HJT ҩ when she was just a girl, she expected the world.

Marne-la-Vallée, 17 décembre 2010. « Héloooooooooo ? » « Ta gueule ok ? Je te dis que je bosse, pourquoi tu ne veux pas comprendre ça ? » Je pose mon cahier, me lève et claque la porte à la gueule de ma petite sœur, Justine. Je retourne sur mon lit et rouvre mes cahiers. J’adore mes petits frères et sœurs mais ils déconnent complètement de temps en temps. Je veux bien qu’on soit sept dans un petit appart de banlieue parisienne mais si j’ai réussi à négocier une chambre pour moi toute seule ce n’est pas pour qu’un des triplés ou Marianne viennent me souler. Vraiment pas. J’ai décidé que j’irai étudier à Oxford l’année prochaine et j’irai. Quelques soient les problèmes de frics de mes parents ou les conneries de mes frères et sœurs qui adorent me déconcentrer. La terminale ES c’est pas si drôle que ça quand il est hors de question d’avoir moins de 17 de moyenne à ne serait-ce qu’un trimestre. « Héloïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïïse » Je soupire en entendant la voix de ma mère. Je sens d’avance que je vais en prendre plein la gueule. Je me lève et me dirige vers la cuisine. Jules, Justine, Jean et Marianne sont attablés devant un verre de jus d’orange et une tartine de nutella. Je remarque que Justine a deux tartines. Elle a du se plaindre et réussir à négocier une contrepartie. Je lui jette un regard noir qu’elle me rend sans problèmes. Ma mère se tourne vers moi. « Je peux savoir pourquoi tu as mordu ta sœur qui venait simplement te chercher pour le goûter ? » J’écarquille les yeux. « Pardon ? Je l’ai pas mordue ça va pas, Justine qu’est ce qu’il te prend d’inventer des mythos pareils t’es sérieuse là ? Vraiment ? » Ma mère croise les bras. Elle ne me croit pas. Comme d’hab. « MAMAN arrête toi, elle te fait le coup à chaque fois c’est pas possible quand même ! Je bosse ok ? J’ai pas le temps de goûter. J’ai rien le temps de faire. Rien. Juste de bosser. Bosser. Bosser. J’essaie de rattraper le niveau de cette famille, Marianne a même pas eu son brevet ! Je l’ai pas mordue, je lui gentiment dit de me laisser tranquille ! » Ma mère secoue la tête. « Dans ta chambre. Tu n’en sors pas ce soir. De toutes les manières tu dois bosser non ? » Je secoue la tête et sort de la cuisine. Juste avant d’entrer dans ma chambre je hurle « LA PROCHAINE FOIS JE TE BOUFFE EN ENTIERE JUSTINE BIEBER A TROIS BALLES ». Je ferme la porte à clés et entend des coups frappés dessus. L’insulte Petit homme à la mèche coupée tenant en sa main un micro, ça marche à tous les coups. Je ressors mes cahiers et commence l’introduction de ma dissertation de philo. L’obéissance est-elle nécessairement contraire à la liberté ? Je ne trouve pas le sujet particulièrement difficile. Mes facilités dans tout ce qui concerne le domaine scolaire étonnent souvent même si elles ne font pas de moi un génie. Mon réel talent c’est la danse. Pas la philo. Faut dire qu’entre les deux, ma préférence est vite choisie. Trois heures et demi plus tard, j’attaque ma conclusion. Non elle n’est pas nécessairement contraire à la liberté cette obéissance mais ce n’est pas si évident que ça. Elle l’entrave un peu quand même. Je rédige ça joliment lorsque j’entends trois coups frappés à la porte. Je jette un œil par un petit trou que j’ai fait moi-même sur ma porte et aperçoit mon père. Je déverrouille la porte et le laisse entrer. Il est mon seul allié dans cette maison de fou. Il entre et referme derrière lui. « Ça va ma puce ? »Je hausse les épaules. « Bof. Je me suis encore fait engueulée pour rien. Il faudrait vraiment que tu expliques à maman que Justine se mord elle-même pour me faire porter le chapeau ensuite. C’est un délire qu’elle ait toujours pas compris quand même… » Mon père sourit et me prend dans ses bras. « Je vais essayer de lui dire ! Sinon tu as eu des notes aujourd’hui ? » « 17 en maths, je suis déçue ! » Il secoue la tête. « Mon chat, il faut vraiment arrêter avec ça tu sais. 17 c’est excellent, je parie que tu es la première et que le suivant a eu 14 ou moins ! » J’acquiesce. « Il a eu 13, 5 » « Alors arrête de fixer la barre si haut, d’accord ? » Je hoche la tête. « Je sais que tu veux partir d’ici, je te comprends, mais il ne faut pas 20 de moyenne pour arriver à Oxford. Il faut de bonnes notes. Tu en as. Et en plus tu fais de la danse à haut niveau ce qui fait joli comme tout dans ton dossier. Franchement il n’y a aucune raison que tu ne sois pas acceptée. Et tu le sais. » Je souris comme je peux, il se lève et sort de ma chambre. « Je t’aime papa. » « Moi aussi Hélo, moi aussi. »


Oxford University, le 20 septembre 2011. Je descends du bus et pose mes valises. J’ai du mal à croire que je suis arrivée à Oxford. Ça y est. Après avoir tant bossé, après avoir tout démonté, je suis là. Je n’ai pas l’intention d’en bouger. Je me dirige vers une petite maison sur laquelle est attachée une pancarte « ACCUEIL ». Je pousse la porte comme je peux et me retrouve dans une grande salle pleine d’étudiants d’à peu près mon âge, tous portant d’énormes valises similaires à la mienne. Je me mets au bout de la file. Certaines personnes font connaissance mais je n’ose adresser la parole à personne. Mon anglais est plutôt bon mais j’ai trop peur. Beaucoup trop peur. Je me contente de sourire dans le vide. Je dois avoir l’air débile. Je me demande qui je pourrais textoter pour me donner une contenance. Je ne laisse aucun ami en France, aucune famille à qui j’ai particulièrement envie de parler. J’envoie tout de même un SMS à mon père. « Je suis bien arrivée, tout va bien, imotep. » Je sais que ça le rassurera un peu. Les personnes défilent et trois quart d’heure plus tard, c’est mon tour. « Hello, what’s your name? » Je cligne des yeux, n’étant pas habituée à ce qu’on me parle en anglais. Je réponds cependant dans la même langue avec un accent le moins pourri possible. « Je suis Héloïse Thibaud, je suis inscrite en première année de médecine option danse… »La femme sourit et cherche dans un grand registre. « Oui, en effet, vous êtes dans la chambre 314, Lucy va vous montrer » Elle me désigne une grande rousse qui a l’air d’avoir à peu près autant envie de s’occuper de moi que de se pendre. « Hello Lucy, I’m Héloïse and… » Elle sourit et fait un signe de la main. «T’embêtes pas va, je suis française aussi! » Je soupire. « Tu me sauves la vie un peu… Tu es là depuis longtemps ? » « Un an » Je comprends qu’elle n’a pas tellement envie de parler mais je ne peux m’empêcher de continuer un peu. « Pourquoi est-ce que c’est toi qui t’occupe des petits nouveaux ? » Elle hausse les épaules et allume une cigarette. « Parce que je suis Lucy Thompson, que j’ai une sale réputation et que j’ai voulu organiser une soirée sympa dans le campus au mois d’août ce qui n’a pas du tout plut au doyen. Et comme tout le monde m’a dénoncé comme responsable et qu’ils ont démoli toutes les fleurs et vomi un peu partout, je prends pour tous. » Je hoche la tête. Les soirées ici ont l’air sympathique à côté de celles de Marne. « Tu viens d’où sinon ? » Je souris, contente de voir qu’elle veut finalement discuter avec moi. « De Paris. Enfin à côté de Paris, à Marne-la-Vallée ! Et toi ? »« Ouais, Marne c’est pas Paris, confonds pas tout, c’est là où il y a Disney non ? » Je hoche la tête. « Je vois très bien, j’ai habité à Paris même à une période. Mais je viens de Toulouse. » Nouveau signe de la tête. Nous arrivons au bout d’un moment devant un bâtiment. Lucy écrase sa clope et me fait signe de la suivre. « Viens, c’est par là, je crois pas que tu aies de coloc, t’as de la chance, mais si tu veux mon avis ça durera pas… Perso j’ai vite arrêté le campus mais j’espère que tu t’y plairas. » Ma chambre n’est pas grande. Deux lits, deux bureaux, 15 m². Pour moi toute seule, ce sera parfait mais j’espère que ma coloc, si coloc j’ai, prendra son temps avant d’arriver. « Bon allez je te laisse défaire tes bagages, si t’as un problème, appelle moi » Je prends le papier qu’elle me tend et lui fait un signe pour lui dire au revoir. Elle est déjà partie. Je pose ma valise sur mon lit et le papier sur mon bureau. Je regarde par la fenêtre qui donne sur le campus où des dizaines d’étudiants passent ou se retrouvent. Je me rends compte pour la première fois que je l’ai fait. Je suis à Oxford University. Pour y étudier. Je ne peux pas retenir un cri de joie et une petite danse de la victoire. « YAY HELO YOU GO HELO T’Y ES HELO WOOOOOOOOOOOOOOOOOHOUUUUUUUUU » J’entends quelques coups frappés à la porte et me retourne. Une jeune fille entre. « Bonjour, j’espère que je te dérange pas. » Une française, au vu de son accent. « Non t’inquiète, je euh, ouais, ça va ? » Je lui fais un grand sourire sachant qu’elle a du entendre ma petite chanson. « Ouais, super super… Hum… Je m’appelle Astrid, tu es ? » « Héloïse… Tu es française apparemment ? » Elle hoche la tête vigoureusement. « Ouais… Et si on est bien dans la chambre 314 on va être colocs je crois… » « On y est bien et c’est cool !!! Enfin je veux dire… Je suis contente de connaître quelqu’un d’autre que cette fille malgré tout un peu étrange qui m’a accompagnée ici. » Elle hoche encore la tête (nous avons manifestement les même tics). « Oui, je pense que ça devrait être sympa ! »


Un an a passé depuis ma première rencontre avec Astrid. Elle est devenue ma meilleure amie et je me demande encore comment j’ai pu espérer ne pas avoir de coloc. On se ressemble beaucoup, timides, pas très fêtardes mais un minimum sociables. J’ai compris plus tard pourquoi cette Lucy parlait de mauvaise réputation. Je ne me suis jamais servi de son numéro d’ailleurs, je ne suis pas sure qu’on voit la vie de la même façon et de toutes les façons je n’ai aucune envie d’être associée à ses méfaits. Astrid est dans la même classe qu’un charmant jeune homme nommé Alden, un irlandais on ne peut plus mignon. Il est absolument obsédé par une certaine Carolyn Stowe et je suis complètement obsédée par lui alors que je suis censée être sa meilleure amie. Ce qui est absolument génial n’est-ce pas. Cela me donne le droit à tous les détails de toutes ses histoires. Caro t’as embrassé mon Alden ? HOW WONDERFUL ! Caro t’as regardé ? GENIAL SUPER INCROYABLE TA GUEULE. J’essaie de vivre ça bien mais c’est un peu compliqué. Heureusement les soirées vodka nutella Good Morning England que je fais régulièrement avec Astrid me remettent sur pied. Ma mère a perdu son boulot et mes parents m’ont donc demandé de me démerder par moi-même ce qui m’a forcé à prendre des petits boulots. J’anime une émission le samedi après midi dans une radio londonienne qui passe de la pop et du rock des années 60. Je ne peux pas m’empêcher de me prendre pour un des DJs de Radio Rock dans Good Morning England. Je danse aussi au Fez Club à Cambridge quelques soirs par semaines car le Carling oxfordien ne prend pas de danseuses. Cela fait beaucoup de transports mais au fond j’apprécie ce train de vie et les connaissances que cela m’apporte dans les trois villes. Je n’ai parlé à personne de mon boulot à Cambridge cependant, seule Astrid est au courant. Je ne suis pas vraiment fière de ça même si je m’y éclate. Je me rends bien compte que ça tranche trop avec l’image qu’on a de moi à Oxford et je ne tiens pas à ce que l’image en question change. Une seule Lucy Thompson suffit.

→ Ton heure de gloire est enfin arrivée, un producteur de cinéma vient de te remarquer dans la rue et te propose de devenir la star de son nouveau film. Que lui dis-tu ? Je le remercie chaleureusement avant de lui expliquer que je ne suis pas vraiment faite pour ça. J'essaie quand même de négocier un petit rôle de danseuse en arrière plan parce que ça, c'est cool!

→ Une pauvre fille en pleurs chante All by myself avec son cornet de glace à la vanille en plein de milieu de la rue retournant tous les regards sur son passage, y compris le tien. Ta réaction ? Je la force à se taire et à bouger puis la console. Je n'aime pas voir les gens pleurer mais lorsqu'ils se couvrent de ridicule c'est encore pire.

→ Ton(ta) cousin(e) t'avoue sous l'emprise de l'alcool son attirance pour toi, et tente de t'embrasser. Premières impressions à chaud ? Réactions à froid ? Je lui fous la baffe de sa vie, à chaud comme à froid. De manière à ce qu'il n'essaie plus jamais et à ce que tous mes cousins comprennent la leçon. Je suis super forte pour les baffes en plus!

→ Ton idée du parfait samedi soir : une soirée arrosée au Carling à Oxford, une nuit de folie au Fez Club de Cambridge, une sortie au théâtre de Londres ou une soirée geek avec plat commandé et partie de jeux vidéos avec tes meilleurs potes ? J'aime bien danses au Fez Club mais pour sortir j'aime bien le Carling! Et je suis fan de théâtre aussi... Je crois que le top ça reste les soirées Good Morning England/Vodka/Nutella avec Astrid!

→ T'es au confessionnal, tu peux avouer ta pire faute, ou encore un secret particulièrement pesant que tu n'aimerais pas voir révélé. Que dis-tu au père Patrick pour te soulager la conscience ? Amoureuse de son meilleur pote, c'est un péché?

→ Le père Patrick était en fait un vrai sociopathe fan de Pretty Little Liars, et t'envoie un sms anonyme où il vous demande de choisir entre un secret révélé qui pourrait anéantir ta réputation ou briser ta famille, et de voler la bague de fiançailles Cartier d'un de vos amis. Après mûre réflexion, qu'est-ce que tu choisis ? AH LE TRAITRE! J'ai pas tellement de secret qui puisse anéantir ma famille donc ça va mais il fait peur quand même!

→ C'est le mec (la fille) de tes rêves, tu en es persuadé(e) et pourtant, celui(celle)-ci est en couple avec quelqu'un d'autre. Tu te la joues résigné(e), stratégique, ou éploré(e) ? On veut les détails ! Je la joue résignée. Et je n'ai aucune envie d'en parler.

→ Dans dix ans, je me vois bien ouvrir un resto spécialité moules frites avec Camille Jules Martin, marié, six gosses et à l'origine d'une toute nouvelle sauce roquefort-épinards et toi, des projets pour l'avenir ? Je vais me marier avec Alden et on aura neuf chiens, trois chats, deux maisons, une girafe, deux éléphants, dix huit enfants et vingt six souris.

→ Et enfin, honnêtement, entre truth ou dare, qu'est-ce que tu préfères ? (oui ça rime !) truth.

→ En pleine soirée baby-sitting, l'adorable petite fille aux cheveux blonds que vous gardez s'installe sur vos genoux et vous demande, d'un air suppliant : « Moi plus tard, je veux être la Reine d'Angleterre. Papa m'a dit que pour pouvoir le faire, il fallait aller à l'université. Mais il a dit aussi qu'il fallait choisir entre Oxford et Cambridge, parce que ce sont elles les meilleures d'Angleterre. A ton avis, il vaut mieux apprendre à devenir Reine à Oxford, ou à Cambridge ? » Choisis Oxford comme ça tu seras avec moi, c'est là où on se marre le plus! Même si très honnêtement je connais pas mal de gens dans les autres universités et qu'ils sont très gentils aussi!

→ Après avoir écouté votre argumentaire, elle s'interrompt une seconde et fronce étrangement le nez. « Mais, au fait, qu'est-ce que c'est, le Judging Club Cambridge ? » C'est un groupe d'étudiants qui publie une fois de temps en temps un classement des gens dits fréquentables et non fréquentables de l'université. Honnêtement, ils ont un intérêt assez limités je trouve mais ce n'est pas pour ça que les membres du club sont pas sympas individuellement.

→ « Aaaah, d'accord. Je comprends mieux. Et les TroubleMakers, alors ? C'est la même chose ?» Ils ne pourraient pas être plus différents! Les TMs font des blagues un peu à tout le monde, ils sont super drôles selon certains, insupportables selon d'autres. Je jette un œil à leur blog de temps en temps mais ils ne m'intéressent pas plus que ça.

→ « C'est bien compliqué tout ça. Mais alors, si je choisis Cambridge et que finalement je préfère Oxford, j'ai le droit de changer en cours de route ? » Normalement non mais si tu es la reine tu fais ce que tu veux après tout non?

→ « Hm... Bon. Ca m'avance pas beaucoup. Mais en même temps, j'ai le temps. »