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 let's get high w/ JAMIE

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MessageSujet: let's get high w/ JAMIE    let's get high w/  JAMIE  Icon_minitimeDim 2 Sep - 14:25

Nouvelle année qui s’annonce et le retour à 15m² sous les combles n’est pas franchement glorieux. Je suis parti, et surtout monté dans un avion pour la première fois de ma vie, direction le nord de l’Angleterre où j’ai de la famille qui m’était jusqu’alors inconnue. C’est Daniel Logan qui m’a, en toute discrétion, proposé l’opération, et je me suis retrouvé dans un nouveau monde pour quelques jours. On prend goût, évidemment, à la vie de riche entouré par des gens qui semblent au moins faire l’effort de nous apprécier, à l’instar de ma mère qui elle ne l’a jamais vraiment tenté. Je ne veux rien de plus que quelques jours de vacances de mon récemment retrouvé père, et c’est pour ça que je me retrouve de nouveau installé dans ma chambre miteuse. J’hésite un instant à aller sonner chez Bianca pour lui demander quelques jours de réadaptation, puis me ravise finalement. A peine rentré, il faut que je fasse l’effort moi-même. Je n’appartiens, et n’appartiendrai jamais à ce monde là. Jamais. Je n’en ai pas plus la possibilité que l’envie, à dire vrai, d’ailleurs. Je soupire et décroche cependant mon téléphone, accusant réception d’un message envoyé par Jamie. Une soirée alcoolisée ? Je reprends le boulot demain, mais en fin de journée, ce qui devrait me permettre de décuver tranquillement avant de rentrer sur Londres ; le seul ennui reste donc de conduire jusqu’à Cambridge, mais j’ai déjà fait pire, et la solitude de mon minuscule appartement m’oppresse comme jamais.

Une bonne dose de kilomètres plus tard et me voilà débarqué dans un bar, accoudé au comptoir où j’attends mon ami auquel je viens de signaler ma position par un texto. Les gens empestent déjà l’alcool et la musique résonne à fond, j’ai commandé un shot pour patienter dignement. Il est presque une heure du matin. « Ce shot n’est pas un peu cher pour toi ? » Je me retourne en entendant la voix de mon ami qui s’installe sur le tabouret juste à côté du mien en commandant une bière. « Si, sans doute ». Je fais tourner mon verre dans un sourire. « Je mettrais que deux ou trois heures de boulot à le rembourser, je peux bien me permettre ça ». Je lève mon verre, fais mine de trinquer et le siffle d’un coup, grimaçant un peu en sentant l’alcool descendre le long de ma gorge. Je fronce le nez et inspire, ferme les yeux, prends quelques secondes. « Maintenant je vais passer à la bière ». Je lève une main pour commander dans un sourire puis me concentre de nouveau sur Jamie. « Alors, comment se passe la vie dans la déchéance à Cambridge ? » Sans doute encore moins bien qu’à Londres, vu les gosses de riche qui trainent par ici plus que partout ailleurs. Oxford concurrence sans doute le niveau, mais les deux se valent et ça n’est pas franchement joli à voir, surtout pour un gamin des rues comme moi. J’aurais aimé que Papa et Maman de leur tour d’ivoire m’offrent des études de photographie hors de prix dans une des meilleures facs du monde, ne nous méprenons pas. Mais étant donné que je n’ai pas eu la chance d’être bien né ou même connu de mon propre père – qui lui aurait eu les moyens – je crois que j’ai le droit de haïr ces gens pour la vie misérable que j’aurais toujours. « Santé, aux pauvres âmes ». Je trinque faiblement, Jamie lui suit des cours ici, après tout. Je bois une gorgée de cette immonde bière bon marché et grimace de nouveau, pour de toutes autres raisons cette fois.

Il ne tarde pas à répondre et forcément, son ton transpire l’ironie. « Comme tu imagines. Terriblement huppée et étouffante après un été à moindre coût. Visite de courtoisie à ma mère pour vérifier qu’elle escroque convenablement notre bien-aimé NHS, et tente cinq étoiles dans les régions les plus touristiques de notre belle lande. Et toi ? Laisse-moi deviner. Pas de bronzage… hum, une visite chez la famille royale de Suède pour la naissance de la princesse Estelle ? Oh, non, attends, je confonds avec l’un des types de ma promo… » L’ensemble me déclenche un rire étrangement rauque, j’avale une gorgée de l’immonde bière que le serveur nous a servi pour hydrater ma gorge souffrante. « En réalité, tu n’y croirais pas… » Je ricane, la vie est tellement ironique. « J’ai passé quelques jours dans le nord du pays, après être monté dans un avion pour la première fois de ma vie. J’avais là-bas de la famille insoupçonnée » Je soupire et fais tourner mon verre. « Sinon, la routine. Boulot, hôpital, alcool, boulot alcool… » Nouvelle gorgée de mon verre, je grimace, c’est vraiment dégueulasse.

« Le nord de l’Angleterre ? Mec, tu n’as vraiment pas de chance… Alors, tu as appris que tu es le nouveau petit lord Fauntleroy ? » Je fronce les sourcils et un sourire m'échappe. Je repense à Lia qui n'a vraiment pas lésiné sur les attentions depuis que je lui ai annoncé ici même que nous étions frères et sœurs. « Daniel Logan, le chorégraphe… Il est prof ici, de danse, et sa fille Lia fréquente la fac. C'est pour ça que je viens régulièrement ici. C'est lui mon père. » Cul sec de bière immonde pour faire passer l'information qui me pèse comme un poids sur la conscience, je frissonne un peu. « Mais il n'est pas question d'aide financière ou quoi que ce soit. Il n'était même pas au courant de mon existence, je ne lui demanderai rien. » Je relève les yeux vers lui dans un sourire plus blasé que triste sans doute. « La vie est quand même assez pourrie si tu veux mon avis... » Je ricane un peu et me masse les tempes, la bière me donne déjà mal au crâne. j'en commande une deuxième pour faire passer le mal par le mal et inspire. « Et sinon, à part cet enchainement de malchance... Comment ça se passe pour toi ? »

Il ironise rapidement sur sa situation qui est sans doute équivalente à la mienne – quoi que je crois atteindre des sommets de chance rarement égalés jusqu’à présent en ce moment… « Voilà une porte ouverte à bien des complaintes. Je pourrais me lamenter au sujet de tas de choses, le prix du semestre qui a encore augmenté, les livres qu’il va me falloir acheter, ma chambre qui me coûte un bras, mais tu sais quoi ? Je crois qu’en fait, je peux relativiser. Au moins, je n’ai pas encore découvert que mon père était en réalité Logan. Je ne veux pas me montrer blessant, mais ce type est un tyran. Il m’a forcé à prendre des leçons de rattrapage en danse pour la chorale. Je veux dire, d’accord, je ne sais pas danser, mais il y a quand même l’art et la manière de faire… » Je ricane un peu et secoue la tête. « Il ne me fera pas danser de toute façon, je n’ai jamais appris c’est pas aujourd’hui que je vais m’y mettre… » Je soupire et hausse une épaule. « Ca me rend pas négatif. Au moins, j’ai de la famille décente et en vie quelque part tu vois ? » Je fronce le nez, une sœur dans le coma et une mère alcoolique et honteusement ignorée, je ne suis pas prêt de retrouver un équilibre émotionnel parfait mais la substitution est déjà mieux que… rien.



Dernière édition par Lucas W. Cooper le Mer 5 Sep - 22:57, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: let's get high w/ JAMIE    let's get high w/  JAMIE  Icon_minitimeDim 2 Sep - 14:58

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Je soupire en raccrochant au nez-même de mon client. Ce n’est pas grave, il ne s’en apercevra pas ; une fois qu’ils ont maculé leur mouchoir, ils raccrochent généralement avec une précipitation coupable et honteuse, alors ça n’a franchement pas d’importance. Les gens pourraient croire que je suis parti en vacances. D’un côté, c’est vrai. De l’autre, il faut également savoir que l’un des critères de sélection de ma destination pour une fantastique semaine dans une tente avec un duvet et un réchaud a été de savoir si la réception de réseau y était bonne. Si vous vous posez la question, oui, même les landes du pays de Galles ont une couverture décente lorsqu’il s’agit de réseau pour votre téléphone portable. Même s’il vous faudra toujours finir par atterrir dans un lieu civilisé pour poser votre sac de randonnée et recharger votre batterie. Et, accessoirement, acheter à manger – en faisant scrupuleusement attention à prendre le moins cher.

Voilà donc le récit de mes fantastiques vacances ; passer quelques jours à faire de la randonnée, à se baigner dans des rivières franchement glacée et à oublier la notion de rasoir, tout cela pour échapper l’espace d’une semaine à la mansarde minable où habite ma mère – la coupure de deux mois est franchement dure à supporter quand elle vous raconte toutes les combines qu’elle a trouvées pour arnaquer le NHS et soutirer de l’argent à l’état. En regardant autour de moi, cependant, je ne sais pas ce qui était le pire ; camper, vivre comme un quasi-sauvage à faire de la marche et de l’autostop dans la campagne désert ou retrouver le décor étouffant de King’s College, la chambre louée pour maintenir les apparences, la chambre que je n’ai pas les moyens de m’offrir ; chaque fois que je pose les yeux sur un objet – le lit, la commode, l’étagère, le canapé –, je ne peux m’empêcher de calculer mentalement combien je paie pour ça, le loyer sidérant où partent beaucoup de mes économies.

Le téléphone sonne à nouveau – pas de la longue sonnerie, en revanche, qui annonce un appel mais des deux brèves vibrations qui avertissent de l’arrivée d’un SMS. Malgré moi, je me sens soulagé et mon pouce glisse sur l’écran pour déverrouiller l’IPhone que je ne devrais pas avoir les moyens d’avoir – mais quand on a un job comme le mien, on ne peut pas se permettre d’avoir du mauvais matériel et que le mauvais son du microphone déplaise aux clients. Mon échappatoire à ce paysage déprimant où je me sens intrus s’intitule « Nouveau message de Lucas Cooper », et je n’ai même pas besoin de l’ouvrir. J’éteins immédiatement mon portable pour être injoignable après avoir passé un bref appel à la compagnie pour faire savoir que je n’étais pas disponible, et j’en oublie de prendre une veste quand je ferme la porte de ma chambre derrière moi et la verrouille.

L’air frais de la nuit doit sans doute faire du bien à mes poumons inexplicablement oppressés, mais je ne m’en aperçois pas vraiment tandis que je prends mon temps pour descendre vers le bar où j’ai l’habitude de rencontrer Lucas quand il gratifie Cambridge de sa présence aussi déprimée que la mienne. En fait, je m’aperçois que j’ai dû prendre davantage mon temps que prévu à errer dans Cambridge car, quand je passe la porte du bar, Lucas est déjà accoudé au comptoir.

L’odeur de fumée, de vapeurs d’alcool et, j’en suis sûr, de discrets relents de vomissures, me prend à la gorge, mais je sais que je suis trop habitué pour que ça m’inconforte trop longtemps et je vais directement m’asseoir sur le haut tabouret à côté de Lucas, commandant d’un ton déjà un peu las la bière la plus bon marché – qui aura le mérite de m’enivrer rapidement mais qui me laissera demain matin avec un tel mal de crâne que j’aurai envie de me tirer une balle dans la tête.

- Ce shot n’est pas un peu cher pour toi ?, demandé-je à Lucas avec une ombre de sourire caustique.

C’est reparti pour un tour.

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La réponse ne se fait pas attendre, pas plus que le sourire – que je ne peux m’empêcher de trouver désabusé – de Lucas.

- Si, sans doute. Je mettrais que deux ou trois heures de boulot à le rembourser, je peux bien me permettre ça.

Je ne sais pas si c’est la perspective de passer un peu plus de temps au travail pour payer ce que n’importe qui, dans cette ville, considère sans doute comme une formalité, qui le déprime autant, mais il descend le reste de son shot avec une telle vitesse que je n’ai même pas le temps de lui conseiller de le savourer.

- Maintenant, je vais passer à la bière.

Je lève mon verre dans sa direction pour saluer cette sage décision, et porte la chope mousseuse à mes lèvres en tentant de retenir une grimace, que je ne peux cacher quand suit sa prochaine question, celle que je redoute de beaucoup de gens mais qui, de sa part, est devenue simple routine au cours des longues soirées que nous avons passées à vider pinte sur pinte des bières les plus immondes de Grande-Bretagne – et sans doute du monde. Incroyable ce que Londres et Cambridge peuvent servir en matière de bibine locale et importée.

- Alors, comment se passe la vie dans la déchéance à Cambridge ?

Je hausse les épaules, pas vraiment certain de vouloir aborder le sujet du loyer de ma chambre, qu’il sait bien au-dessus du raisonnable pour quelqu’un dans ma situation financière.Le récit de mes vacances n’est pas non plus le type de discussion idéale, mais ce n’est pas comme si Lucas ne pouvait pas comprendre. Malgré tout, je prends un air dégagé. Il a profité de mon silence pour lever son verre.

- Santé, aux pauvres âmes.

Je l'imite sans enthousiasme en sirotant ma boisson, avant pousser un soupir.

- Comme tu imagines. Terriblement huppée et étouffante après un été à moindre coût, et, non sans ironie, je prends cette fois la voix contrefaite et affectée de ces employées d’agence de voyage qui savaient si bien convaincre mon père de s’offrir un voyage sur la Côte d’Azue. Visite de courtoisie à ma mère pour vérifier qu’elle escroque convenablement notre bien-aimé NHS, et tente cinq étoiles dans les régions les plus touristiques de notre belle lande.

Je passe une main sur ma peau, étrangement lisse après des semaines de camping où mes joues ont été rugueuses ; on n’y croirait pas en voyant la façon dont je suis habillé à présent. Littéralement irréprochable.
Je continue sur ma lancée, imperturbable en dépit de la nouvelle gorgée de bière insipide.

- Et toi ? Laisse-moi deviner. Pas de bronzage… hum, une visite chez la famille royale de Suède pour la naissance de la princesse Estelle ? Oh, non, attends, je confonds avec l’un des types de ma promo…

C’est plus un ricanement ou un rire jaune qu’un véritable gloussement qui m’échappe. Je sais très bien ce que pense Lucas des jeunes qui évoluent ici comme des poissons dans l’eau, peut-être mieux que personne, moi, le poisson dans l’eau devenu un crabe déguisé en hareng. Cette vie, c’était la mienne, à ceci près que mon père préférait Monaco à Stockholm ; il n’est pas difficile de comprendre l’amertume de Lucas. Peut-être suis-je encore plus aigri, parce que j’ai connu la vie de la jeunesse dorée jusqu’à récemment.

En revanche, je le regarde d’un œil curieux, car, même si j’ai bien conscience qu’il n’est en rien intime avec la famille royale de Suède, il y a quelque chose de différent dans son apparence et dans sa posture. On dirait qu’il est encore plus acide que d’habitude en évoquant la richesse de ce monde qui évolue pour lui derrière une vitre qu’il ne peut traverser, et je suis curieux d’en connaître les raisons.

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Contre toute attente, Lucas a l’air d’avoir passé de meilleures vacances que moi, même s’il y a dans son rire une amertume nettement perceptible.

- En réalité, tu n’y croirais pas…

J’ai presque envie de lui dire qu’au point où j’en suis, il n’y a plus rien que je ne croirais pas, mais je me contente de hausser les sourcils d’un air interrogateur, l’encourageant silencieusement à continuer.

- J’ai passé quelques jours dans le nord du pays, après être monté dans un avion pour la première fois de ma vie. J’avais là-bas de la famille insoupçonnée. Sinon, la routine. Boulot, hôpital, alcool, boulot alcool…

C’est à mon tour de ricaner, cette fois. Je suis quelques fois allé dans le nord de l’Angleterre, et même en Ecosse, quand j’étais plus jeune. Je me rappelle que le ciel est encore plus gris et le temps encore plus froid qu’ici. Sans compter leur accent grave, un peu rude. L’un dans l’autre, j’ai le souvenir d’un paysage ombrageux, un peu sauvage. Savoir que c’est la première fois de sa vie qu’il prenait l’avion me rappelle encore une fois ma jadis condition de privilégié.

- Le nord de l’Angleterre ? Mec, tu n’as vraiment pas de chance…, je plaisante en prenant un faux air compatissant. Alors, tu as appris que tu es le nouveau petit lord Fauntleroy ?

Apparemment pas, ou, s’il l’est, il n’a pas l’air d’avoir embrassé le train de vie de sa nouvelle famille ; la mention de l’hôpital me fait grimacer. Il est vrai que la mauvaise fortune a vite grignoté ma part de bonheur, comme racontent les bouquins qui datent de la Grèce antique, mais si j’en crois ce que j’ai compris sur les Parques, la moïra de Lucas est pire que la mienne.
J’ai beau mépriser ma mère autant qu’il déteste la sienne, j’ai au moins la consolation de n’avoir aucun frère ou sœur qui pourrait payer les erreurs de mon père autant que je les paie, la consolation de savoir que personne d’autre que je pourrais aimer en souffre. Mes lèvres sont un peu plus livides ; Lucas ne mentionne pas beaucoup sa sœur. En fait, je crois qu’il n’en a jamais véritablement que lorsqu’il était encore plus ivre que moi. Je ne commets pas l’erreur de lui demander comme elle va, car je devine la réponse sans même avoir besoin de poser la question. Etat stationnaire.

Je descends le reste de ma chope pour ignorer le silence gênant et ne pas risquer de dire quelque chose comme « Je suis désolé. » Lucas a toujours été très clair sur le sujet ; il préfère ne rien avoir de personne que d’avoir leur pitié. D’une certaine manière, je peux comprendre.

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Manque de chance, le moment où j’ai décidé de prendre ma dernière rasade de pinte correspond exactement à celui où Lucas balance, l’air de rien, quelque chose qui est à la fois la plus grosse bombe de la soirée et une énorme blague :

- Daniel Logan, le chorégraphe… Il est prof ici, de danse, et sa fille Lia fréquente la fac. C'est pour ça que je viens régulièrement ici. C'est lui mon père.

Malgré moi, j’ai un énorme hoquet qui coïncide avec ma gorgée, et tout à coup, je tousse, la mousse filant par le mauvais tuyau pour me monter dans le nez. La vision que j’offre est sans doute pathétique, mais Lucas a décidé à cette précise seconde d’en finir avec son propre verre et je crois que j’arrive à éponger de façon plus ou moins discrète la bière que j’ai recrachée avec une serviette en papier qui traînait là. J’entends à peine le reste de sa phrase alors que je cache un nouveau hoquet derrière ma main.

- Mais il n’est pas question d’aide financière ou quoi que ce soit. Il n’était même pas au courant de mon existence, je ne lui demanderai rien, s’empresse-t-il de continuer, et il a un de ces sourires un peu désabusés qu’il me réserve souvent. La vie est quand même assez pourrie si tu veux mon avis… Et sinon, à part cet enchainement de malchance… Comment ça se passe pour toi ?

Je hausse les épaules, la gorge toujours irritée par ma quinte de toux inattendue, les yeux légèrement larmoyants, la cage thoracique un peu douloureuse, et m’autorise un sourire pour ne pas passer pour un complet crétin.

- Voilà une porte ouverte à bien des complaintes, j’ironise, sans pouvoir m’empêcher de remarquer la note un peu rauque de ma voix, et je pose prudemment à l’écart ma chope vide. Je pourrais me lamenter au sujet de tas de choses, le prix du semestre qui a encore augmenté, les livres qu’il va me falloir acheter, ma chambre qui me coûte un bras, mais tu sais quoi ?

J’ai un sourire narquois.

- Je crois qu’en fait, je peux relativiser. Au moins, je n’ai pas encore découvert que mon père était en réalité Logan. Je ne veux pas me montrer blessant, ajouté-je rapidement avec un clin d’œil, mais ce type est un tyran. Il m’a forcé à prendre des leçons de rattrapage en danse pour la chorale. Je veux dire, d’accord, je ne sais pas danser, mais il y a quand même l’art et la manière de faire…

Nouvelle petite pause, je me surprends à regarder Lucas plus intensément que d’habitude, probablement à la recherche d’un trait de ressemblance entre lui et Daniel Logan. Il y a quelque chose, sans aucun doute ; quelque chose dans la forme de la mâchoire, la couleur des yeux, peut-être la forme du nez, mais je n’en jurerais pas. Je détourne les yeux pour ne pas être surpris en flagrant délit d’observation.

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- Il ne me fera pas danser de toute façon, je n’ai jamais appris, c’est pas aujourd’hui que je vais m’y mettre…

Etrangement, le choix de ses mots réveille quelque chose au fond de mon cerveau déjà un peu embrumé par la mauvaise bière trop vite avalée, en trop grande quantité. Une nouvelle pinte m’attend cependant dès que je claque des doigts d’un air un peu impatient. « Me faire danser. » Lucas sait-il à quel point ce serait facile pour Logan de le « faire danser » ? Daniel Logan est riche, et Lucas irait-il vraiment jusqu’à refuser cette facilité ? Je suis bien placé pour savoir qu’on ferait n’importe quoi pour de l’argent, surtout pour de l’argent facile.
Lucas est-il ce genre de personne ? Le genre à céder à la tentation d’une vie plus facile si on la lui proposait ? Pour une raison mystérieuse, j’ai l’impression que non, et la simple pensée que quelqu’un puisse être aussi extrêmement intègre me fait rougir – pour une raison encore plus mystérieuse. Je détourne le regard, avec une drôle de sensation au ventre.

- Ca me rend pas négatif. Au moins, j’ai de la famille décente et en vie quelque part tu vois ?

Je vois parfaitement et hoche la tête, sans vraiment répondre. Que puis-je dire de plus ? Ma mère à moi passe son temps dans une mansarde empuantie par la fumée de ses cigarettes bien trop onéreux et les vapeurs d’alcool bon marché à faire semblant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et à se remémorer les plaisirs et les débauches de son ancienne vie – arrêtant de temps en temps ses rêveries pour mettre au point une nouvelle escroquerie du système public. Logan est peut-être un tyran, mais je suis convaincu qu’il a été un père acceptable pour sa fille, sinon pour son fils – au moins a-t-il évité de laisser à sa femme et ses enfants des tonnes de dettes monégasques à éponger pour lui.
La sensation désagréable revient serrer mon estomac et mes doigts blanchissent un peu contre l’anse de ma chope. La bière est tiède et un peu trop mousseuse, sans doute mal servie, et elle ne fait pas taire mon malaise ; je la repose un peu trop brusquement sur la table, et je me demande s’il n’y aura pas un éclat dans le bois.

- Peu importe, dis-je d’une voix moins ferme que je l’aurais espéré, les joues un peu pourpres si le miroir derrière le bar n’est pas trompeur. Parlons d’autre chose, cette conversation me déprime.

Pas que nous ayons grand-chose à nous raconter en dehors de nos ennuis respectifs, mais il est déprimant – ainsi qu’un peu culpabilisant – de constater qu’une personne censée partager votre vision noire de la vie réussit à voir le verre à moitié plein. Quelque chose comme une sourde jalousie et un malaise adjacent brouille un instant la régularité de ma respiration au semblant d’optimisme de Lucas.

- Parlons de filles, tiens.

Les mots m’ont échappé avant que je ne puisse les retenir, parce que je sais très bien que ni l’un ni l’autre n’auront grand-chose à raconter ; Lucas travaille trop et bataille trop dans ses fins de mois pour avoir le temps ou l’argent à consacrer à des relations amoureuses et moi… eh bien, moi, même si je préfèrerais mourir plutôt que de l’avouer, j’embrasserais plus volontiers Lucas que la serveuse qui tourne entre les tables. Voilà une pensée qui ne va pas m’aider à me sentir mieux.
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