AJF ◤ cutie teacheeeer

Je suis absorbé par le liquide à l'intérieur de mon verre. De l'alcool, encore, alors que je ne tiens absolument pas les boissons alcoolisées, que je suis incapable de résister après trois verres. D'habitude, je ne bois que pour les très rares occasions qui se célèbrent, mais ce soir est une soirée particulière. Je suis chez Harry, et son frère William. C'est le premier qui m'a invité, mon ami depuis longtemps. Il avait décidé d'organiser ce dîner il y a un moment déjà, et tout est très bien organisé et agencé. La plupart des gens ici sont des gens que je connais, d'Oxford ou d'ailleurs, de mes études, des conférences que j'ai eu l'occasion de donner déjà un peu, notoriété obligatoire que vous offre la faculté d'Oxford quand vous avez la chance d'y avoir été embauché, après des études brillantes, un travail acharné, trop acharné sans doute. J'ai toujours consacré énormément de temps et d'attention à mes études, puis par extension à mon travail, pour être toujours au meilleur de ma forme, ne jamais décevoir personne. Je suis avec Christopher depuis que j'ai 18 ans. Après quelques années difficiles à essayer de comprendre ma propre sexualité - qui s'accrocha un temps d'ailleurs aux traits fins et mystérieux de mon meilleur ami - j'ai fini par réaliser que j'aimais les hommes et que les femmes ne trouvaient à mes yeux aucun attrait. Romantique dans l'âme, Christopher était le premier, et je pensais sincèrement qu'il serait le dernier.

Mais Christopher, qui aurait du m'accompagner ce soir, n'avait pas apprécié mon investissement pour notre vie future et avait donc préféré la compagnie d'un autre homme plus disponible à la mienne, ce que j'avais découvert en tombant par hasard sur sa boite mail restée ouverte sur l'ordinateur de notre salon. Un appartement commun, une vie commune, je ne connais que lui et que cette vie, mais il va falloir repartir de zéro, tout refaire du début et apprendre à tout reconstruire. Je soupire en avalant le verre cul-sec, mes yeux se perdent sur les gens qui sont là. Harry s'approche, lui qui est plutôt habitué à me voir heureux et positif doit être surpris d'un tel revirement de situation, et pourtant, est-ce que j'ai vraiment le droit de me plaindre ce soir ? Je souris quand il me demande si tout va bien et esquive la question d'un geste las en lui disant que je lui raconterai plus tard, ce qui semble le satisfaire car il repart aussitôt. Harry est un jeune homme intelligent, avec lequel je ne possédais au départ que peu de points communs, en dehors de la passion pour l'enseignement. Et puis finalement ,au fil des années, nous sommes devenus amis comme s'il n'y avait rien de plus naturel. C'est pourtant la première fois que je rencontre son frère - et même si je savais déjà qu'ils étaient tous deux jumeaux, la ressemblance entre les deux est saisissante, bien qu'il soit aussi évident que de nombreuses différences les distinguent. William Hardy a l'air d'être un loup solitaire et a adopté depuis plusieurs minutes la même position que moi, face à un verre qu'il ne boit pas.

Je soupire, m'en ressers un et puis me redresse, m'approche, presque timidement. L'alcool me donne chaud et m'embrume l'esprit, faisant taire momentanément la douleur vivifiante qui tiraille mon coeur depuis des heures. Je pense un peu trop et imagine Christopher, l'amour de ma vie, dans les bras d'un autre, puis me ressaisis. L'heure n'est plus à penser, j'ai besoin d'oublier. Et l'alcool semble être sur la bonne voie pour m'aider à y parvenir. « Bonsoir. William, c'est ça ? Harry parle beaucoup de vous, je suis Adrian, son meilleur ami ? » Je fronce le nez, et réalise que si oui, Harry me parle beaucoup de son frère, je ne suis absolument pas sûr qu'il parle de moi à ce dernier. Je lui tends ma main libre pour serrer la sienne, en quête d'un peu de distraction. Sa solitude me convient, je n'avais pas envie de rejoindre la masse des gens dans la salle à manger, pour subir les conversations insupportables sur le futur, la famille et l'avenir des enseignants. Ma vie bien trop réduite à mon travail me donne la nausée, et maintenant que je suis seul pour faire face au monde, j'aimerai bien disparaître pour ne plus avoir à y penser.