de mon père, qui au fil des années a expié ses carapaces en lui offrant la souffrance dont elle avait besoin pour s’ouvrir. Mais les autres, eux, ils font de la figuration. L’espoir d’accrocher Bart Hastings-Bass doit en motiver certains, mon père n’est pas très accessible et est pourtant réputé pour être un contact à la fois utile et reconnu des carnets d’adresse, que ce soit pour son vin exceptionnellement bon ou pour ses magouilles diverses dans lesquelles ma foi je préfère ne pas tremper. « L'absence de ton père a été très remarquée. Il va bien ? » Je souris un peu et acquiesce. « Il se cache. Mon père est un loup, tous ces gens l’oppressent. Et puis je crois qu’il n’a jamais cessé de rendre hommage à ma mère depuis toutes ces années, alors qu’on mette une quelconque officialité sur l’évènement est finalement d’une banalité bien ennuyante… En plus, par l'absence ou la présence, du moment qu'on le remarque tu sais... » J’inspire, tire de nouveau une taffe en avalant une gorgée de Champagne. « Parfois j’admire la patience que tu as de travailler dans un tel milieu. En dehors des exigences, ils semblent tous tellement superficiels ». Les apparences sont parfois trompeuses, je devrais le savoir. Mais c’est différent, ici. « Ma mère, elle aurait adoré travailler avec quelqu’un comme toi. Mais je crois que toi tu serais partie, elle était franchement pire que moi ». Et ça n’est pas très encourageant de le dire. « J'ai peur que tu m'accordes trop de crédit, ma chère. Je suis moi-même proprement superficiel. C'est la loi du métier, seul ceux qui s'y plient réussissent. » Bien entendu. Et parti comme ça, je suis aussi une salope superficielle. Mais je distingue les gens intelligents qui prétendent des gens naturellement faux, et jouer le rôle endossé depuis des années m’a appris aussi à tolérer le mensonge plus facilement que la vérité trop douloureuse. Parfois, on a juste besoin de prétendre pour que ça aille mieux, et ce n’est alors les affaires de personne que notre façon d’agir. Alors oui, la normalité c’est comme nous sommes tous superficiels, le tempérament résidant dans la distinction entre les gens qui sont profondément faux et ceux qui se cachent derrière autre chose pour ne pas supporter un quotidien taillé d’angoisse. Je crois que Scott n’est pas stupide, pas plus que je ne le suis. « Avoir plusieurs visages, un pour chaque occasion. Tout le monde le fait. Présenter au monde seulement ce qu'il ne veut voir. Nous le faisons aussi tous les deux par certains côtés. Ici je suis un riche parvenu, tu... » Je souris un peu et acquiesce, c’est exactement ce que je veux dire. « Mais j'aurais été ravi de connaître ta mère, tu peux me croire. Ça devait certainement être quelqu'un. » J’acquiesce. « Une grande dame. Mais on est pas actrice sans être superficielle, et loin de moi l’idée de dire que je ne le suis pas. Ma vie n’est que superficialité ». Je souris un peu, légèrement nostalgique tout à coup. « Mais nous sommes des gens supérieurement intelligents. Tu sais pourquoi tu prétends, et je sais moi aussi pourquoi je m’habille d’un masque parfois ». Toujours. « La nature est faite comme ça ». J’hausse une épaule et souris un peu. « Qui eut par ailleurs cru qu’on aurait une conversation aussi philosophique à cette satanée soirée ? Je crois qu’on a besoin de plus de Champagne » Je lui fais signe d’approcher sa coupe que je remplis de nouveau avec la bouteille que j’ai en main, puis je m’occupe de la mienne.


uc



Dernière édition par Blair V. Hastings-Bass le Ven 13 Avr - 22:33, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: can we steal champagne ? ♦ SCOTT   can we steal champagne ? ♦ SCOTT Icon_minitimeVen 13 Avr - 1:36

La télé allumée déverse son flot habituel d'insanité sans que j'y prête la moindre attention. L'écran plat est posé à même le sol, dans un coin de la pièce pas trop encombré par les cartons. Mes yeux parcourent attentivement les murs de l'appartement ; après de longs mois de recherche, j'ai enfin trouvé la perle rare, l'appartement dont je rêvais. Bon, il est vrai que pour le moment, on se croirait plutôt dans une usine abandonnée et quelque peu délabrée. Ca tombe bien, c'est ce que c'était il y a encore une semaine, avant que ça ne devienne officiellement mon nouvel appartement.
Je suis tombé dessus, alors que je m'étais presque résigné à ce que la solution provisoire que j'avais trouvé en arrivant à Londres - c'est-à-dire louer un appartement, certes sympa et bien situé, mais semblable à tant d'autres - devienne définitive. Alors que je sortais d'une visite encore infructueuse d'un appartement dans les anciens docks, j'étais tombé sur cette ancienne usine de sous-vêtements, qui avait résisté à la crise bien plus longtemps que les autres, mais qui avait fini par fermer à la plus grande joie des spéculateurs immobiliers de toutes sortes. Ces derniers espéraient la réhabiliter et la transformer en un ou deux charmants appartements, avec verrière, balcon et peut-être même un petit jardin, qui se seraient vendus à prix d'or. Cependant, je m'étais mêlé de ces projets et grâce à quelques pistons bien placés, j'avais réussi à leur couper l'herbe sous le pied. Ma bourse s'en souviendrait longtemps, vu le prix du mètre carré dans ce coin de Londres. Je m'étais donc retrouvé, plus ou moins sur un coup de tête, avec un énorme trou dans mon porte-monnaie et propriétaire d'un hangar et d'une friche industrielle dans le Docksland. Comme je pouvais difficilement me permettre de payer un loyer en plus des travaux que j'allais nécessairement devoir faire, j'avais pris le parti de résilier ma location et d'aller vivre dans ma nouvelle propriété, non sans avoir fait réparer les vitres ébréchées, colmater les fuites et isoler le tout. Cette histoire me coûtait déjà suffisamment, pour ne pas avoir à me les geler ou à payer une fortune en chauffage pour péniblement maintenir un quinze degré dans mon intérieur.
Je finis de déposer mon dernier carton sur le sol avant de me relever avec un grognement. J'ai bientôt trente ans, transporter des cartons toute la journée n'est plus de mon âge. A vrai dire, il va bientôt falloir m'enterrer. Je m'écrase sur mon matelas posé au milieu de l'empilement de cartons et je sors mon téléphone, pour vérifier les dernières nouvelles du boulot. Un mail de ma nouvelle secrétaire, tout aussi incapable que l'ancienne, au point que je ne me rappelle pas d'en avoir changé, est dans ma boite de réception. Je l'ouvre machinalement, me demandant quelle catastrophe elle peut bien avoir provoquée. Une minute plus tard, je fouille activement dans mes affaires, cherchant désespérément l'invitation à la soirée en hommage à Patricia Hastings-Bass, qui, mon dieu, ne peut raisonnablement pas être ce soir comme le prétend ma secrétaire. Quelques instants plus tard, tenant le carton qui servait de marque-page à une interview people inintéressante, je suis obligé de me rendre à l'évidence. Après avoir passé la journée à déménager dans un hangar non meublé, je vais devoir aller faire le coq à cette soirée alors que j'avais prévu quelque chose de beaucoup plus amusant, impliquant sans doute la visite d'un ou deux pubs du coin et une charmante rencontre au bar. En plus, il y a peu de chances que je ne sois pas fabuleusement en retard, vu l'heure à laquelle mon incompétente secrétaire me l'a rappelé. J'éventre quelques-uns de mes cartons pour trouver un costume de circonstance, qui sera donc italien et de couleur sable, j'en éventre quelques autres pour retrouver mes produits de beauté. Dire qu'il va falloir que je range. Je saisis l'ensemble et me dirige vers ce qui est l'ancien vestiaire des ouvrières et qui va devenir ma salle de bain, vu que c'est le seul endroit du bâtiment où il y a l'eau courante. Je traverse le hangar vide tout en pensant aux prochains aménagements que je dois faire pour profiter pleinement de l'immensité du local.
Une bonne heure plus tard, je franchis finalement le seuil de la soirée, avec un retard qui peut passer pour une politesse mondaine. Pour preuve, je ne suis pas le dernier à arriver. Je me glisse au dernier rang de la cérémonie d'hommage, non sans avoir plus ou moins chaleureusement salué mes connaissances, pour la plupart mes collègues. Pendant que le déroulement de la solennité, je laisse mon regard dérivé sur les gens rassemblés là. Belles robes, beaux costumes, pomponnés pour l'occasion, donnant la plus parfaite image d'eux-mêmes, tout le gratin anglais du milieu est là, cachant sous ce vernis brillant les mauvaises histoires d'hystérie et de drogues, d'enfants bâtards et de mari alcoolique violent. La seule différence avec Los Angeles, c'est que tout ici est caché, alors que tout là-bas était montré. Bien sûr, certaines de ses familles sont sans histoires, mais autant que les autres elles se cachent. Les personnes qui s'assument totalement font scandales. Ce monde n'est qu'un monde d'apparence.
Après avoir charmé un groupe de demoiselles grâce à quelques phrases bien tournées, je décide que j'en ai ma claque des mondanités pour ce soir et je vais me réfugier au fond de la salle, près de la fontaine à champagne, place stratégique s'il n'en faut, même si elle est trop bien surveillée par les serveurs. Toutes ses discussions me fatiguent, j'attends impatiemment l'heure à laquelle je pourrais m'éclipser sans faire parler dans les chaumières pendant des semaines. Je grimace en voyant les aiguilles avancer décidément trop lentement à mon goût et demande au serveur de me resservir une coupe quand soudain, une voix qui ne m'est pas inconnue retentit dans mon dos. « Bonsoir Scott. Tu es venu perdre ton temps pour la soirée, toi aussi ? ». Je me retourne, un sourire léger sur les lèvres. En face de moi se tient Blair Hastings-Bass, royale, une coupe de champagne à la main, un sourcil levé. Après quelques collaborations fructueuses, j'ai appris à l'apprécier, malgré des disputes parfois mémorables à cause de nos caractères respectifs. « Bonsoir Blair. Pas trop compliqué de s'éloigner de tous les charognards qui guettent chacun de tes pas et de tes paroles ?» Mon ton est franchement ironique, mais la moquerie ne s'adresse pas à elle, plutôt à tous ceux qui la suivent à la trace. « J'aurais sincèrement préféré m'ennuyer chez moi, plutôt qu'ici, mais certains évènements sont incontournables dans ma profession. Le champagne compense un peu, mais ça aurait été bien plus le pied si on pouvait en griller une. Je ne devrais pas être étonné de te voir là, mais l'image de psychiatre pour gamins hystériques a du mal à correspondre avec celle de l'habituée des relations mondaines. En parlant de gamines hystériques, comment ça va ? » ma dernière phrase est volontairement provocatrice, mais Blair a sans doute trop l'habitude pour en prendre mouche.
Comme je le pensais, elle se contente de secouer la tête sceptique avant de me répondre œil pour œil, sur le même ton. « Ton prochain grand âge et des soi-disant responsabilités ne t'autorisent pas à me traiter de gamine hystérique ». Un sourire presque franc s'étend sur mes lèvres. Ça fait longtemps qu'elle ne prend plus ombrage de mes petites phrases ironiques et réciproquement. « Surtout quand je suis capable de se faire réaliser tes rêves les plus chers. » Je la vois, me souriant presque malicieusement, sortir un paquet de cigarettes de sa poche avec envie . J'accepte volontiers ma défaite, avec un sourire ravi à vrai dire, car je vendrais mon âme au diable pour des cigarettes là maintenant et Blair est une compagnie bien plus agréable que le diable, bien que celui-ci n'est pas grand-chose à lui envier au niveau du caractère.
Elle pique résolument une bouteille de champagne, charmant d'un sourire le maître d'hôtel qui la regarde d'un aire rogue et me fait signe de la suivre vers la terrasse. Je la rattrape en quelques pas et
je ne peux pas m'empêcher de lui faire lui chuchoter à l'oreille « Tu iras loin ma chère, tu connais trop bien les points faibles des pauvres pêcheurs que nous sommes » J'avance vers la terrasse avec un sourire faux, destinés à toutes les personnes qui nous regardent , mes pensées divaguant vers notre première rencontre.
Les débuts de notre collaboration n'ont pas été des plus simples. Deux forts caractères qui n'ont pas peur de la confrontation et une pauvre gamine plantée là au milieu. Une pauvre gamine qui aurait dû devenir une star en Angleterre et sans doute encore dans le monde entier, si on ne s'était pas aperçu au milieu de sa première tournée qu'elle était loin d'être mentalement stable. Au point que j'avais dû l'amener en urgence au premier hôpital psychiatrique venu, où, par chance ou peut être par malchance, Blair était de garde. J'aurais sans doute volontiers accepté de me laisser cette pré-adolescente mythomane et perturbée entre les mains de cette psy qui savait clairement y faire, mais il restait de nombreuses dates de tournées que je ne pouvais vraisemblablement pas annuler sans perdre des quantités astronomiques d'argent. En plus et tout à fait accessoirement, cette gamine m'avait été confiée par ses parents qui auraient très bien pu me coller un procès aux fesses si je ne restais pas avec elle.
J'étais un pur salaud à cette époque, simplement motivé par la reconnaissance et le fric, sans garde-fou pour me retenir. Blair qui n'était pas du genre à laisser une pauvre gamine dans les mains d'un jeune loup comme moi, s'était lancée dans des procédures pour renvoyer l'enfant chez elle le plus vite possible, sans mon accord bien entendu. Cela avait entraîné des disputes mémorables dans les couloirs de l'hôpital, mais Blair avait finalement obtenu gain de cause. Bien que très rancunier, je n'avais pu que reconnaître qu'elle avait raison quand deux semaines après être rentrée chez elle, la gamine avait été internée d'office en hôpital psychiatrique.
Cette première collaboration forcée et ombrageuse avait été suivie par de nombreuses autres qui, bien que toutes aussi houleuses avaient été nettement plus amicales. Blair était une des rares personnes en Angleterre à m'avoir connu alors que je n'étais seulement qu'un petit con, juste avant la naissance de mon premier enfant. Nos modes de vie semblables nous avaient beaucoup rapprochés. Bien avant tout le monde, elle avait été au courant de mes infidélités, bien que je ne lui aie jamais rien confiée et surtout pas que j'étais un homme marié et bientôt père aux États-Unis.
Je n'ai fait que la croiser très rapidement depuis mon retour à Londres et je suis, je dois bien l'avouer très heureux de la revoir ce soir. Nous avons à présent atteint la terrasse et je respire avec soulagement l'air extérieur. Nous sommes presque seuls, quelques fumeurs nous regardent avec stupéfaction à cause de la bouteille de champagne. Blair sans se préoccuper des regards plus ou moins désapprobateur, s'éloigne un peu et se sert une coupe de champagne, tout en reprenant la
conversation « Qu'est-ce que tu fiches ici en dehors de l'accomplissement de tes obligations professionnelles de vieux sage ? ».Je récupère la bouteille qu'elle me tend
pour remplir ma propre coupe, tout en soupirant, faussement désespéré. «
Ne me rappelles pas mon âge, veux-tu ? C'est assez douloureux comme ça de penser que tu as presque cinq ans de moins et que tu seras toujours plus jeune et vigoureuse que moi. »
Elle laisse échapper un rire qui illumine son visage, avant de me répondre, quelque peu taquine. « En effet, mais tu as le bonus de l'expérience de ton côté ». Par certains côtés, elle a raison (même si je devrais le savoir, Blair a toujours raison). Et pourtant, je ne peux m'empêcher de l'envier quelque peu, comme j'envie un peu plus tous ces gens qui sont plus jeunes que moi et qui un jour pourront me regarder de haut, parce que je serais vieux et décrépi. On ne peut pas vieillir bien : si nous n'étions pas faibles et lâches, nous préférerions sans doute mourir jeunes au lieu de rester traîner dans la vie jusqu'à un âge de plus en plus avancé, alors que nous avons perdu tout attrait et toute intelligence. Mais chacun est attaché à son petit morceau de vie comme une moule à son rocher, pour quelque raison que ce soit. Moi-même, j'espère voir mes enfants grandir, les voir s'épanouir malgré tout ce que j'en dis. L'image de mes enfants chasse rapidement mes pensées moroses. J'avale en souriant une gorgée de ma coupe, avant de reprendre, charmeur, mais surtout joueur. « Ce que je fais ici ? Voyons ma chère Blair, comment pouvez-vous osez demander cela ? Je ne suis là que pour profiter de votre sublime beauté ! »» Elle éclate de nouveau de ce rire clair et sonore tout en rejetant ses cheveux en arrière. "Je sais, je sais, je suis irrésistible" Tous les hommes se mettraient à genoux pour cette femme. Et elle en profite. Si je ne l’avais pas rencontré par le travail, je l’aurais peut-être croisée ailleurs, dans un bar quelconque, un soir où je m’ennuyais. Dieu que nos relations auraient été différentes et sans doute en pire. C'est tellement facile de ne pas se prendre au sérieux, surtout avec Blair, quand nous essayons d'échapper à l'étouffement continuel de ce genre de soirée, nous cachant sur le balcon avec le champagne et les clopes, comme deux gamins coupables et comploteurs. Je reprends plus sérieusement et sincèrement. « Je ne sais pas trop ce que je fais ici. Avec tout le respect que j'ai pour ta mère, je ne suis pas sûr que je sois la personne la mieux placée pour lui rendre hommage. Enfin, je suppose que je ne suis pas le seul. » Mon regard se tourne vers la salle où le ballet des belles robes et des costumes m'éblouit. Combien d'entre eux connaissait même de loin Patricia Haasting-Baas ? Je soupire et me détourne, désabusé, vers la rambarde. « L'absence de ton père a été très remarquée. Il va bien ? » Je ne connais pas plus Bartholomew que ça mais sa réputation et les quelques conversations que j'ai eues avec lui me le rendent très sympathique.Blair sourit légèrement et hoche la tête, avant de me répondre. « Il se cache. Mon père est un loup, tous ces gens l’oppressent. Et puis je crois qu’il n’a jamais cessé de rendre hommage à ma mère depuis toutes ces années, alors qu’on mette une quelconque officialité sur l’évènement est finalement d’une banalité bien ennuyante… En plus, par l'absence ou la présence, du moment qu'on le remarque tu sais... » C'est un des grands avantages, qui est sans doute tout autant un désavantage, de faire partie de la famille Hasting-Baas : votre présence, votre absence, la robe que vous portez ou celle que vous auriez dû porter, les personnes à qui vous parlez et celles que vous ignorez, tout cela est remarqué, décrypté, analysé, puis rapporté à toutes les occasions. L'absence de Bartholomew sera sans doute un sujet de discussion majeure dans les prochains mois (à égalité avec la superbe robe que porte sa fille) et je ne peux que le comprendre. Devoir assister à ce genre de soirée, boire du champagne en écoutant des gens qui ne la connaissait pas vous parler d'une personne chère comme si elle avait été leur plus proche amie, sourire, bavasser et savoir que tous les ans, vous allez devoir assister à quelque chose de ce genre, tous les ans vous allez devoir rejouer cette même scène, cette même comédie, ça doit être proprement insupportable. Blair tire sur sa cigarette, puis porte sa coupe de champagne à sa bouche. « Parfois j'admire la patience que tu as de travailler dans un tel milieu. En dehors des exigences, ils semblent tous tellement superficiels. Ma mère, elle aurait adoré travailler avec quelqu'un comme toi. Mais je crois que toi tu serais partie, elle était franchement pire que moi »Je ne peux m'empêcher de rire, un peu jaune tout de même. « J'ai peur que tu m'accordes trop de crédit, ma chère. Je suis moi-même proprement superficiel. C'est la loi du métier, seul ceux qui s'y plie réussissent. » Même si dans mon cas, je ne sais pas trop si j'ai choisi le métier ou si le métier m'a choisi, justement pour cette capacité. Je tire nerveusement une bouffée de ma clope. « Avoir plusieurs visages, un pour chaque occasion. Tout le monde le fait. Présenter au monde seulement ce qu'il ne veut voir. Nous le faisons aussi tous les deux par certains côtés. Ici je suis un riche parvenu, tu... » Je laisse la fin de ma phrase en suspens. J'ai sans doute été impoli et maladroit, mais après tout, Blair me connait pour ma franchise. J'écrase mon mégot dans un -superbe- cendrier. Je me sens nerveux, j'ai trop parlé. Je finis ma coupe de champagne d'un trait, pour me calmer. « Mais j'aurais été ravi de connaître ta mère, tu peux me croire. Ça devait certainement être quelqu'un. » Mes yeux se détourne de la salle de bal pour plonger dans l'obscurité. J'ai, de nouveau, envie d'une clope.
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