Je n'ai pas envie d'aller lui rendre visite. Pas à lui. Mais Hannibal m'y entraîne de force. Il me traite comme une gamine prétentieuse et dépourvue de compassion. «
C'est ton frère Brune. Tu dois aller le voir. Arrête de faire comme si tout était insurmontable. C'était il y a des années, il va mieux maintenant. Il fait des progrès. Il essaie de se racheter et toi tu le repousses sans cesse. Tu ne fais aucun efforts et ça commence sérieusement à me gaver de te répéter cent fois les mêmes choses. Bon sang ! Grandis un peu !» Hannibal me blâme une fois de plus, et ce regard dédaigneux qu'il me jette me fait perdre toute résistance. Je déteste quand il est en colère contre moi. Et je me déteste pour en être responsable. Je cède comme toujours. J'hoche la tête et Hannibal sourit. C'est si facile.
Il ne me fera rien. Pas en présence d'Hannibal. Pas ici. Je suis en sécurité. Je me répète ainsi une litanie de mensonges visant à calmer les battements de mon cœur qui se précipitent à mesure que nous approchons de sa chambre. Je le vois à travers la vitre de la pièce immaculée. Allongee sur son lit, sûrement encore sous sédatifs. Hannibal entre le premier, moi sur ses talons. Lorsqu'il nous voit, Lancelot se redresse aussitôt, s'adossant contre la tête de lit. «
Lancelot ! Tu te sens comment bro' ? » s'exclame t-il en donnant une accolade à son jumeau. «
Je vais bien. Mieux. Ces examens me fatigue mais ai-je vraiment le choix ? Je suis tellement heureux de vous voir. Les médecins disent que d'être soutenu par sa famille est essentiel pour guérir de tous les maux. »
Liar, liar. Hannibal a raison. Il n'est pas fou, bien au contraire. Lancelot sait se montrer très intelligent et surtout habile en manipulation pour arriver à ses fins. Je ne suis pas dupe. J'aimerais pouvoir croire qu'il va guérir, mais toutes ces belles paroles ne sont qu'un simulacre pour convaincre Hannibal que le problème ne vient que de moi. Tout est parfaitement médité, et je suis prise au piège. «
Brune ? Tu ne viens même pas saluer ton frère ? » Je le maudis silencieusement. Hannibal me fixe lourdement. Je dois rentrer dans son jeu et poursuivre cette mascarade. Je m'approche de son lit et me penche légèrement pour me mettre à sa hauteur. Il tend ses bras vers moi et m'étreint. Dès l'instant ou ses mains se posent sur moi, je me raidis. Il feint de déposer un baiser sur ma joue pour murmurer à mon oreille «
Tu es toujours aussi désirable petite sœur » Un frisson me parcoure l'échine. «
Va au diable » soufflai-je. «
J'aime quand tu me résistes. C'est si rare venant de toi.» Je reste muette. Il sait qu'il a gagné. Il a eu ce qu'il voulait. Il l'obtient toujours. Ses lèvres effleurent ma joue et il me libère enfin. Je cherche aussitôt du réconfort dans le regard d'Hannibal qui n'a rien saisi de notre échange. S'il savait tout ce que je sacrifie pour ne pas qu'il s'éloigne de moi.
Un bref toc toc à la porte laissée ouverte. Je me retourne et voit le médecin de Lancelot. Je ne me souviens pas l'avoir entendu arriver. Depuis combien de temps était il là ? «
Bonsoir Docteur Lockart ! Les nouvelles sont bonnes ? Je vais bien ? Je vais pouvoir rentrer ? » le salue Lancelot «
Bonsoir. Oui nous aimerions qu'il dîne avec nous ce soir. C'est possible ? » ajoute Hannibal. Ce dernier me surprend. Lancelot n'étant supposé sortir qu'à partir de demain matin, il n'avait jamais été question qu'il passe la soirée avec nous. Quand comptait il m'en parler au juste ? «
Dire que vous allez bien est un bien grand mot mais, effectivement, vous allez mieux. Ce pendant, votre sortie n'est prévue que demain et le règlement est le règlement. Ce pourquoi vous ne sortirez que demain matin. Et soyez encore heureux de pouvoir sortir un jour. » J'émets un discret soupir de soulagement. Lancelot n'est apparemment pas parvenu à tromper son médecin, m'offrant un peu de répit. Mon psychopathe de frère est soufflé, il n'a guère l'habitude qu'on lui refuse quoi que ce soit. Et inconsciemment Docteur Lockart venait de ruiner ses plans. La tension accumulée dans chacun de mes muscles se relâche. Et je m'apaise. On pourrait penser que je suis une personne odieuse, égoïste qui ne porte guère d' intérêt à son frère souffrant. Mais aussi paradoxal cela puisse paraître, j'aimais mon,
mes frères. Ils étaient mon sang, et je ne pouvais renier ce genre de lien. Néanmoins, j'aime Lancelot autant que je le crains. Le pire étant qu'il a pleinement conscience de l'emprise qu'il a sur moi, en use et en abuse non sans en ressentir un malin plaisir. Le neurochirurgien quitte la pièce. Lancelot nous regarde avec une mine défaite. «
Quel connard ce médecin. Ça me bouffe que tu sois enfermé ici. Bordel ! C'est un hôpital pas une prison ! » jure Hannibal. Lancelot attrape sa main pour l'apaiser. «
Ça ne fais rien, ça sera pour une prochaine fois. » déclare Lancelot. Puis ils échangent ce regard que je hais tant. Ce regard précis qu'ils ont lorsqu'ils parviennent à lire dans l'autre. À se parler sans dire un mot. C'est
leur truc de jumeaux. Ce truc qui me rend si transparente à chaque fois. «
T'as raison Lance. » Je reste à l'écart. Comment Hannibal peut être aussi aveugle ? Il me déçoit. Il m'abandonne pour ses chimères que Lancelot fait danser sous ses yeux. Il est devenu son pantin lui aussi. Hannibal était censé me soutenir, me protéger de lui. L'empêcher de me faire du mal. Et voilà qu'il invitait volontairement le loup dans la bergerie.
«
Vous devriez rentrez. Les heures de visites sont bientot terminés. Brune ne fais pas cette tête, ce n'est que partie remise, tu le sais bien. Tiens d'ailleurs j'aimerais te parler seul à seul si tu veux bien » Mon cœur a un raté. Lancelot arrive toujours à ses fins et j'avais été bien idiote de croire, même l'espace de quelques secondes, que je pouvais lui échapper. Hannibal acquiesce, satisfait devant notre entente apparente. Il embrasse Lance, dépose un baiser sur mon front et part en fermant la porte. Je guette le son de ses pas dans l'escaliers et lorsqu'il semble assez éloigné j'ose affronter le regard avide de Lancelot «
Tu as peut être eu de la chance ce soir Brune. Mais je finirai par sortir crois moi. J'ai toujours ce que je veux» Ses yeux azurs rongés par la démence me dévorent littéralement. Je baisse la tête pour le fuir et il laisse échapper un rire grinçant «
Pourquoi n'arrives tu pas à me regarder ? Dis moi, est ce que je t'effraie petite Brune ? » La Peur. Elle me paralyse, me fait perdre tout discernement. Mes mains tremblent légèrement, sans que je ne puisse me contrôler. Je suffoque. Je dois sortir. Vite. Je fais volte face, avec la sensation désagréable de son regard perçant dans mon dos. Je clanche la poignée et claque la porte derrière moi. Je marche à pas précipités dans les couloirs de l'hôpital, chamboulée par les propos de Lance. J'ouvre la porte d'un local et pénètre dans la pièce éclairée par quelques néons. J'erre entre les étagères et les cartons de pansements, et m'assois entre deux rangées, repliant mes genoux sur ma poitrine. J'inspire et expire profondément, imposant un rythme convenable à mon cœur. Mon corps tout entier est agité de tremblements et je serre les poings à mesure que je sens ma gorge se serrer. Je me répète inlassablement que tout va s'arranger, que tout ira bien, mais je n'en crois pas un mot. Je pose mon front sur mes genoux et ferme les yeux.
uc